Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/La marquise de la Ferrandière
LA MARQUISE DE LA FERRANDIÈRE.
La marquise de la Ferrandière (Marie-Anne Petitan),
née à Tours en 1736, morte en 1819. Cette dame a
fait beaucoup de jolies fables en vers.
ÉPÎTRE À UN AMI,
habitant la cour.
Te voilà chez les demi-dieux.
Et me voilà dans ma chaumière !
Quelle distance entre nous deux !
À présent tu cherches à plaire
À quelque riche atrabilaire,
À quelque grand bien dédaigneux ;
Ou peut-être qu’à la toilette
D’une laide et vieille coquette,
Qui par hasard est en faveur,
Courtisan plein d’art et d’adresse,
Tu prodigues l’encens flatteur
Que l’on ne doit qu’à la jeunesse.
Mais quel doit être ton tourment !
Car tu n’es pas né pour la feinte.
Ici, tu vivrois sans contrainte
Et nous plairois bien aisément.
Tu n’oses donc être sincère ?
Je te plains, c’est un vrai malheur.
Dans nos hameaux, tout au contraire,
On n’oseroit être trompeur.
Chez vous, tout est de conséquence,
Souris, regard, propos, maintien.
Chez nous, on ne prend garde à rien,
Si ce n’est à l’indifférence.
Notre plaisir, simple et sans fard,
Mieux que le vôtre se varie ;
Comme la fleur de la prairie,
Il renaît sans peine et sans art.
Je vis un jour tout l’étalage
Du séjour pompeux de tes grands :
Tout en ce lieu sent l’esclavage ;
Je n’y trouvai que l’avantage
De n’y pas être pour long-tems.
Lasse de voir clinquant, dorure,
Sans regret je fis mes adieux,
Et je vins reposer mes yeux
Sur un beau tapis de verdure ;
Je préférai musette, hautbois,
Aux aigres et perçantes voix
Des Amphions de vos chapelles
Qui sont réduits au seul honneur,
Ne pouvant chanter pour les belles,
De chanter pour le Créateur.
J’aimai mieux la course légère
De nos frais et joyeux pasteurs
Qui veulent joindre leur bergère,
Que la démarche noble et fière
De tous vos importans seigneurs.
Ici, je revis la nature
Dans toute sa simplicité ;
Gaîté, franchise, égalité,
De ces beaux lieux c’est la parure.
On y danse au son du pipeau,
Ou l’on partage sous l’ormeau
Les dons de la bonne Cybèle.
Les amans y briguent l’honneur,
Non de surprendre quelque belle ;
Mais d’obtenir, par leur ardeur,
Femme aussi tendre que fidelle :
Car du vieux tems de l’âge d’or
Chacun y conserve l’usage
D’appeler l’amour le trésor,
Le vrai trésor du mariage.
Enfin, auprès de ce hameau,
Je revis paître mon troupeau :
Combien mon ame fut ravie !
Ah ! je jurai que de ma vie
Je ne quitterois ce séjour.
Ce serment, fait devant la cour
De nos divinités champêtres,
On le grava sur de vieux hêtres ;
Et moi, j’écrivis à mon tour :
Hélas ! n’est-il pas grand dommage
Qu’un ami digne d’être heureux
Habite un pays dangereux,
Et soit si loin de mon village !
ÉPÎTRE À MA CHIENNE.
Nous voilà vieilles toutes deux,
Consolons-nous, chère Zémire ;
Mon œil s’éteint, et dans tes yeux,
Où brilloit l’amoureux délire,
On ne voit plus les mêmes feux ;
Tu perds ta grâce, ta folie,
Mon esprit perd son enjoûment ;
Du jour tu dors une partie,
Et moi je rêve tristement.
Hélas ! pour tous ceux qui vieillissent
Il est peu de jours, de momens
Où quelques plaisirs ne s’éclipsent !
Tu vois fuir bien loin les amans,
Et mes amis se refroidissent.
Mais laissons là les inconstans,
Contre eux ni plainte, ni satire ;
Ne les imitons pas, Zémire ;
Chéris-moi comme en ton printems.
L’amitié fait couler la vie,
Elle embellit tous nos instans ;
Et qui ne peut aimer s’ennuie,
Même à l’aurore de ses ans.
Tu ne peux parler : quel dommage !
Ton embarras me fait pitié :
De nos mots que n’as-tu l’usage !
Tout ce qui ressent l’amitié
Devroit avoir même langage.
Je serois heureuse avec toi,
Ma tendre et sincère Zémire,
Si tu t’exprimois comme moi :
Lorsque la confiance inspire,
On jase du soir au matin.
Étant du sexe féminin,
Il nous faudroit parfois médire ;
Nous ririons des pauvres humains,
Foibles, petits et toujours vains ;
Je t’instruirois de nos usages,
Quelquefois fous, quelquefois sages,
De nos travers, de nos erreurs.
Enfin, nous médirions, Zémire ;
Ne faisant grâce qu’aux bons cœurs,
Combien de choses à nous dire !…
Mais quand j’y fais réflexion,
Si jamais tu pouvois m’entendre
Et répondre à notre jargon,
Serois-tu toujours aussi tendre ?
Des humains tu prendrois le ton.
Devant toi je parle sans feindre
De mes chagrins, de tous les maux
Que j’éprouve ou que je dois craindre ;
Et je n’oserois plus me plaindre,
De peur de troubler ton repos.
