Charles Fox d’après ses mémoires
Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 8 (p. 841-875).
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CHARLES FOX

Memorials and Correspondence of Ch. J. Fox, edited by lord John Russel ; Londres 1853, Richard Bentley.



Les ennemis de la liberté lui reprochent, entre autres griefs, de faire trop d’honneur à la nature humaine et de supposer en elle une perfection chimérique. On ne saurait, en effet, disculper la liberté du tort de convenir d’autant plus aux hommes qu’ils sont meilleurs, et d’exiger quelques vertus particulières des peuples qui la veulent obtenir ou conserver. Il est bien vrai qu’elle les élève jusqu’à elle, ou quelle périt en tombant à leur niveau; mais ni le raisonnement ni l’histoire n’autorisent à soutenir qu’elle ait pour condition d’existence une supériorité idéale de moralité et de raison chez les nations qu’elle honore de sa présence, et que pour s’établir et prospérer, elle commence par réclamer l’extinction totale des vices et des passions de l’humanité. On ne le soutient que pour avoir le droit de la déclare ? impossible. On ne lui donne pour base l’hypothèse d’une société imaginaire qu’afin de la mettre en l’air comme la cité d’Aristophane. On lui fait une renommée de justice absolue dans l’espoir de l’atteindre par l’ostracisme qui proscrivit Aristide.

Que les peuples libres dans l’antiquité et dans les âges modernes aient eu besoin d’abaisser un peu leurs regards pour contempler les autres nations, nous le voudrions en vain contester; mais rassurons les amis de l’infirmité humaine : il est en tout temps resté à ces peuples privilégiés un suffisant contingent de faiblesses et de violences et leur histoire ne les montre que trop exempts de cette perfection philosophique ou chrétienne qu’on leur impose pour décourager leurs imitateurs. Sous quelques lois que les hommes se rangent, le mal garde sa place, et une grande place dans les sociétés qui se gouvernent elles-mêmes. Là, ni l’intérêt, ni l’ambition, ni Ia haine, ni la colère ne sont choses proscrites. Il est même certaines passions, les plus viriles à la vérité, qui y fleurissent comme sur leur sol naturel. D’autres enfin, qui ne sont pas celles des forts, n’y demeurent point pour cela inconnues. La dissipation, le luxe, la licence des mœurs, sans être encouragées par les institutions libérales, peuvent coexister avec elles et se déployer à leur ombre. La liberté ne commande ni le rigorisme, ni l’humilité, ni l’abnégation. Elle laisse un champ ouvert à ces désirs turbulens que ne contente pas une vie calme et modeste. Elle les tolère, et parfois même elle les accepte, elle les emploie, elle les intéresse à sa cause. Elle s’empare de l’énergie des âmes et lui donne un but nouveau. Ce qui gagne avec elle, ce ne sont pas les mœurs, mais quelquefois, il faut bien l’avouer, ce sont les caractères.

Dans nos esquisses de la société politique anglaise, nous n’avons pas caché notre estime et notre sympathie, mais sans jeter un voile sur les passions qui animaient la scène historique. Le XVIIIe siècle particulièrement a été en Angleterre signalé par des mœurs qui rappellent Rome plutôt que Sparte. Les injustices des partis, les excès de l’ambition, du ressentiment, de la cupidité, de la vengeance, une hardiesse qui va jusqu’à l’impudence dans l’âpreté de l’intérêt personnel masqué sous l’intérêt public, voilà ce que nous avons montré ou laissé voir sans restriction ni complaisance au temps de Bolingbroke, de Walpole, de Chatham, et en louant beaucoup, en admirant plus encore, nous n’avons rien ménagé. Il y a faiblesse et danger à parer les choses humaines. On s’expose à fonder les principes sur des illusions, et à jeter tôt ou tard les esprits désabusés dans le découragement et le scepticisme. Ce n’est qu’en montrant les choses telles qu’elles sont qu’on inspire un désir raisonnable et persévérant de les améliorer. C’est dans l’histoire vraie qu’apparaît la possibilité du bien, et l’empire réel qu’il exerce là où il existe. Si malgré des corruptions célèbres, si à travers tant d’abus et de fautes, la liberté s’est maintenue et développée en Angleterre, tandis que le gouvernement gagnait en puissance et la nation en prospérité, ce tableau n’était-il pas la meilleure apologie de la réalité des choses humaines ? Mieux qu’aucune utopie, plus impérieusement que l’arbitraire conception d’une société supposée ou fardée, il enseigne à ne jamais désespérer du vrai ni du juste ; il ne sépare pas le fait du droit ni le but des obstacles. Il prévient un découragement, railleur chez ceux qui voient exclusivement le mal, plaintif chez ceux qui n’ont rêvé que le bien. En tout, la constance dans les convictions et les sentimens n’est permise qu’à ceux qui, acceptant la vérité tout entière, perçoivent l’esprit des choses à travers les choses, comme le soleil derrière le nuage et Dieu derrière le monde.

Les Anglais ne nous accuseront pas de malveillance, si nous leur disons que de la mort de Guillaume III au règne de George III, leur gouvernement, sans avoir été un moment en décadence, et qui s’est relevé de tous ses revers, a cependant offert le spectacle de toutes les misères morales que les passions peuvent mêler aux plus nobles œuvres de l’humaine politique. Tout ce que l’intrigue, l’égoïsme, l’avidité, la jalousie unissent aux travaux du généreux amour de la puissance, de la liberté et de la gloire ; tout ce que, sous des institutions dont la pensée profonde est la vérité et la justice même, le préjugé, la routine, la faiblesse, l’intérêt peuvent conserver et exploiter d’abus pervers ou grossiers peut être signalé dans le drame du développement séculaire du premier des gouvernemens modernes, régénéré par la plus sage des révolutions. Tout ce qu’ailleurs on a noté avec complaisance comme les impossibilités de la liberté, comme les déviations pernicieuses, comme les altérations mortelles du système représentatif, s’est produit chez nos voisins incessamment et d’une manière éclatante. Aucun des maux dont on peut imaginer que soit menacée une constitution n’a été épargné à la constitution britannique. Et pourtant elle se ment. Elle a résisté aux prédictions sinistres, aux doutes savans, aux déclamations dédaigneuses de l’absolutisme et de la démocratie, également superbes, ridicules également. Au rebours de la jument tant citée du Roland de l’Arioste, elle a eu toutes les raisons de mourir, hors une seule, c’est qu’elle est pleine de vie..

Ces réflexions nous ont plus d’une fois frappé en lisant les nouveaux Mémoires que lord John Russell a publiés sur Fox. L’époque où cet homme d’état a paru est de celles où la confusion semblait s’emparer de la scène, où le théâtre même menaçait en apparence de s’écrouler sur les acteurs. Lui qui a passé presque toute sa vie à dénoncer le mal et à signaler le péril, il n’a pas échappé, tant s’en faut, à la contagion des mœurs environnantes, et les fautes de sa vie privée, même de sa vie publique, ont eu grand besoin, pour être rachetées, de l’attrait du caractère le plus loyal et le plus aimable, et de l’éclat d’un esprit rare et d’un incomparable talent. Les événemens auxquels il a pris part, le milieu dans lequel il a respiré, la conduite qu’il a tenue, tout se réunit pour nous apprendre à nous garder des idées exclusives, des illusions de l’engouement, du désespoir qu’engendrent les mécomptes, et à nous suggérer cette impartialité sans indifférence qui admet tous les faits, mais qui les juge et nous permet d’assister, comme un chœur de tragédie, aux combats de la scène en chantant la justice et la vérité.

On sait ce que les Anglais entendent souvent par des mémoires ; ce sont plutôt des mémoires sur que des mémoires de. Ce sont des lettres, des papiers, des notes écrites à la suite d’une conversation, des fragmens d’un journal tenu par un confident ou un témoin. Tout cela est relié et complété par des extraits de récits contemporains ou des éclaircissemens que prend aux sources un éditeur attentif et bienveillant. Cette fois, cet éditeur devait être lord Holland, le neveu de Fox, l’héritier de ses nobles idées et de ses qualités excellentes, celui dont nous avons tous connu et goûté l’affable hospitalité et le charmant entretien ; mais lord Holland, qui voulait écrire une vie de Fox, n’en a jamais trouvé le temps, grâce aux affaires, grâce à l’amour des lettres, à la goutte et à cette paresse qui accompagne presque toujours le goût et le talent de la conversation. Il n’a pu même recueillir toutes les pièces d’une collection telle que celle qui nous est livrée aujourd’hui. Après l’avoir commencée, préparée, il l’a laissé à terminer à M. Allen, son ami, connu par d’excellens articles historiques dans l’ancienne Revue d’Edimbourg. Enfin, par la mort et la dernière volonté de lady Holland, la tâche est échue à lord John Russell, qui, dans l’intervalle de deux ministères, nous a donné les deux volumes que nous avons sous les yeux. D’après ce que nous venons de dire, il n’y faut pas chercher un ouvrage régulier ; nulle composition, point d’ensemble ; il y a des écrits de toutes mains, réunis par des transitions dues à trois éditeurs successifs. Chaque chose néanmoins est soigneusement rapportée à son auteur ; avec un peu d’attention, on sait en lisant à qui l’on a affaire. Nous ne répondrions pas que pour un lecteur tout à fait étranger à l’histoire politique de cette époque, l’ouvrage fût ni bien clair ni fort attrayant ; mais pour peu que l’on soit au courant, ce recueil est rempli de documens précieux, de détails caractéristiques et de ces petites choses peu connues qui font pénétrer dans l’intimité des affaires. On s’y forme une idée plus nette de certaines situations et de certains actes jusqu’ici livrés à la sagacité conjecturale des historiens, et les réflexions sages, fermes, lumineuses de lord John, écrites à la distance des événemens par un homme d’état ami de la cause plus que des personnes, engagé dans leurs principes, non dans leurs actions, par conséquent éclairé, bienveillant et libre, préparent, si même elles ne le dictent d’avance, le jugement de la postérité. À mesure que le temps marche, il est remarquable combien se rapprochent dans l’appréciation d’un même passé les bons esprits venus des points les plus divers de l’horizon. De ces deux volumes de Mémoires, le premier va de 1749 à 1782; c’est à peu près la même période d’années qu’embrassent les derniers volumes publiés de l’Histoire d’Angleterre de lord Mahon. Lord Mahon est né dans ce parti tory reformé sous la main puissante de Pitt, transformé, il est vrai, sous la main non moins puissante de sir Robert Peel; lord John Russell est un whig décidé, du même sang que ce Bedford dévoué par le courroux de Burke aux furies conservatrices, et sur les questions difficiles et délicates de l’époque qu’ils retracent et jugent ensemble, lord John Russell et lord Mahon sont tout près de s’entendre, et chacun de son point de vue arrive presque à voir de même. Chacun, forcé de conclure, prononce à peu près la même sentence.

Le père de Fox, le premier lord Holland de cette famille, était un homme d’état d’un talent incontestable, mais dont le caractère peut être sévèrement jugé. Il était fils de sir Stephen Fox, qui d’une extraction très obscure, qu’Horace Walpole assimile brutalement à la condition d’un domestique du palais, s’était élevé au rang d’un courtisan, et d’un courtisan très riche. C’était sous les Stuarts, et il avait toutes les opinions et toutes les habitudes qui semblaient condamner sa race au plus fidèle jacobitisme. Cependant il y échappa, et les mêmes causes peut-être qui l’auraient dévoué aux Stuarts firent de son second fils Henri un fidèle serviteur de la royauté de Brunswick et de Hanovre. Celui-ci entra dans les affaires sous le patronage de sir Robert Walpole, le défendit habilement et vaillamment à la chambre des communes, et quand il eut perdu son chef, il conserva ce principe invariable d’identifier autant que possible la cour et le gouvernement, et dans les rares occasions où la nécessité et l’ambition l’obligèrent à se séparer du ministère, il mesura toujours son opposition au-dessous du degré où elle eût atteint et blessé la royauté. Après s’être uni au premier Pitt pour renverser le duc de Newcastle, il défendit contre lui le duc de Newcastle, qui l’avait fait secrétaire d’état; mais son talent tout de discussion n’était point suffisant pour faire vivre un cabinet engagé dans une crise européenne. Il sentit lui-même la faiblesse de la position, et il l’abandonna, laissant ainsi le champ libre à son rival, et de ce moment il disparut de la scène politique. Occupé de refaire ou de grossir sa fortune dans l’obscurité d’un emploi lucratif, il ensevelit enfin dans le repos de la chambre des lords les restes d’une-réputation brillante et les ennuis d’une vieillesse prématurée.

