Chant de mort à mes frères


Maison d’arrêt de Versailles
4 septembre 1871


Chant de mort à mes frères.


Sur le cadran brisé rapides vont les jours
Passez toujours
Emportez tout les haines les amours

Passez passez heures journées
Que l’herbe pousse sur les morts
Tombez choses à peine nées
Vaisseaux, éloignez-vous des ports
Passez, passez ô nuits profondes
Émiettez-vous ô vieux monts
Proscrits ou morts nous reviendrons
Des cachots des tombes des ondes.

Nous reviendrons foule sans nombre
Nous reviendrons par tous les chemins
Spectres vengeurs sortant de l’ombre
Nous viendrons, nous serrant les mains

Les uns vêtus des blancs suaires
Les autres encore sanglants
Les trous des balles dans leur flanc
Pâles sous les rouges bannières,

Tout est fini Les forts les braves
Tous sont tombés ô mes amis,
Et déjà rampent les esclaves
Les traîtres et les avilis
Où donc êtes vous ô mes frères
Fils du peuple victorieux
Allant la Marseillaise aux yeux
Fiers et vaillants comme nos pères

Frères dans la lutte géante
J’aimais votre courage ardent
La mitraille rouge et tonnante
Et notre drapeau flamboyant
Sur les flots par la grande houle
Il est beau de tenter le sort
La récompense c’est la mort
Le but c’est de sauver la foule,

 

Vainqueurs sinistres et débiles
Puisqu’il vous faut tout notre sang
Versez-en les ondes fertiles
Buvez tous à cet océan
Et nous dans nos rouges bannières
Enveloppons-nous pour mourir
Ensemble dans ces beaux suaires
On serait bien là pour dormir

Louise Michel