Chateaubriand et la Guerre d’Espagne/02

Chateaubriand et la Guerre d’Espagne
Revue des Deux Mondes4e période, tome 144 (p. 61-91).
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CHATEAUBRIAND
ET
LA GUERRE D’ESPAGNE

II.[1]
CHATEAUBRIAND MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES


IV

Le Congrès de Vérone avait été dissous le 13 décembre 1822. La Russie, l’Autriche et la Prusse (l’Angleterre restant en dehors) ayant envoyé à leurs agens à Madrid des notes séparées, mais qui présageaient leur rappel collectif, c’est à Paris, dans le Conseil du roi Louis XVIII, que devait se décider la question de l’action commune ou séparée de la France en Espagne. Nous ne pouvons mieux faire, pour éclairer nos lecteurs, que de reproduire textuellement la partie des Mémoires de M. de Villèle où il est question de cet incident.


M. de Montmorency, nous dit M. de Villèle, arriva à Paris le 30 novembre, apportant le traité secret par lequel l’Autriche, la Prusse et la Russie s’engageaient à faire cause commune avec la France, dans le cas où celle-ci, se trouvant amenée à faire la guerre à l’Espagne, verrait l’Angleterre s’unir au gouvernement espagnol. Le Roi, voulant lui donner sans retard un témoignage de satisfaction, lui accorda, par ordonnance du 1er décembre, le titre de duc, transmissible à ses descendans en ligne directe. Mais, en même temps qu’il apportait au Roi le traité éventuel qu’il avait obtenu, M. de Montmorency eut à lui rendre compte d’un autre acte diplomatique qu’il n’avait pu consommer, n’y étant pas autorisé par ses instructions, mais pour lequel il sollicitait l’approbation de Sa Majesté. C’était l’envoi d’une note commune, quant au fond, aux quatre puissances continentales qui s’étaient, pourtant, réservé de s’exprimer chacune dans les termes convenant le mieux à ses propres vues. Cette note, faite pour conduire à la rupture de toutes relations avec le gouvernement révolutionnaire d’Espagne, devait être suivie du rappel des ambassadeurs des quatre puissances.

Une telle mesure pouvait convenir à la Russie, à la Prusse, à l’Autriche, sans point de contact avec le territoire espagnol, sans rapports de famille, sans liens politiques directs avec ce pays ; mais pour la France, cet acte en compromettait trop évidemment la dignité, les intérêts et la situation, pour ne pas rencontrer une grande opposition, tant de la part du Roi que du président de son Conseil. Il en résulta au sein du ministère, seul encore initié à la connaissance de cet acte, des dissentimens qui ne purent échapper longtemps à l’attention des observateurs. Ils furent bientôt pénétrés, et de là à être exploités, excités et envenimés par tous les hommes que leur propre ambition intéressait à un changement dans les régions du pouvoir, il n’y avait qu’un pas…

Dans l’espoir de parvenir à une entente, le Conseil des ministres se réunit presque chaque jour de ce mois de décembre chez le ministre de la maison du Roi, alors indisposé (marquis de Lauriston), et presque chaque jour aussi, le Roi consacra quelque temps à s’entretenir successivement avec M. de Montmorency et avec moi. Enfin, il fallut en venir à une décision. Dans le Conseil du 25, M. de Montmorency insista pour que la France s’associât aux trois autres puissances dans l’envoi simultané d’une note au gouvernement espagnol et le retrait de l’ambassadeur français, au moment où ceux des autres puissances quitteraient Madrid. Je soutins le plan que je croyais préférable de suivre, mais je fus seul, dans le Conseil, de cet avis. Tous les autres ministres regardaient comme le parti le moins sujet à inconvéniens celui qui ne fournissait pas aux souverains le prétexte de craindre d’être abandonnés par la France dans la répression de la révolution espagnole, — qu’ils désiraient pour se retirer eux-mêmes de l’alliance conclue avec nous afin de contenir l’Angleterre. Enfin, ils espéraient éviter la retraite du plénipotentiaire de Vérone et un changement ministériel inopportun dans des circonstances aussi graves. Toutefois, pendant cette discussion, ma démission était sur mon portefeuille comme celle de M. de Montmorency sur le sien. Je trouvais la sûreté de la France et la dignité du Roi compromises par l’envoi de notes analogues émanant des quatre puissances et par le retrait simultané de leurs quatre ministres à Madrid. M. de Montmorency jugeait sa délicatesse atteinte et son honneur en jeu, si le Roi ne tenait pas les engagemens pris par lui à Vérone envers les souverains, quoique ces engagemens n’eussent été que conditionnels et subordonnés à la ratification de Sa Majesté.

Après avoir entendu l’opinion motivée de chacun de ses ministres, le Roi prit à son tour la parole et traita la question sous tous ses rapports avec une grande supériorité de vues. Il termina par ces mots : « Les autres souverains ne sont pas comme nous en contact avec l’Espagne par leurs frontières ; ils peuvent, sans dommage et sans manquer à ces mêmes devoirs qui me sont personnellement imposés, abandonner l’Espagne et son roi à la révolution et à l’influence exclusive de l’Angleterre. Quant à moi, je ne puis rompre mes relations avec ce pays et retirer mon ambassadeur d’auprès de mon neveu, que le jour où cent mille Français passeront la frontière pour venir en aide à l’un et à l’autre. »

Ainsi fut décidée la grave question qui divisait le Conseil des ministres depuis le retour de M. de Montmorency, et arrêtée définitivement la ligne de conduite de la France à l’égard de l’Espagne, sujet qui occupait tous les esprits depuis l’ouverture du Congrès de Vérone. M. de Montmorency donna sa démission le jour même. On s’étonna d’une retraite suivant de si près l’ordonnance du 1er de ce mois, où le Roi lui avait accordé le titre de duc, en récompense de ses services au Congrès. En réalité, en revenant de Vérone, M. de Montmorency avait remporté un véritable succès : nous étions assurés de l’appui moral que nous désirions de la part des trois grandes puissances pour contenir le mauvais vouloir de la quatrième ; le projet de note, le rappel de M. de La Garde étaient réservés comme entièrement facultatifs pour le gouvernement français ; la situation était donc satisfaisante. Il était politique, à la clôture du Congrès, à l’arrivée de M. de Montmorency, de lui donner un témoignage éclatant de cette satisfaction ; cette mesure pleine de justice eut l’assentiment unanime des membres du Conseil et fut adoptée par le Roi. Il était nécessaire d’expliquer cette faveur, si contradictoire en apparence avec la sortie du ministère de M. de Montmorency, moins d’un mois après qu’il avait été ainsi récompensé. Il n’y avait nulle inconséquence entre ces deux actes. L’un avait trait au Congrès de Vérone ; l’autre fut le résultat d’une scission dans le Conseil des ministres sur un point dont la décision avait été réservée. M. de Montmorency, ayant manifesté une opinion opposée à celle du Roi, y tint assez inébranlablement pour préférer quitter le ministère, plutôt que de faire à Sa Majesté le sacrifice de cette manière de voir…

Après le Conseil du 25, M. de Montmorency alla porter sa démission au Roi, qui l’accepta et me manda le soir même pour conférer du choix de son successeur. A la suite de cette conversation, il m’autorisa à offrir à M. de Chateaubriand le portefeuille des Affaires étrangères, m’avertissant de ne le faire qu’en mon nom et en réservant l’approbation royale. Sa Majesté me dit être certaine qu’il avait donné à M. de Montmorency sa parole de ne pas accepter ; pour ne rien commettre, il me chargea de nouveau de ce portefeuille par intérim. Le choix de M. de Chateaubriand nous était imposé par l’obligation de conserver l’appui éventuel des puissances continentales, devant une intervention possible de l’Angleterre contre nous durant la campagne d’Espagne ; la retraite de M. de Montmorency leur eût offert, pour renoncer au traité qu’il avait conclu, un prétexte que leur était son remplacement par M. de Chateaubriand, comme lui représentant du Roi à Vérone… Le 28 décembre, une ordonnance royale nommait le vicomte de Chateaubriand ministre des Affaires étrangères.

Tel est le récit que M. de Villèle nous donne de cet incident dans le troisième volume de ses Mémoires. Quant à Chateaubriand, ses explications sont moins claires. Il nous dit, dans son Congrès de Vérone, qu’il hâtait ses préparatifs pour retourner à son ambassade de Londres, qu’il ne lui restait plus qu’à monter en voiture, lorsqu’il reçut le billet de M. de Villèle lui proposant le portefeuille de la part du Roi. Il ajoute qu’il passa la nuit dans une agitation incroyable ; que, le lendemain, il écrivit à M. de Villèle un billet qu’il nous cite, billet qui semble un refus, par égard pour M. de Montmorency « dont il n’a pas eu toujours à se louer, dit-il, mais qui passe pour mon ami. » Au fond ce billet était une acceptation déguisée, puisqu’il se terminait ainsi : « Je dois vous dire aussi avec franchise qu’il y a tel ministre des affaires étrangères, que vous pourriez choisir, sous lequel je ne pourrais servir, et ma démission serait un grand mal en ce moment. » Le Roi l’envoya donc chercher. « Il nous retint une heure, écrit-il, lui ayant la bonté de nous prêcher, nous lui résistant avec respect ; il finit par nous dire : — Acceptez, je vous l’ordonne. — Nous obéîmes, mais avec un véritable regret, car nous sentîmes à l’instant que nous péririons dans le ministère. » — « C’est ainsi, nous dit-il dans un autre chapitre de ses Mémoires, que, le 1er janvier 1823, nous passâmes les ponts pour aller coucher dans ce lit de ministre, lit où l’on ne dort guère et où l’on ne reste pas longtemps. »

Quant à M. de Montmorency, il se montrait très préoccupé de l’impression que sa démission pourrait causer à l’empereur Alexandre, dont il s’était séparé en très bons termes. Il ignorait qu’après son départ de Vérone, qui avait eu lieu le 22 novembre, et pendant les trois semaines qui suivirent, jusqu’à la dissolution du Congrès, Chateaubriand avait eu avec l’Empereur deux entretiens fort importans, dont le dernier surtout lui avait complètement ramené l’opinion du tsar et préparé la faveur marquée dont il jouit depuis lors auprès de lui, pendant toute la durée de son ministère. Dans son audience de congé, l’Empereur lui ayant demandé ce qu’il pensait personnellement de la guerre d’Espagne : « Sire, lui avait-il dit, je pense que la France doit remonter au haut point d’où l’ont fait descendre les traités de Vienne. Quand elle aura repris sa dignité, elle deviendra une alliée plus utile et plus honorable pour Votre Majesté. » L’Empereur garda un instant le silence et, après, lui serra la main en signe d’assentiment. Chateaubriand se retira ; il avait gagné sa cause dans l’esprit d’Alexandre.

