Chansons (Antoine Clesse)/Une Immortelle

Librairie Nouvelle ; Librairie Universelle (p. 7-8).

UNE IMMORTELLE


Air du Credo des Quatre Saisons.


A vril, de sa main adorable,
Ouvrait les fleurs sur mon chemin,
Quand à mon être misérable
Apparut un être divin.
Elle parlait la vierge blonde :
Il semble encor que je l’entends :
» Je suis vieille comme le monde
» Et jeune comme le printemps. (Bis)

» Oui, je suis vieille et démocrate,
» Malgré de longs espoirs déçus ;
» J’étais là quand mourait Socrate,
» J’étais là quand mourait Jésus ;
» Contre sa loi la haine immonde
» En vain croit triompher un jour :
» Je suis vieille comme le monde
» Et jeune encor comme l’amour.

» Le despotisme et l’ignorance,
» Ces deux sinistres compagnons,
» M’opposent, fous d’intolérance,
» Échafauds, bûchers ou canons.

» Quand ils ont fait la nuit profonde,
» Je plane à l’horizon vermeil :
» Je suis vieille comme le monde
» Et jeune comme le soleil !

» J’ai lutté contre l’esclavage
» Avec les martyrs de la croix ;
» J’ai lutté contre le servage
» Avec les Flamands d’autrefois !
« Je lutte avec tout ce qui fonde
» Les droits saints de l’humanité :
» Je suis vieille comme le monde,
» Jeune comme la liberté ! »

Elle parlait. Dans la nature,
Tout l’écoutait silencieux,
Quand la divine créature
Monta lentement vers les cieux.
« Adieu ! disait la vierge blonde,
Éblouissante de clarté :
« Je serai la Reine du monde,
« Je m’appelle la Vérité ! »

1862.