Maurice Boukay (
Ernest Flammarion, éditeur (p. 107-112).


EN FACE !


À Lucien Descaves.
Un condamné chante :

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R4.*6 \bar "||" 
  <b d e>4 r8 b' \( b c | a4 \) a8 a4 gis8
a4 a8 r4 r8 | r4 r8 r4 a8 | c b a g f e
\time 3/8 d4 d8
  \time 6/8 e f g a b c
  \time 3/8 a4 a8
\time 6/8 c c c a a gis
  \time 3/8 b b16 r b8
\time 6/8 c b a a g f
  \time 3/8 e4 a8
\time 6/8 g f e c c d
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\time 6/8 c^> b a a a gis
  \time 3/8 a4 a8
\bar "|."
}
\addlyrics {
 _ J’ai re -- gar -- dé le monde en fa -- ce.
Vieil -- lard per -- clus de va -- ni -- té,
Rhu -- ma -- ti -- sant de lâ -- che -- té,
Ton or, que veux- tu que j’en fas -- "se ?"
Le clin -- quant de ton o -- ri -- peau
Sert- il de cui -- rasse à ta "peau ?"
J’ai re -- gar -- dé le monde en fa -- ce.
}
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I

J’ai regardé le monde en face.
Vieillard perclus de vanité,
Rhumatisant de lâcheté,
Ton or, que veux-tu que j’en fasse ?
Le clinquant de ton oripeau
Sert-il de cuirasse à ta peau ?
J’ai regardé le monde en face.

II

J’ai regardé la femme en face.
Son regard a fui mon regard ;
Mais j’ai lu dans son œil hagard
Le roman, depuis la préface
Jusqu’au dénoûment criminel :
Mensonge éternel et charnel !
J’ai regardé la femme en face.

III

J’ai regardé le juge en face.
Certain d’abord d’être perdu,
Je ne me suis pas défendu.
À quoi bon mendier sa grâce !
Le cuir est fait pour le tanner ;
Le code est fait pour condamner,
J’ai regardé le juge en face.


IV

J’ai regardé la geôle en face.
La solitude avant la mort,
C’est pour qui se sent vraiment fort
Le seul bien qui vous satisfasse.
Au seuil de l’éternel repos
Voici l’acte de bon propos ;
J’ai regardé la geôle en face.

V

J’ai regardé la mort en face :
La faucheuse alors m’a souri.
Et je me suis senti guéri
De tous les péchés de ma race.
Si l’on veut qu’il puisse nourrir
L’épi sous la faux doit périr.
J’ai regardé la mort en face.