Chansons choisies d’Eugène Imbert/Assez de chansons

Chansons choisies d’Eugène Imbert
Chansons choisiesImprimerie Demoulle (p. 9-10).


ASSEZ DE CHANSONS


Air de Mme  Favart


Assez de chansons !… Mais il semble
Que ce signal vient un peu tôt.
Nous trinquons, nous rions ensemble :
Pourquoi ce singulier veto ?
Autour de ce joyeux asile
Qui sait si, l’œil plein de soupçons.
Ne rôde pas quelque Basile ?
Mes amis, assez de chansons. Bis.

Si c’est le bon vin qui ranime,
On s’enivre aussi de chanter ;
Or nous courons vers un abîme ;
Sachons à temps nous arrêter.
Dans notre élan trop poétique,
Bientôt, grâce à nos échansons,
Nous allions parler politique.
Mes amis, assez de chansons.

L’espérance, folle utopie
Qui leurre encor le genre humain !
Le bonheur que notre œil épie
Est toujours pour le lendemain.

La foi, déçue, a beau renaître :
L’avenir dont nous nous berçons,
Quand viendra-t-il ? Jamais, peut-être.
Mes amis, assez de chansons.

Notre histoire récente est faite
De regret et de repentir ;
Chaque jour amène la fête
Soit d’un bourreau, soit d’un martyr.
Pour tout homme, s’il est sincère,
Un nom qu’au hasard nous plaçons
Rappelle un triste anniversaire.
Mes amis, assez de chansons.

Un nuage né du cigare
Nous entoure de tous côtés.
Ce voile, où la pudeur s’égare,
Sert de gaze à nos crudités.
Mais on sait ce que parfois coûtent
Des couplets vifs ou polissons,
Et puis nos enfants nous écoutent.
Mes amis, assez de chansons.

Enfin voilà minuit qui sonne :
Notre verve doit s’épuiser ;
D’ailleurs, c’est l’instant où personne
N’a plus le droit de s’amuser.
Célébrons le pape ou Glycère :
Les refrains qu’au ciel nous lançons
Feraient venir le commissaire.
Mes amis, assez de chansons. Bis.