Ode


 CES antres et ces rochers,
 Jeanne, qui te virent naitre,
 Me sont plus beaux et plus chers
 Que le palais de mon maître.

 J’égale au plus beau des lieux
 La province reculée
 Que l’orient de tes yeux
 A si doucement brûlée.

 Tes vertus sont des trésors
 Qui te remplissent de gloire.
 On les chante sur les bords
 Du Rhin, du Tibre et de Loire.


 Ton esprit est merveilleux,
 Le mien en fait son oracle,
 Et notre âge est orgueilleux
 D’avoir produit ce miracle.

 Le soleil est un flambeau
 Où moins de lumière abonde :
 C’est le présent le plus beau
 Que le ciel ait fait au monde.

 Jeanne, tu parles si bien,
 Que mon âme en est ravie :
 Deux jours de ton entretien
 Valent deux siècles de vie.

 Tu m’as pris, et ton discours
 Est le piège qui m’engage.
 Le printemps n’a pas des jours
 Si fleuris que ton langage…

 Je pardonne à tes beautés
 L’orgueil qui les rend si vaines ;
 Tes regards font nos étés,
 Tes pieds font fleurir nos plaines.

 Tu fais que dans nos vallons
 On voit naître toutes choses,
 Et défends aux aquilons
 D’y faire tomber les roses.

 Quoi que fassent les hivers,
 Jamais la neige n’y dure,
 Et les arbres y sont verts
 D’une éternelle verdure…

 Souvent, pour se délasser,
 La Cour me lit, et je pense

 Qu’on ne voudra pas laisser
 Ma vertu sans récompense ;

 Mais je t’ai donné les vœux
 D’une amour si peu commune,
 Que pour un de tes cheveux
 Je quitterais ma fortune.

 Si la foi dont je te sers
 Ne craignait d’être abusée,
 J’userais dans ces déserts
 Tout le fil de ma fusée…

 Quand est-ce que tu prétends
 De finis tes injustices ?
 Il me semble qu’il est temps
 De couronner mes services.

 Ne crains pas que la raison
 Désormais t’impute à blâme
 De hâter la guérison
 Des blessures de mon âme.

 Ma vie a déjà passé
 Ses plus belles matinées,
 Et ton front est menacé
 De l’injure des années.

 Ne considère plus rien ;
 Le devoir t’en sollicite.
 Un feu grand comme le mien
 N’est pas un petit mérite.

 Laisse-toi vaincre à mes pleurs,
 Et te ploie à mes demandes :
 Tandis que l’on a des fleurs,
 On doit faire des guirlandes.