À Alcippe


  ALCIPPE, reviens dans nos bois,
  Tu n’as que trop suivi nos rois
Et l’infidèle espoir dont tu fais ton idole :
 Quelque bonheur qui seconde tes vœux,
Ils n’arrêteront pas le temps qui toujours vole,
Et qui d’un triste blanc va peindre tes cheveux.

  La cour méprise ton encens,
  Ton rival monte et tu descends,
Et dans le cabinet le favori te joue.
 Que t’a servi de fléchir les genoux
Devant un Dieu fragile et fait d’un peu de boue,
Qui souffre et qui vieillit pour mourir comme nous ?

  Romps tes fers, bien qu’ils soient dorés,
  Fuis les injustes adorés,
Et descends dans toi-même à l’exemple du sage.
 Tu vois de près ta dernière saison :
Tout le monde connaît ton nom et ton visage,
Et tu n’es pas connu de ta propre raison.


  Ne forme que des saints désirs,
  Et te sépare des plaisirs
Dont la molle douceur te fait aimer la vie.
 Il faut quitter le séjour des mortels,
Il faut quitter Philis, Amarante et Silvie,
À qui ta folle amour élève des autels.

  Il faut quitter l’ameublement
  Qui nous cache pompeusement
Sous de la toile d’or le plâtre de ta chambre.
 Il faut quitter ces jardins toujours verts,
Que l’haleine des fleurs parfume de son ambre,
Et qui font des printemps au milieu des hivers.

  C’est en vain que loin des hasards
  Où courent les enfants de Mars,
Nous laissons reposer nos mains et nos courages ;
 Et c’est en vain que la fureur des eaux.
Et l’insolent Borée, artisan des naufrages,
Font à l’abri du port retirer nos vaisseaux.

  Nous avons beau nous ménager,
  Et beau prévenir le danger,
La mort n’est pas un mal que le prudent évite ;
 Il n’est raison, adresse, ni conseil,
Qui nous puisse exempter d’aller où le Cocyte
Arrose des pays inconnus au soleil.

  Le cours de nos ans est borné ;
  Et quand notre heure aura sonné,
Cloton ne voudra plus grossir notre fusée.
 C’est une loi, non pas un châtiment,
Que la nécessité qui nous est imposée
De servir de pâture aux vers du monument.

  Résous-toi d’aller chez les morts ;
  Ni la race, ni les trésors,

Ne sauraient t’empêcher d’en augmenter le nombre.
 Le potentat le plus grand de nos jours,
Ne sera rien qu’un nom, ne sera rien qu’une ombre,
Avant qu’un demi-siècle ait achevé son cours.

  On n’est guère loin du matin
  Qui doit terminer le destin
Des superbes tyrans du Danube et du Tage.
 Ils font les dieux dans le monde chrétien ;
Mais ils n’auront sur toi que le triste avantage
D’infecter un tombeau plus riche que le tien.

  Et comment pourrions-nous durer ?
  Le temps, qui doit tout dévorer,
Sur le fer et la pierre exerce son empire ;
 Il abattra ces fermes bâtiments
Qui n’offrent à nos yeux que marbre et que porphyre,
Et qui jusqu’aux enfers portent leurs fondements.

  On cherche en vain les belles tours
  Où Pâris cacha ses amours,
Et d’où ce fainéant vit tant de funérailles.
 Rome n’a rien de son antique orgueil,
Et le vide enfermé de ses vieilles murailles
N’est qu’un affreux objet et qu’un vaste cercueil.

  Mais tu dois avecque mépris
  Regarder ces petits débris :
Le temps amènera la fin de toutes choses ;
 Et ce beau ciel, ce lambris azuré,
Ce théâtre, où l’aurore épanche tant de roses,
Sera brûlé des feux dont il est éclairé.

  Le grand astre qui l’embellit
  Fera sa tombe de son lit ;
L’air ne formera plus ni grêles, ni tonnerres ;
 Et l’univers qui, dans son large tour,

Voit courir tant de mers et fleurir tant de terres,
Sans savoir où tomber, tombera quelque jour.