Chansons posthumes de Pierre-Jean de Béranger/La Sirène
LA SIRÈNE
Les flots sommeillent au rivage ;
Au ciel brille un beau soir d’été.
Plus de bruit, tout dort sur la plage,
Le vent, le travail, la gaieté.
Du sein de l’onde un mot surnage,
Mot que la nuit fera redire au jour :
Amour ! amour ! (Bis.)
Qui dit ce mot ? C’est la Sirène
Guettant sa proie au bord des eaux.
Malheur à celui qu’elle entraîne
Jusqu’à sa couche de roseaux !
Déjà, pas à pas, sur l’arène,
D’elle s’approche un bel adolescent,
En rougissant.
— Accours, dit-elle, amour me presse ;
Pour tous les cœurs j’ai des échos.
À moi d’enhardir la jeunesse ;
Je te soutiendrai sur les flots.
Échappe au mors de la Sagesse,
Qui ceint le front de ses enfants blafards
De nénufars.
L’Amour fait scintiller les ondes
Où nous folâtrons sans souci.
Combien, dans nos grottes profondes,
Tombent, qui nous disent : Merci !
C’est dans le plus joyeux des mondes
Que va te luire un éternel été
De volupté.
Goûte aux plaisirs qu’on nous envie ;
Caresse mon sein palpitant ;
Chez vous quelle âme est assouvie ?
Vos feux n’échauffent qu’un instant.
La vie, enfant, la douce vie
N’est parmi nous, qui savons l’attiser,
Qu’un long baiser.
L’adolescent plonge dans l’onde.
Qui l’a revu ? Nul depuis lors.
Mais qu’au soir la Sirène immonde
Chante encor l’amour sur nos bords,
Une voix, qui n’est plus du monde,
Crie aux passants saisis, tremblants d’effroi :
« Priez pour moi. »