Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Madame de Villedieu

MADAME DE VILLEDIEU.


Madame de Villedieu (Marie-Catherine-Hortense), fille du prévôt d’Alençon, naquit dans cette ville en 1632. Elle épousa en secondes noces M. de Chatte, et ensuite M. des Jardins. Cette dame a fait plusieurs ouvrages, tant en vers qu’en prose ; ses poésies fugitives sont ce qu’on estime le plus. Elle est morte en 1683.


EGLOGUE.


Enfin, cher Clidamis, l’amour vous importune ;
Vous suivez le parti de l’aveugle Fortune :
Les exemples fameux des révolutions
Qu’elle fait éprouver à tant de nations,
Des trônes renversés, des familles éteintes,
Qui troublent l’univers par leurs trop justes plaintes ;
La foule des héros qu’elle traîne au cercueil,
N’ont pu vous garantir de ce funeste écueil.
Pour elle vous quittez votre innocente vie,
Qui de tant de douceurs avoit été suivie ;
Pour elle vous quittez cet aimable séjour,
Où règnent pour jamais l’innocence et l’amour.
Le désir des grandeurs étouffe votre flamme ;
La cour et ses appas me chassent de votre ame.
Ma cabane n’est plus digne de vous loger :
Vous êtes courtisan et n’êtes plus berger.
Eh bien, cher Clidamis, suivez votre génie,
Acquérez, s’il se peut, une gloire infinie,

J’y consens à regret : mes amoureux soupirs
Ne troubleront jamais vos somptueux plaisirs.
Qu’un éternel oubli soit le prix de mes peines ;
Renoncez à mon cœur pour des chimères vaines.
A de lâches devoirs sacrifiez des jours
Dont les mains de l’Amour devaient filer le cours.
Malgré tant de serments, soyez traître et parjure,
Je souffrirai mes maux sans plainte et sans murmure.
C’est un foible secours que les emportements,
Et vous serez puni par vos propres tourments.
Pour moi, dans un désert, exempte de naufrage,
Je vous contemplerai dans le fort de l’orage ;
Et peut-être qu’un jour, de ce tranquille port,
Je vous verrai l’objet des caprices du sort.
De là je vous verrai, sur la mouvante roue,
Tantôt au firmament et tantôt dans la boue
L’aveugle déité dont vous suivez le char
Sème indifféremment ses faveurs au hasard.
Son inconstante humeur ne peut être arrêtée :
Je la connois, berger ; pour vous je l’ai quittée.
Je sais quels sont les biens dont elle peut combler,
Et que c’est dans ses bras que l’on doit plus trembler.
Quand, après cent projets renversés dans ses fuites,
Vous serez rebuté de vos vaines poursuites,
Et que vous trouverez que cent malheurs nouveaux
Seront l’unique fruit de tous vos longs travaux,
Peut-être, Clidamis, que mon triste hermitage
Ne vous paroitra plus un si mauvais partage.
Vous trouverez alors que nos prés et nos bois
Sont un plus beau séjour que le Louvre des rois ;
Et, rappelant enfin dedans votre mémoire
De nos plaisirs passés la bienheureuse histoire,
Je ne sais si l’éclat dont vos yeux sont deçus,
Pourra vous consoler de les avoir perdus.

Dans nos charmants hameaux, les lambris sont des hêtres.
On y vit sans sujets, mais on y vit sans maîtres.
C’est l’asyle des biens qu’on bannit à la cour,
Et c’est de plus, berger, le séjour de l’Amour.
Oui, vous quittez ce dieu, quittant la solitude ;
Il ne vous suivra pas parmi la multitude.
Malgré tous vos attraits, en vain vous l’espérez :
La Fortune et l’Amour ont leurs droits séparés :
Où l’une veut régner, il faut que l’autre cède.
Eh ! quelle est donc, hélas ! l’ardeur qui vous possède ?
Pourquoi vouloir quitter ce maître si charmant,
Qui vous rendit heureux presqu’aussitôt qu’amant ?
Ah ! revenez à moi, songez que je vous aime ;
Ou plutôt, Clidamis, revenez à vous-même.
De votre propre cœur, écoutez mieux la voix ;
Consultez-le, berger, pour la dernière fois.
Son amoureuse ardeur étoit trop peu commune.
Pour céder aux appas de l’aveugle Fortune ;
Il est né pour avoir un plus illustre appui,
Et le destin n’a point d’esclave tel que lui.

MADRIGAL.


Quand on voit deux amants d’esprit assez vulgaire,
Trouver dans leurs discours de quoi se satisfaire,
Et se parler incessamment,
Les beaux esprits, de langue bien disante,
Disent avec étonnement :
Que peut dire cette innocente ?
Et que répond ce sot amant ?
Taisez-vous, beaux esprits, votre erreur est extrême ;
Ils se disent cent fois tour à tour : Je vous aime.
En amour, c’est parler assez élégamment.

LA TOURTERELLE ET LE RAMIER.




FABLE.




Qu’on ne me parle plus d’amour ni de plaisirs,
Disoit un jour la triste tourterelle.
Consacrez-vous, mon ame, à d’éternels soupirs :
J’ai perdu mon amant fidelle.
Arbres, ruisseaux, gazons délicieux,
Vous n’avez plus de charmes pour mes yeux :
Mon amant a cessé de vivre !
Qu’attendons-nous, mon cœur ? Hâtons-nous de le suivre :
Comme on l’eût dit, autrefois on l’eût fait.
Quand nos pères vouloient peindre un amour parfait,
La tourterelle en étoit le symbole :
Elle suivoit toujours son amant au trépas.
Mais la mode change ici-bas
De cette conjoncture frivole.
Le désespoir a perdu son crédit,
Et tourterelle se console,
S’il faut tenir pour vrai ce que ma fable en dit
Elle prétend que cette désolée,
À sa juste douleur voulant être immolée,
Choisit un vieux palais, vrai séjour des hiboux,
Où, sans chercher aucune nourriture,
Un prompt trépas étoit son espoir le plus doux.
Mais qui ne sait qu’en toute conjoncture,
La Providence est plus sage que nous ?
Dans cette demeure sauvage
Habitoit un jeune ramier,
Houpé, patu, de beau plumage,

Et, quoique jeune, vieux routier
Dans l’art de soulager les douleurs du veuvage.
Pour notre tourterelle, il mit courtoisement
Ses plus beaux secrets en usage.
La pauvrette, au commencement,
Loin de prêter l’oreille à son langage,
Ne vouloit pas se montrer seulement :
Mais le ramier parlant de défunt son amant,
Insensiblement il l’engage
A recevoir son compliment.
Ce compliment fut d’une grande force ;
Il disoit du défunt toute sorte de bien,
Ne blâmoit la veuve de rien ;
Bref, c’étoit une douce amorce
Pour attirer un plus long entretien
Voilà donc la belle affligée
En tendres propos engagée.
Elle tombe sur le discours
De l’histoire de ses amours ;
Dépeint, non sans cris et sans larmes,
Du pauvre trépassé les vertus et les charmes ;
Et, ne croyant par-là que flatter sa douleur.
Elle apprit au ramier le chemin de son cœur.
Par ce que le défunt avoit fait pour lui plaire,
Il comprit ce qu’il falloit faire.
Il étoit copiste entendu,
Et sut si dextrement imiter son modèle,
Que dans peu notre tourterelle
Crut retrouver en lui ce qu’elle avoit perdu.