Pourquoi ne pas reconnaître, du reste, même dans un récit historique où il ne doit y avoir de place que pour des faits et des témoignages authentiques, que Chateaubriand avait exercé sur l’âme mobile, mais généreuse et impressionnable d’Alexandre Ier, cet ascendant qu’il avait su prendre sur tous ceux qu’il avait désiré conquérir. Les sympathies entre les hommes sont, en général, réciproques, et si Chateaubriand nous parle, dans ses Mémoires, de l’empereur de Russie dans des termes qui, à certains momens, sont empreins d’un certain enthousiasme, d’une véritable affection, pourquoi les mettre sur le compte d’un snobisme ridicule et ne pas croire à quelque réciprocité de la part du souverain ? Pourquoi ne pas croire à la rencontre de deux grandes âmes, toutes deux meurtries dans leur jeunesse par les chocs de la vie, trouvant plus tard un point de contact entre elles, sur le terrain des affaires, par une pensée commune de rénovation et d’avenir ? Pourquoi ne pas croire à ces attractions bienfaisantes qui devaient réunir un jour deux grands peuples et dissiper les appréhensions que la politique hostile d’autres cabinets avait cherché à faire naître entre eux.

M. de Villèle entrevit tout cela dans la correspondance de Chateaubriand. Avec son remarquable tact d’affaires, si justement apprécié depuis, il avait cherché à en profiter par l’offre qu’il lui fit du ministère des affaires étrangères. Mais M. de Montmorency n’en savait rien, et avec la parfaite loyauté, qui était en quelque sorte sa seconde nature, il redoutait extrêmement l’éclat que sa démission pouvait causer sur l’esprit de l’empereur Alexandre. Le journal de mon père me fournit l’occasion d’en donner une preuve indiscutable et de citer quelques détails inédits fort curieux qui éclairent tout cet incident.

« Le 25 décembre, au matin, nous dit-il, je reçus un billet du ministre des affaires étrangères qui me priait de passer à son cabinet. M. de Montmorency vint au-devant de moi, d’un air remarquablement affectueux et les bras ouverts, comme un ministre qui s’en va. — J’ai donné hier ma démission, me dit-il, parce que le Roi ne veut pas rappeler M. de La Garde de Madrid. L’empereur Alexandre va être fort mécontent de tout ceci. Personne du Congrès ne se trouve à Paris. La Ferronnays ne vient que de quitter Vérone. Partez pour Pétersbourg ; tâchez de calmer l’Empereur. Tenez, voici une lettre pour M. de Villèle où je lui propose de vous confier cette mission. »

M. de Gabriac sortit et se rendit chez le président du conseil. Les souvenirs qu’il avait consignés par écrit de sa conversation avec M. de Villèle intéresseront sans doute le lecteur.

« Notre entretien, nous dit-il, dura environ trois quarts d’heure. Ce fut de sa part un long monologue, où il justifiait naturellement sa politique personnelle. Il me parut rempli d’amertume contre notre diplomatie, comme ne l’ayant pas fait apprécier à sa valeur par les cabinets alliés et surtout par l’empereur de Russie. « Je ne suis pas connu de l’Empereur, me dit-il. Personne ne m’a montré à lui comme je suis. » Je lui assurai le contraire, et je crus pouvoir ajouter que l’empereur Alexandre avait une haute idée de son mérite, mais que, surtout depuis la chute du duc de Richelieu, il ne pouvait accorder sa confiance entière à aucun ministre français, par suite de leur perpétuelle instabilité. Cette défiance le rapprochait forcément de M. de Metternich qu’il était toujours sûr, du moins, de retrouver en possession du pouvoir. « Oui, me dit M. de Villèle, Metternich est un fort habile homme. Il s’est débarrassé avec beaucoup d’adresse des dangers de l’affaire grecque, qui était pour lui sa grosse affaire, et il a rejeté l’Empereur sur la question d’Espagne, la mettant sur nos bras et lui assujétissant la France ; mais cela ne peut nous convenir et nous ne pouvons faire sa partie. Je réclame pour le Roi le droit de guerre et de paix ; c’est à nous de conserver dans nos mains le fil de nos affaires, et nous ne pouvons le livrer aux étrangers. Et lorsque l’ambassadeur d’Angleterre est venu m’offrir sa médiation, ne l’ai-je pas franchement repoussée en lui disant : A Madrid, il y a un Bourbon ; en France, il y a un Bourbon, nous ne voulons pas d’intermédiaire entre nous ? Je regrette que M. de Montmorency ne l’ait pas compris et que nous ayons dû nous séparer. »

En résumé, écrit M. de Gabriac, il fut évident pour moi que M. de Villèle était résolu à tourner les difficultés pour le moment plutôt qu’à les aborder de front, et que jusqu’à ce que le ministère français fût définitivement organisé, il ne prendrait aucune mesure qui fût de nature à nous ramener l’empereur Alexandre, ni par conséquent à rendre ma mission auprès de lui utile, ou même convenable. Aussi, lorsque, après avoir discuté de nouveau la question générale, M. de Villèle me demanda si je croyais utile d’être envoyé en Russie, je lui répondis qu’après toutes les fluctuations politiques qui avaient eu lieu, je ne pensais pas qu’avant la nomination d’un nouveau ministre des affaires étrangères et l’adoption d’une ligne de conduite bien arrêtée, il y eût convenance à mon départ. Il me répondit : « Je crois que vous avez parfaitement raison », et nous nous séparâmes.

M. de Villèle, ajoute l’auteur de ces notes, en se refusant à l’exécution des engagemens pris à Vérone par M. de Montmorency, avait été mû par un double sentiment.il n’aimait en M. de Montmorency ni l’homme opposé à son système politique, ni même le grand seigneur que sa naissance plaçait en quelque sorte en tête du ministère. Les hommes d’Etat cherchent ordinairement à s’environner d’un entourage qu’ils puissent dominer. La présence de M. de Montmorency gênait visiblement M. de Villèle. Une question extérieure aidant, il fut bien aise de l’éloigner.

Mais la démission de M. de Montmorency, qui semblait décider la question du maintien de la paix, car c’est dans ce sens qu’elle fut généralement interprétée, souleva une formidable opposition de la part des royalistes, chez lesquels on s’était habitué depuis longtemps aux idées de guerre. Les députés, réunis à Paris pour l’ouverture de la session, manifestaient avec vivacité leur désappointement. Les collèges électoraux, convoqués pour un renouvellement partiel de la Chambre, venaient d’y envoyer des députés presque exclusivement royalistes, dont la plupart appelaient hautement la guerre. L’un d’eux, M. Garnier-Dufougerais, se rendit l’interprète du sentiment commun dans une lettre rendue publique, où il se prononçait avec force pour l’intervention et regrettait vivement le départ de M. de Montmorency. Cette réprobation générale du parti royaliste semblait frapper la politique personnelle du président du conseil. « Villèle, disait M. de Clermont-Tonnerre, ministre de la marine, a été terrifié du vide qui s’est fait autour de lui. » Avec son tact ordinaire, il comprit qu’il devait s’appuyer au plus tôt sur un homme qui fût apprécié de l’empereur Alexandre, sans s’être engagé vis-à-vis de lui comme M. de Montmorency par un accord formel, et pût grouper autour de lui les fractions dissidentes du parti royaliste. Chateaubriand réunissait ces conditions. La nomination fut décidée. Le lendemain du jour où sa nomination parut au Moniteur, M. de Gabriac se rendit chez le nouveau ministre pour lui faire part de la conversation qu’il avait eue, le 25 décembre, avec M. de Villèle. Il le trouva avec le duc de Rauzan, dans tout le désordre d’une nouvelle installation, et lui rendit compte de l’entretien qu’il avait eu l’honneur d’avoir avec le président du conseil. Chateaubriand lui parut d’abord un peu embarrassé, croyant voir en lui un partisan de la paix ; mais tout à coup s’animant et prenant un ton presque brusque : « Tenez, monsieur de Gabriac, lui dit-il, vous qui avez l’habitude des affaires, croyez-vous que dans le changement de ministre actuel, il y ait la paix ou la guerre ? la croyez-vous nécessaire ? — Assurément, monsieur le ministre, lui répondis-je ; je dois même ajouter que j’ai remis à M. de Montmorency un mémoire qu’il m’avait fait l’honneur de me demander et où je concluais à la nécessité de notre intervention. » Alors l’ouverture la plus entière régna dans la conversation, qui avait été un peu gênée au début, et M. de Gabriac sortit convaincu que, malgré le changement de ministère et par l’influence de Chateaubriand, la guerre aurait lieu. Il n’y avait plus dès lors à rassurer l’empereur Alexandre et d’un commun accord, avec le nouveau ministre des affaires étrangères, le projet de mission spéciale, dont M. de Montmorency avait eu la pensée, fut abandonné. »

