Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Mademoiselle Serment
MADEMOISELLE SERMENT.
Mademoiselle Serment (Louise-Anastasie) naquit à
Grenoble en 1642, fut admise à l’Académie des Ricovrati
de Padoue et acquit quelque célébrité par son
savoir. Elle a fait quelques poésies françaises et latines
qui, pour la plupart, ont été insérées dans le recueil
de M. Guyonnet de Vertron, intitulé la Nouvelle Pandore.
Cette demoiselle est morte en 1692.
Voici des vers qu’elle fit à ses derniers moments et pendant qu’elle supportait avec patience les douleurs d’un cancer :
Bientôt la lumière des cieux
Ne paroîtra plus à mes yeux ;
Bientôt, quitte envers la nature,
J’irai, dans une nuit obscure,
Me livrer pour jamais aux douceurs du sommeil.
Je ne me verrai plus, par un triste réveil,
Exposée à sentir les tourments de la vie.
Mortels, qui commencez ici-bas votre cours,
Je ne vous porte point envie :
Votre sort ne vaut pas le dernier de mes jours.
Viens, favorable mort, viens briser des liens
Qui, malgré moi, m’attachoient à la vie.
Frappe ! seconde mon envie :
Ne plus souffrir est le plus grand des biens.
Dans ce long avenir j’entre l’esprit tranquille.
Pourquoi ce dernier pas est-il tant redouté ?
Du maître des humains l’éternelle bonté
Des malheureux mortels est le plus sûr asile.
Menage dit que l’on croyait que tout ce qu’il y avait
de supportable dans les opéras de Quinault était dû à
mademoiselle Serment, que ce poète voyait fréquemment.
Quinault la consultait en tout et ne publiait rien
qu’elle n’en fût satisfaite. C’est pourquoi dans le temps
où il s’engagea à fournir à Lulli un opéra tous les ans,
on fit les vers suivants, qui se trouvent dans le Menagiana :
Qu’un honnête homme, une fois en sa vie,
Fasse un sonnet, une ode, une élégie,
Je le croy bien .
Mais que l’on ait la tête bien rassise
Quand on en fait métier et marchandise,
Je n’en croy rien.
Que force gens passent pour bien écrire,
Et qu’en public brille tout leur bien dire,
Je le croy bien :
Mais qu’au labeur d’autruy bien souvent ils ne doivent
La gloire et le profit que leurs vers en reçoivent,
Je n’en croy rien.