Champollion inconnu/Champollion à Rome

IV


CHAMPOLLION À ROME


Lorsque Champollion, illustré déjà par sa découverte, visita Rome, Turin, Florence, Naples, et, plus tard, l’Égypte elle-même ; son principal objectif, on le comprend, fut d’étudier, dans les musées ou sur leur lieu d’origine, les monuments égyptiens, obélisques, pierres gravées, papyrus ; d’appliquer son merveilleux système d’interprétation ; de le confirmer et de le développer par la pratique en déchiffrant les inscriptions de l’ancienne Égypte. Sa correspondance de voyageur, avec son frère, est donc remplie d’exposés savants, qui offrent un intérêt purement technique. Ces voyages en effet confirmaient la justesse de sa découverte : il a joyeusement écrit d’Égypte à M. Dacier :


Je suis fier maintenant que j’ai le droit de vous annoncer qu’il n’y a rien à modifier dans le système publié. L’alphabet est le bon, il s’applique avec un égal succès aux monuments du temps des Lagides et des époques Pharaoniques. Tout légitime donc les encouragements que vous avez donnés à mes travaux hiéroglyphiques.


Mais en dehors de ces recherches scientifiques, on trouve, dans les lettres intimes datées de Rome, quelques détails qui pourront peut-être appeler, à un autre titre, l’attention des curieux.

L’opinion publique en effet se demandait alors ce qu’allait découvrir la science dans ce livre fermé que le grand égyptologue ouvrait subitement ; ce que révéleraient sur le vieux monde inconnu les textes, vierges depuis vingt siècles et maintenant déchiffrables ? La vieille histoire nationale des Égyptiens qu’allaient livrer tout d’une pièce à notre temps les inscriptions des tombeaux et des monuments, confirmerait-elle ou infirmerait-elle l’histoire connue, l’histoire des peuples voisins, et notamment les données chronologiques de la Bible ?

L’ignorante égyptologie d’autrefois avait inquiété déjà les croyances en attribuant au fameux zodiaque découvert dans le temple de Dendérah une antiquité prodigieuse, et en reportant, d’après lui, le commencement du monde bien au delà des limites indiquées par Moïse.

L’oracle du jour, le philosophe Volney, s’était prononcé catégoriquement à Dendérah même ! D’après lui, le zodiaque égyptien établissait sans conteste que le monde existe depuis quinze mille ans au moins, et non pas depuis six mille ans comme l’assurent les calculs orthodoxes.

Or Champollion n’était pas dévot : il dit quelque part, et toute sa correspondance le confirme radicalement, que le but de ses longues recherches n’a nullement été de fournir des arguments à la foi chrétienne :


Je n’ai pas cherché la gloire de Dieu.


Les centres, les justes-milieux lui font horreur ; il va tout droit, sans compromissions et sans concessions ; il ne louvoie pas ; il dit les choses comme elles sont à ses yeux. Il a même drôlement écrit : les moyens termes sont un poison, loin d’être un bien.


In medio stat virus ; non virtus.


Non seulement il est étranger à toute partialité théologique, mais il pencherait plutôt vers la tendance profane. Ainsi est-il agacé de la comparaison souvent établie par les orateurs ou les écrivains entre la civilisation du peuple hébreu et celle du peuple égyptien ; il critique la supériorité généralement attribuée au premier sur le second. À ses yeux, fort prévenus, la notion du Jéhovah israélite avec son culte sanglant et ses menaces temporelles était inférieure à la conception de l’Amnon égyptien avec ses rites fleuris, sa mythologie symbolique, sa hiérarchie de célestes intercesseurs préposés par la divinité suprême aux différents besoins de l’homme, et implorés spécialement selon chaque circonstance, selon chaque fléau local.


Les Égyptiens que l’on dit un peuple bête et oignonicole, avaient les idées les plus pures et les plus grandes sur la divinité.


C’est donc sans parti pris confessionnel que Champollion étudia (dès que sa clé merveilleuse lui permit de déchiffrer sûrement les inscriptions égyptiennes), le curieux planisphère détaché du plafond de Dendérah, à l’aide de puissantes scies, et apporté en France, avec la permission de Méhémet-Ali, en 1821. Cette représentation égyptienne des constellations célestes, établie en relief sur une puissante dalle de trois mètres carrés, accusa soudain, dès qu’on put lire ses hiéroglyphes, une date très récente ! Le zodiaque déchiffré apparut comme un modeste contemporain des Césars ! D’ailleurs, le temple de Dendérah tout entier ne remonte pas au delà.


Le pronaos est couvert de légendes impériales de Tibère, de Caïus, de Claude et de Néron : les sculptures ne peuvent remonter plus haut que les temps de Trajan ou d’Antonin. Le grand propylon est couvert des images des empereurs Domitien et Trajan. Quant au typhonium, il a été décoré sous Trajan, Adrien et Antonin le Pieux.


Dendérah perdait ainsi son prestige préhistorique et cessait d’être utile aux adversaires de la chronologie biblique.