Charles-James Fox, son troisième fils, était né à Londres le 24 janvier 1749. Sa mère, lady Georgina-Caroline Fox, était la fille aînée du second duc de Richmond. Il descendait donc en ligne directe de Charles Ier, son arrière-grand-père étant fils naturel du roi Charles II. De très bonne heure son esprit s’alluma, et sa première séduction s’exerça sur son père. « Charles, écrivait celui-ci en 1756, est très éveillé et très bon raisonneur (very argumentative).» L’enfant s’empara peu à peu des volontés qui l’auraient dû maîtriser. A l’école de Wandsworth où il eut pour maître un Français[1], à Eton où le père de sir Philip Francis, de celui qui fut peut-être Junius, lui servit de précepteur, mais surtout dans la maison paternelle, il s’habitua à voir tout plier devant ses caprices, et son père, faisant d’une faiblesse un système, résolut de lui complaire en tout pour le former au commandement. A quatorze ans, il le conduisit à Paris, puis à Spa, où il lui fit faire connaissance avec le jeu, alors comme aujourd’hui la distraction scandaleuse des buveurs d’eaux thermales. On date de là cette passion qui fut comme le fléau de la vie de Fox.

Si son intelligence n’eût été aussi vive et aussi curieuse, si un goût naturel ne l’eût porté vers tout ce qui exerce et orne l’esprit, on sent ce qu’une pareille éducation aurait produit; mais au milieu d’études un peu décousues, l’élève, accoutumé de trop bonne heure à la liberté de ses fantaisies, de trop bonne heure initié aux joies et aux succès du monde, ne laissa pas d’acquérir à l’université des connaissances variées, et qu’il aimait à rendre, autant que possible, exactes et complètes. En tout temps il tint à savoir avec précision. On est surpris de trouver, dans une lettre qu’il écrivait d’Oxford à quinze ans, des nouvelles du monde et de la politique données avec l’aplomb d’un personnage qui passerait sa vie dans les salons de Londres, et de lire sur la même page des phrases comme celles-ci : « Mon frère Stephen aime Paris plus que jamais... Nous n’entendons pas dire qu’il joue, ce que, je pense, vous serez bien aise d’apprendre... J’aime assez Oxford; j’ai lu beaucoup, et je suis épris des mathématiques. Je crois que j’irai à Paris au printemps. » De tels voyages et d’autres distractions interrompaient sa vie académique. Il la termina par une lecture attentive et générale de tout ce qu’avait produit de mauvais ou de bon le théâtre anglais. Ainsi à son goût pour la poésie, développé par l’étude de l’antiquité, il joignit un goût nouveau, celui de la déclamation dramatique. Tout enfant, on lui avait fait jouer avec des compagnons de son âge la tragédie chez son père, et ce devint un des plaisirs de sa jeunesse. Par-là, il acquit de l’assurance à parler en public et un certain art de débit oratoire. Au collège, on l’avait de bonne heure choisi pour figurer dans les exercices auxquels assistaient des étrangers, et avant d’en avoir donné de véritables preuves, il s’était fait une réputation de future éloquence. Son père charmé n’en doutait pas, et se consolait par ces espérances des chagrins politiques de ses vieux jours. Lady Caroline, sa mère, aux mêmes espérances mêlait plus d’inquiétudes. Elle disait un jour à lord Holland : « J’ai vu ce matin lady Chatham, et il y a là un petit William Pitt qui n’a pas huit ans, et qui est réellement l’enfant le plus distingué que j’aie jamais vu, élevé si régulièrement et si correct dans sa conduite que, remarquez bien mes paroles, ce petit garçon sera une épine dans le côté de Charles pendant toute sa vie. »

A cette époque. Fox, de dix ans plus âgé que ce rival à venir, quittait l’université et visitait Paris pour la troisième fois, puis le reste de la France et de l’Italie, et en revenant en Angleterre il faisait à Ferney la visite obligée que tout homme d’esprit ou voulant en avoir devait au génie du siècle. Voltaire lui dit qu’il venait pour l’enterrer, se promena avec lui dans son jardin, lui offrit du chocolat et le congédia. « Voilà des livres dont il faut se munir, » avait-il jouté en lui montrant quelques-uns de ses écrits les moins orthodoxes. Fox parcourait encore le continent, lorsqu’en 1768 il fut élu le bourg de Midhurst, quoiqu’il n’eût pas les vingt et un ans exigés pour siéger en parlement. Ce ne fut pourtant pas ce motif qui l’empêcha d’y entrer sur-le-champ, mais un nouveau voyage. Il partit pour la Hollande et retourna à Florence et à Rome. Cependant il fallut bien revenir à Westminster. Il rapportait de ses courses l’habitude du monde, la connaissance familière du français et de l’italien, le goût de la dissipation, la passion de la comédie et l’amour du jeu. « J’ai besoin, écrivait-il à son ami Robert Macartney, d’un exemple tel que le vôtre pour me faire vaincre ma paresse, dont lady Holland vous dira des prodiges. Vraiment, je crains qu’elle ne finisse par l’emporter sur le peu d’ambition que j’ai, et de n’être jamais rien qu’un garçon fainéant. » Heureusement il avait pour combattre sa paresse plus d’ambition qu’il ne croyait, un esprit plein de feu, une âme hardie et le désir de bien faire tout ce qu’il entreprenait. Il n’essayait pas, ou il ne s’arrêtait que dans la perfection.

Mais plus d’une épreuve lui restait à traverser avant de trouver sa voie. On a vu qu’il avait été élevé dans une sorte de torisme de cour. Son père, mécontent des autres et de lui-même, était sorti de la carrière avec beaucoup d’ennemis et une durable impopularité. Affilié par ses alliances à la plus haute aristocratie, beau-frère du duc de Richmond, frère de lord Ilchester, il n’avait plus qu’une ambition que même alors on trouvait singulière, celle d’un titre de comte. En se plaignant des ministres, il les ménageait et soignait la cour qu’il accusait de l’oublier. Son fils avait accepté sans trop d’examen ses opinions et ses calculs. On a conservé du temps où il était encore écolier de détestables vers français de sa façon, où il oppose la vertu méconnue de lord Bute à l’injuste popularité de Chatham, et la paix de 1763 à la gloire funeste de la guerre de sept ans[2]. La première fois qu’on l’avait conduit au parlement, c’était pour y entendre la chambre déclarer infâme et séditieux le fameux numéro 45 du journal de Wilkes, et il s’était passionnément associé aux colères de la majorité (novembre 1763). Lorsqu’il dut y entrer pour son compte, il y trouva le cabinet du duc de Grafton aux prises avec les suites interminables de cette malencontreuse affaire, et comme personne n’éleva contre lui l’objection d’âge, il put se jeter aussitôt, avec la fougue de la jeunesse et de sa nature, dans les rangs de l’armée ministérielle et dans la mêlée du combat. La seconde fois qu’il parla ce fut pour appuyer, après son frère Stephen, l’expulsion de Wilkes. Son talent éclata dès son premier discours ; mais sa manière franche et assurée surprit un peu (avril 1769). « Charles Fox, dit Horace Walpole, avec une supériorité infinie de talent, n’a pas été inférieur à son frère en insolence. » La majorité appela cette insolence fermeté, et il fut placé au premier rang des espérances de la patrie ; aussi à la prochaine session passa-t-il des troupes volontaires dans les troupes soldées, et peu de jours après avoir provoqué, en attaquant Wilkes de nouveau, les murmures approbateurs de la chambre, il fut nommé un des lords de l’amirauté dans le ministère de lord North, qui avait succédé au duc de Grafton (24 février 1770).

L’usage n’imposait pas alors une solidarité absolue ni un accord systématique à tous les membres d’une même administration ; chaque ministre tendait à s’isoler dans son département. Le roi poussait à cela, et North le tolérait. Fox profita de cette sorte d’indépendance pour faire de son chef diverses motions que le gouvernement n’eût pas autorisées ; mais sur les questions où la politique du cabinet était en jeu, il ne se distingua des ministres que par son ardeur ; son zèle fit honte à leur quiétude. Mécontent de n’être pas compté par eux suivant sa valeur et prévoyant des questions où sa dissidence éclaterait, il se démit de ses fonctions, sans toutefois se jeter dans l’opposition ni se rallier aux idées de liberté; son heure n’était pas venue.

À cette époque, et même quand il faisait partie de l’administration, la dissipation et le désordre disputaient sa jeunesse à la politique. Il avait entrepris d’obtenir l’abrogation d’une loi sur le mariage, fort attaquée par son père sous le règne de George II.


« Lorsqu’il en demanda le rappel, dit Horace Walpole, il ne l’avait pas lue, et il passa plusieurs jours sans la lire davantage. Quelques soirées auparavant, il était allé à Brompton[3] pour deux choses : d’abord pour consulter le juge Fielding sur un point de droit pénal, puis pour emprunter 10,000 livres sterling qu’il rapporta à Londres au risque d’être dévalisé. Comme le jeu et l’extravagance des jeunes gens de qualité étaient arrivés à un degré inoui, il vaut la peine d’en donner la mesure. Ils avaient un club à Almack’s, dans Pallmall, où ils ne jouaient que des rouleaux de 50 livres sterling, et généralement il y avait sur la table 10,000 livres en espèces; lord Holland en a payé plus de vingt mille pour ses deux fils. Les manières des joueurs ou même leurs costumes méritent qu’on les fasse connaître. Ils commencent par mettre bas leurs habits brodés ou par les retourner. Ils attachent à leurs poignets des gardes en peau pour préserver leurs manchettes, et pour protéger leurs yeux contre la lumière et ne pas déranger leur coiffure, ils mettent de grands chapeaux de paille de forme haute, à larges bords, ornés de fleurs et de rubans. Enfin ils portent des masques pour cacher leurs émotions, quand ils jouent au quinze. Chacun a une petite table à côté de lui pour placer son thé, et une jatte de bois à bordure d’or moulu où il met ses rouleaux. Ce sont des juifs qui fournissent, à des prix usuraires, les voies et moyens de cette ruineuse guerre. Fox en avait souvent une troupe qui attendait son lever dans une pièce qu’il appelait sa chambre de Jérusalem. »


Ses pertes étaient si grandes, que des contemporains n’ont pas douté qu’il n’existât dans les nobles tripots une bande secrète qui exploitait le loyal aveuglement de cette jeunesse, et il fallut que pour libérer son fils, en 1774, lord Holland fît à son patrimoine une entaille de 140,000 livres sterling (3,500,000 francs).

Dans sa nouvelle situation, Fox conserva les plus grands égards pour lord North, et ne déplut qu’au roi en combattant un nouveau bill sur le mariage des princes. George III lui en garda rancune, et cependant un nouvel arrangement ministériel eut lieu à la fin de 1772, uniquement pour faire à Fox une place à la trésorerie. Il s’y distingua par un talent qui chaque jour jetait plus d’éclat, mais qui ne connaissait ni tempérament, ni mesure; il semblait défier l’impopularité. La presse opposante n’avait pas de plus rude ennemi. Il voulut, quand l’imprimeur Woodfall fut traduit devant la chambre pour l’affaire de Horne Tooke, se montrer plus sévère que lord North, que les courtisans eux-mêmes, et contraignit le ministère à le suivre. Un des plus curieux documens insérés dans les nouveaux Mémoires, c’est la suite des lettres confidentielles du roi à lord North; on y voit que le zèle impérieux de Fox indisposa jusqu’à ce prince. « Je suis irrité, écrivait-il, de la présomption qu’a eue Charles Fox de vous forcer à voter hier soir avec lui; mais je vous approuve d’avoir fait voter vos amis avec la majorité. Vraiment, ce jeune homme a si complètement rejeté tout principe d’honneur et de modestie commune, qu’il doit devenir aussi méprisable qu’il est odieux. J’espère que vous lui ferez connaître que vous n’êtes pas insensible à sa conduite envers vous. » Le bruit se répandit en effet que Fox allait être destitué. «On n’en fera rien, disait-il; mais que lord North s’y décide, et je lui écrirai pour l’en féliciter, et lui dire que s’il avait eu toujours la même énergie, je n’aurais pas été obligé hier de me distinguer de lui. » Il tint à peu près le même langage à la chambre quelques jours après, et tança si fortement l’indécision et la faiblesse du chef du cabinet, que celui-ci le remercia de ses services, et le roi écrivit à son ministre : « Je n’attribue pas la conduite de Fox à sa conscience, mais à son aversion pour toute contrainte » (24 février 1773).

