Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Madame Dumont


MADAME DUMONT.


Madame Dumont, née à Paris, était fille de M. Lutel, contrôleur-général de la maison du duc d’Orléans, régent. Elle a publié un recueil de pièces fugitives, de traductions d’Horace en vers, de fables, de chansons, etc.


Traduction littérale de la 1re Ode du 3e livre d’Horace.
Odii profanum vulgus.


Je hais le profane vulgaire,
Et je l’écarte loin de moi.
Ô vous, de qui le culte est mon plus doux emploi.
Chastes sœurs, qu’à l’envi tout l’Olympe révère,
Favorisez des chants destinés à vous plaire !
Je consacre en ce jour aux vierges, aux enfants,
Des vers que le premier je joignis à la lyre :
J’y peins des rois fameux par leurs sujets vaillants,
Eux-mêmes asservis au souverain empire
Du puissant Jupiter, qui, par l’airain brûlant,
Après avoir vaincu les géants formidables,
Par la seule terreur d’un geste menaçant,
Fait craindre à l’univers ses foudres redoutables.
Mieux qu’un autre, souvent un homme industrieux
Sait tracer les sillons destinés à l’arbuste ;
Plus noble, un candidat, né d’illustres ayeux,
Parvint, du champ de Mars, dans un sénat auguste

Celui-ci, par ses mœurs, par son intégrité,
Offre un parfait modèle à la postérité.
De ses nombreux clients, cet autre se décore ;
Mais, quel que soit l’éclat du faste qui l’honore,
Ici, la loi du sort réglant tout à son gré,
Confond le plus sublime et le plus bas degré
Dans l’urne spacieuse où chaque nom se place,
À la houlette on voit les sceptres réunis,
Et les rois, terrassés par leurs fiers ennemis,
S’éclipsent en suivant le berger à la trace.
Du coupable qui voit le glaive suspendu,
Des mets délicieux couvrent en vain la table
Ils ne lui donnent point, par leur saveur aimable,
Cette tranquillité que donne la vertu ;
Et le chant des oiseaux, ni le luth agréable,
Ne lui ramènent point le repos attendu.
Le doux repos chérit les demeures champêtres ;
Ces coteaux, ces vallons, où, même les zéphirs,
Respectent des bergers, couchés au pied des hêtres
Et le charme innocent et les riants plaisirs.
La mer tumultueuse, et ses noires tempêtes,
Les astres en courroux menaceroient nos têtes,
Sans pouvoir ébranler le mortel tempéré.
Par qui le superflu n’est jamais désiré.
À la grêle, aux frimats, la vigne abandonnée ;
Le sol trompeur, l’ormeau plaignant sa destinée[1],
Triste jouet des eaux ou du souffle brûlant
Qui vient de moissonner son plus fertile champ,
Rien ne peut ébranler son âme courageuse.
L’entrepreneur élève une masse orgueilleuse,
Et les poissons pressés par de lourds fondements,
Se sentent resserrés dans les flots écumants[2].

Le grand seigneur méprise et déserte sa terre ;
Mais des soins dévorants la troupe meurtrière,
Monte sur son navire, ou, pour mieux l’assiéger,
De son coursier rapide embrasse l’étrier.
Si vainement tout l’or de la vaste Lybie,
Si le brillant lapis qu’enfante la Phrygie,
Si les vins de Phalerne et les parfums exquis,
Ne peuvent adoucir nos pénibles ennuis,
Pourquoi donc élever sur des colonnes vastes,
Ces palais somptueux, monuments de nos fastes ?
En excitant l’envie, et pourquoi changeons-nous
Des biens que nos ayeux jadis trouvoient si doux,
Pour ces temples nouveaux, dont la grandeur futile
Est le seul prix qui reste au travail inutile ?




  1. … Arbore nunc aquas culpante.
  2. Contracta pisces æquora sentiunt.