Ces notes intimes font bien connaître les détails de la crise qui, jusqu’à la publication des Mémoires de M. de Villèle, était restée peu connue, car les explications de Chateaubriand dans son Congrès de Vérone, et ses Mémoires l’avaient plutôt obscurcie. Au fond, M. de Montmorency voulait la guerre, comme Chateaubriand et La Ferronnays, mais il la voulait surtout pour donner satisfaction à l’opinion royaliste française, et conserver la bonne entente avec les trois puissances étrangères, qui lui paraissait indispensable pour paralyser l’opposition de l’Angleterre. Chateaubriand et La Ferronnays tenaient surtout, et avant tout, à ce que cette guerre fût nationale et rendît à la France une armée qui n’existait plus et une influence qu’elle avait perdue au dehors. Quant à M. de Villèle, il était surtout préoccupé du présent. La pensée qu’il lui faudrait défendre d’abord à la tribune, comme président du conseil, et payer ensuite de nos deniers, comme ministre des finances, une expédition d’un résultat problématique, lui paraissait fort compliquée. En se séparant de M. de Montmorency, il avait espéré instinctivement pouvoir éloigner le plus longtemps possible le calice que les événemens rapprochaient chaque jour de ses lèvres et qu’il finit par accepter bravement, mais plutôt comme une nécessité de la situation de la France monarchique vis-à-vis de l’Espagne révolutionnaire, que par d’autres considérations. Voilà ce qui paraît être aujourd’hui la vérité historique. Quant à Chateaubriand, dont nous avons particulièrement à nous occuper, une fois arrivé aux affaires, il afficha ouvertement les sentimens qu’il avait un peu dissimulés jusqu’alors vis-à-vis du président du conseil, et dès le lendemain de son entrée au ministère, il écrivit la lettre suivante à M. de La Garde. Je l’ai extraite moi-même du tome 721 de la Correspondance d’Espagne déposée dans nos Archives. Elle est entièrement inédite et éclaire tout le débat.


« Paris, le 1er janvier 1823.

« Monsieur le comte, pour prévenir les fausses interprétations auxquelles ma nomination au ministère des Affaires étrangères pourrait donner lieu à Madrid, je dois entrer avec vous dans quelques détails sur les motifs qui ont amené la démission du duc Mathieu de Montmorency et sur les circonstances de ma nomination.

« Un projet de dépêche avait été préparé à Vérone pour être envoyé à Madrid conjointement avec les dépêches des puissances alliées. La lettre qu’on a substituée au premier projet, et qui est de M. de Villèle, est beaucoup plus forte. Elle a été insérée au Moniteur par une mesure un peu insolite en diplomatie, mais qui, chez la nation française, devait réussir et c’est ce qui est arrivé.

« La raison pour laquelle M. de Montmorency a cru devoir donner sa démission n’est donc point son improbation d’une note plus forte que la sienne, mais parce qu’il désirait que le ministre plénipotentiaire de France se retirât de Madrid avec ceux de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse.

« Je regrette vivement que M. de Montmorency ait précipité une démarche qui a privé la France d’un ministre plein d’honneur, de vertu et de talent. Le Roi n’a pas voulu préciser le moment où vous pourriez être rappelé. Il a pensé qu’un souverain, son parent, pouvait avoir besoin d’un appui, que, la position géographique de l’Espagne vis-à-vis de la France exposant celle-ci à une insulte immédiate, il était bon d’agir avec quelque réserve ; mais d’un autre côté, la note est si menaçante et si explicite qu’il serait possible quelle amenât assez promptement votre rappel, dans le cas où vos nouvelles démarches n’obtiendraient aucun succès ; de sorte que, si M. de Montmorency eût pu attendre quelques semaines, il aurait atteint le même but, sans se séparer de ses amis.

« J’ai refusé pendant quatre jours le portefeuille des Affaires étrangères, tant parce qu’il sortait des mains d’un homme que j’estime et que j’honore, que parce que, dans le moment actuel, le fardeau des choses publiques me semble trop pesant pour moi. Je n’ai cédé, que quand le Roi m’a envoyé chercher et m’a donné l’ordre de lui obéir.

« Ainsi, monsieur le comte, ma nomination ne doit pas faire supposer aux révolutionnaires de Madrid que je suis moins ennemi de leurs principes que mon digne prédécesseur. J’ai été d’avis, à Vérone, puisqu’on voulait prendre une mesure, qu’on retirât simplement de Madrid les ambassadeurs sans autre déclaration verbale, étant grand ennemi de ces factums diplomatiques qu’on peut toujours réfuter et qui vous mettent aux prises avec toits les journalistes d’un parti.


« Je vous invite donc, monsieur le comte, à élever votre ton au lieu de l’abaisser. Ne souffrez aucune insulte. Réclamez hautement, énergiquement à la moindre parole attentatoire à la dignité de la France. Si on veut venir à vous, écoutez ; mais ne vous faites pas repousser en allant vous-même au-devant de ces hommes qui prennent les conseils de la raison pour ceux de la faiblesse. Vous connaissez le procès-verbal de Vérone où sont définis les cas de guerre. Vous avez, en outre, des instructions particulières qui prévoient les différens cas où vous devez demander vos passeports. Soyez toujours prêt à partir, ces cas advenant. Faites bien entendre qu’une bienveillance particulière de notre souverain envers l’Espagne peut seule nous faire restera Madrid après le départ des ministres de Russie, d’Autriche et de Prusse, mais que vous ne tarderez pas à les suivre si l’Espagne n’a pas recours à vous comme à sa dernière espérance. Il faut qu’on remarque dans votre air et dans vos paroles une fermeté qui annonce que la France ne se sépare point de l’alliance continentale et qu’elle saura avoir recours à des mesures plus efficaces, si ceux de la persuasion venaient à échouer. Je viens d’écrire à M. Canning, qui est mon ami, une lettre particulière. Je tâche de lui faire sentir la nécessité d’engager sir William A. Court à décourager par ses propos les espérances de la révolution, mais je ne me flatte pas que des intérêts d’un ordre général balancent les intérêts d’un ordre particulier. Je vous engage à vivre en bonne intelligence avec votre collègue anglais, sans toutefois faire naître la pensée que nous voulions nous séparer du système continental et sans qu’il croie que nous puissions jamais consentir à jouer le second rôle en Espagne derrière les agens britanniques.

Signé : « Chateaubriand. »


Cette fière dépêche où l’on sent la touche même du grand écrivain, transformé en homme d’Etat et que les bureaux des affaires étrangères n’auraient pu rédiger avec cette précision, venait fort à propos pour montrer à M. de La Garde la pensée de son nouveau ministre et le tirer de la situation fausse où l’avaient placé depuis un mois l’envoi séparé des trois notes de l’alliance à Madrid et les incertitudes du cabinet français. Les agens des puissances continentales avaient déjà demandé leurs passeports, lorsque notre ministre était encore seul en face de la révolution espagnole qui chaque jour devenait plus menaçante pour la personne du roi Ferdinand et plus outrageante pour la France, dans laquelle elle pressentait son ennemi principal. Il fallait en finir et trouver un prétexte de rupture. Il se présenta bientôt. Un officier des troupes constitutionnelles d’Espagne ayant poursuivi quelques guérilleros royalistes qui s’étaient réfugiés dans la vallée d’Andorre, cette tentative constituait le cas de violation de territoire prévu à Vérone. Chateaubriand écrivit aussitôt à M. de La Garde, le 11 janvier 1823 (dépêche inédite) :

« Monsieur le comte, vous êtes dans ce moment au milieu de la crise ; il est de mon devoir de vous soutenir, car je n’ai pas besoin de vous encourager.

Nous ne reculerons point. Chaque jour ajoute à la nécessité où nous sommes de prendre un parti.

« Le territoire français a été violé par un corps de troupes constitutionnelles. Vous verrez les détails de cet événement dans les pièces officielles annexées à cette dépêche. Un fonctionnaire français paraît avoir trahi ses devoirs. Ce qui donne un caractère odieux à cette violation du droit des nations, sans toutefois ajouter à la gravité du délit, c’est que les troupes espagnoles constitutionnelles auraient pour ainsi dire abusé du sol français pour aller surprendre et égorger quelques paysans blessés restés dans un village espagnol qui touche à notre frontière.

« La France ainsi offensée dans ses droits, son honneur et sa générosité, sait qu’elle n’a besoin que d’elle-même pour obtenir justice ; mais, si elle ne peut jamais manquer à sa propre dignité, elle doit encore fidélité aux traités qui la lient aux puissances. Or, le délit commis sur nos frontières est prévu dans le procès-verbal du casus fœderis : 1o invasion du territoire français ; 2o tentatives faites pour ébranler la fidélité des sujets de Sa Majesté.