Mais le moment approchait où Saul devait être illuminé du feu céleste sur la route de Jérusalem à Damas. L’esprit de famille, l’éducation, l’entourage, l’irréflexion, les distractions du monde, l’empire d’une situation prise et l’emportement de la lutte avaient trop longtemps retenu le jeune et grand orateur dans les liens d’une politique indigne de la générosité de son âme et de l’élévation de son esprit. C’est une chose triste, mais trop prouvée, que l’influence souvent irrésistible de nos circonstances personnelles sur la direction de nos idées et de nos sentimens. On s’est plaint souvent des hasards de la naissance. Il est étrange qu’ils dominent jusqu’à notre raison et disposent pour nous de la vérité. Elle est rare, l’indépendance d’un esprit qui brise ces chaînes, et qui, sans y être poussé par les événemens, opère de lui-même sa propre conversion. C’est trop souvent notre destinée qui seule nous maintient ou nous ramène dans la voie du juste et du vrai. Tout le monde n’entend pas la voix intérieure du génie qui parlait à Socrate.

A l’instant où Fox voyait se rompre ses liens avec la cour et le pouvoir, l’Angleterre était dans une situation souvent décrite et qui ne pouvait manquer de frapper des yeux enfin dessillés. Depuis la paix de 1763, le torisme de cour, très-distinct de ce torisme de gouvernement qui n’est que l’esprit de conservation politique, avait pris une certaine influence dans la direction des affaires. L’opinion publique s’obstinait à personnifier cette influence dans lord Bute, qui en avait été quelques jours l’instrument, mais qui depuis sa retraite n’était rien en passant pour être tout. C’était faire injustice à George III que de lui croire un favori nécessaire pour le pousser dans les voies d’un absolutisme relatif. Il avait par lui-même toute la vanité, toute la petitesse et tout l’entêtement qu’il fallait pour cela. Bien différent de ses deux prédécesseurs, qui ont si utilement servi l’Angleterre par leur sagesse et leur médiocrité, malheureusement secondé par les divisions insensées de cette phalange de l’ancien parti whig, qui, trop sûre de posséder le gouvernement, se passait toutes les fantaisies de l’orgueil individuel et toutes les intrigues de l’ambition désœuvrée, le roi ne cessa jamais d’attacher ce qu’il appelait son honneur à faire dominer ses idées propres sur celles des partis, à dégrader les hommes politiques en subordonnant leurs opinions à leurs intérêts, et en ne leur faisant espérer le pouvoir qu’au prix de la complaisance. Jamais sans doute il ne réussit complètement, et toujours l’énergie des nobles institutions du pays résista plus ou moins à ses efforts. Cependant l’histoire parlementaire des vingt-cinq premières années de son règne est remplie d’incidens qui ne s’expliquent ni ne se justifient par les conditions ordinaires du système représentatif et qui accusent l’influence corruptrice de la royauté personnelle. Ce parti des amis du roi, dont Burke a signalé avec tant de sagacité et de verve la formation et les desseins, tendait à s’élever sur les ruines de ces grands partis qui représentaient de vraies pensées politiques, et à qui appartenait la révolution de 1688, puisqu’elle était leur ouvrage et leur cause. Qui sait à quel point la constitution aurait pu enfin être dénaturée par cette détestable influence, si deux événemens n’étaient survenus vers la fin du siècle, qui ont servi à maintenir dans leur intégrité les principes du gouvernement constitutionnel ? L’un est la démence du prince, l’autre est la révolution française. La première mit à néant tout empire et toute prétention de la personnalité royale. Avant même que cet effet fût produit, la seconde ralliant des partis ou des fractions de partis effrayés en une forte association de défense et de guerre, dont la royauté n’était plus qu’un élément, substitua au torisme de cour un torisme conservateur, qui put avoir ses excès et ses violences, mais qui fut le drapeau d’un vrai parti politique, existant par lui-même, en vertu de ses convictions et de ses passions, digne de gouverner, s’il était sage, capable de gouverner, s’il était fort.

Mais c’étaient là autant de choses cachées dans le secret de l’avenir à l’époque où Fox commença à regarder d’un œil plus libre la situation de son pays. Une autre question s’était peu à peu emparée des esprits, la question américaine. Elle était posée depuis neuf ans; mais c’est en 1774, on peut le dire, que la rupture entre la métropole et ses colonies devint par le fait irréparable. C’est dans cette année même que Franklin comparut devant le conseil privé pour y voir attaquer sa personne avec une violence imprudente par le solliciteur général, et déclarer fausse et scandaleuse la pétition qu’il avait été chargé de présenter au nom de l’assemblée du Massachusetts. Le parlement, après avoir établi, puis aboli le droit de timbre aux colonies, l’avait remplacé par d’autres taxes, dont il maintenait une seule, celle sur le thé, comme pour conserver à dessein une cause de discorde. Boston répondait par la résistance ouverte, et pour punir la ville, on fermait son port, tandis qu’on révisait, pour l’altérer, la charte coloniale. C’était un prélude de guerre : le roi s’indignait que son autorité fût méconnue au-delà des mers. Par un point d’honneur qu’approuva longtemps la nation anglaise, il était résolu à ne souffrir jamais que les établissemens transatlantiques fussent soustraits à la puissance métropolitaine, encore moins détachés de l’empire britannique. Lord North partageait alors, quoique avec plus de lumières et de modération, les idées de son maître. Fils du comte de Guilford, dont la famille était toute imbue des principes des anciens tories, il en avait conservé l’héritage, et se vantait de n’avoir jamais voté en parlement pour une mesure populaire. C’était un homme qui ne manquait ni de jugement, ni de sang-froid, ni de persévérance : il savait les affaires et en parlait avec esprit; mais les grandes vues, la haute prévoyance, l’indépendance du caractère et de la conduite faisaient tristement défaut. Jusque-là, toutes les mesures irritantes prises contre l’Amérique l’avaient eu pour auteur ou pour défenseur. Il ne songeait pas encore à se départir d’un système de résistance à outrance, et quoique bien près d’apercevoir les dangers de la voie où il marchait, il était destiné à la suivre jusqu’au bout sans conviction ni colère, mais par respect pour ses propres antécédens, par crainte de paraître faible, et surtout par cette complaisance envers le prince que tant de gens prennent pour du dévouement.

Les élections de 1774 n’avaient fait que fortifier la majorité ministérielle; mais Fox entrait dans le nouveau parlement avec une liberté entière quant à la question d’Amérique. Par un hasard heureux, il ne s’était jamais sur ce point solennellement expliqué. La même année, il perdit son père, qui mourut sans avoir jamais réussi à obtenir la couronne de comte ni à réparer les brèches de sa fortune. Son fils aîné Stephen le suivit de près, laissant la pairie à un enfant en bas-âge qui fut l’excellent lord Holland. Lady Caroline n’avait survécu que d’un mois à son mari. Tous ces malheurs domestiques rompaient les liens que Fox portait sans s’en douter, et désormais ne pouvant compter que sur ses propres forces, n’ayant plus à ménager certains intérêts par ses opinions, à régler sa conduite sur aucun exemple, il devint peu à peu lui-même, et le seul Fox enfin que connaisse aujourd’hui la postérité.

Dès le commencement de la session de 1775, il proposa un amendement à l’adresse, et le développa dans un discours de longue haleine. Il avait jusque-là montré le talent plutôt de débattre des incidens que d’exposer tout un ensemble de vues politiques. Il fit, au dire des contemporains, une plus grande figure ce jour-là qu’il n’avait encore fait, et le rejet de son amendement fut considéré par les esprits prévoyans comme le vote de la guerre civile. Rien ne serait rebutant comme de le suivre dans les phases innombrables de la discussion des affaires d’Amérique. Elle dura huit ans encore, et de bons juges ont pensé que c’était la plus belle époque de son talent. C’est du moins celle où ce talent fut le moins contesté, et où la politique qui l’inspira rencontrerait aujourd’hui le moins de censeurs. Cette admirable question de la liberté américaine avait un effet doublement heureux. D’abord elle le plaçait, dès qu’il eut pris parti, dans une indépendance absolue envers la cour; puis en provoquant, en ramenant sans cesse le débat sur ces principes tutélaires de la dignité des nations, la taxation consentie, la résistance à l’oppression, les prérogatives historiques de la race anglo-saxonne, les droits philosophiques de l’humanité, elle conduisait peu à peu, elle enchaînait leur éloquent défenseur à cette sainte cause de la liberté dont son nom est à jamais inséparable. « Il faut, écrivait-il à lord Rockingham, exprimer ouvertement et noblement les craintes trop fondées que tout homme doit concevoir du pouvoir de la couronne, dans le cas où sa majesté serait en état de réduire par la force des armes le continent américain. Sur toutes choses, mon cher lord, j’espère que ce sera un point d’honneur parmi nous que de soutenir les prétentions de l’Amérique dans l’adversité comme nous l’avons fait dans sa prospérité, et que nous ne déserterons jamais des hommes qui se sont conduits par les principes whigs sans réussir, tant que nous continuerons de professer notre admiration pour ceux qui ont réussi par les mêmes principes en 1688. »

L’opposition se composait alors des whigs purs dont le marquis de Rockingham était le chef avec le duc de Richmond, et que guidait Burke à la chambre des communes avec plus d’éclat que de Sagesse; de lord Chatham et de quelques amis que sa mort isola bientôt, et dont lord Shelburne était le plus habile et lord Camden le plus respecté; enfin de quelques membres détachés, exempts par leur âge d’une solidarité absolue avec aucune fraction des anciens partis, et dont Fox était le modèle et le héros. C’est dans ce temps qu’il se lia de plus en plus avec Burke, qui admirait son talent et croyait conduire son esprit. Il l’avait connu dès sa plus tendre jeunesse. Malgré des dissentimens antérieurs, un attrait puissant unissait ces intelligences d’élite. Burke était le nœud entre Rockingham et Fox, et s’efforçait de les diriger l’un et l’autre. Burke, égal à tout, impropre à tout[4], n’était pas le plus sûr des guides; mais aucun n’était plus propre à exciter, à féconder pour ainsi dire un esprit plein de verve et de ressources, et à donner au talent, sinon sa direction la plus utile, du moins son essor le plus élevé. Jamais Fox n’oublia ce qu’il avait dû à cette noble amitié, réservée à de si tragiques retours. Alors il en jouissait avec orgueil, et ne prévoyait pas qu’étroitement unis pour la cause d’un peuple insurgé, une cause à quelques égards analogue les séparerait un jour en poussant chacun d’eux sous un drapeau contraire à celui qu’ils avaient séparément suivi dans leurs premières divisions.

Pendant tout le temps que l’événement de la guerre d’Amérique demeura incertain, on voit chacun persister dans la conduite que lui dictait son caractère.

