Chansons rouges/Chanson de Nature

Maurice Boukay (
Ernest Flammarion, éditeur (p. 121-127).


LA CHANSON DE NATURE


À Octave Mirbeau.
Un prolétaire chante :

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R2.*4 \bar "||" 
r2 r4 r8 c | c c c c b4 b8 d
c b a gis a4 a8 a | a gis f e g4. g8
g g g g g4 g8 c | c b a g f4 r8 f
e f g a a4. a8 | b c b ais b4. b8
d c b a a4 r8 a | gis a gis a b4 r8 b
d c b c b4 a8 b | c b a gis b4 r8 a
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g!8 f e f a4 e8 e | g f e f a4. a8
gis a b c b4 r8 cis
  \time 6/8
  \key a \major
  cis4^\markup { Large } b8 a4 b8
cis4.~ cis4 e8 | cis4 cis8 b4 b8 | a4.~ a4 r8
 \bar "|."
\mark \markup { \musicglyph #"scripts.segno" }
}
\addlyrics {
La na -- tu -- re, ma mè -- re, un jour m’est ap -- pa -- ru -- e.
J’ai cru les hom -- mes fous de ne l’a -- voir pas cru -- "e :"
"« Mon" fils, m’a- t-el -- le dit, je veux que ta chan -- son
Porte à chaque op -- pri -- mé l’es -- poir de sa ran -- "çon !"
Quand je les en -- fan -- tai, les hom -- mes é -- taient frè -- "res ;"
Ils a -- vaient le bon -- heur. Ils ont fait les mi -- sè -- res.
Le pau -- vre n’a plus droit à ce qui fut son bien,
Et le riche, a -- yant tout, ne sait com -- pren -- dre "rien. »"
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I

La nature, ma mère, un jour m’est apparue.
J’ai cru les hommes fous de ne l’avoir pas crue :

« Mon fils, m’a-t-elle dit, je veux que ta chanson
Porte à chaque opprimé l’espoir de sa rançon.

Quand je les enfantai, les hommes étaient frères :
Ils avaient le bonheur. Ils ont fait les misères !

Le pauvre n’a plus droit à ce qui fut son bien,
Et le riche, ayant tout, ne sait comprendre rien. »


II

« Voici l’or du soleil et voici l’or des plaines :
Voici l’argent des lys et la neige des laines.

Voici le vert des bois, voici l’azur du ciel ;
Voici les fruits de chair, voici les fleurs de miel.

Tous avaient tout cela. Tout cela n’était guère !
Et tout cela n’est plus qu’un long sujet de guerre.

Le pauvre n’a plus droit à ce qui fut son bien.
Et le riche, ayant tout, ne sait comprendre rien.

III

« Chaque goutte de lait qui pend à mes mamelles
Fit les hommes jumeaux et les femmes jumelles.

Chaque goutte de sang qui sort de mon cœur fort
Ne coulait dans leurs cœurs que pour le noble effort.

Et voici que le meurtre au meurtre coïncide,
Et l’homme est devenu le seul être homicide.

Le pauvre n’a plus droit à ce qui fut son bien,
Et le riche, ayant tout, ne sait comprendre rien.


IV

« Écoute : Nul ne doit périr pour qu’un prospère :
Car nul n’a pu sans crime exproprier son frère.

Nul ne doit abuser de ce qui vient de moi :
Car nul n’est à lui seul le gardien de ma loi.

Nul n’a droit à l’excès quand le peu manque à l’autre,
Nul ne peut dire « mien » quand il faut dire « nôtre ».

Le pauvre n’a plus droit à ce qui fut son bien.
Et le riche, ayant tout, ne sait comprendre rien. »