« Vous garderez entre vos mains les pièces que j’ai l’honneur de vous transmettre. Nous n’en sommes plus au temps des demandes en réparation. On vous promettrait ce qu’on ne pourrait tenir et l’impunité ajouterait à l’outrage. »

Le ton de cette lettre annonçait des mesures énergiques. Le 18 janvier 1823, M. de La Garde reçut de Chateaubriand l’ordre de demander ses passeports. Sa lettre de rappel, également inédite, est ainsi conçue :

« Sa Majesté Très Chrétienne dans sa sollicitude pour la prospérité de la nation espagnole et la félicité d’un pays gouverné par un prince de sa propre famille, avait désiré que son ministre pût rester à Madrid après le départ des chargés d’affaires d’Autriche, de Prusse et de Russie ; mais ces derniers vœux n’ont pas été écoutés ; sa dernière espérance a été déçue. Le mauvais génie des révolutions, qui pendant si longtemps a désolé la France, préside aux conseils de l’Espagne. Nous en appelons au témoignage de l’Europe. Qu’elle dise si nous n’avons pas tout fait pour conserver avec l’Espagne des relations qu’avec le plus vif regret, nous sommes forcés d’interrompre. Mais maintenant que tout espoir est éloigné, maintenant que l’expression des sentimens les plus modérés ne nous attire que de nouvelles provocations, il ne peut convenir à la dignité du Roi et à l’honneur de la France que vous restiez plus longtemps à Madrid. En conséquence, le Roi vous ordonne de demander vos passeports pour vous-même et toute votre légation et de partir sans perdre de temps aussitôt qu’ils vous auront été remis.

« Vous êtes autorisé à donner copie de cette lettre à M. de San Miguel en lui demandant vos passeports. »

M. de Villèle avait enfin pris son parti de faire la guerre, mais jusqu’au 27 janvier, veille : de l’ouverture de la session, « on ignorait encore, nous dit M. de Viel-Castel, ce que contiendrait le discours du trône, et le secret qu’on gardait à ce sujet causait quelque inquiétude aux députés de la droite. » Louis XVIII fit, le 28 janvier, en personne l’ouverture des Chambres. Dans son discours se trouvaient ces paroles bien connues sur les affaires d’Espagne : « J’ai tout tenté pour garantir la sécurité de mes peuples et préserver l’Espagne elle-même des derniers malheurs. L’aveuglement avec lequel ont été repoussées les représentations faites à Madrid laisse peu d’espoir de conserver la paix. J’ai ordonné le rappel de mon ministre. Cent mille Français, commandés par un prince de ma famille, par celui que mon cœur se plaît à nommer mon fils, sont prêts à marcher en invoquant le Dieu de saint Louis pour conserver le trône d’Espagne à un petit-fils de Henri IV, préserver ce beau royaume de la ruine et le réconcilier avec l’Europe. »

La grande majorité de la Chambre accueillit par des acclamations le discours du Roi, et l’on put voir dès lors que, malgré les vives discussions auxquelles on devait s’attendre dans le Parlement, le gouvernement aurait une grande majorité pour le couvrir. En effet, à la Chambre des pairs, l’ensemble de l’adresse fut voté par 99 voix contre 28, — 16 membres de l’opposition s’étant abstenus, — et à la Chambre des députés, par 202 voix contre 93. Les crédits militaires furent adoptés un mois plus tard, à des majorités égales, sur les rapports de M. de Martignac, à la Chambre des députés, et de M. de La Forêt, à la Chambre des pairs ; mais ce ne fut pas, on le sait, sans des discussions extrêmement violentes et qui amenèrent l’expulsion de Manuel et la retraite temporaire d’un certain nombre de députés de la gauche. Par suite du choc inévitable entre les partisans de l’autorité royale et ceux de la souveraineté populaire, dans un pays où la nation avait tour à tour, depuis vingt-cinq ans, renversé et laissé rétablir ces principes contradictoires, on devait s’attendre à de pareilles luttes, qui en présageaient bien d’autres dans l’avenir. Quand on relit l’histoire de ces discussions passionnées, comme je viens de le faire, dans le livre de M. de Viel-Castel, on ne peut s’empêcher de trouver que Chateaubriand y prit une part considérable et décida plus que M. de Villèle la grande majorité des votes favorables à l’expédition.

Son premier discours, à la Chambre des députés, en réponse à M. Bignon, fut très habile. Je n’en veux citer que deux passages : « A Vérone, dit-il, les puissances alliées n’ont jamais parlé de la guerre qu’elles pouvaient faire à l’Espagne ; mais elles ont cru que la France, dans une position différente de la leur, pourrait être forcée à cette guerre. Le résultat de cette conviction a-t-il fait naître des traités onéreux ou déshonorans pour la France ? Non. S’est-il même agi de donner passage à des troupes étrangères sur son territoire ? Jamais. Qu’est-il donc arrivé ? Il est arrivé que la France est une des cinq grandes puissances qui composent l’alliance ; qu’elle y restera invariablement attachée, et qu’en conséquence de cette alliance, elle trouvera, dans des cas prévus et déterminés, un appui qui, loin d’affecter sa dignité, prouve le haut rang qu’elle occupe en Europe. L’erreur de nos adversaires est de confondre l’indépendance avec l’isolement. Une nation cesse-t-elle d’être libre, subit-elle un joug honteux parce qu’elle a des rapports avec des puissances égales en force et soumises à la condition d’une parfaite réciprocité ? Voudrait-on faire des Français une espèce de peuple juif séparé du genre humain ? A quel reproche bien autrement grave serait exposé le gouvernement, s’il n’avait rien prévu, rien combiné et si, dans le cas d’une guerre pour lui, il eût ignoré jusqu’au parti que prendraient les grandes puissances ! Lorsque nous n’avions pas d’armée, lorsque nous ne comptions pour rien parmi les États du continent, personne ne disait que nous étions esclaves. Aujourd’hui que notre résurrection militaire étonne l’Europe, que nous élevons, dans le conseil des rois, une voix écoutée, que de nouvelles conventions effacent le souvenir des traités par lesquels on nous fait expier nos victoires, on s’écrie que nous subissons un joug humiliant. »

La péroraison de son discours fut particulièrement remarquée :

« Quant aux ministres, messieurs, le discours de la couronne leur a tracé la ligne de leurs devoirs. Ils ne cesseront de désirer la paix, d’écouter toute proposition compatible avec la sûreté et l’honneur de la France ; mais il faut que Ferdinand soit libre, il faut que la France sorte à tout prix d’une position dans laquelle elle périrait bien plus sûrement que par la guerre. Si la guerre avec l’Espagne a, comme toute guerre, ses inconvéniens et ses périls, elle aura eu pour nous cependant un immense avantage. Elle nous aura créé une armée ; elle nous aura fait remonter à notre rang militaire parmi les nations ; elle aura décidé notre émancipation et rétabli notre indépendance. Il manquait peut-être encore quelque chose à la réconciliation complète des Français. Elle s’achèvera sous la tente ; les compagnons d’armes sont bientôt amis, et tous les souvenirs se perdent dans la pensée d’une commune gloire. Le Roi, ce Roi si sage, si paternel, si pacifique, a parlé. Il a jugé que la sûreté de la France et la dignité de la couronne lui faisaient un devoir de recourir aux armes, après avoir épuisé les conseils. Le Roi, avec une généreuse confiance, a remis la garde du drapeau blanc à des capitaines qui ont fait triompher d’autres couleurs. Ils lui rapprendront le chemin de la victoire, il n’a jamais oublié celui de l’honneur. »

Ce beau discours de Chateaubriand n’était que le développement des pensées que nous lui avons vu formuler à Vérone, dans sa conférence du 8 novembre avec ses collègues, les plénipotentiaires du roi Louis XVIII. Portées à la tribune, destinées à être lues par tous les cabinets, ces déclarations ne pouvaient contenir toute sa pensée, mais elles étaient bien conformes à la manière de voir qu’il avait toujours eue et qu’à certains jours seulement, il atténuait pour ne pas blesser M. de Villèle, dont il tenait à se ménager l’appui. Seulement, même au milieu de ses plus grands et de ses plus légitimes succès, il manquait de cette simplicité, plus nécessaire que partout ailleurs dans un pays égalitaire, où les supériorités intellectuelles et sociales veulent plutôt être dissimulées qu’ouvertement affichées. Il se plaignait, par suite, d’être incompris ; il se trompait. On le comprenait fort bien ; c’était à la primauté et à la primauté exclusive qu’il prétendait ; mais ses collaborateurs, et le principal d’entre eux surtout, lui demandaient la part de justice et de coopération qu’ils étaient en droit d’en attendre pour l’œuvre à laquelle ils travaillaient en commun. Son tort est de ne l’avoir pas compris. Ce fut, dix-huit mois après, la cause de sa chute, aussi triste pour le pays et pour lui-même qu’inévitable dans un temps donné.

