Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Mademoiselle de Louvencourt


DIX-HUITIÈME SIÈCLE.




MADEMOISELLE DE LOUVENCOURT.


Marie de Louvencourt naquit à Paris en 1680. Pourvue de toutes les grâces et de tous les talents, elle brilla sur le Parnasse et fut l’ornement de la société. Elle chantait bien, joignait à une voix brillante le goût le plus exquis et jouait parfaitement du théorbe. Les poésies de mademoiselle de Louvencourt se réduisent presque à des cantates, qui ont été mises en musique par les plus célèbres compositeurs de son temps. Les vers qu’elle fit peu de temps avant sa mort, qui eut lieu en 1712, feront juger de sa philosophie.


CANTATE.

l’amour piqué par une abeille.


Dans les Jardins enchantés de Cythère,
Vénus rassembloit les Amours.
La froide indifférence et la raison sévère
De ces aimables lieux sont bannis pour toujours

Mille amants fortunés, conduits par la constance,
Y reçoivent le prix des vœux qu’ils ont offerts ;
Et tout y ressent la présence
Du dieu charmant qu’adore l’univers.
Sous les loix de la jeune Flore,
Un éternel printems enchaîne les zéphyrs ;
Et les fleurs qu’on y voit éclore
Sont l’ouvrage de leurs soupirs
Les ruisseaux amoureux mêlent leur doux murmure
Aux concerts des oiseaux qui chantent nuit et jour ;
Le soleil y répand une clarté plus pure
Qu’il emprunte des feux que lui prête l’Amour.

Tandis que les Amours, dans ces jardins épars,
Moissonnent du printems la richesse éclatante,
Une rose naissante
Du fils de Cythérée arrête les regards.

« Rien n’est si beau que vous, dit-il, dans ce bocage,
Jeune rose, pleine d’appas ;
C’est pour vous rendre un doux hommage
Si d’autres fleurs naissent dans ces climats ;
Qu’à votre gloire tout conspire,
Faites l’ornement du printems,
Formez, dans l’amoureux empire,
Les chaînes des heureux amans ;
Parez les Grâces immortelles
Qui suivent la mère d’Amour ;
Prêtez à la beauté, par un juste retour,
Encore des armes nouvelles. »
L’Amour charmé cède au désir pressant
De cueillir une fleur si belle ;
Mais, dans le même instant, une abeille cruelle
Ose blesser ce dieu charmant.

« Je me meurs, je succombe à ma douleur mortelle,
Dit à Vénus l’Amour en soupirant. »
Vénus sourit de sa douleur amère,
Elle guérit bientôt sa blessure légère,
Et, par ces mots, apaise son tourment :

« Charmant vainqueur, tu nous exposes
À des maux cent fois plus pressans.
Par les peines que tu ressens,
Juge des maux que tu nous causes.

Tes traits, puissant dieu des Amours,
Font ressentir des peines plus cruelles ;
Ils portent dans les cœurs mille atteintes mortelles
que tu ne guéris pas toujours. »


CANTATE.

la musette.


« Cruelle et rigoureuse absence,
Ah ! que vous me coûtez de trouble et de soupirs !
Vous m’enlevez l’objet de mes tendres désirs,
Et vous ne me laissez qu’une vaine espérance
Qui fait encor mes plus charmans plaisirs. »

C’est ainsi que Myrtil, amant tendre et fidèle,
Absent d’Amarillis, exprimoit ses regrets :
« Ce fut, dit-il, dans ces vastes forêts,
Pour la première fois que je vis cette belle.

L’éclat de ses attraits auroit charmé les dieux.
J’en ressentis bientôt la fatale puissance ;
Et, dans ce doux transport, éperdu, sans défense,
Ma liberté paya le plaisir de mes yeux.

Vous qui craignez une ardeur inquiète,
Fuyez ses dangereux appas ;
L’Amour, qui vole sur ses pas,
Est garant de votre défaite.
Vos soins empressés, vos ardeurs,
N’attendriront point l’inhumaine.
L’insensible jouit sans peine
D’un bien qu’elle ôte à tous les cœurs.

Mais, que dis-je ? Pourquoi redouter de la voir ?
La liberté vaut-elle un si doux esclavage ?
Venez joindre, bergers, vos vœux à mon hommage,
Et sachez, comme moi, la servir sans espoir.

Chantez, résonnez, ma musette.
Élevez vos sons dans les airs ;
Célébrez mon ardeur parfaite
Et la beauté de celle que je sers.

Réveillez l’écho qui repose
Dans les autres de ces déserts ;
Que les soins où l’amour m’expose
Soient le sujet de vos concerts.


SUR SA PROCHAINE MORT.


Bientôt la lumière des cieux
Ne paroîtra plus à mes yeux ;
Bientôt quitte envers la nature,
J’irai, dans une nuit obscure.
Me livrer pour jamais aux douceurs du sommeil.
Je ne me verrai plus, par un triste réveil,
Exposée à sentir les troubles de la vie.
Mortels qui commencez ici-bas votre cours,
Je ne vous porte point envie ;
Votre sort ne vaut pas le dernier de mes jours.

Viens, favorable mort, viens briser des liens
Qui, malgré moi, m’attachent à la vie ;
Frappe, seconde mon envie ;
Ne point souffrir est le plus grand des biens.

Dans ce long avenir j’entre l’esprit tranquille ;
Pourquoi ce dernier pas est-il si redouté ?
Du maître des humains l’éternelle bonté
Des malheureux mortels est le plus sûr asyle.