I
J’ai traversé la forêt blanche,
La forêt de tous les malheurs.
Chaque arbre était une avalanche
De neige et de blanches douleurs.
Mais voici que la neige bouge,
Voici des flots de sang dans la neige figés
C’est un ruisseau de neige rouge,
Le sang de tous les serfs par la meute égorgés.
II
Ailleurs la neige devient boue,
La neige ici devient frisson.
Sous l’âpre vent qui la secoue,
La forêt clame sa chanson :
« Combien de serfs, autrefois libres,
Dans la gueule des chiens, traqués par les chasseurs,
Ont laissé leur cœur et leurs fibres,
Leur droit de vivre en paix sans tyrans oppresseurs ! »
III
Et voilà, sous le plus grand chêne,
Combien de cadavres pendus !
Leurs pieds sont rivés d’une chaîne,
Et leurs seins gauches sont fendus.
La neige en vain les couvre blanche :
Quelque chose de rouge apparaît sur leurs corps.
Les corbeaux chantent sur la branche,
Les corbeaux de la loi qui vivent sur les morts.
IV
Arrière, meute sacrilège !
Chiens, respectez les blancs tombeaux !
Vous léchez le sang dans la neige,
Vous fouillez les cœurs, noirs corbeaux !
Mais voici que l’ouragan passe,
Voici les oppresseurs en victimes changés !
À travers le temps et l’espace,
Voici les droits des morts par l’ouragan vengés !