Le roi, obstiné, immobile, sourd aux conseils même de l’expérience et du malheur, n’a jamais qu’une politique, soumettre les rebelles et tenir pour ennemis quiconque par le de leur promettre l’indépendance. Fidèle à ses ministres, ne leur demandant que de ne pas l’abandonner, il ne se refuse pas à des négociations avec l’opposition, pourvu que l’opposition prenne ses idées et s’identifie avec le cabinet. Il hait tout ce qui résiste et tout ce qui brille, mais Chatham moins que Rockingham, Rockingham moins que Fox. Ses lettres sont l’expression la plus naïve et la plus forte des préjugés de sa condition et des travers de sa nature. Il ne peut concevoir le faible de lord North pour l’opposition. Plutôt que d’accepter les services de ce perfide (lord Chatham), plutôt que d’être mis aux fers par ces hommes désespérés, il aime mieux perdre sa couronne et « voir introduire dans cette île une forme quelconque de gouvernement. Comment son ministre peut-il se plaindre de manquer d’autorité ? Cette parole le choque, ne l’a-t-il pas constamment soutenu ? Il n’entend admettre à son service que ceux qui déclareront explicitement la volonté de poursuivre la guerre dans toutes les parties du monde. Il faut qu’ils signent l’engagement de conserver l’intégrité de l’empire. «Si j’avais, dit-il, le pouvoir de l’éloquence ou la plume d’un Addison, je ne pourrais vous dire que ceci : c’est que si vous êtes courageusement résolu à rester, je saurai maintenir la constitution dans son ancien lustre. » L’opposition s’est tant égarée, que ceux de ses membres qui entreront en place doivent donner l’assurance qu’ils n’entendent pas s’embarrasser de tout ce qu’ils ont soutenu. Pour M. Fox, un office lucratif, mais hors du ministère; comme il n’a jamais eu aucun principe, son intérêt le guidera. Enfin quand lord North demandait trop instamment son congé (et il finit par le prendre), George III ne parlait que de s’en retourner en Hanovre, et même il paraît certain qu’il fit ses préparatifs de retraite ; entre autres, il ordonna de changer ses livrées[5].

Lord North, en faisant tête à l’orage avec un calme qui ressemblait à une conviction inébranlable, était bourrelé d’inquiétudes et de doutes. De bonne heure, il s’était défié de cette politique de compression, dont il consentait à rester le principal instrument. De là cette mollesse que le gouvernement portait dans un système de vigueur. Clairvoyant et modéré, North voulait s’arrêter, il avertissait le roi, il retenait son parti; il parlait de modifier le cabinet, de prendre sa retraite. En 1778, il en annonça la résolution, disant que depuis trois ans il désapprouvait les mesures du gouvernement. C’était un étrange aveu. Le roi s’écriait qu’on voulait l’abandonner, qu’il résisterait seul, qu’il partirait. Lord North restait par déférence, par faiblesse, par une fausse prudence. Pour ne pas trahir ses collègues et ses amis, il trahissait l’intérêt public. Essayait-il de modérer les actes et le langage, lord George Germaine était là. Il avait le département des colonies. Sa main était rude, sa parole hautaine, homme prédestiné à traîner partout le malheur, avec lui. Dans la chambre, son attitude toujours offensive provoquait les fureurs éloquentes de Fox et de Burke. Vingt fois l’accusation fut suspendue sur sa tête, et il faillit voir terminer par un procès sa carrière publique, comme un procès terrible avait mis fin à sa carrière militaire. Il fallait que lord North vînt à son secours, que pour calmer l’irritation produite il en prît quelque chose à son compte et se montrât plus vif que ses propres intentions. Ainsi il se compromettait chaque jour davantage, en se refroidissant davantage chaque jour sur les opinions et les mesures qui le conduisaient à sa perte. C’était une conduite inexcusable et cependant digne de pitié. Un autre aurait fui de désespoir; mais il était d’une humeur sereine, et sa gaieté naturelle l’aidait à soutenir avec philosophie une situation insupportable.

Sans cesse avertie par la tribune, sans cesse découragée ou éclairée par des revers, l’opinion publique, d’abord si vive contre les Américains, allait se détachant de la politique ministérielle. Les intérêts commerciaux en souffrance désarmaient le patriotisme et tempéraient l’orgueil de la nation. Le parlement, piqué au jeu, enchaîné par ses votes, suivit bientôt le roi par faiblesse ou les ministres par intérêt; mais il sentit par degré baisser son énergie et faiblir sa conviction. On voit par une lettre de Fox que dès 1777 il regardait comme évident que l’opinion de la chambre était maintenant de son côté, et il ne pouvait s’empêcher d’espérer que l’opinion finirait par influer sur le vote. Ce qui, dans une affaire où la persistance sans la conviction se conçoit malaisément, contribuait à perpétuer l’entraînement de la majorité, c’est qu’une publicité incomplète et un système vicieux d’élection allégeaient pour les membres des communes le fardeau de la responsabilité. On laissait celle-ci peser tout entière sur les ministres, et plus la question était grave et difficile, plus on hésitait à la résoudre autrement que le gouvernement, alors que la voix publique ne se faisait pas clairement entendre.

L’opposition, amenée par les faits à épouser chaque jour plus résolument la cause de l’indépendance américaine, était cependant agitée par la crainte de paraître indifférente au péril ou à l’honneur du pays, et, sans cesse sollicitée à des négociations secrètes, elle se divisait comme toujours en esprits qui se refusent à tout, en esprits qui se prêtent à tout. Elle avait plus d’un but : le premier était de limiter l’influence royale, et pour cela diverses réformes devaient supprimer quelques abus nuisibles à l’indépendance ou à la pureté du parlement. Quant aux affaires d’Amérique, elles étaient embarrassantes. Devait-elle, s’il lui était donné satisfaction sur d’autres griefs, si les portes du pouvoir s’entr’ouvraient pour elle, tout sacrifier à une question épineuse sur laquelle le roi semblait intraitable ? Il y aurait une chronique parlementaire très intéressante à écrire sur les essais de transaction sans cesse abandonnés et repris. Chacun des hommes du temps y paraîtrait avec son caractère et le tour de son humeur et de son esprit. Parmi eux, Fox, toujours franc, décidé, véhément dans la chambre, n’était pas dans la diplomatie extra-parlementaire le plus inabordable. Il avait une grande et juste idée de la difficulté des affaires et du danger de la situation, nulle haine contre les personnes, et une bienveillance générale qui comptait sur la réciprocité. Longtemps libre de tout engagement, il prêtait l’oreille aux propositions de rapprochement; mais bientôt, comme du côté du roi on ne voulait qu’avoir les hommes sans les mesures, il négociait avec une franchise qui mettait en lumière l’impossibilité de s’entendre, et tout était rompu presque aussitôt que commencé. Par momens, il renonçait à tout désir de pouvoir. Il écrivait à son ami le colonel Fitzpatrick, qui servait en Amérique[6] (3 février 1778) : « pour ce qui me regarde, je puis dire seulement qu’on me flatte que je continue à gagner plutôt qu’à perdre comme orateur, et je suis si convaincu que c’est tout ce que je gagnerai jamais (si je n’aime mieux devenir le plus vil des hommes), que je ne pense jamais à un autre objet d’ambition. Ambitieux, je le suis certainement par nature; mais j’ai réellement ou je crois avoir tout à fait dominé cette passion. J’ai encore autant de vanité que jamais, passion plus heureuse de beaucoup; car je crois pouvoir acquérir une grande réputation et la garder, et je ne pourrai jamais acquérir une grande situation, ou, si je l’acquiers, la garder, sans faire des sacrifices que je ne ferai jamais. » Il parlait ainsi lorsqu’il croyait le roi invincible et la complaisance des chambres inépuisable. Plus souvent, à la pensée du danger public, excité par ses craintes mêmes pour son pays, il mettait son honneur à le sauver et pressait Rockingham et Richmond de ne pas se refuser aux occasions de ramener le parti whig au gouvernement. Il ne fallait qu’un pied dans le pouvoir pour arrêter l’état sur le penchant de sa ruine; il suffisait pour maîtriser le roi de pénétrer dans son conseil. Cependant, à mesure que le temps avançait, il prenait de nouveaux engagemens avec la popularité, et renonçait de plus en plus à cette excessive indépendance qui tente et isole quelquefois les hommes supérieurs, et à laquelle Chatham avait tant sacrifié. L’arrière-neveu de Charles Ier, devenait le représentant du parti parlementaire contre le parti royal.

Mais tandis qu’il se disciplinait dans sa vie publique, il continuait de desservir sa cause et son avenir par sa façon de vivre; il aliénait sa liberté à ses passions. Dans un voyage qu’il avait fait à Paris en 1776, il s’était livré si follement à ses goûts, que cette vie déréglée, jointe à la franche hardiesse de sa conversation, effarouchait les esprits les moins sévères. Mme du Deffand, qui, en détestant l’ennui et l’uniformité, prenait l’originalité et la force en mauvaise part, écrivait à Walpole en parlant de Fox :


« Il a beaucoup d’esprit, j’en conviens; mais c’est un genre d’esprit dénué de toute espèce de bon sens... Il n’a pas un mauvais cœur, mais il n’a nulle espèce de principes, et il regarde avec pitié tous ceux qui en ont. Je ne comprends pas quels sont ses projets pour l’avenir; il ne s’embarrasse pas du lendemain. La plus extrême pauvreté, l’impossibilité de payer ses dettes, tout cela ne lui fait rien. Le Fitzpatrick paraîtrait plus raisonnable, mais le Fox assure qu’il est encore plus indifférent que lui sur ces deux articles; cette étrange sécurité les élève, à ce qu’ils croient, au-dessus de tous les hommes. Ces deux personnages doivent être bien dangereux pour toute la jeunesse. Ils ont beaucoup joué ici, surtout le Fitzpatrick. Il a perdu beaucoup... Il me semble qu’il (Fox) est toujours dans une sorte d’ivresse. Il joint à beaucoup d’esprit de la bonté, de la vérité; mais cela n’empêche pas qu’il ne soit détestable. Je lui aurai paru une plate moraliste, et lui il m’a paru un sublime extravagant. »


Malheureusement pour lui, plus d’un trait de cette sévère peinture portait juste.


« M. Fox est la première figure en tout lieu, dit Horace Walpole dans une de ses lettres, le héros du parlement, de la table de jeu, de Newmarket. La semaine dernière, il a passé vingt-quatre heures sans interruption dans ces trois endroits ou sur la route de l’un à l’autre. »


C’est après de telles citations qu’il est bien nécessaire de rapporter ce que disait de lui un de ses adversaires politiques les plus décidés et les plus éclairés, Gibbon : « Jamais peut-être aucun être humain ne fut plus parfaitement pur de toute tache de malveillance, de vanité ou de fausseté. » C’est alors qu’il importe de rappeler que dans un temps où les plus nombreux, les plus éclatans exemples semblaient autoriser les hommes politiques à songer à leur fortune, il n’y pensa jamais, et s’abstint constamment de ces précautions tolérées contre la pauvreté, qu’à l’aide de sinécures ou de pensions on pouvait prendre sans compromettre sa renommée. Ce joueur forcené était le plus désintéressé des hommes.

