Texte établi par Poésie-préface de Sullian-Collin, Georges Ondet, Éditeur (p. 9-14).

VERS L’IDÉAL

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à Théodore BOTREL
en manière de préface


Pour vous payer des dons si largement offerts,
Il vous suffit, ami, d’un rien, de quelques larmes ;
Et, s’il fallait encore embellir tant de charmes,
On pouvait vous donner des fleurs : voici des vers,

Des vers écrits pour vous et par un camarade
L’hommage semblera sans doute superflu ;
Mais c’est là votre orgueil d’avoir ainsi voulu
Que ce soit un Breton qui vous donne l’aubade.


Je reconnais bien là le barde fer et doux
Dont le cœur est toujours où s’ouvrirent ses rêves :
Nous autres, qui vivons maintenant loin des grèves,
Nous aimons à parler avec ceux de “ chez nous ”.

Merci, car un Breton peut seul dire à voix haute
Qu’on s’honore là-bas des bravos recueillis :
Si nul ne fut jamais prophète en son pays,
On ne chante que vous de la Lande à la Côte.

La Bretagne eut toujours ses poètes charmeurs :
Par les sentiers fleuris d’ajoncs et de bruyère
Ils vont très lentement, graves comme en prière,
De la foule fuyant les banales clameurs.

Mais, si noble que soit le but qu’il veut poursuivre,
Le poète s’attarde en rêves décevants
Car, son poème écrit en des vers triomphants,
La forme le retient prisonnier dans un livre.

Mais ceux pour qui le Livre est à jamais fermé,
Qu’ils ne l’aient pas trouvé sur la route suivie
Ou que le tourbillon des choses de la vie
Les empêche d’ouvrir même l’ouvrage aimé,


Ceux qui n’ont jamais lu, n’ayant jamais su lire :
Le pêcheur qu’une barque emporte tous les soirs,
Le laboureur qui passe en semant les espoirs,
L’artisan dont le rêve est souvent du délire ;

Ceux qui ne savent plus, ceux dont s’ouvrent les yeux
Le vieillard dont la main ne peut tourner la page,
L’enfant qui ne connaît encore que l’image,
Ceux-là n’auront-ils pas un poète pour eux ?

Et si, dans leur regret de l’étude choisie,
Si, par leur ignorance ou leur légèreté,
Ils vivent sans jamais sourire à la Beauté,
Seront-ils donc privés de toute poésie ?

Et c’est bien là ton rôle, ô naïve Chanson,
D’aller au cœur de tous sans le secours du Livre
Et de faire vibrer dans le bonheur de vivre
L’âme où ton charme éveille un suave frisson.

La Chanson qui pénètre au fond de la chaumière
Pour s’asseoir au foyer, courir sur les lits-clos,
Suivre le pâtre aux champs, le mousse sur les flots,
Apportant à chacun la joie et la lumière ;


La Chanson qu’on dirait un soupir de roseau,
La Chanson qui sait prendre aussi la voix des houles
Pour faire tressaillir d’émotion les foules,
La Chanson qui s’élève ainsi qu’un chant d’oiseau ;

La Chanson qui va, vient, sur mer, sur la montagne,
Voilà ce qu’on demande à ceux qui vont rêvant
Et ce que leur fierté nous refuse souvent…
Et voilà ce qu’on aime au pays de Bretagne.

Et vous êtes venu vers les déshérités,
Et vous avez compris, vous dont grandit le rêve
Au rythme languissant des vagues sur la grève,
Que s’ils n’étaient pas lus les vers seraient chantés.

El vous avez chanté la Chanson la meilleure,
Non pas celle qui passe et qu’on écoute en vain,
Mais celle qui pour l’âme est un baume divin
Et met comme un rayon sur le front quelle effleure.

Ainsi, vous avez dit aux Bretons de “ chez nous ” :
« Frères, écoutez bien la voix de vos ancêtres,
« Comme eux sachez rester fidèles à vos prêtres,
« Et ne rougissez pas de tomber à genoux. »


Et vous, le barde aimé que la foule environne,
Vous avez, par des vers que tous ont recueillis,
Su rendre encor plus cher à tous le grand Pays
Dont Anne de Bretagne a porté la couronne.

Même en France gardant les costumes si beaux
Qui furent des Bretons l’orgueil et la richesse,
À l’égal maintenant de la Bonne Duchesse
Vous quittez vos souliers pour chausser des sabots.

Et vous allez partout, dissipant d’un sourire
Le nuage qui monte à l’horizon si noir :
Par vous qui le chantez va renaître l’Espoir
Que d’autres ont rêvé, mais ne savaient qu’écrire.

Alors que, d’un dédain ou d’un geste moqueur,
Les sceptiques penseurs semaient partout le Doute,
Vous avez eu des mots pour les mettre en déroute,
Qui n’ont d’autre secret que de venir du cœur.

Et nous vous disons tous : « Poursuivez votre ouvrage,
C’est un apostolat que nous applaudissons ;
En France, où tout finit, dit-on, par des chansons,
Il suffit d’un refrain pour rendre le courage ! »


Et les bretons, conduits par un chef si loyal,
Marcheront avec vous pour mener la campagne,
Heureux et fiers surtout qu’il parte de Bretagne
L’élan qui fait monter les cœurs vers l’Idéal.

Sullian-Collin.