I
Sur la hauteur, tout près des cieux,
Quand la nuit descend sur la terre,
On voit s’allumer les grands yeux
Du bruyant moulin de Cythère…
Dis-nous pour qui tu mouds ton grain.
Moulin, pour qui tournent tes ailes ?
Mouds-tu la joie ou le chagrin ?
Mouds-tu pour eux ? mouds-tu pour elles
Moulin Rouge,
Moulin Rouge,
Pour qui mouds-tu. Moulin Rouge ?
Pour la Mort ou pour l’Amour,
Pour qui mouds-tu jusqu’au jour ?
II
Je mouds pour que les nains, les fous,
Les déshérités, les malades
Aient, moyennant quarante sous,
Leur part d’amour et de ballades.
Je mouds pour que les malheureux,
Les orphelins, les sans-caresses,
Aient des hivers moins rigoureux
Près de leurs sœurs, les pécheresses.
III
Je mouds pour que les meurt-de-faim,
Oubliant que leur ventre gronde,
S’enivrent de rhythmes sans fin
Et de visions de chair blonde.
Je mouds pour que les assassins,
Éblouis, laissent passer l’heure
Où les ventrus et les malsains
Regagnent, tremblants, leur demeure.
IV
Pour les ouvriers des cités,
Je mouds la danse qui console
Et qui fait croire aux libertés,
Pourvu qu’ils aient la Carmagnole.
Ils rêvent que l’Égalité
C’est un vis-à-vis aux quadrilles,
Avec un baron bien renté,
Qui jette un peu d’or à leurs filles.
V
Sur la montagne des Martyrs,
Je mouds le Rêve et l’Harmonie,
Je mouds l’or et les repentirs,
Le rachat par l’ignominie.
Je mouds un avenir meilleur,
Je mouds pour eux ; je mouds pour elles.
Ayez pitié de nous, Seigneur,
Par la croix rouge de mes ailes !
Moulin Rouge,
Moulin Rouge,
Pour qui mouds-tu, Moulin Rouge ?
Pour la Mort ou pour l’Amour.
Pour qui mouds-tu jusqu’au jour ?
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