Chansons pour mon ombre (1907)/Lassitude

Pour les autres éditions de ce texte, voir Lassitude.

Chansons pour mon ombreAlphonse Lemerre, éditeur (p. 9-10).

LASSITUDE


Je dormirai ce soir d’un large et doux sommeil…
Fermez les lourds rideaux, tenez les portes closes.
Surtout, ne laissez pas pénétrer le soleil,
Laissez autour de moi le soir trempé de roses.

Posez, sur la blancheur d’un oreiller profond,
De ces fleurs sans éclat et dont l’odeur obsède…
Posez-les dans mes mains, sur mon cœur, sur mon front,
Les fleurs frêles au souffle adorablement tiède.


Et je dirai très bas : « Rien de moi n’est resté…
Mon âme enfin repose… Ayez donc pitié d’elle…
Qu’elle puisse dormir toute une éternité… »
Je dormirai, ce soir, de la mort la plus belle.

— Que s’effeuillent les fleurs, tubéreuses et lys,
Et que sombre et s’éteigne, au seuil des portes closes,
L’écho pâle et lointain des sanglots de jadis…
Ah ! le soir infini ! le soir trempé de roses !…