Chant funèbre, en l’honneur des guerriers morts à la bataille de Marengo, précédé d’autres essais lyriques/Chant funèbre, en l’honneur des guerriers morts à la bataille de Marengo

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CHANT FUNÈBRE,

En l’honneur des guerriers morts à la bataille
de Marengo

QUAND ma lyre de la clémence
Modulait les touchans accords,
Pourquoi nos cœurs de la vengeance
Ont-ils écouté les transports ?
Honneur des Filles de Mémoire,
Pour la patrie et pour la gloire,
Vous vivriez, héros français ;
Et nos yeux, pleins de justes larmes,
Ne verraient, point vos nobles armes
S’ombrager de tristes, cyprès.


Déjà sur Vienne enorgueillie,
Bellone a vengé votre mort ;
Déjà, de la belle Italie
Par vous elle a fixé le sort.
Mais quel triomphe si sublime,
D’une ame grande et magnanime,
Pourrait acquitter la valeur ?
Et quelle dépouille opulente
D’une plaie à jamais sanglante,
Calmera la juste douleur ?

À peine, en sa course paisible,
S’élève l’astre du matin,
Que le sort, d’un bras inflexible,
Tend sur nous son arc souverain.
Au sein d’Amphitrite agitée,
Des vents et de l’oncle irritée,
Un écueil brave en peint l’effort.
Mais, dans les horreurs du carnage,
Que peut le plus ferme courage
Contre les flèches de la mort ?

La mort qui du lâche Thersite
Dédaigne les jours incertains,
D’Achille au courroux de Cocyte
immole les jeunes destins.
Il lui faut de grandes victimes ;
Sur les héros les plus sublimes
Sa faulx appesantit ses coups ;
Et dans ces luttes mémorables,
Par des pertes irréparables,
Se manifeste son courroux.


Quand, par leurs mains est affranchie,
Cette terre de liberté,
Par le sort cruel enrichie
Du don fatal de la beauté ;
Et quand de la triple barrière
Que franchit leur ardeur guerrière,
Ils volaient au sein des combats,
Fallait-il que cette contrée,
Par de longs revers déchirée,
Gémît encor sur leur trépas ?

D’un guerrier que pleurait ma lyre,
Ô vous, illustres compagnons,
Vous, qui par un même délire
Avez su consacrer vos noms,
Dites à son ombre chérie
Que sa mort devant sa patrie
Fut vengée aux rives Pô,
Et, qu’achevant votre carrière,
Vous fermâtes votre paupière
Sur les palmes de Marengo.

Le Pô, non loin de ces rivages,
Vit donc sous le fer des Germains
Succomber ces mâles courages,
Arbitres du sort des Romains ?
Là, ces lauriers que dans l’Afrique
Moissonna leur course héroïque
Reposent avec leurs travaux.
Là, sont ces sueurs généreuses
Et ces actions belliqueuses,
Sublime entretien des héros.


Et vous craignez, fils de Bellone,
Que vos fronts n’aient point mérité
Cette florissante couronne
Que tresse l’Immortalité !
Vous avez assez fait pour elle :
Vos vertus, éclatant modèle,
Vivront à jamais dans nos cœurs ;
Et vos noms, sacrés dans l’histoire,
Seront tous inscrits par la gloire
Dans les archives des vainqueurs.

Ces neiges, ces Alpes franchies
Par Votre impétueux élan ;
Les rives deux fois affranchies
Et du Nil et de l’Eridan ;
Dans cette célèbre contrée,
De votre mort prématurée
Illustrent les touchans adieux ;
Et dans le tumulte des armes,
Némésis repousse les larmes
Que vous, commandez à nos yeux.

Héros, à leurs mânes fidelles,
Devant leur imposant cercueil,
De neuf puissantes citadelles
Vous avez vu tomber l’orgueil :
Et des bords chéris de la Seine,
Deux ans la victoire incertaine,
Dans un mois par-tout vous guida,
Tel que ces maîtres de la terre
Qui volaient aux champs de la guerre,
Du haut Olympe et de l’Ida.


Mais dans le sein de la victoire,
Que leur éloquent souvenir
Sur les prestiges de la gloire
Nous éclaire avec l’avenir !
Que leur mort sans cesse présente
Devienne une leçon vivante
Pour les vaincus et les vainqueurs !
Et qu’elle enseigne à la fortune
À craindre une chute commune,
Au faîte même des grandeurs.

Ah ! lorsqu’un pompeux mausolée
Vient consacrer leur dévouement,
Que l’Europe enfin consolée
Leur doive un autre monument !
Chéri des héros et des sages,
Qu’il reçoive avec nos hommages
Les vœux de la Seine et du Rhin,
Et sur l’alliance du monde,
Élevons sa base profonde,
Plus durable encor que l’airain.


FIN.