Chansons rouges/La Dernière Bastille

Maurice Boukay (
Ernest Flammarion, éditeur (p. 137-143).


LA DERNIÈRE BASTILLE


À Georges Montorgueil.
Un enfant pauvre chante, le soir du 14 juillet :

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R2*4 \bar "||" 
r8 bes bes bes | bes a d, bes'
bes2 | a8 a c, ees \( | g g a bes
a2~ \) a8 a c bes | a g fis g
a2~ a8 a c bes | a fis fis fis
fis2~ fis4 r
  \time 6/8
  \key g \major
  b4.-- b4-- b8-- | b4.-- b--
b-- b-- | c~ c4 r8 | c4. e4 c8 
% {page suivante}
b4 b8 a4 g8 | b2. | b4 r8 b4 d8
cis4. fis,4 \( fis8 | gis4. ais | b2. \) | b4.~ b4 r8 
b4. b4 b8 | a4. a8 a a | g2.~ g4. r4 r8
 \bar "|."
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\addlyrics {
Père à l’é -- cole on nous ra -- con -- te,
C’est dans un beau li -- vre tout neuf,
Que le peuple, en qua -- tre- vingt- neuf,
A pris la Bas -- tille. Est-ce un "con - te ?"
É -- ga -- li -- "té !" Fra -- ter -- ni -- "té !"
I -- ci l’on danse et l’on se gri --se.
Est- ce vrai, la Bas --til -- le pri -- "se ?"
Pè -- re, dis- moi la vé -- ri -- "té !"
}
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I

Père, à l’École on nous raconte, —
C’est dans un beau livre tout neuf, —
Que le peuple, en quatre-vingt-neuf,
A pris la Bastille. Est-ce un conte ?
« Égalité ! Fraternité !
Ici l’on danse et l’on se grise ! »
Est-ce vrai, la Bastille prise ?
Père, dis-moi la vérité !

II

Si les hommes sont égaux, père,
Pourquoi, fils d’ouvriers suspect,
Dois-je l’hommage et le respect
Au chien de ton propriétaire ?

Si c’est pour telle égalité
Que le peuple danse et se grise,
Non, la Bastille n’est pas prise.
Père, dis-moi la vérité !

III

Pourquoi, si les hommes sont frères,
Pourquoi voit-on tant de patrons
Si durs aux pauvres tâcherons ?
Pourquoi voit-on tant de misères ?
Si c’est pour la fraternité
Que le peuple danse et se grise,
Non, la Bastille n’est pas prise.
Père, dis-moi la vérité !

IV

Enfin si la liberté règne,
Quand vient l’aurore du scrutin,
Pourquoi cacher ton bulletin ?
Quand on a droit, faut-il qu’on craigne ?
Si c’est pour cette liberté
Que le peuple danse et se grise,
Non, la Bastille n’est pas prise.
Père, dis-moi la vérité ! —


V

Mon fils, ce que tu veux apprendre
Par ton cœur te sera dicté.
Pour délivrer l’humanité,
Il reste une Bastille à prendre :
C’est la Bastille de la faim,
C’est la loi de fer qui nous brise.
Pour que le Droit se réalise
Il faut que tout homme ait son pain.