Les crédits militaires étant votés à une majorité considérable et M. de La Garde ayant quitté Madrid, après les envoyés des trois cours du Nord, il ne restait plus qu’une difficulté à craindre qui pût arrêter l’expédition, c’était l’opposition de l’Angleterre. Elle fut très vive au premier abord et M. Canning, qui avait remplacé lord Castlereagh au ministère des Affaires étrangères, ne cacha pas à notre chargé d’affaires à Londres tout le mécontentement que lui causait le discours du roi Louis XVIII. « C’est donc, dit-il à M. de Marcellus, une croisade pour des théories politiques que vous reprenez. Je ne comprendrai jamais qu’on tire le canon contre des idées et des formes de gouvernement. Ignorez-vous que le système des constitutions émanées du trône nous est odieux et que le système britannique n’est que le butin de longues victoires remportées par les su jets contre les monarques ? Oubliez-vous que les rois ne doivent pas donner des institutions, mais que les institutions seules doivent donner des rois ? Un roi libre ! Connaissez-vous un roi qui mérite d’être libre dans le sens implicite du mot ? Peut-il, doit-il même l’être jamais ? Il n’y a de vraiment libre qu’un despote ou un usurpateur, fléaux du monde, comètes effrayantes qui brillent et s’éteignent dans le sang. Pensez-vous que je serais le ministre de George IV s’il avait été libre de choisir ? Pensez-vous qu’il eût oublié que je me suis constamment soustrait aux orgies de sa jeunesse, que j’ai sans cesse combattu ses penchans et ses favoris ? » Après des entraînemens de langage qu’il devait regretter plus tard, devant le mécontentement légitime qu’en éprouva son souverain, M. Canning, rentrant en quelque sorte et lui-même et revenant à la grande question du moment, ajouta d’un ton familier et amical : « Vous allez entrer en Espagne. Vous croyez, dit-il, à M. de Marcellus, vous jeune homme, que cette guerre sera courte. Je pense tout autrement, moi qui touche à la vieillesse. En 1793, M. Pitt annonçait que certaine guerre déclarée à un grand peuple alors en révolution serait courte, et cette guerre a survécu à M. Pitt. »

M. Canning se trompait, comme le prince de Talleyrand lui-même devait se tromper quelques jours après à la Chambre des pairs, en confondant le principe des deux expéditions : celle de 1808, dominée par des vues de conquête contre l’Espagne elle-même et qui devait soulever contre elle l’unanimité de la nation ; celle de 1823, tendant, au contraire, à rendre à l’autorité royale l’indépendance, dont un parti minime, mais audacieux, avait cherché à la dépouiller. Les faits devaient se charger de démentir leurs sinistres prévisions.

Quoi qu’il en soit, ces curieuses déclarations que nous rapporte M. de Viel-Castel dans le douzième volume de son Histoire et qui trouvèrent un écho correspondant à leur vivacité dans les discussions de l’adresse au sein du Parlement anglais, irritèrent le parti royaliste dans nos deux Chambres, sans parvenir à l’intimider. L’adresse et les crédits furent votés à une majorité considérable, comme nous l’avons vu. Chateaubriand fut embarrassé sans doute de l’opposition du gouvernement anglais. Il disait un soir, chez la duchesse de Duras, au comte Pozzo di Borgo, en frappant sur son habit dans la poche duquel se trouvaient les dépêches de M. Canning : « J’ai là Canning qui me gêne. » Confortare et esto robustus », lui répondit l’ambassadeur de Russie[2]. — Et il avait raison de l’encourager, car l’empereur Alexandre devait encore cette fois, par son attitude énergique, dissiper et réduire à néant le mauvais vouloir de l’Angleterre.

Par une dépêche circulaire adressée le 3/15 mars 1823, à Paris, Londres, Vienne et Berlin, le comte de Nesselrode fut chargé de faire au nom de son souverain les déclarations suivantes :

« L’Empereur se flattait encore que la modération prévaudrait dans les conseils du gouvernement anglais qui ne voudra pas, par une rupture avec la France, s’exposer à détruire tous les liens qui l’unissent au continent. Mais si, contre toute attente, l’Angleterre déclarait la guerre à la France pour empêcher le gouvernement de Sa Majesté Très Chrétienne de rendre à l’Espagne le plus essentiel des services. Sa Majesté Impériale autorise son ambassadeur à assurer, dès à présent, le cabinet des Tuileries que ses intentions ne changent pas et que, pour sa part, il regarderait l’attaque dirigée contre la France comme une attaque générale contre les alliés et qu’il accepterait, sans hésiter, les conséquences de ce principe. »

Dans une autre dépêche adressée le même jour au comte, depuis prince de Lieven, ambassadeur de Russie à Londres, M. de Nesselrode disait :

« L’Empereur ordonne à son ambassadeur d’exprimer au cabinet britannique les mêmes sentimens ; de lui rappeler que, dans des circonstances pareilles, l’opposition avait rencontré d’éloquens adversaires dans le sein du ministère et qu’il s’était appliqué plus d’une fois à resserrer les liens de l’alliance qu’il semble méconnaître dans cette circonstance.

« Le comte de Lieven a ordre de s’expliquer dans ce sens vis-à-vis de M. Canning et de lui faire observer que Sa Majesté Impériale a été surprise de voir que l’Angleterre trouvait alarmant, dans la bouche du roi de France, le principe qu’elle a implicitement admis dans toutes les transactions qui ont eu la France pour objet et qu’elle déclarait juste et inattaquable en Espagne une cause qu’elle n’a soutenue, ni à Naples, ni dans le Piémont. »

Ce langage si énergique de l’empereur Alexandre calma l’opposition de l’Angleterre. M. de Metternich, se sentant lié par la Russie, fit alors lui-même des démarches auprès de M. Canning pour le conjurer de ne pas soulever des complications qui pouvaient devenir funestes au repos de l’Europe. Il n’y avait plus dès lors d’obstacles du côté des puissances. La France était maîtresse de son action, au dehors, comme au dedans. Il s’agissait de savoir désormais si l’expédition, au cas où elle allait s’engager, répondrait au but que le cabinet français s’était proposé, en l’entreprenant, malgré les sinistres présages que les oppositions coalisées du dedans et du dehors avaient formulés contre elle.


V. — LA GUERRE D’ESPAGNE

L’armée française passa la Bidassoa le 20 mars 1823, et deux mois après, le 24 mai, elle entra dans Madrid. Le 2 octobre, le Roi, que les Cortès révolutionnaires avaient transporté à Cadix, était délivré par M, le duc d’Angoulême et rendu à la liberté. Je n’ai pas à retracer ici l’histoire bien connue de cette campagne, qui fut presque une promenade militaire et une succession de quelques brillans faits d’armes, où l’ancienne et la nouvelle armée française se fusionnèrent, comme l’avait prédit Chateaubriand, dans la fraternité des champs de bataille. Je veux seulement en constater les résultats politiques.

A la grande différence de 1808, la majorité du pays, qui était royaliste, nous soutint toujours assez ouvertement, et nous ne trouvâmes devant nous, comme véritables ennemis, que les généraux ou les hommes politiques qui avaient embrassé le parti de la révolution. Leur résistance, à l’exception de celle des généraux Mina et Ballasteros, ne fut pas bien sérieuse et ne pouvait l’être en présence des dispositions réelles de la nation. La grande difficulté n’était pas là. Elle devait venir précisément de celui que nous allions délivrer de ses ennemis et qui cherchait malheureusement à retrouver, dans son trône restauré, l’occasion de satisfaire ses vengeances particulières, Ferdinand VII était le grand obstacle à la politique de générosité et d’oubli que M. le duc d’Angoulême et le gouvernement du roi Louis XVIII, auraient voulu faire prévaloir. Nous devions nous heurter à cet obstacle, et c’est l’objection la plus sérieuse qui subsiste encore aujourd’hui contre les résultats de cette campagne.

Mais il faut le reconnaître, ce qui fit la facilité de notre expédition était précisément la conviction chez hi majorité du peuple espagnol soutenu par le clergé, que nous allions rétablir le Roi dans la plénitude de son pouvoir. Autrement, nous aurions pu retrouver contre nous la résistance du siège de Saragosse et tous les sombres drames, où le génie de Napoléon rencontra pour la première fois la fatalité historique, qui devait briser, trois ans plus tard, sa puissance dans les plaines glacées de la Russie. Ferdinand VII et l’armée française étaient, au contraire, en accord tacite avec cette majorité qui ne comprenait le pouvoir royal qu’avec l’absolutisme. Aussitôt après sa délivrance, le 2 octobre, à Cadix au port Sainte-Marie, quand les deux princes se turent rendus au palais préparé pour les recevoir, M. le duc d’Angoulême aborda immédiatement et avec toute la franchise militaire la question de l’amnistie et des institutions libérales à accorder à l’Espagne. Dans ce moment, une troupe d’enfans se mit à crier sur la place voisine du palais : « Viva El Rey neto ! Vive le roi absolu ! » — « Entendez-vous, dit Ferdinand au duc d’Angoulême, tous, jusqu’aux enfans, me demandent de reprendre le pouvoir absolu. C’est le vœu de la nation ! »

Je trouve également dans la correspondance de notre ambassadeur à Madrid[3], ces curieuses paroles prêtées au Roi quand il était encore à Cadix. C’était l’avant-veille de sa libération et après la prise du Trocadéro, qui précéda, on le sait, de quelques jours seulement sa mise en liberté. Les Cortès révolutionnaires, qui le tenaient encore entre leurs mains, exigeaient pour s’en dessaisir, la signature d’une amnistie. « Captif, je signerai, dit-il, tout ce qu’ils voudront. Libre, aurait-il ajouté en frappant sur sa table, je les poursuivrai jusqu’à la septième génération. » Et malheureusement, il tint parole.

Le gouvernement du roi Louis XVIII ne pouvait donc espérer, en rétablissant Ferdinand VII sur son trône, réconcilier, dans une pensée de modération et d’oubli, le souverain et les hommes qui lui avaient été hostiles. Ce grand pays devait attendre longtemps encore, et après avoir traversé bien des tourmentes, le gouvernement réparateur qui est aujourd’hui à sa tête. A ce moment, il ne pouvait être question pour nous de le lui donner et nos ambassadeurs eurent continuellement à lutter, avec plus ou moins d’insuccès, contre le mauvais vouloir du Roi, qui ne cherchait dans le pouvoir qu’un moyen d’exercer de sanglantes représailles contre ses ennemis vaincus.

