Chants et chansons politiques/Le Chant du père Giraud

G. Guérin, libraire (p. 30-32).


LE CHANT DU PÈRE GIRAUD


À Eugène Delattre.


Les deux Giraud, mes fils, étaient deux gas honnêtes,
C’étaient de braves cœurs, c’étaient de fortes têtes ;
Dieu les avait fait naître actifs, intelligents,
Et leur nature droite étonnait bien des gens.
Dans le fond de leur âme ils avaient pour devise
Trois mots républicains : Dieu ! Liberté ! Franchise !
Ils croyaient à l’honneur !… Et, comprenez-vous ça ?
Pierre est mort à Cayenne, et Paul à Lambessa !

Un jour, on descendit sur la place publique,
On avait, disait-on, fondé la république ;
Pierre et Paul, ce jour-là, jurèrent des deux mains
De vivre et de mourir en vrais républicains.
Ce gouvernement-là c’était leur rêverie.
Pour eux, c’était le bien de la mère-patrie,
Ils aimaient tant la France !… Et comprenez-vous ça ?
Pierre est mort à Cayenne, et Paul à Lambessa !

Il me disaient souvent : « Ne travaille plus, père !
» Avec nous tu n’as pas à craindre la misère :
» Nous sommes jeunes, nous ; repose tes vieux bras ;
» Ta tâche est largement accomplie ici-bas ;
» Nos poignets vigoureux conduiront la charrue,
» Et toi, chez nous, assis sur le banc de la rue,
» Tu pourras nous attendre… » Et comprenez-vous ça ?
Pierre est mort à Cayenne et Paul à Lambessa !

Un soir, le tambour bat, on sonne, on crie ; Aux armes !
La voix du vieux tocsin semblait pleine de larmes…
Un prince violait la constitution :
En décembre, en plein jour, devant la nation.
Ah ! l’indignation souleva les poitrines ;
Ils partirent tous deux, avec leurs carabines,
Pour faire leur devoir… Et, comprenez-vous ça ?
Pierre est mort à Cayenne et Paul à Lambessa !

Et moi, j’attends la mort, je suis las de l’attendre…
Du haut du ciel, parfois, la nuit, je crois entendre

Les cris de mes enfants, deux martyrs ; ô douleur !
S’ils ont perdu la vie, ils ont gardé l’honneur !
Ils marchaient pour le droit, ils sont morts pour la France ;
Sur leur tombe on a mis la honte et le silence ;
Mais moi, je parle d’eux… ; Ah ! vous comprenez ça :
Pierre est mort à Cayenne et Paul à Lambessa !