Chefs-d’œuvre poétiques des dames françaises/Barbe de Verrue

TREIZIÈME SIÈCLE.




BARBE DE VERRUE.


Barbe de Verrue était d’une naissance obscure et même illégitime. Elle ne dut son nom qu’à la bonté du comte de Verrue qui l’adopta dans le temps de sa célébrité. Barbe vécut jusqu’à un âge très-avancé. Elle voyagea beaucoup, et, sans être très-belle, eut de nombreuses aventures. Son état était celui de troubadouresse ; elle parcourait les villes et les châteaux en chantant ses poésies, qui lui acquirent une fortune considérable. On lui attribue les fabliaux de Griselidis, de Guillaume au faucon, et d’Aucassin et Nicolette, ainsi qu’un poème intitulé l’Orphée gaulois ou Urgélinde et Cyndorix, lequel avait pour sujet la civilisation des Gaules.

PORTRAIT DE BARBE DE VERRUE,
FAIT PAR ELLE-MÊME.


Du chef aux piedz j’ai de haltor
Plus que n’en fault pour n’estre briefve,
Et bien chemeine en senator,
Por ça, ne m’en cuydez plus griefve.

N’est faict mon teyn por esbloir,
Rose onc ne m’ha flory li genes ;
Et sienne Hébé, s’ay peu l’oir,
Choisy n’eust, en moy, Protogenes.

Feurent mes yelx trop pétillanz,
De veyne et d’amorose flame ;
Ors, plus dolcetz, meins scintillanz,
Disent la paiz qu’est en mon ame.

J’ay nez romain et front appert,
Grand, serain, sy que belle aurore ;
Bousche riante, à rose oppert
Du phyltre que mes sens irrore.

Por mon seyn (ne soict blan de neix),
Qui n’arsit, rien qu’à sa peincture ?
Donc est bieau ? non, maiz, comm’ phéneix,
Croy n’ha sien pair en la nature.

A moltz feust ma cosme ung lyen.
Jaçoit ne cheust neyre ne blonde ;
En quoy se mene ? Ha ! sçay trop bien !
Maiz ne vay le conter au monde.


Brief, face auguste, à l’er bénin ;
Taille ne gresle ne membrue ;
Bras ronds, col drect, pied femenin :
Cy veyez Barbe di Verrue.


STANCES.


Voyd sien hyvert viegnir li saiges
Comm’als fine bieau jor belle nuict ;
Scet que sont roses por toz eaiges,
Si por toz eaiges sont ennuict.

De ma primevère tempeste
Ne me remembre sans plézir ;
Ains qui dança molt à la feste,
Au soir n’ha regret de gézir.

Dant que vy cheoir foilles d’altomne,
Belle tretoz m’ont proclamé ;
Tretoz, adez, me dizent bonne ;
Ne sçay le nom qu’ay plus amé.

Heur ne despans de gentillesse ;
Contre li tanz n’ay de rancœur ;
L’er m’a changié ; n’est de vieillesse
Por de qui n’ha changié le cœur.

Bien soye ung tantet jà vieillotte,
Me duict la cort di jovancels ;
Ains n’hay regret que gent’fillotte
M’emble, au sien tor, j’osnes ancels


Me duict veoir doulces pastourettes
Maynant lor bergierot gentilz,
Cœillir aveline et flourettes,
Enmyen fustayes et cortillz.

Me duict veoir, soubz vertes tonnelles,
Coulple adfyant les feulx du jor ;
Me duict oyr chant des vilanelles
Appeller un combat d’amor.

Me duict (bien qu’avecque l’or dames
Gabent di miens rescitz longuetz),
Si conte plaids d’antiques flames,
Soubryer nos jolis friquetz.

Lor est adviz que rien ne mene ;
Ont en pitié mes cheveulx blans ;
Riottent, si lor conte, esmene,
Qu’heuz lors pairs à mes piedz tremblans.

Et, de ma part, ne riz sans faindre,
De veoir parpeillons esvolez
Sy narguillanz, prest à s’estaindre
Flammel qui tout en ha bruslez !