C’est qu’il n’était plus le même quand la politique l’élevait à lui heureux s’il eût compris que la réputation privée est une force et un devoir de la politique. Cependant tout se réunissait pour l’avertir, En devenant homme populaire, il aurait dû songer aux défiances du peuple. Aux élections générales de 1780, il fut candidat pour Westminster, et reçut de ses nouveaux commettans comme une empreinte démocratique. En même temps pénétraient dans la chambre des communes des hommes nouveaux dont la présence pouvait lui créer de nouveaux soins, Fitzpatrick et Townshend, dont l’amitié n’était qu’un appui, Sheridan, dont la sagesse ne pouvait faire ombrage à la sienne, mais aussi ce jeune Pitt, objet à vingt et un ans de tant de mystérieuses espérances. A peine eut-il paru dans la chambre, qu’il débuta dans l’opposition avec beaucoup d’effet (26 février 1781). Lord North dit en l’écoutant que c’était le meilleur premier discours qu’il eût entendu. Calme et passionné, ambitieux et sévère, le fils du grand Chatham parut dès le premier jour le rival prédestiné de Fox. Celui-ci, incapable de crainte et de jalousie, le félicitait de son début, lorsqu’un vieux membre, le général Grant, lui dit : «Eh! monsieur Fox, vous louez le jeune Pitt pour son discours, et vous faites bien, car, excepté vous, il n’y a pas dans la chambre un homme qui pût en faire un pareil, et tout vieux que je suis, je m’attends à vous voir tous deux combattre entre ces quatre murs, comme j’ai vu faire vos pères avant vous. » Le compliment assez maussade embarrassait un peu celui à qui on l’adressait, lorsque Pitt, avec beaucoup d’à-propos : « Je ne fais aucun doute, général, dit-il, que vous n’aimassiez à vivre aussi longtemps que Mathusalem. »

Cependant l’heure fatale du ministère allait sonner. A la nouvelle de la prise de Yorktown, lord George Germaine offrit sa démission, que le roi n’accepta qu’en lui donnant la pairie en échange; mais les motions hostiles se succédèrent, les minorités grandirent, et quand le général Conway proposa une adresse pour demander la paix avec l’Amérique, il succomba devant une majorité d’une seule voix. Il se réduisit alors à une déclaration portant qu’il était désormais impossible de réduire les colonies par la force, et 234 membres contre 215 votèrent avec lui. Dans la séance du 20 mars 1782, lord North annonça la démission des ministres. La chambre s’ajourna immédiatement. C’était un jour de vent et de neige; le temps était affreux, et les honorables membres restèrent longtemps à se mor- fondre dans les salles d’attente avant de pouvoir sortir. Lord North seul avait son carrosse, et en y montant avec quelques amis : « Bonsoir, messieurs, leur dit-il; vous voyez l’avantage d’être dans le secret. »

Le roi ne partit point pour le Hanovre, mais il ne voulut traiter d’un nouveau cabinet qu’avec lord Shelburne, quoiqu’il consentît à donner le titre de premier au marquis de Rockingham, chef de la portion la plus nombreuse et la mieux liée de l’opposition. Lord Shelburne, qui pouvait n’avoir point cherché cette distinction, la dut sans doute aux petits calculs de la vanité royale; mais elle le plaça dès le début dans une situation particulière, et lui attira la défiance du public et du parlement, sans l’empêcher de devenir le collègue de Fox comme secrétaire d’état. Le duc de Richmond fut grand-maître de l’artillerie, lord John Cavendish chancelier de l’échiquier, lord Camden président du conseil. Burke, nommé payeur général, n’entra pas dans le cabinet, et, chose étrange, il n’y semblait pas prétendre. Mais les yeux cherchaient dans la nouvelle administration le jeune Pitt, dont la place y semblait marquée. Lui-même, il s’était donné l’exclusion en disant d’avance en plein parlement que, quels que fussent les nouveaux arrangemens, il n’y participerait pas, résolu qu’il était à n’accepter jamais une position subordonnée : confession naïve et menaçante d’une hautaine ambition.

Il tint parole, et demeura dans une neutralité indépendante, ne combattant pas le nouveau cabinet, mais ne l’aidant pas davantage, dédaignant les questions qui n’intéressaient que l’existence ou l’amour-propre des ministres, et poursuivant ses propositions de réforme parlementaire que ceux-ci ne pouvaient accepter. C’était une question restée ouverte, mais que la majorité se souciait peu d’aborder. Fox votait pour les propositions réformatrices de Pitt, en s’inquiétant de son attitude. Il avait de lui une haute opinion ; mais il craignait que le désir d’être le premier ne l’aveuglât au point de se laisser persuader de rétablir l’ancien système de gouvernement. Il soupçonnait lord Shelburne de tendre à ce but, et d’éloigner Pitt du système actuel en lui faisant craindre de n’y figurer jamais qu’en seconde ligne. Une désunion intime faisait la grande faiblesse du ministère. Lord Rockingham manquait d’autorité dans sa personne; Richmond, Shelburne, Camden s’effaçaient dans la chambre des lords; Fox était tout dans celle des communes, mais il marchait seul et se concertait peu. C’était cependant un excellent ministre. Il se montrait attentif, exact, laborieux. Les affaires faisaient trêve à de vains plaisirs ; le pouvoir régularisait sa vie. Il était de ces hommes pour qui les devoirs positifs ont besoin de l’attrait d’un grand but. L’empire sur lui-même ne lui venait que lorsqu’un peu de gloire recommandait la vertu.


« M. Fox, dit Horace Walpole, brille déjà avec autant de grandeur dans le pouvoir qu’il a fait dans l’opposition, quoique la tâche soit infiniment plus difficile. Il est maintenant aussi infatigable qu’il était paresseux. Il a une parfaite égalité de caractère (a perfect temper); non-seulement il est de bonne humeur, mais de bonne nature, et c’est la principale qualité d’un premier ministre dans un pays libre. Il a plus de sens commun que personne avec des talens surprenans, que ni l’ostentation ni l’affectation ne déparent. Lord North avait l’esprit et la bonne humeur, mais ni le bon caractère, ni le sentiment, ni l’activité, ni les manières d’un homme bien élevé. Lord Chatham était un éblouissant météore ; il a fait au loin la guerre avec succès, mais il est tombé à rien dans la paix. Peut-être suis-je partial pour Charles Fox, parce qu’il ressemble à mon père pour le bon sens. »


Le ministère entreprit quelques réformes; mais c’était là sa tâche la plus aisée : sa grande affaire était la paix.


« Pour nous, écrivait Fox à Fitzpatrick avant d’être ministre, qui espérions jouer quelque rôle sur la scène du monde, et qui avions du moins notre part individuelle de la grandeur du pays, il est un peu dur d’être obligés de rabattre nos espérances et nos vœux à nous montrer capables de guérir d’une façon quelconque les plaies que d’autres ont faites, et de mettre ce pays, qui était le premier de l’Europe, sur le pied d’être une des nations du monde... Pour qui eut jamais de l’ambition, bon Dieu! qu’est-ce que cela ? En vérité, il est intolérable de penser qu’il ait été au pouvoir d’un blockhead (une tête de bois) de faire autant de mal. »


Ce blockhead n’aidait guère, comme on le conçoit, à réparer ses fautes. Les difficultés des négociations lui paraissaient la juste punition des négociateurs, et il n’était pas fâché que la paix humiliât ceux qui l’avaient voulue. En même temps qu’il se prêtait peu aux concessions nécessaires, il s’attachait peu aux compensations possibles. Fox voulait d’une part une déclaration franche et de bonne grâce de l’indépendance de l’Amérique, et de l’autre un système d’alliances européennes qui tempérât la prépondérance française. Il s’en ouvrit au vieux roi de Prusse, et vit avec sagacité que ce rapprochement devait être la base de la politique anglaise. Il prit très au sérieux ses fonctions de secrétaire d’état, et dans ce qu’on nous livre de sa correspondance, il montre un esprit étendu et vigilant qui regarde au loin et songe à l’avenir; mais en travaillant au traité qui devait pacifier les deux mondes, il rencontra la discorde dans le cabinet, ou tout au moins une difficulté intérieure qui devait en abréger la durée, et par ses effets exercer une longue influence sur les destinées de l’Angleterre et de l’Europe.

Les nouveaux Mémoires nous font entrevoir la façon dont se conduisent les affaires en Angleterre. Le cabinet, qui n’est en droit qu’un comité du conseil privé, délibère régulièrement. On tient note de ses décisions rendues sous la forme d’une injonction au ministre compétent. Celui-ci rend compte au roi s’il y a lieu, et généralement par lettre. George III répondait par écrit. Les choses se passent encore à peu près de même. On imprime des ordres du jour et des pièces pour préparer les délibérations du cabinet, et telle est la discrétion anglaise que jamais ces documens ne s’échappent jusque dans les mains du public. Le temps seul permet d’en divulguer quelques-uns, et nous avons sous les yeux plusieurs des courts procès-verbaux du conseil et une partie de la correspondance du roi et de son ministre. On peut donc maintenant connaître avec la dernière exactitude ce qui s’est passé.

Pendant longtemps, deux secrétaires d’état avaient eu chacun par moitié la direction de la diplomatie britannique, l’un au nord, l’autre au midi. Au département du midi étaient réunies l’Irlande, les colonies et la correspondance avec l’ouest de l’Europe. Les relations avec le reste du monde formaient le département du nord. La guerre avait motivé la création d’un troisième secrétaire d’état chargé des affaires d’Amérique ou des colonies. Appelé pour faire la paix, le ministère supprima cette place, et établit la division qui a subsisté jusque dans ces derniers temps[7]. Un des secrétaires d’état, Fox, fut chargé des affaires étrangères ; l’autre, lord Shelburne, eut le département de l’intérieur, duquel dépendaient l’Irlande et les colonies. Par suite de cette dernière attribution, il ne pouvait être tout à fait en dehors des mesures diplomatiques, puisque des colonies étaient parties belligérantes. L’indépendance de l’Amérique intéressait officiellement le ministre qui correspondait avec l’Amérique. Une certaine communauté d’action et par suite un parfait accord était donc nécessaire entre les deux secrétaires d’état. Or cet accord n’existait pas. Le caractère de lord Shelburne avait peu d’analogie avec la franchise, l’abandon, la supériorité confiante de son collègue. La commune renommée refusait au premier la sincérité. La presse, depuis Junius, l’avait surnommé le Jésuite. C’était un homme défiant; mais aucun fait cependant ne prouve que la réserve allât chez lui jusqu’à la duplicité. Seulement, dans le cabinet, ses origines le distinguaient de ses collègues. Il avait toujours fait partie de cette coterie que lord Chatham tenait à conserver libre de toute connexion avec les partis. La confiance relative que le roi lui témoignait le compromettait encore. C’était une ressource particulière dont il pouvait dans l’occasion se servir, mais dont on ne voit pas qu’il ait usé contre ses collègues. N’importe, il était suspect, et rien dans ses manières n’était propre à lui rendre la confiance que sa position lui faisait perdre. Fox écrivait à Fitzpatrick : «Shelburne est chaque jour à plus en plus lui-même. Il est ridiculement jaloux de mes empiètemens sur son département, et il a grande envie d’empiéter sur le mien... il affecte le ministre[8] de plus en plus chaque jour, et il est, je crois, parfaitement assuré que le roi a l’intention de lui e donner le titre. Pourvu que nous puissions tenir assez longtemps pour donner un bon coup à l’influence de la couronne, il est, | pense, fort indifférent que nous nous en allions un peu plus vite.» Avec de tels sentimens, il était difficile que la coopération diplomatique des deux secrétaires d’état fût parfaitement cordiale. Les négociations avaient commencé à Paris d’une manière non officielle par l’entremise d’un trafiquant écossais, Richard Oswald, qui était en relation avec Franklin. Il connaissait lord Shelburne, et il lui avait écrit spontanément pour lui rendre compte de ses conversations avec l’illustre représentant de l’Amérique insurgée. Le cabinet accueillit cette ouverture, et par ses ordres cette négociation se continua non pas à l’insu de Fox, mais un peu en dehors de sa direction. Un agent officiel, Thomas Grenville[9], avait été bientôt envoyé par lui pour traiter régulièrement. Franklin, dont la philanthropie s’alliait au patriotisme le plus intéressé, et la bonhomie à la plus rusée diplomatie, avait tiré parti de cette double négociation. L’inexpérience politique d’Oswald lui convenait, et il espérait beaucoup de la rivalité des deux agens et de leurs patrons respectifs. Il croyait et les historiens ont supposé jusqu’ici le ministère encore bien plus divisé qu’il ne l’était. Il soupçonnait les deux secrétaires d’état d’agir chacun pour son compte, sans se concerter ni informer leurs collègues. On voit par une lettre de M. de Lafayette[10] que le comte de Vergennes, Franklin et lui croyaient à un double jeu, et regardaient le cabinet de Londres comme livré à toutes les rivalités de l’intrigue. Il n’y avait rien au fond qu’une affaire mal engagée. Tout en souffrait; Grenville se plaignait d’être contrarié ou trompé par le correspondant de lord Shelburne, tout fier d’avoir la confidence de Franklin. Cet agent avait eu la simplicité de se charger de transmettre la demande d’une cession du Canada aux États-Unis. Fox en prenait ombrage, et sa défiance allait au-devant des soupçons de Grenville. M. Cornewall Lewis, qui a examiné diligemment toute cette affaire, a déclaré, dans le plus whig des recueils[11], que les griefs contre Shelburne, au sujet de la mission diplomatique d’Oswald, étaient sans fondement. Nous en jugeons comme lui; mais, justes ou non, la défiance et l’irritation étaient naturelles, et leurs effets inévitables.