Était-ce une raison pour regretter l’expédition entreprise par la Restauration ? Après avoir lu et étudié, consciencieusement et sans parti pris, ce qui a été dit et écrit sur cette époque, je n’hésite pas à penser que le gouvernement du roi Louis XVIII ne pouvait pas adopter une autre politique que celle qu’il a suivie. Il devait à tout prix empêcher, ce qui aurait été inévitable à la longue, que la tête d’un Bourbon tombât sur un échafaud espagnol et que la solidarité révolutionnaire ne s’établît entre les deux peuples voisins. C’était un danger immense pour la royauté restaurée, et comme elle était le gouvernement reconnu et accepté par la France, elle avait, comme tous les gouvernemens, le droit et le devoir de songer à sa préservation.

D’ailleurs, les faits sont là pour le prouver. Le succès de la guerre d’Espagne nous rendit une armée en en fusionnant les élémens désagrégés. L’étranger le comprit aussitôt et les lettres adressées par tous les souverains et les ministres à Chateaubriand le démontrent. L’empereur Alexandre prit la tête, comme c’était naturel, en lui envoyant, ainsi qu’à M. de Montmorency, le cordon de Saint-André. Tous les autres souverains suivirent l’exemple de l’Empereur, et la France retrouva bien vite une considération et une influence qu’elle n’avait plus connues depuis 1815.

« Évidemment, nous dit M. de Viel-Castel, dont le témoignage n’est pas suspect, puisque, appartenant au parti libéral, il était hostile au principe de l’expédition, la position de la France avait grandi, depuis qu’au dehors on avait acquis la conviction qu’elle possédait une armée à l’abri des entraînemens du parti révolutionnaire. C’était là pour elle le meilleur résultat de la guerre d’Espagne. Ce fait explique que beaucoup de bons esprits, trop exclusivement préoccupés des intérêts extérieurs du pays ; que M. de La Ferronnays, par exemple, qui n’était certes pas l’ennemi des institutions sagement libérales, mais que la nature de ses fonctions appelait à considérer les affaires surtout au point de vue diplomatique, aient applaudi à une expédition qui, à tant d’autres égards, semblait devoir leur répugner. Placés en présence des étrangers, ils ne pouvaient pas ne point reconnaître que le gouvernement français pesait désormais dans la balance européenne d’un poids plus grand que cela ne lui était arrivé depuis 1815 et que désormais, dans toutes les grandes questions, on serait forcé de compter avec lui. Leur patriotisme, leurs sentimens monarchiques y trouvaient satisfaction ; ils croyaient déjà voir le gouvernement de la Restauration ajouter aux autres bienfaits dont la France lui était redevable, celui d’un renouvellement de sa puissance extérieure et de sa gloire militaire.

« Plus que personne, M. de Chateaubriand s’abandonnait à ces exagérations qui flattaient d’autant plus son amour-propre qu’il avait eu une grande part à l’événement qui y donnait lieu. Dans son enivrement, il se considérait comme le sauveur du trône et de la France, comme l’auteur de leur résurrection et de leur grandeur future. Il lui semblait que désormais tout devait dépendre de lui. »

Ce témoignage de M. de Viel-Castel, malgré ou plutôt en raison même de son peu de sympathie pour Chateaubriand, n’en démontre pas moins la haute situation qu’il occupait alors dans l’opinion européenne et que lui avait méritée le grand service qu’il venait de rendre au gouvernement de son pays en décidant l’expédition d’Espagne. L’envoi du grand cordon de Saint-André et d’une lettre autographe de l’empereur de Russie fut suivi de faveurs analogues du roi d’Espagne, du roi de Prusse, du roi de Sardaigne, du roi de Portugal. En quelques jours, les plus grands ordres d’Europe, la Toison d’Or, l’Aigle Noir, l’Annonciade, l’ordre du Christ, lui parvinrent avec les félicitations des souverains et celles de leurs ministres des affaires étrangères. Depuis le prince de Talleyrand, aucun de nos ministres ne s’est trouvé à pareille fête et n’a reçu des témoignages de distinction aussi flatteurs de la part de l’Europe. Huit jours après, le roi Louis XVIII lui donna le cordon bleu.

Un seul lui manquait pourtant, ce fut un ordre autrichien. L’empereur François lui envoya à la vérité une lettre autographe de remerciement pour la bonne nouvelle qu’il lui avait transmise, et M. de Metternich, de son côté, lui écrivit pour le féliciter. « Mais, nous dit Chateaubriand, la lettre de l’Empereur était froide et ne dit pas un mot de nous. Celle du prince de Metternich contient un petit compliment qui couvre mal un secret dépit. Fidèle à son instinct, le prince avait la prétention de recevoir le cordon bleu avant de nous transmettre les ordres d’Autriche ; or, comme les autres puissances avaient pris l’initiative vis-à-vis des Tuileries, nous ne pensâmes pas qu’il fût convenable de céder à des exigences sans raison ; elles nous paraissaient surtout extraordinaires, vu la manière dont avait agi envers nous le cabinet de Vienne. »

C’était là, en effet, le véritable motif de l’abstention autrichienne. Nous avons vu, avant, pendant et après le congrès de Vérone, la manière dont le prince de Metternich avait toujours cherché à contrarier l’action de la France et les soupçons malveillans pour sa politique qu’il avait cherché à inspirer à l’empereur Alexandre. Ses efforts ne s’arrêtèrent vis-à-vis de nous que lorsque, par notre intervention en Espagne et la délivrance du roi Ferdinand, l’attitude du cabinet français démontra clairement notre résolution d’en finir avec la révolution espagnole. M. de Metternich comprit qu’il perdrait son temps et son crédit auprès de l’empereur Alexandre, en agitant vainement devant lui le fantôme de la révolution que nous allions précisément combattre. Mais son opposition contre nous était pour ainsi dire devenue trop naturelle, par la longue habitude qu’il avait eue de nous combattre, pour s’arrêter si vite en chemin. Elle changea seulement de forme. L’extrait suivant d’une lettre de M, de La Ferronnays, du 19 juin 1823, adressée de Saint-Pétersbourg à Chateaubriand, le démontre suffisamment.

« Les démentis, lui écrit-il, que les actes du gouvernement et notre conduite en Espagne ne cessent de donner à M. de Metternich ne le découragent cependant pas. Il a fait croire tant de choses à l’empereur Alexandre, depuis quelques années, qu’il ne désespère pas encore de lui persuader que nous arrivons à Madrid, nos poches pleines de constitutions ; que, dès que nous aurons libéralisé l’Espagne à notre façon, la tête nous partira et que l’on a tout à redouter des extravagances auxquelles nous pouvons nous porter. Déjà même, les secrétaires de la mission autrichienne relèvent ici et font remarquer l’emphase avec laquelle quelques-uns de nos journaux parlent du rôle que nous jouons et de l’importance que nous donne à nos propres yeux la conduite de notre armée.

Le fait est qu’on nous aimait bien mieux, quand on pouvait mettre en doute sa fidélité et qu’il était possible de la supposer prête à se rallier aux factieux contre le gouvernement. Alors les inquiétudes paraissaient avoir quelque chose de fondé, qui semblait donner aux autres le droit de s’entendre pour nous surveiller. On nous tenait ainsi dans une sorte de dépendance dont on n’aime point à nous voir sortir. On doit donc chercher et saisir avec empressement tous les moyens possibles de faire naître sur nous de nouvelles méfiances et, si on ne peut nous empêcher de devenir une nation, on veut, au moins, autant que possible, nous isoler de l’Europe.

Mais cette politique ne devait pas se borner à des entretiens confidentiels. M. de Metternich imagina une combinaison étrange et qui, bien qu’elle fût aussi singulière que malencontreuse, fit passer quelques mauvaises nuits à Chateaubriand. Il en parle dans son Congrès de Vérone avec une colère encore mal dissimulée et qui est parfaitement explicable. Voici ce dont il s’agissait.

On sait que M. le duc d’Angoulême, poursuivant son expédition militaire à travers l’Espagne, avait constitué, avant de quitter Madrid, pour aller délivrer Ferdinand VII prisonnier dans Cadix, une régence provisoire, qui devait représenter le Roi captif jusqu’à son entière libération. Cette régence, composée du duc de l’infantado, du duc de Montemar, du baron d’Eroles, de l’évêque d’Osma et D. Antonio Gomez Calderon, avait été choisie par le duc d’Angoulême sur la présentation des Conseils de Castille et des Indes. Elle devait réunir ses efforts aux nôtres, pour discipliner, diriger et contenir au besoin les agens royalistes qui, sous prétexte de nous aider, ne cherchaient souvent qu’à assouvir leurs passions et leurs vengeances particulières. Pour qu’elle eût quelque autorité, le gouvernement français, d’accord avec le duc d’Angoulême, songea à accréditer auprès d’elle les agens des puissances étrangères et il donna lui-même l’exemple en nommant un chargé d’affaires auprès de la Régence.

