Chansons pour mon ombre (1907)/Les Ébauches

Pour les autres éditions de ce texte, voir Les Ébauches.

Chansons pour mon ombreAlphonse Lemerre, éditeur (p. 79-80).

LES ÉBAUCHES


Le charme douloureux des ébauches m’attire,
Tel un gardénia qu’une haleine meurtrit.
Car la beauté jadis entrevue y sourit,
Harmonieusement, de son demi-sourire.

Les visages fuyants et les frêles contours
S’estompent sur la toile irréelle du rêve,
Ne laissant au regard qu’une vision brève
Dont la divinité se dérobe toujours…


Car l’ébauche est la sœur fragile des ruines
Qui mêlent leur hantise et leur pâleur au soir,
Évoquant la lumière ancienne d’un pouvoir
Sombré dans le palais que voilent les bruines.

Et l’on sent défaillir le vouloir entravé
Sous la ténuité morbide de l’esquisse…
Sa grâce fugitive, où le regret se glisse,
A l’infini du vague et de l’inachevé…