Achève tes jours sans alarmes,
Sans songer que tu dois mourir.
Tu ne vois rien dans l’avenir,
Le présent t’offre encor des charmes.
Oui, l’on envîroit tes plaisirs
S’il te restoit de ta jeunesse
Quelques aimables souvenirs,
Les seuls trésors de la vieillesse.
PLUS D’ILLUSION !
Eh quoi ! tout fuit dans le vieil âge,
Tout fuit, jusqu’à l’illusion !
Ah ! la nature auroit été plus sage
De la garder pour l’arrière-saison.
Oui, si l’imagination
Conservoit sa douce magie,
Elle préserveroit, sur la fin de la vie,
De l’ennui, ce mortel poison
Dans la jeunesse, elle décore
Tous les objets et tous les lieux ;
La raison vient qui décolore
Ces tableaux si délicieux.
Je les regrette, et ce n’est pas folie.
Je ne vois plus mes gazons et mes bois,
Ni mon ruisseau, ni ma prairie,
Comme je les vis autrefois.
Lorsque j’entends la tourterelle
Roucouler ses tendres amours,
Je ne dis plus, comme dans mes beaux jours,
Il faut la prendre pour modèle.
Progné n’est plus pour moi qu’une simple hirondelle,
Et, quand le rossignol s’égosille en chantant,
Je ne m’attendris plus sur le vieil accident
De cette pauvre Philomèle.
Tircis, dont je vantois les séduisans appas,
Les graces, le tendre langage,
N’est plus maintenant que Lucas,
À l’air nigaud, aux cheveux plats :
C’est le plus rustre du village ;
Et les bergères du canton,
La belle Aminte et Célimène,
Ne sont plus à mes yeux que Margot et Suzon,
Qui de mes vers ne valoient pas la peine.
Pour vous, mes paisibles moutons,
Je vous trouve toujours aimables ;
En tous lieux, en toutes saisons,
Vos attraits pour moi sont durables.
Ce qui rappelle la candeur.
Et la douceur et l’innocence,
Ne peut cesser d’être cher à mon cœur.
Je ne crains plus la pétulance
Des faunes indiscrets que trouve sur le soir
La bergère qui veut reposer sous les hêtres :
Quand on ne les craint plus, on cesse de les voir.
Adieu, divinités champêtres ;
Adieu, dryades et sylvains ;
Adieu, sylphes, charmans lutins,
Tous enfans de l’erreur, chers à la Poésie.
Je ne me livre plus à ces illusions,
Qui, sans tes vérités, triste philosophie,
Pourroient, jusques au bout, enchanter notre vie :
Oui, ces riantes fictions
Valent mieux mille fois que tes doctes leçons.
Je ne désire point les charmes
De la beauté, de la fraîcheur,
Ni des amans les soupirs, la langueur ;
Sans regret je verrois leurs larmes.
L’amour n’est fait, hélas ! que pour les jeunes gens.
Douces réalités, transports, tendres mystères
Sont les trésors de leur printems.
Ah ! de cet âge heureux, de ce précieux tems,
Je ne voudrois que les chimères.
VERS POUR UN BOSQUET
où devaient être placés le tombeau de son époux et le sien.
Bosquet silencieux, où la simple nature
Cache son sanctuaire et ne l’ouvre qu’à nous,
Aimable confident des entretiens si doux
Que nous dicta cent fois l’amitié la plus pure,
Tant que de mon époux le cœur palpitera
Tant que le mien le chérira,
De roses nous viendrons enlacer ton feuillage ;
Nous viendrons dans ton sein chanter notre bonheur,
Et, rendant grace au Dieu témoin de notre ardeur,
Nous reposer sous ton ombrage.
Mais, hélas ! quand la mort, à la suite des ans,
Aura glacé nos esprits et nos sens,
Et tous deux au tombeau nous aura fait descendre,
Solitaire berceau, propice à notre amour,
Que tu défends des feux et des regards du jour,
Tes verts rameaux enfin couvriront notre cendre.
Réduit paisible, aujourd’hui si charmant,
Ah ! quel que soit alors ton aspect triste et sombre,
N’épouvante jamais que l’être indifférent,
Et que toujours le tendre amant
Vienne en rêvant chercher ton ombre !
STANCES
AU PRÉSIDENT D’ORMESSON,
le premier jour de l’an.
À cinquante ans, je puis tout dire,
Et sans manquer à mon devoir :
Pour qui souhaite de vous voir,
Oh ! qu’il est ennuyeux d’écrire !
L’amour cache ce qu’il désire ;
L’amitié peut tout révéler ;
Et lorsqu’on brûle de parler,
Oh ! qu’il est ennuyeux d’écrire !
Maintenant, je pourrois sourire
Si vous m’étrenniez d’un baiser :
Et, quand on songe à s’embrasser,
Oh ! qu’il est ennuyeux d’écrire !
Mais tant que vos yeux pourront lire,
Et ma main former quelques traits,
Je sentirai, non sans regrets,
Qu’il est encor bien doux d’écrire.
L’AIGLE ET LE PAON
fable.
Un aigle auprès du paon, non sans quelque murmure,
De sa robe enviait l’éclatante parure.
Si vous devez briller aux yeux de l’univers,
Dit le paon, c’est par le courage :
L’oiseau que la nature a fait le roi des airs
N’a pas besoin d’un beau plumage.