Il n’y avait là, en apparence, rien que de très simple, puisque cette décision réservait tous les droits du Roi. Quel ne fut donc pas l’étonnement de Chateaubriand, lorsque, au moment où il s’y attendait le moins, il reçut une lettre du prince de Castelcicala, ambassadeur de Naples à Paris, notifiant au cabinet français que le roi, son maître, étant le plus proche parent du roi d’Espagne, la régence lui appartenait de droit pendant la captivité de Ferdinand VII. C’était une misérable chicane de mots que d’appeler Régence un gouvernement provisoire, ou une junte administrative, qui n’existait que par notre permission et comme conséquence de notre intervention militaire. On sut immédiatement que jamais cette prétention de l’ambassadeur du roi de Naples n’aurait osé se produire, si l’Autriche, qui occupait militairement ses États, ne l’avait encouragée en secret. Ainsi, suivant M. de Metternich, le roi de Naples qui, après le congrès de Vérone, avait pour plus de sûreté passé son hiver à Vienne et s’y trouvait encore, qui ne pouvait gouverner ses propres États et les faisait gouverner par l’Autriche, aurait dû régir l’Espagne : et la France, qui versait pour la délivrance de Ferdinand VII son sang et son or, aurait dû, pour agir dans ce pays, prendre les ordres des ambassadeurs du roi de Naples et en réalité ceux du prince de Metternich.

C’était insoutenable. Il n’en fallut pas moins que Chateaubriand, redoutant quelque accord secret entre l’Angleterre et l’Autriche, prît la peine d’écrire à M. de Caraman à Vienne, à M. de La Ferronnays à Saint-Pétersbourg et fît lui-même un long mémoire, communiqué aux cours étrangères, pour réfuter de point en point les prétentions du prince de Castelcicala. Cette réclamation, qui ne semblait pas pouvoir être sérieuse, retarda le départ des agens étrangers pour Madrid. A la fin, l’empereur Alexandre, sur la demande de M. de La Ferronnays, ayant fait dire au roi qu'il lui conseillait d’abord de retourner à Naples gouverner ses propres États, et la Prusse s’étant rangée à notre opinion, l’Autriche invita le prince de Castelcicala à ne plus insister sur les conclusions de sa note et à la considérer, pour le moment, comme non avenue. Mais ce ne fut pas encore la fin de l’incident. Le comte Brunetti, envoyé d’Autriche, étant arrivé à Madrid, avait des lettres de créance qui l’accréditaient seulement auprès du Roi encore prisonnier des Cortès révolutionnaires. Il y eut là un nouveau temps d’arrêt. Enfin des ordres lui furent envoyés de Vienne, et il reçut ses nouvelles lettres qu'il put présenter à la Régence.

Il n’est donc pas surprenant que la réponse, d’ailleurs très convenable, du prince de Metternich, en apprenant la libération de Ferdinand VII, ne tut accompagnée d’aucun témoignage de satisfaction particulière de la part de l’empereur François II pour Chateaubriand. Celle de la Prusse fut, au contraire, des plus empressées. Il faut tenir compte, pour en comprendre l’effusion, des sympathies que Chateaubriand avait su conquérir à Berlin, pendant la mission qu'il y avait remplie sous le ministère du duc de Richelieu, et qui lui étaient personnelles. Dans le septième volume de ses Mémoires d’Outre-Tombe, il nous cite, avec une complaisance un peu excessive, ses rapports avec M. Ancillon, sous-secrétaire diktat, et surtout les lettres que la duchesse de Cumberland voulait bien lui adresser. Il eût été préférable pour sa mémoire qu'il nous en laissât seulement soupçonner l’existence, sans étaler ainsi aux yeux de la postérité ses bonnes fortunes littéraires ou autres. Mais il est certain que les succès qu’il obtint pendant sa courte mission, et qui revenaient plus encore à l’auteur du Génie du christianisme qu’à l’envoyé du roi Louis XVIII, l’avaient constitué à l’état de persona grata à la cour de Berlin. Il eut ainsi l’occasion de remarquer plusieurs fois pendant son ministère combien la position personnelle d’un ambassadeur, surtout à cette époque, pouvait influer sur les rapports avec le pays dont il était le représentant. Voici, au surplus, la lettre du comte de Bernstorff, ministre des affaires étrangères du roi Frédéric-Guillaume, qui justifie pleinement cette appréciation.


« Berlin, le 18 octobre 1823.

« Monsieur le vicomte,

« Je ne saurais trop vivement remercier Votre Excellence de ce qu’elle a si bien senti qu’en me donnant, de sa main, l’avis si impatiemment attendu de la délivrance du roi d’Espagne, c’était en rehausser encore le prix. Ferdinand VII libre. Que de résultats dans ces trois mots ! Voilà donc Vérone justifié, une nouvelle gloire immortelle acquise à la France, le triomphe du système monarchique assuré et le ministère de Votre Excellence environné d’une splendeur qui répond si bien à l’éclat que son nom seul y avait déjà imprimé ; ce dernier intérêt est aussi devenu européen.

« Rien de plus inaltérable que la haute considération et le parfait dévouement avec lequel j’ai l’honneur d’être, etc.[4].

Signé : « BERNSTORFF. »


On voit par l’ensemble de ces documens à quelle valeur les cours étrangères avaient apprécié la politique du gouvernement français. L’Angleterre seule restait en dehors de ce nouveau concert européen. Son ministre, sous prétexte qu’il était accrédité auprès de Ferdinand VII, s’était enfermé dans Cadix avec les Cortès révolutionnaires, au lieu de suivre ses collègues auprès de la régence. L’ambassadeur d’Angleterre, sir Charles Stuart, étant venu parler à Chateaubriand, avec un ressentiment mal déguisé, de cette révolution des cours, notre ministres des affaires étrangères lui dit en riant : « Eh ! sir Charles, faites comme nous, reconnaissez la régence et que sir William A. Court vienne rejoindre ses amis et cesse de boire de la mauvaise eau dans les citernes de Cadix[5]. »

Il était condamné pourtant à en boire jusqu’à la lie et à assister de sa personne, sans pouvoir les empêcher, aux derniers outrages dont les révolutionnaires espagnols couvrirent le roi Ferdinand jusqu’à sa délivrance. Mais si M. Canning n’avait pu arrêter notre intervention, grâce à la rapidité de notre campagne militaire et à l’appui moral de la Russie, il s’en vengea, comme on le sait, en reconnaissant l’indépendance des colonies espagnoles dont la plupart, sinon la totalité, ne se seraient pas séparées de la mère patrie, ou seraient revenues sous sa domination, si elles n’avaient pas senti derrière elles la main de l’Angleterre. Chateaubriand fit tous ses efforts pour l’empêcher et il n’est pas prouvé qu’ils eussent été stériles, s’il était demeuré au pouvoir. Mais malheureusement, c’était un résultat de longue haleine qui ne pouvait être obtenu que par une longévité ministérielle, malheureusement en dehors de nos habitudes nationales, et que nos adversaires, comme on a pu le voir dans ce récit, auront trop souvent le privilège d’exploiter contre nous. Son idée de faire de ces colonies des monarchies bourboniennes dut être abandonnée et on ne sait vraiment pas, quand on constate dans l’histoire, depuis cette époque, la périodicité de leurs révolutions et leurs guerres intestines, si l’idée de Chateaubriand n’était pas, en définitive, beaucoup plus favorable à leur prospérité que le système patronné par l’Angleterre. Quoi qu’il en soit, je crois avoir démontré, par ce qui précède, l’impression favorable que notre intervention en l’Espagne avait produite au dehors. Il me reste, pour terminer cet aperçu historique, à dire un mot du contrecoup qu’elle exerça sur notre politique intérieure et sur la position personnelle de Chateaubriand.

Le succès est toujours une grande force pour un homme, comme pour un parti. Celui de la campagne d’Espagne avait donné au parti royaliste, en France, un prestige qu’il n’avait pas connu jusqu’alors, en réduisant pour ainsi dire à néant la valeur des oppositions coalisées auparavant contre lui : « Ses adversaires semblaient avoir disparu et des hommes qui, jusqu’à ce moment, attachés par leurs antécédens, par leurs souvenirs, à la cause de la Révolution ou à celle de l’Empire, n’avaient pas renoncé à l’espérance d’un retour de fortune, s’avouaient maintenant vaincus et essayaient, comme le fit le duc de Rovigo, de se rattacher à un régime dont la durée leur paraissait désormais assurée.

« Le parti royaliste en était arrivé à un tel point de prépondérance que la question ne paraissait plus être s’il conserverait le gouvernement de la France, mais laquelle de ses fractions l’exercerait. Ce n’était plus, il le semblait du moins, que par lui-même, par ses divisions, par l’excès même de ses exigences qu’il pouvait être vaincu[6]. »


L’enthousiasme qui éclata à Paris, au moment du retour de M. le duc d’Angoulême, fut la première manifestation retentissante de ce mouvement d’opinion. Mais, de tout temps, les généraux victorieux ont vu les foules acclamer les triomphateurs et il n’y avait pas lieu d’en être surpris. Ce qui devait étonner davantage, c’était la défaite éclatante que les élections générales pour le renouvellement de la Chambre des députés allaient infliger aux anciens adversaires du gouvernement. A Paris même, trois députés seulement, n’appartenant pas au parti royaliste, furent élus. Manuel, dont il semblait que l’opposition tout entière dût avoir à cœur d’assurer la nomination, échoua au scrutin. Dans le reste de la France, les élections furent encore plus significatives. Les libéraux ne passèrent que dans quatorze arrondissemens. Dans deux cent trente-six, la victoire resta aux amis du gouvernement. Le général Foy fut, à la vérité, nommé à Paris et dans deux autres départemens ; mais on peut dire que les électeurs choisirent surtout en lui le patriote éprouvé, plus encore que l’ennemi de la Restauration. La France saluait surtout, dans cette noble figure, l’homme qui personnifiait à ses yeux, mieux qu’un autre, le talent oratoire mis au service de la cause nationale.

