Chant funèbre, en l’honneur des guerriers morts à la bataille de Marengo, précédé d’autres essais lyriques/Ode sur les honneurs de l’Immortalité


Separateur-26-Vaguelettes2
Separateur-26-Vaguelettes2

ODE
SUR LES HONNEURS
DE
L’IMMORTALITÉ.

Separateur-13-Vaguelettes1
Separateur-13-Vaguelettes1

QUAND des héros des Thermopyles,
La Grèce éleva le cercueil,
Par des honneurs vains et serviles,
Elle ne souilla point leur deuil.
Sur une modeste colonne,
Des héros de Lacédémone,
Elle grava le dévouement,
Et leurs noms cachés à l’histoire,
En se dérobant à la gloire,
Agrandirent ce monument.

Par cet exemple magnanime,
Apprenons à servir l’état,
Et par un abandon sublime,
Obtenons un solide éclat.
Que nous importent ces hommages
Que le vol inconstant des âges
Dérobe en sa rapidité ?
Des lois fondons l’idolâtrie,
Et le salut de la patrie
Sera notre immortalité.


D’un éphémère apothéose,
Redoutons l’éclat imposteur.
Du Temple où Voltaire repose,
Est-ce à nous d’avilir l’honneur ?
Dans son enceinte violés,
À peine de son mausolée
Marat eût chassé Mirabeau,
Que l’auteur immortel d’Émile,
Purifiant ce noble asile,
Vint l’arracher de son tombeau.

C’est au teins, juge incorruptible,
À nous ouvrir l’auguste seuil,
C’est lui dont la voix inflexible,
Doit interroger le cercueil.
Son tribunal juste et sévère,
Des vains, caprices du vulgaire,
Venge l’affront de Metellus,
Et bravant un éclat frivole,
De la roche du Capitole,
Il précipite Manlius.

C’est ce vieillard irréprochable,
Appui de la chaste Pallas,
Dont la justice infatigable.
Atteignit le tyran d’Arras.
C’est lui, qui vengeant le génie,
Des projets de la tyrannie
Affranchit l’empire des arts,
Et des yeux d’un fourbe homicide,
Arracha le masque perfide,
Qui le voilait à nos regards.


Comme au tronc d’un chêne robuste
Enlaçant ses bras tortueux,
S’élève en rampant un arbuste,
Qui l’enveloppe de ses nœuds ;
Ce lâche et ténébreux reptile,
Attachant son orgueil servile
Au chêne de la liberté,
Surmonta ses rameaux sublimes,
Et du luxe affreux de ses crimes
Menaça leur fécondité.

Quel monstre avec plus d’artifice
Cacha ses obliques projets ?
Ô nuit, de ses fureurs complice,
Que tu révélas de forfaits !
Fille puissante des ténèbres,
La terreur à ses cris funèbres
Mêle les accens de l’airain ;
Et dictant ses décrets sinistres,
Elle déchaîne ses ministres
Contre le peuple souverain.

Réveillons-nous : de sa furie
Arrêtons le coupable essor ;
Entre un rebelle et la patrie
Pouvons-nous balancer encor ?
Parlez, favoris de Bellone,
Aux champs de Fleurus et d’Argone,
Pour lui lanciez-vous le trépas ?
Et vous, enfans de Polymnie,
Pour consacrer sa tyrannie,
Chantiez-vous l’hymne des combats ?


Pour des crimes imaginaires,
Ainsi la hache de Thémis,
Frappa la vieillesse des pères
Sur la jeunesse de leurs fils.
Ainsi l’épouse infortunée,
Avec le fruit de l’hymenée,
Périt en pleurant son époux ;
Et de sa dépouille opulente
Grossit la fortune sanglante
D’un tyran avide et jaloux.

Accourez, ombres éplorées,
Triomphez de ses attentats,
Et de vos mains désespérées
Signez l’arrêt de son trépas ;
Némésis pour punir ses crimes,
Le traîne au char de ses victimes,
Et vous rappelle des tombeaux ;
Armez-vous de tous vos supplices,
Et l’immolant sur ses complices,
Repaissez-vous de ses lambeaux.

C’en est fait, d’un monstre farouche
Le glaive a puni la fureur ;
La liberté fut dans sa bouche,
Le despotisme dans son cœur.
Des lois ! Ô suprême puissance !
Il voulut asservir la France,
De ses complots quel est le fruit ?
Ils viennent à peine de naître,
L’aurore les voit disparaître
Avec les ombres de la nuit.


Triomphe humanité chérie
Dans nos murs ramène la paix ;
Et que l’autel de la patrie
Soit raffermi par tes bienfaits !
Nous, apprenons par cet exemple
À ne point profaner le temple
De l’auguste Immortalité,
Différons la reconnaissance,
Et d’une utile méfiance
Environnons la Liberté.