Chansons populaires de France (1865)/Les Bossus

Collectif
Chansons populaires de France
Librairie du Petit Journal (p. 124-127).

Les Bossus.

Cette très-vieille chanson a été pour la première fois recueillie et complétée par les soins de M. Dumersan.

Depuis longtemps je me suis aperçu
De l’agrément qu’on a d’être bossu.
Polichinelle en tous lieux si connu,
Toujours chéri, partout si bien venu,
Fait le gros dos parce qu’il est bossu.

Loin qu’une bosse ait rien d’un embarras,
De ce paquet on fait un fort grand cas ;
Quand un bossu l’est derrière et devant,
Son estomac est à l’abri du vent,
Et ses épaules sont plus chaudement.
Et ses épaules sont plus chaudement.

On trouve ici des gens assez mal nés
Pour s’aviser d’aller leur rire au nez :
Ils l’ont toujours aussi long que le bec
De cet oiseau que l’on trouve à Québec,
Et leur babil inspire du respect.

Tous les bossus ont ordinairement
Le ton comique et beaucoup d’agrément.
Quand un bossu se montre de côté,
Il règne en lui certaine majesté,
Qu’on ne peut voir sans en être enchanté.

Si j’avais eu le bonheur de Crésus,
J’aurais rempli mon palais de bossus.
On aurait vu près de moi, nuit et jour,
Tous les bossus s’empresser tour à tour,
De montrer leur éminence à ma cour.

Dans mes jardins, sur un beau piédestal,
J’aurais fait mettre un Ésope en métal,
Et, par mon ordre, un de mes substituts
Aurait gravé près de ses attributs :
Vive la bosse et vivent les bossus !

Concluons donc, pour aller jusqu’au bout,
Qu’avec la bosse on peut passer partout.
Qu’un homme soit ou fantasque ou bourru,
Qu’il soit chassieux, malpropre et mal vêtu,
On le distingue alors qu’il est bossu.