En résumé, les élections nouvelles furent un désastre pour l’opposition et, lorsque le roi Louis XVIII fît en personne et pour la dernière fois l’ouverture des Chambres, le 24 mars 1824, le parti royaliste pouvait se dire le maître du terrain parlementaire. Il ne dépendait que de lui de le conserver.

En même temps que le pays venait de donner par ses votes une éclatante approbation à la politique du gouvernement, la prospérité du crédit de l’Etat augmentait tous les jours. La rente 5 p. 100, péniblement émise en 1815 au taux de 58, et qui au moment de l’expédition d’Espagne n’atteignait que le chiffre de 78, avait dépassé le pair, malgré la connaissance que l’on avait du projet d’une prochaine réduction de l’intérêt de 5 à 4 p. 100. « Les cours se seraient même élevés à 110, peut-être à 115, si le gouvernement, dans sa loyauté, n’avait pas cru devoir faire connaître ses intentions de convertir la rente[7]. »

C’est, malheureusement, sur cette question de la conversion de la rente où les droits de l’Etat ne sont plus aujourd’hui contestés, mais qui troubla à ce moment toutes les têtes, qu’allait éclater, comme on le sait, le malheureux dissentiment qui, en écartant Chateaubriand du ministère, devait porter un coup funeste à la monarchie elle-même.

Je n’ai pas à refaire ici l’historique de cette triste séparation, bien connue de toutes les personnes qui auront pris la peine de lire ces lignes. Nous n’avions, il y a quelques années, comme témoignages formels, pour en retracer l’histoire, que les dramatiques récits de Chateaubriand lui-même dans ses Mémoires d’Outre-Tombe et dans son Congrès de Vérone. La contre-partie nous manquait. Aujourd’hui, les Mémoires de M. de Villèle ont été publiés. Il s’y montre naturellement beaucoup plus réservé que son ancien collègue sur la question qui amena leur rupture ; mais il cite à la charge de ce dernier deux faits d’une importance réelle et dont il est impossible de ne pas tenir compte. Le premier, ce sont les paroles très dures qu’il place dans la bouche même du Roi, sur le compte de Chateaubriand, au moment où Louis XVIII fit chercher M. de Villèle et l’obligea à contresigner le renvoi de son ministre des allaires étrangères. Le second est le fait, plus grave selon moi et tout à fait inconnu jusqu’alors, que Chateaubriand aurait été celui des collègues du président du conseil « qui, au début, l’avait le plus pressé et le plus importuné pour conclure l’opération de la conversion de la rente avec les banquiers et n’avait jamais depuis manifesté au conseil le moindre changement dans son opinion en faveur de la conversion[8]. »

Ces deux témoignages, il en coûte de l’avouer, sont formels, car il est impossible de mettre en doute leur authenticité. Ils expliquent l’irritation extrême du Roi, sans toutefois la justifier entièrement, car les services rendus au pays par ce grand serviteur de l’État auraient pu lui mériter plus d’égards, même en admettant la nécessité de son éloignement momentané des affaires. Quoi qu’il en soit, c’est au moraliste à conclure, une fois de plus, que les hommes doivent redouter plutôt que rechercher un certain degré d’élévation, et que, parvenus au faîte des honneurs, ils ne peuvent en supporter, sans fléchir, l’écrasant fardeau. La tête tourne volontiers sur ces cimes où le monde est à vos pieds, et le moindre faux pas peut amener la chute.

« Ma guerre d’Espagne, nous dit Chateaubriand, dans son Congrès, le grand événement politique de ma vie, était une gigantesque entreprise. La légitimité allait, pour la première fois, brûler de la poudre sous le drapeau blanc, tirer son premier coup de canon, après ces coups de canon de l’Empire qu’entendra la dernière postérité. Enjamber d’un pas les Espagnes, réussir sur le même sol où naguère les armées d’un conquérant avaient eu des revers, faire en six mois ce qu’il n’avait pu faire en sept ans, qui aurait pu prétendre à ce prodige ! C’est pourtant ce que j’ai fait. Mais par combien de malédictions ma tête a été frappée à la table de jeu où la Restauration m’avait assis. »

Évidemment, l’homme qui a écrit ces lignes ne pouvait pas s’accommoder d’une situation qui ne fût pas officiellement la première. Les événemens la lui avaient donnée, en fait, depuis la guerre d’Espagne. La consécration par l’Europe de sa politique personnelle l’autorisait, dans une certaine mesure, à y prétendre, Grâce à la bienveillance, on pourrait dire à l’amitié, que lui témoignait en particulier l’empereur Alexandre et dont ses lettres portent la trace irrécusable, il pouvait espérer désormais obtenir des résultats de quelque importance dans l’orientation de notre politique étrangère. Il se sentait d’ailleurs porté par l’opinion du pays. Tout en étant originaire d’une noble et ancienne famille, il aimait à se voir acclamé, en même temps, comme l’homme des générations nouvelles. Le nombre était grand des cœurs qui battaient encore, des esprits qui vibraient à l’unisson du sien. La France avait plus d’une fois suivi les inspirations de son barde armoricain qui, après lui avoir rapporté de l’exil l’écho de ses vieilles croyances religieuses affaiblies par la révolution, avait popularisé l’ancienne monarchie par ses écrits, avant de la servir par ses actes. C’était une force considérable qu’il donnait à la royauté, et Chateaubriand était naturellement disposé à se l’exagérer encore. Mais il ne tenait pas assez de compte de ce fait qu’il avait, à côté de lui et à la tête du conseil du Roi, un homme d’une très grande valeur, d’une capacité d’affaires hors ligne et d’une modestie relative, qui devait plaire beaucoup plus à un souverain âgé et valétudinaire qu’un ministre agité de rêves ambitieux pour son pays et pour lui-même. M. de Villèle et Châteaubriand ne pouvaient plus se trouver en présence l’un de l’autre dans le même cabinet, et il était clair que le jour où le Roi aurait à se prononcer entre eux, son choix ne serait pas douteux. Que ce fût sur la conversion des rentes, ou sur une autre question, une rupture paraissait donc inévitable.

Elle n’en a pas moins été funeste pour les uns et pour les autres, pour la royauté comme pour l’auteur du Génie du christianisme. La France avait un peu besoin de lui pour réapprendre, sans trop se déjuger elle-même, ces vieilles traditions de fidélité monarchique qu’elle avait oubliées depuis vingt-cinq ans. Un nouvel interprète de ses droits et de ses devoirs était nécessaire. Chateaubriand eût pu être cet homme. Les circonstances ne l’ont pas permis.

Mais son œuvre resta, et même après sa chute, le bénéfice de la campagne d’Espagne demeura acquis à la royauté. Quatre mois après, la France eut à traverser la difficile épreuve d’un changement de règne. Il s’effectua sans la moindre secousse et au milieu des témoignages émus de la population. C’était la première fois, depuis la mort de Louis XV, que, le 16 septembre 1824, on entendit les paroles sacramentelles prononcées par le grand maître des cérémonies : « Le Roi est mort, vive le Roi. » Il n’aurait dépendu que de Charles X quelles eussent pu être prononcées aussi sur sa tombe et que l’ère des révolutions n’eût pas à se rouvrir pour notre pays.

Au dehors, le nouveau règne conserva jusqu’à la fin le prestige que la campagne de M. le duc d’Angoulême avait assuré à la couronne. La France se retrouvait placée au premier rang, et l’opposition plus ou moins sourde que continuait à lui faire l’Angleterre nous rendit, avec la confiance de l’empereur Alexandre, celle des autres puissances continentales.

Grâce à cet appui moral, nous pûmes contribuer efficacement à l’affranchissement de la Grèce. Plus tard, l’expédition d’Alger, effectuée rapidement et sans encombre, nous permit d’ignorer officiellement le mécontentement des plus vifs qu’en éprouva le cabinet britannique. Les Mémoires du baron d’Haussez, ministre de la marine dans le cabinet du prince de Polignac, retracent d’une façon piquante l’étonnement et la colère que l’annonce de l’envoi de notre flotte causa à l’ambassadeur d’Angleterre.

Ces succès étaient dus à la diplomatie de la Restauration qui se montra, dans ces circonstances, habile et énergique. Mais elle n’aurait pu amener ces résultats considérables, qui permettaient d’en présager d’autres plus importans encore, si la campagne d’Espagne n’avait pas rendu une armée à la France et vaincu, au moins pour un temps, les oppositions coalisées contre la monarchie. On aurait aimé à retrouver, après la chute de M. de Villèle, le nom de Chateaubriand associé au cabinet du nouveau règne. Mais les préventions royales demeurèrent les mêmes et ses amis arrivés au pouvoir ne purent lui offrir que le brillant exil d’une ambassade. Il l’accepta ; mais il méritait davantage ; car, si la brochure de Bonaparte et les Bourbons avait, en 1814, suivant l’expression même de Louis XVIII, valu une armée à la monarchie, le nom de Chateaubriand, en 1829, apparaissait à toute la génération nouvelle comme un gage d’alliance entre le passé et le présent de la France. Il aurait pu, si on avait su l’utiliser, assurer, pour un temps du moins, le repos de son avenir.


Marquis de Gabriac.

  1. Voyez la Revue du 1er octobre.
  2. Notes de mon père.
  3. Correspondance du marquis de Talaru. (Archives des Affaires étrangères.)
  4. Congrès de Vérone, t. II, p. 205 et 206.
  5. Notes de mon père.
  6. Viel-Castel, tome XIII.
  7. Viel-Castel, tome XIII, page 189.
  8. Villèle, Mémoires, tome V, pages 40 et 41.