I
Père, à l’École on nous raconte, —
C’est dans un beau livre tout neuf, —
Que le peuple, en quatre-vingt-neuf,
A pris la Bastille. Est-ce un conte ?
« Égalité ! Fraternité !
Ici l’on danse et l’on se grise ! »
Est-ce vrai, la Bastille prise ?
Père, dis-moi la vérité !
II
Si les hommes sont égaux, père,
Pourquoi, fils d’ouvriers suspect,
Dois-je l’hommage et le respect
Au chien de ton propriétaire ?
Si c’est pour telle égalité
Que le peuple danse et se grise,
Non, la Bastille n’est pas prise.
Père, dis-moi la vérité !
III
Pourquoi, si les hommes sont frères,
Pourquoi voit-on tant de patrons
Si durs aux pauvres tâcherons ?
Pourquoi voit-on tant de misères ?
Si c’est pour la fraternité
Que le peuple danse et se grise,
Non, la Bastille n’est pas prise.
Père, dis-moi la vérité !
IV
Enfin si la liberté règne,
Quand vient l’aurore du scrutin,
Pourquoi cacher ton bulletin ?
Quand on a droit, faut-il qu’on craigne ?
Si c’est pour cette liberté
Que le peuple danse et se grise,
Non, la Bastille n’est pas prise.
Père, dis-moi la vérité ! —
V
Mon fils, ce que tu veux apprendre
Par ton cœur te sera dicté.
Pour délivrer l’humanité,
Il reste une Bastille à prendre :
C’est la Bastille de la faim,
C’est la loi de fer qui nous brise.
Pour que le Droit se réalise
Il faut que tout homme ait son pain.
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