Sur ces entrefaites, le marquis de Rockingham, qui était entré au pouvoir avec une santé profondément altérée, mourut (1er juillet 1782.) Sa succession, en s’ouvrant, achevait de décomposer le ministère. Fox n’aspirait pas à la première place, mais il pouvait prétendre à la donner. Le duc de Richmond était, à quelques égards, en mesure de l’obtenir; mais, exclu par son radicalisme en matière de réforme parlementaire, il s’attendait du moins à des offres que Fox ne lui fit pas. Ce dernier proposa pour la trésorerie le lord-lieutenant d’Irlande, le duc de Portland, qui avait le rang, la considération, mais qui pour l’expérience et les talens n’égalait ni Richmond, ni Shelburne. On devine comment fut reçu ce dernier, quand il annonça que le choix du roi s’était fixé sur lui, et qu’il n’avait pu refuser. Fox donna aussitôt sa démission; mais, quoique approuvé et suivi par le chancelier de l’échiquier, lord John Cavendish, et le payeur général Burke, il n’obtint pas l’assentiment unanime de son parti ni du public. On pensait avec raison que la difficulté de la situation exigeait le concours de tous les efforts, au prix même de quelques sacrifices, et que le seul moyen de rétablir dans leur vérité, dans leur énergie, les principes constitutionnels, c’était, au lieu d’opérer dans les partis de nouveaux fractionnemens, de coaliser toutes les opinions conciliables, et d’unir tous les talens et toutes les ambitions pour la victoire commune des grands talens et des grandes ambitions.

Qu’aurait-on dit, si l’on avait pu prévoir les futures conséquences de cette rupture, si l’on s’était douté qu’elle traînât à sa suite et la décomposition de l’ancien parti whig, et la naissance d’un torisme nouveau, et la dissidence éternelle, l’éternelle inimitié de Pitt et de Fox, et peut-être, si rien n’est fatalement réglé dans ce monde, les longs déchiremens de l’Europe dans une guerre dont le monde n’a pas vu l’égale ?

Bien que lord Shelburne eût gardé avec lui la majorité du ministère, la retraite de Fox, de Burke, de Cavendish le laissait pour ainsi dire sans défense dans la chambre des communes. S’il était réduit à les remplacer par des hommes de seconde ligne, la tentative même de gouverner devenait impossible. Dès le premier moment de la crise. Fox rencontra Pitt dans la galerie de la chambre, et, questionné par lui avec une inquiétude qui semblait bienveillante : «Oui, lui dit-il, le cabinet est dissous, l’ancien système va renaître. Ils ont les yeux sur vous. Sans vous, ils ne peuvent rien faire; avec vous, je ne sais. — S’ils comptent sur moi, répondit Pitt, ils pourront bien se trouver déçus. » Fox, en racontant cette conversation à ses amis, ajoutait : « Et moi, je crois qu’ils comptent effectivement sur lui, et je crois qu’ils ne seront pas déçus. » Quelques jours après, Pitt, en acceptant le titre de chancelier de l’échiquier, devenait ministre dirigeant dans la chambre des communes, et se plaçait à vingt-trois ans à la tête du gouvernement de son pays. Au risque de scandaliser la philosophie de l’histoire, je demanderai si l’on est bien sûr que ce résultat accidentel d’une crise ministérielle n’ait pas été pour quelque chose dans les plus grands événemens du siècle. Qui sait si un autre dénoûment n’eût pas suffi pour donner un autre cours aux guerres de la révolution française ? Un peu moins d’orgueil ou de précipitation dans deux hommes, et le monde peut-être ne voyait ni Austerlitz ni Waterloo.

Le nouveau ministère était au fond une coalition. Il avait pour lui le roi, et les amis du roi, et quelques-uns des hommes les plus compromis, à la suite de lord North, dans la politique de résistance; mais les noms de Shelburne et de Pitt étaient les seuls apparens, et ils ne suffisaient pas pour donner au cabinet force et durée. Il y avait en dehors lord North et le gros de son parti, Fox et la majorité des whigs. Alors se posa, comme dit un écrivain spirituel, le problème des trois corps. Il fallait que deux des trois se réunissent, ou qu’un seul ralliât les deux autres par une attraction puissante. Shelburne fit ou permit des ouvertures de chaque côté; on négocia pour lui avec lord North, on négocia pour lui avec Fox. Pitt lui-même, qui répugnait à l’alliance avec le premier, eut avec le second une entrevue. Rien ne s’opposait à un rapprochement, sauf un point : Fox ne voulait pas, et là où les choses en étaient venues, il ne devait guère accepter la primauté de Shelburne, que la loyauté de Pitt ne lui permettait pas d’abandonner; mais une retraite volontaire du premier ministre pouvait tout concilier. Shelburne s’y prétendait disposé. « Fox et le duc de Portland, disait-il, feront un gouvernement avec Pitt, car je ne puis entendre parler des grandes idées de Pitt de ne pas prendre part à une administration où je ne serais pas. » Mais Pitt songeait déjà peut-être au pouvoir sans partage, et les amis de lord North entouraient Fox. Il y avait toujours eu entre ces deux hommes une certaine familiarité bienveillante à travers les hostilités parlementaires. La coalition fut conclue.

J’ai ailleurs essayé d’apprécier cet acte décisif de la vie de Fox[12], Quoique le caractère de North lui inspirât une sympathie naturelle, quoiqu’on sût que ce ministre avait fini par soutenir à contre-cœur la politique de la guerre, la responsabilité en pesait sur lui; il ne pouvait dignement entrer dans le ministère de la paix, ni former une coalition contre l’abus de la prérogative royale, après en avoir fait longtemps son point d’appui. Quoique approuvé par Cavendish, Burke, Sheridan, Fitzpatrick, Townshend, Fox compromettait son autorité morale, celle même de la tribune politique, en ne paraissant tenir aucun compte des accusations formidables qu’il avait fait gronder sur la tête de lord North. Il alléguait la maxime : Inimicitiœ breves, amicitiœ sempiternœ. Malheureusement il n’avait pas à pardonner des injures personnelles toujours pardonnables : il s’agissait de mettre en oubli ce qu’on avait qualifié de trahison envers le pays et la liberté. La nouvelle alliance ne pouvait être dictée qui par les ressentimens et les impatiences de l’orgueil et de l’ambition, et dans un temps où l’empire de l’opinion publique était encore trop imparfaitement établi pour servir de seconde conscience aux hommes d’état.

La paix était impopulaire. Pouvait-elle ne pas l’être, conclue dans la situation humiliée où la fortune avait placé la Grande-Bretagne ? Quand les préliminaires en furent communiqués au parlement, l’opposition, qui savait la difficulté presque insurmontable d’obtenir des conditions meilleures, fit rendre par la chambre des communes un vote de désapprobation, et le ministère se retira.

Le but était atteint; le roi était vaincu; mais on avait eu recours à des moyens extrêmes. L’association forcée du roi et d’un cabinet de coalition ne devait être qu’une guerre intestine. Il eût fallu toutes les ressources de l’habileté, de la prudence, de l’adresse pour faire sortir de tels antécédens un bon et durable gouvernement. « Si en voulant empêcher que le roi soit son propre ministre, disait lord North à Fox, vous entendez que le cabinet ne sera pas un gouvernement par départemens, je suis d’accord avec vous. C’est un mauvais système. Il doit y avoir un homme ou un cabinet pour gouverner l’ensemble et diriger chaque mesure. Je n’avais pas introduit le gouvernement par départemens, je l’ai trouvé établi, et la vigueur et la résolution m’ont manqué pour y mettre un terme. » La nouvelle administration n’avait pas cet homme qui dût tout conduire. Le duc de Portland n’était qu’un chef éclairé, un grand seigneur digne de respect. North, fourvoyé dans un cabinet où dominait l’esprit de l’opposition qui l’avait renversé, ne pouvait figurer en première ligne. Son caractère ni son talent ne l’y portaient, et c’était à lui maintenant que George III en voulait le plus. Fox enfin, l’homme principal de la combinaison, plus suspect et plus odieux que désagréable au roi, atteint dans sa considération personnelle par les irrégularités de sa vie, dans sa considération politique par ses dernières manœuvres parlementaires, n’avait pas cet art de ménager les hommes ou ce don de leur commander, cette universalité d’expérience, d’aptitude et d’activité nécessaire pour suffire à tous les besoins d’une administration faible de composition, entourée de puissans ennemis. Pitt avait été sur le point d’en empêcher la formation. S’il l’eût voulu, le roi, plutôt que d’accepter les fers de la coalition, lui aurait livré le pouvoir; mais Pitt n’avait pas jugé le moment encore venu, et plutôt que de rester en substitut de lord Shelburne, il aimait mieux rentrer en maître. Et cependant Fox rêvait encore leur réunion dans le cabinet. Il la regardait comme le meilleur moyen de fonder une administration permanente, seule capable de lever l’Angleterre en Europe. Il écrivait à lord Ossory : « Si l’on pouvait persuader Pitt, il pourrait rendre au pays le plus réel service que jamais homme lui ait rendu. »

Un cousin de Pitt, lord Temple, venait de quitter les fonctions de lord-lieutenant d’Irlande, et, selon l’usage, il demanda au roi une audience de pure étiquette. Il fut surpris d’être reçu avec des marques de faveur et un langage plein d’abandon. Le prince lui fit le plus grand éloge de Pitt, et lui déclara que ses ministres n’auraient jamais sa confiance, et qu’il saisirait le premier joint pour les congédier. Lord Temple lui conseilla de prendre patience, d’attendre que le public eût reconnu la vanité de leurs promesses de réforme, et plutôt que de les renvoyer, de les amener à donner leur démission. Dans ce dernier cas, lord Temple lui garantissait qu’il ne serait pas abandonné. Une sorte de complot fut ainsi ourdie par le roi contre son ministère. On assure que l’ancien chancelier, lord Thurlow, fut mis dans le secret, et il y aurait beaucoup d’innocence à croire que Pitt n’en sut rien. Ainsi s’engagea cette sourde guerre, que Johnson, le plus violent des tories, appelait une lutte entre le sceptre de George III et la langue de M. Fox.

Les actes du ministère ne purent de quelque temps fournir au roi l’occasion d’éclater. Les efforts de Fox pour améliorer les conditions de la paix, pour former avec la Prusse, la Hollande et même la Russie une opposition européenne à la France, purent être mal secondés par le roi, qui triomphait des disgrâces d’une paix conclue malgré lui. L’abaissement de l’Angleterre le vengeait de l’opposition; mais il n’avait rien à dire, et paraissait tranquille. La session se terminait sans rupture. Fox comptait beaucoup sur la session prochaine. L’écueil où il devait périr fut une mesure qui lui fait un véritable honneur.

Le bill de l’Inde n’était pas en effet une mesure de parti. L’opinion n’y était point préparée. Aucun intérêt de majorité, aucune exigence d’auxiliaires avides ou ambitieux, aucun engagement d’amour-propre ne forçait, ne poussait les ministres à entreprendre cette réforme. Une pensée de bien public et de bon gouvernement la leur inspirait seule. Lord Chatham avait conçu un projet analogue à l’époque de son second ministère, lorsqu’une maladie funeste vint le réduire à l’inaction et jeter une année de ténèbres dans sa vie. « Je regarde, disait-il au duc de Grafton, la mesure relative à l’Inde comme le plus grand des objets, si j’ai quelque sentiment de ce qui est grand. » Fox en jugea de même. C’était en effet une étrange anomalie, on peut dire une monstruosité politique, qu’une compagnie de marchands, établie pour gérer quelques factoreries, eût conquis et gouvernât un empire trois fois plus grand que le pays qui l’avait instituée. A quel prix, l’histoire le sait. La justice et l’humanité avaient été outrageusement violées dans la création de l’Inde anglaise. La morale comme la politique commandait donc un changement profond dans l’état légal de son administration. Toute réforme devait avoir pour principe la réunion de l’Inde à l’empire britannique sous la puissance du gouvernement. Pour atteindre ce but, les moyens pouvaient varier, mais on conviendra que c’était avec une parfaite sécurité de conscience que des hommes tels que Fox et Burke devaient entreprendre une telle réforme.


