I
Sur la colline, où dort le Sacré-Cœur,
Le Christ errant vint pleurer sa douleur.
Il gémissait en voyant Notre-Dame
Dresser au ciel ses tours avec son âme.
« Paris, Paris, ville d’iniquité !
Toi que j’aimais, Paris, tu m’as quitté.
Tu vas périr dans le sang et la flamme. —
Pitié, Seigneur, dit une voix de femme.
Seigneur, ne reconnais-tu pas
Celle qui fut la Madeleine ?
Depuis deux mille ans que je peine,
Mon cœur est las. —
II
Toi, Madeleine, est-il possible, hélas !
Pauvre et si vieille en un corps triste et las !
Toi, ces cheveux ? Toi, ces yeux ? Toi, ces lèvres ?
Toi, ces péchés sanglotant sous les fièvres ? —
Ainsi m’ont faite, ô Seigneur, tes chrétiens.
Voici mes pieds plus meurtris que les tiens ;
Voici mon cœur où s’appuyait ta tête ;
Voici mon corps flétri par ta conquête.
Seigneur, ne reconnais-tu pas
Celle qui fut la Madeleine ?
Depuis deux mille ans que je peine,
Mon cœur est las.
III
Que n’allais-tu dans mes cloîtres fermés ? —
On n’y reçoit que des corps bien famés ! —
Que n’allais-tu prier dans mes églises ? —
Par les grandeurs toutes places sont prises ! —
Que faisais-tu dans les bras des bourgeois ? —
Mes bras faisaient le geste de ta croix. —
Il fallait faire acte de repentance. —
Aux pauvres gens tout acte est pénitence !
Seigneur, ne reconnais-tu pas
Celle qui fut la Madeleine ?
Depuis deux mille ans que je peine.
Mon cœur est las.
IV
Mais tes enfants que sont-ils devenus ? —
Dans la Douleur partis sitôt venus. —
Ne pouvais-tu les tenir en litée ? —
Ta mère, à toi, pourquoi l’as-tu quittée ! —
C’est que j’allais vers mon Père et ma Fin. —
C’est qu’ils n’avaient eux ni père, ni pain. »
Le Christ se tut. Sous le haillon de laine,
Jésus baisa les pieds de Madeleine.
« Seigneur, ne reconnais-tu pas
Celle qui fut la Madeleine ?
Depuis deux mille ans que je peine,
Mon cœur est las. »
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