« Ils s’efforcent, lisons-nous dans une lettre très intime du premier, d’exciter une grande clameur contre nous, et ils réussiront, je le crains, à nous rendre très impopulaires dans la Cité. Cependant je sais que j’ai raison, et je dois en supporter les conséquences, quoique j’aie autant qu’homme au monde l’aversion de l’impopularité. Réellement ce n’est pas en moi hypocrisie que de dire que la conscience d’avoir toujours agi par principes dans les affaires publiques, et ma détermination de faire toujours de même est la grande consolation de ma vie. Je sais que je n’ai jamais plus agi par principe que dans cette occasion où je suis tant attaqué. Si je n’avais considéré que la conservation de mon pouvoir, le plus sûr était de laisser les choses comme elles étaient, ou de proposer quelque insignifiante modification, et je ne suis nullement ignorant du danger politique que je cours par cette démarche hardie; mais que je réussisse ou non, je serai toujours heureux de l’avoir tentée. »


Il attaquait une corporation puissante dans son orgueil et dans ses intérêts. Encore aujourd’hui, un ministère aurait de la peine, s’il le voulait, à se délivrer des restes de la compagnie des Indes, et l’on en recule par des mesures provisoires la réforme définitive. En 178’, la tentative de Fox n’aurait pas réclamé moins que l’initiative d’un ministère affermi, loyalement soutenu par la couronne, suivi avec enthousiasme par les deux chambres. Chatham, au faîte de sa gloire, n’aurait pas réussi sans effort. Fox commettait donc une noble imprudence. Tous les intérêts et tous les sentimens hostiles au ministère se groupèrent autour de cette question et s’en saisirent comme d’une arme mortelle. L’intrigue et la calomnie se mirent à l’œuvre. Les objections les plus contradictoires, les imputations les plus disparates furent dirigées contre le cabinet et son plan. Une seule a surnagé, et le reproche qui dans le temps vint en seconde ligne est encore articulé par des écrivains d’une certaine gravité. Le moyen le plus simple de régulariser le gouvernement de l’Inde, en conservant la compagnie, était de remplacer par des autorités légales l’administration arbitraire et pour ainsi dire domestique de quelques négocians de la Cité, et c’est ce qu’avait déjà fait un bill de lord North en 1773, mais il laissait la compagnie sans contrôle organisé. Un second pas était à faire, c’était de la soumettre à la surveillance, à la direction du gouvernement ou d’une autorité qui le représentât. Comme le gouvernement en Angleterre diffère peu du parlement, et qu’on ne voulait pas être accusé de chercher l’extension du pouvoir ministériel, on imagina de soumettre les affaires de l’Inde à un comité nommé pour quatre ans par le parlement, et dont les vacances seraient remplies par nomination royale. Le bill qui instituait ce comité en désignait le président, c’était le comte de Fitzwilliam, un des hommes du temps les plus respectés. Ces dispositions insolites, peu conformes aux doctrines de la responsabilité gouvernementale, furent dénoncées comme les violations flagrantes des droits de la couronne. Le bill était un travail très étendu et d’un grand mérite. On souleva contre une seule clause, avec une affectation hypocrite, tous les scrupules de l’orthodoxie constitutionnelle; on oublia que cet article remplaçait d’autres dispositions législatives qui désignaient nominativement certains fonctionnaires, et n’attribuaient rien au roi ni à son gouvernement. On ne voulut voir dans une mesure de bien public qu’une manœuvre pour perpétuer la domination du parti whig, comme si dans une vue d’influence les ministres n’auraient pas mieux fait de réserver le choix des commissaires à l’autorité royale, c’est-à-dire à eux-mêmes. Les hommes politiques du temps avaient fait trop de fautes pour qu’on leur supposât facilement des intentions désintéressées.

Que George III crût à une trahison, rien de plus simple. Cependant il approuva le bill, jusqu’à ce qu’il y reconnût un prétexte pour rompre sa chaîne, comme il l’avait promis à lord Temple. On possède encore une note secrète rédigée ou revue par ce dernier, et dans laquelle il trace au roi la marche convenable. « Le refus de sanction du bill de l’Inde serait, dit-il, une mesure extrême à laquelle on doit préférer le rejet par la chambre des lords. » pour obtenir ce rejet, un pouvoir fut remis à lord Temple, qui l’autorisait à dire que le roi tiendrait pour son ennemi quiconque voterait pour le bill. Le complot réussit; le bill fut rejeté par les pairs à huit voix de majorité. Tandis que les ministres faisaient appel à la chambre des communes, le roi donna à lord Temple les pouvoirs de secrétaire d’état, afin qu’il leur notifiât régulièrement leur congé. C’était la première fois depuis la reine Anne qu’un cabinet était ainsi destitué. Pitt était l’héritier désigné. La conspiration de la cour et de la Cité n’avait qu’en lui son espérance; il avait combattu le bill de l’Inde avec plus d’acharnement que de bonne foi; il concentrait en lui toutes les oppositions. Il forma donc le nouveau ministère, et il le composa faiblement; mais il en était le chef.

Fox était loin de se montrer abattu. Fort de l’appui de la chambre des communes et de son redoutable talent de discussion, il avait dans le pouvoir compté pour rien l’inimitié du roi, la défiance de la chambre haute, les clameurs de la Cité, la froideur du public. Il conserva la même sécurité dans l’opposition, et regarda sa défaite comme un accident passager. Le roi était visiblement en dehors de ses devoirs constitutionnels. «Sa conduite, écrit Fitzpatrick à son frère, lord Ossory, est généralement comparée à celle de Charles Ier en 1641. » ) La chambre des communes avait été dédaignée; elle devait partager, épouser toutes les indignations des ministres, qu’on avait traités comme elle. Fox s’adressa sans ménagement à tous les sentimens qu’elle devait éprouver, et qu’elle éprouvait en effet, quoiqu’un peu moins vivement qu’il ne pensait. Il exigea d’elle, avec plus de passion que de prudence, et il obtint, non sans effort, des votes de censure et de résistance, des protestations menaçantes qui dépassaient la mesure constitutionnelle et surtout la vivacité de l’opinion générale. Il fit par là un meilleur jeu à Pitt dans son entreprise hasardeuse d’établir un cabinet contre la chambre des communes. On a souvent cité la campagne parlementaire de Pitt dans l’hiver de 1784. Sans aucun doute, son attitude eut de la grandeur. A quelque prix qu’il eût gagné son pouvoir, il en racheta la triste origine par la manière dont il le soutint, et réussit à le faire enfin sanctionner par l’opinion publique. Cependant il avait moins de fermeté d’âme que d’autorité dans le caractère. Il jouait admirablement le rôle du gouvernement, mais il craignait au fond les situations et les résolutions extrêmes. Il tenait beaucoup à sa réputation et même à sa popularité. Des mémoires très dignes de foi nous ont révélé combien d’hésitations et d’anxiétés l’ont agité dans les momens de sa vie où il semblait le plus résolument engagé dans une politique tranchée. Quand on le croyait en avant de tous, il songeait à revenir sur ses pas. En 1784, c’était risquer beaucoup pour le fils de Chatham, pour un ministre whig et réformiste, que de fonder même temporairement son pouvoir sur une vengeance de la prérogative royale, que de devenir le chef et le représentant du parti décrié des amis du roi, que de paraître une sorte de Strafford d’un second Charles Ier aussi capable que Stuart de s’avancer par mauvaise humeur et de reculer par embarras, parfaitement propre en un mot à compromettre et à déserter ses serviteurs. Pendant que Pitt opposait un calme assez fier aux orages de la tribune, il avait peine à triompher de son agitation intérieure. Lord Temple n’avait pu résister, même dans la chambre des lords, à l’embarras de sa situation, et il était sorti du ministère après l’avoir créé. On dit que Pitt aurait imité cet exemple, si la fermeté du duc de Richmond ne l’avait retenu. Il songea du moins à traiter avec ses adversaires, et Il y obligea le roi, qui écrivit un billet ostensible pour le duc de Portland. Cette puissance de la vérité, qui se fait toujours entendre et rarement obéir, amenait Pitt, amenait George lui-même à reconnaître que le mieux serait enfin de former une nouvelle administration sur une large base et sur un pied honorable et égal (fair and equal), Portland et Fox ne pouvaient refuser d’admettre le principe; mais la vengeance leur tenait au cœur. Ils soutenaient que pour qu’il y eût ègalité, il fallait que Pitt commençât par donner sa démission de premier ministre. Pitt interprétait l’égalité dans le sens d’équité.

Après les procédés réciproques, la réconciliation était difficile; elle eût été médiocrement digne. Lord Chatham s’était bien au même prix rapproché dans son temps du duc de Newcastle, et cette coalition avait été justifiée et couverte par l’éclat des victoires de l’Angleterre. On ne pouvait en 1784 compter sur le même genre d’apologie. Les négociations, entamées par raison, mais sans goût, échouèrent, et Fox ne le regretta pas. Il s’imaginait toujours qu’un rapprochement n’avait rien d’indispensable et que l’avenir était à lui. Burke, dont la supériorité d’esprit ne brillait pas dans l’appréciation des circonstances, a toujours passé pour l’avoir encouragé dans une confiance imprudente. Il avait méconnu tous les dangers du bill de l’Inde; il méconnut ceux de la situation nouvelle. La juste irritation des amis de la prérogative parlementaire les aveuglait sur leurs forces. C’est une des choses les plus importantes et les plus difficiles dans un état libre que de saisir avec certitude le degré auquel les sentimens enfantés par les luttes de chambre sont partagés par le public. Il peut arriver que l’indignation la plus naturelle, la mieux fondée, d’une partie d’une assemblée contre une autre trouve la nation parfaitement froide, et ne soit pas même comprise de ceux chez qui elle ne s’est pas spontanément développée. Les passions des hommes d’état ne retentissent pas nécessairement dans les passions populaires, et plus ceux-là sentent avec énergie, plus ils ont de pente à croire que la nation ressent tout ce qu’ils éprouvent et vit pour ainsi dire en eux-mêmes. Fox, sans rien écouter, déclara donc la guerre la plus violente à Pitt, pour qui la persévérance devint la seule voie de l’honneur et du salut. Les fautes de ses adversaires, qui allèrent jusqu’à frapper d’un interdit moral le droit de dissolution dans les mains du roi, rendirent sa cause meilleure et son plan moins périlleux. La nécessité lui donna de l’audace, et l’appel au pays lui donna la victoire.

Les élections de 1784 furent une leçon pour Fox et ses amis. Elle était méritée peut-être, mais elle fut bien sévère. Pour Fox et pour l’avenir de l’Angleterre, elle affaiblit trop le parti whig. La force inattendue de la majorité nouvelle ne peut s’expliquer que par la lassitude et le dégoût que les divisions sans terme et les luttes sans fruit des hommes politiques avaient justement produits dans les esprits. Dans cette joute stérile des partis et des fractions de parti, les caractères avaient perdu leur autorité et les talens leur prestige. La coalition surtout avait porté une funeste atteinte au crédit de ceux qui l’avaient faite, et le public ne trouva pas qu’il y eût raison, pour leur rendre le pouvoir, de renverser une administration établie et d’en déposséder le chef qui, pour le mérite éclatant et pour les opinions populaires, n’était au-dessous d’aucun autre.

L’administration de Pitt, de 1784 à 1792, n’est pas la moins belle époque de sa vie[13]; c’est celle assurément où sa manière de gouverner prête le moins au doute et à la critique. L’opposition fut assez souvent embarrassée pour trouver des points d’attaque, et elle ne les choisit pas toujours avec bonheur. L’ordre rétabli dans les finances compromises par l’administration de lord North, la fondation de l’amortissement, le traité de commerce avec la France, sont des mesures honorables pour un gouvernement. Celles qu’on prit à l’égard de la compagnie des Indes méritent moins d’être approuvées. Pitt fut obligé, par le rôle récent qu’il avait joué, de se contenter d’une réforme bâtarde, d’une organisation incohérente qui fondait un double gouvernement, celui de l’état et celui de la compagnie, mais qui, sujette à beaucoup d’objections et d’inconvéniens, s’est améliorée dans la pratique, et a mieux réussi qu’elle ne vaut. Sa politique étrangère fut longtemps à peu près nulle, et ce qui peut surprendre chez un homme de son nom, il parut peu soucieux de détruire ou d’atténuer, par une active diplomatie, les tristes effets de la paix de 1783. Sur ce point, l’esprit de Fox avait plus de vues et de ressources que le sien, et c’est la nécessité seule qui a forcé Pitt à intervenir, comme il a fait depuis, dans les affaires du monde.

Cependant le cours paisible des six premières années de son administration fut troublé par un moment de danger : c’est quand il fallut songer à organiser une régence. Le roi et le prince de Galles suivaient fidèlement la tradition de famille de la maison de Hanovre : le père et le fils vivaient en rupture ouverte. La jeunesse du prince était fort déréglée; ses dettes et ses goûts lui faisaient désirer une indépendance que lui refusaient ou lui contestaient ses parens, car sa mère même avait pris parti contre lui. Il était lié avec les jeunes amis de Fox; Fitzpatrick et Sheridan étaient sa société intime. Il avait appuyé la coalition, soutenu Fox dans le monde et dans les élections. Utile à l’opposition, il trouvait chez elle pour ses faiblesses une indulgence dont il espérait abuser. C’en était assez pour que le gouvernement partageât et entretînt à son égard la sévérité paternelle. En 1788, le roi devint fou. Il paraît que vingt-trois ans auparavant il avait éprouvé une première atteinte, restée fort secrète, de la même maladie. Cette fois, le mal se prolongea trop pour ne pas devenir public. Le parlement était absent. Il y eut une lacune dans l’exercice de l’autorité royale, un vide dans le gouvernement. Il est évident qu’en pareille occurrence l’héritier présomptif, s’il est majeur, est naturellement appelé à la régence. Il n’est pas moins certain que cette promotion ne peut avoir lieu sans l’aveu du parlement, et que, par le caractère même du fait qui réclame leur intervention, les deux chambres doivent agir de leur autorité propre, et faire à elles seules acte de souveraineté.

Quand elles furent réunies, Pitt était si fort opposé au prince de Galles, et Fox si impatient de le voir régent, que l’un alla jusqu’à lui contester tout droit en principe, et à pousser ainsi le parlement à une sorte d’usurpation, — que l’autre disputa sur l’intervention du parlement et soutint que le prince était régent de plein droit. Le ministre tendait à exagérer le pouvoir parlementaire, l’orateur de l’opposition à outrer le principe de l’hérédité monarchique. C’est dans une de ces discussions où la passion entraîna les deux rivaux si loin des principes naturels de leur position, qu’un jour où Fox s’animait en faveur des droits de naissance du prince de Galles, on entendit Pitt s’écrier : « Je déwhiguerai le gentleman pour le reste de sa vie. » La vérité était entre ces deux opinions extrêmes, et il y fallut bien revenir de part et d’autre. Le prince, bien conseillé par Fox, par Burke, par Sheridan, se conduisit avec assez de mesure et de fermeté. Le ministère fut, après de longs délais, obligé de proposer un bill pour lui déférer la régence, mais sans lui accorder la plénitude de l’autorité royale, et en soumettant son pouvoir à des restrictions qui auraient, pour un temps du moins, modifié en Angleterre les conditions de la monarchie. Le prince, en protestant contre l’esprit de la mesure, dit qu’il accepterait par dévouement. Il semblait donc toucher au pouvoir, et pendant quelques jours. Fox se regarda comme assuré de reprendre la direction des affaires. Le prince et le cabinet étaient en effet incompatibles, et une révolution de palais et de chambre paraissait imminente, quand tout à coup on annonça la guérison du roi. Pitt, qui avait eu le courage de prolonger cet intérim de gouvernement, et par là même de s’investir d’une sorte de dictature, qui avait séquestré le père de ses enfans, et mis la famille royale à la merci de la chambre des communes, ne se montra pas sans doute fort exigeant sur les conditions du rétablissement du roi, et Fox et ses amis furent contraints, en loyaux sujets de se féliciter d’une convalescence qui leur ôtait tout espoir.

Dans une chronique parlementaire, dans une biographie de Fox il faudrait parler des motions pour les catholiques, pour les dissidens, et contre la traite des noirs, du procès de Hastings, qui vengea de la compagnie des Indes; mais nous n’écrivons pas l’histoire, et nous touchons à 1789. On a vu que, parmi les reproches adressés par Fox au ministère, il y avait celui de se montrer trop peu inquiet de l’ascendant de la France. Suivant la formule du temps, on effrayait la jalousie nationale de la domination de la maison de Bourbon. Oui, c’est cette crainte du grand Chatham que l’on exprimait encore la veille de la prise de la Bastille, alors que l’arbre destiné à fournir le bois de l’échafaud du 21 janvier était déjà coupé; mais tout à coup le grand drame commence, et Fox écrit le 30 juillet 1789, au général Fitzpatrick qui se rendait à Paris, billet suivant :


« Cher Dick, je n’ai pas été étonné d’apprendre que vous projetiez d’aller à Paris, mais je le suis beaucoup que vous ayez différé votre départ. Si vous partez, vous feriez mieux de prendre par ici, je serais heureux de causer avec vous, et il ne serait pas impossible que je fusse du voyage. Combien ceci est le plus grand événement qui soit jamais arrivé dans le monde! Et combien c’est le meilleur ! Si vous parlez sans me voir, dites, je vous prie, pour moi, quelque chose de civil au duc d’Orléans, dont la conduite paraît avoir été parfaite, et dites-lui, ainsi qu’à Lauzun, que toutes mes préventions contre les liens de ce pays avec la France touchent à leur un, et en effet la plus grande partie de mon système de politique européenne sera changé, si cette révolution a les conséquences que j’en attends. À vous.

« C. J. FOX. »


Ici commence une ère nouvelle pour Fox et pour le monde. Les Mémoires publiés s’arrêtent au début de cette seconde partie de sa vie politique, et ne donnent que quelques lettres écrites pendant les premières années de la révolution au jeune lord Holland, qui voyageait alors sur le continent. Elles ne sont pas ce que les deux volumes contiennent de moins précieux, et elles font pour nous un grand honneur à l’homme illustre qui les a écrites dans l’abandon de l’intimité; mais pour en tirer parti il nous faudrait entrer dans le récit des événemens de 1790 à l’année de la mort de Fox (1806), et nous attendrons que la fin de l’ouvrage, qui doit embrasser ces seize années, soit donnée au public.

Ce qu’on vient de lire suffit, ce me semble, pour justifier les réflexions par lesquelles nous avons commencé. Assurément ces vingt ans de l’histoire du gouvernement représentatif en Angleterre ne sont pas un âge d’innocence et de vertu politique. Le roi George III n’était pas le modèle du monarque constitutionnel; il y avait des courtisans qui travaillaient sourdement contre les influences parlementaires. Les chambres ne se signalaient ni par une intégrité sévère, ni par une fière indépendance, ni par une infaillible sagesse. Les hommes éminens se contraignaient peu, et donnaient rarement l’exemple du sacrifice au bien général de leur vanité et de leur passion. Des manœuvres reprochables, des témérités, des exagérations et des violences, enfin des fautes graves contre la prudence et le patriotisme ont compromis leur renommée, et cela dans un moment où l’état, accablé de formidables difficultés, avait des périls à courir et des revers à réparer. Et cependant cette époque n’est pas de celles qui méritent les dédains de l’histoire, où les hommes se montrent sous un jour qui les dégrade, et dont rougisse une nation. Pendant ces vingt ans, l’Angleterre a donné un spectacle instructif, animé, dramatique. Le combat des passions humaines mettant en jeu de grands talens n’inspire pas une humble idée de l’humanité. Enfin les institutions, violemment exploitées par l’ambition, ont conservé leur force et déployé leur vertu. Rien en un mot n’est arrivé qui ait pu laisser au dernier des Anglais mauvaise opinion de son pays et de ses lois. La liberté politique s’est conservée au milieu des orages; elle n’a ni reculé d’un pas, ni perdu un ami. Bien plus, elle a, pour ainsi dire, acquis dans ces épreuves la force et le besoin de se purifier et de se développer encore. Elle s’est mûrie pour les grandes réformes de nos jours. Les noms de Fox et de Pitt, malgré leurs fautes, ne sont pas de ces noms qu’elle songe à effacer de ses fastes. Et quant à celui de ces deux hommes qui est l’objet de cette étude, et pour lequel on nous trouvera sévère peut-être, son souvenir est resté cher à son pays. Sa gloire subsiste, car il a soutenu les plus nobles causes, et il unissait à la supériorité de l’esprit et du talent la généreuse passion du bien, le charme du naturel, et, comme Grattan le disait de son éloquence, une grandeur négligente.


CHARLES DE REMUSAT.

  1. Il se nommait Pampelonne, et devait être d’une de ces familles de protestans français qui s’établirent en assez grand nombre, lors de la révocation de l’édit de Nantes, à Wandswoth, village voisin de Londres et qu’habita Voltaire.
  2. Longtemps du peuple Pitt, favori adoré,
    Les méprisant toujours, en fut toujours aimé.
    Le peuple malheureux…
    Loua de ses projets le détestable auteur,
    Content d’être perdu pourvu qu’il fût vainqueur.
    Et chantant de leur Pitt la vertu si vantée.
    De la Chine au Pérou étend sa renommée.
    Tandis que de son prince véritable ami.
    Bute vivait toujours vertueux et haï.
    En vain il terminait par une paix heureuse
    Une guerre à la fois funeste et glorieuse…
    Recevez ce portrait, cher Nicole, d’une terre
    Que je rougis en effet de nommer ma mère.

  3. Village près de Londres, et qui en forme maintenant un quartier.
  4. D’après ce vers :

     « Though equal to all things, to all things unfit. »

  5. C’est le roi George IV qui l’a raconté à lord Holland avec plus de gaieté que de respect filial. (Mem.. of Fox, t. Ier, p. 287.)
  6. Richard Fitzpatrick, frère de lord Ossory, était oncle de la belle-sœur de Fox et son intime ami. Il le suivit dans sa carrière politique, quoique beau-frère de lord Shelburne. C’était un homme aimable et distingué, connu en France par ses relations avec M. de Lafayette. Tous deux s’étaient liés en Amérique, quoique combattant sous des drapeaux différens. C’est lui qui fit à la chambre des communes, le 16 décembre 1796, la motion en faveur des prisonniers d’Olmütz.
  7. L’étendue et l’importance des possessions outre-mer de l’Angleterre a fait rétablir il y a déjà assez longtemps, le secrétaire d’état des colonies. Pendant la guerre actuelle on vient de créer une place de secrétaire d’état de la guerre. Il n’y avait jusqu’alors qu’un secrétaire de la guerre, rarement membre du cabinet. Il y a donc maintenant quatre secrétaires d’état.
  8. Le ministre, dit emphatiquement en anglais, signifie le premier ministre. Quand un cabinet se forme, on demande : Qui sera le ministre ?
  9. C’est celui qui a donné au British Museum la bibliothèque qui porte son nom.
  10. Mémoires, t. II, p. 30.
  11. Edinburgh Review de janvier 1854.
  12. Voyez Burke, deuxième partie, dans la Revue du 1er février 1853.
  13. Voyez dans la Revue les études de M. de Viel-Castel sur Pitt, n° du 15 avril, 1er mai, 1er et 15 juin 1845.