Un autre zodiaque, celui du temple d’Esneh, était également regardé comme antérieur à la chronologie orthodoxe. Champollion l’étudie, et voici ce qu’il apprend :


Les inscriptions du grand zodiaque d’Esneh démontrent qu’il a été dédié sous le règne de l’empereur Commode. Ainsi les milliers d’années de Jomard se résolvent en fumée !…

Pour encourager Jomard, l’as-tu régalé d’un petit article sur l’excessive antiquité du règne de Commode, prouvée par le zodiaque d’Esneh ?…

Ce temple a été regardé, d’après de simples conjectures établies sur une façon particulière d’interpréter le zodiaque du plafond, comme le plus ancien monument de l’Égypte. L’étude que j’en ai faite m’a pleinement convaincu que c’est au contraire le plus moderne. La porte du pronaos offre la dédicace, en grands hiéroglyphes, de l’empereur Claude ; la corniche de la façade et le premier rang de colonnes ont été sculptés sous les empereurs Vespasien et Titus. La partie postérieure porte les légendes des empereurs Antonin, Marc-Aurèle et Commode. Quelques bas-reliefs sont de l’époque de Domitien. Tous ceux des parois portent les images de Septime-Sévère et de Géta. Ainsi donc la construction ne remonte pas au delà de l’empereur Claude, et ses sculptures descendent jusqu’à Caracalla. Du nombre de celles-ci est le fameux zodiaque dont on a tant parlé. Cela est d’hier, comparativement à ce qu’on croyait…

Je débarrasse les croyants de six mille ans qui gênaient.


Autres conformités avec l’orthodoxie :

Les deux faits les plus saillants où, d’après l’histoire juive, l’Égypte s’est trouvée mêlée, sont : exode des Hébreux, esclaves des Pharaons, s’enfuyant au loin avec les trésors dérobés à leurs maîtres ; et, plus tard, l’invasion de Jérusalem, la défaite de Roboam par le Pharaon Sésac. Or Champollion, en déchiffrant les papyrus et les inscriptions sépulcrales, a précisément trouvé trace et confirmation de ces circonstances.

C’est assurément sans aucune révérence à l’égard des émigrants juifs, que, traduisant les vieilles inscriptions égyptiennes, Champollion relate l’exode mosaïque ; mais l’important c’est que, dans les annales égyptiennes, il ait rencontré mention du fait, mention d’ailleurs méprisante, inexacte et calomnieusement présentée par quelque scribe rancunier du temps :


J’ai appris des nouvelles de Moïse : il s’appelait Osarsit et se mit chef des lépreux et des galeux de l’Égypte, pilla, vola, tua, et fut s’établir à Jérusalem.


Quant à la défaite de Roboam par les Égyptiens, voici ce que Champollion en a écrit, de Thèbes même :


On voit ici Sésonchis, traînant, aux pieds de la Trinité Thébaine, les chefs de plus de trente nations vaincues, parmi lesquelles j’ai retrouvé, comme cela devait être, en toutes lettres : ioudahamalek, le royaume des Juifs ou de Juda. C’est là un commentaire à joindre au chapitre xiv du IIIe livre des Rois, qui raconte en effet l’arrivée de Sésonchis à Jérusalem et ses succès. Ainsi l’identité entre Sésonchis et le Sésac de la Bible est confirmée de la manière la plus satisfaisante.


On peut ajouter à cette affirmation si positive que le vieux portrait égyptien de l’Hébreu captif, calqué sur place par Champollion, paraît représenter fidèlement Roboam lui-même ; car les traits caractéristiques de la race israélite distinguent très nettement la physionomie de ce personnage au milieu des autres rois enchaînés.

D’autre part, Champollion a laissé cette note inédite :


La connaissance de la langue égyptienne est d’une grande utilité aux études bibliques. Elle est très utile pour l’intelligence d’une foule de passages obscurs de l’Ancien Testament, surtout du Pentateuque, dans lequel se rencontrent beaucoup de mots hébreux, dont le sens n’est point fixé, parce que ce sont des mots égyptiens écrits en caractères hébreux.


On voit donc que Champollion s’il ne ressemble nullement à un apologiste ex professo, est cependant fondé à répudier — comme il l’a souvent fait — toute solidarité malsaine avec les adversaires de la révélation :


Lanci crie alarme contre les résultats de mon système pour la chronologie sacrée. Je me propose de le forcer de prouver ses dires : je crois qu’il sera fort embarrassé !

Lanci, aussi méchant que jalousement bête, a insinué que mon système, s’il était vrai, conduirait inévitablement à la ruine de l’histoire sainte. Il était impossible de laisser passer en silence une telle assertion ! J’ai donc rédigé une lettre à M. X…, dans laquelle je relève toutes les âneries de Lanci, en démasquant sa sotte jalousie que je tourne en ridicule. Je réponds ensuite sérieusement à sa maligne supposition…

Je suis considéré comme un Père de l’Église, un vrai Père de la foi, défenseur de la religion et des bonnes doctrines !


Ailleurs il a plus sérieusement déclaré :


On a insinué avec instance que les résultats de mon système tendraient à contredire l’histoire telle que les livres sacrés nous la présentent. Je déclare cette accusation entièrement fausse, et je défie de trouver dans aucun de mes ouvrages un seul mot qui puisse motiver une telle assertion.


En effet, les chétiens de toutes les confessions se réjouissaient de la découverte.

Au nom de ses coreligionnaires, M. Charles Coquerel, rédacteur de la Revue Protestante, écrivait à Champollion :


Vos belles découvertes et vos recherches produisent dans notre communion un extrême intérêt, à cause des résultats et spécialement des résultats bibliques qui en découlent…

Il y a dans l’Egyptian Antiquities du British Museum une longue note sur la pierre de Rosette, fort scandaleuse, non sur, mais contre les découvertes de l’illustre Champollion. Je compte en dire deux mots dans la Revue Britannique.


Et M. le pasteur Athanase Coquerel ajoutait dans le Protestant :


J’ose presque me dire le plus zélé de ses admirateurs ; je ne vois que sa gloire qui puisse nous consoler de sa perte !…

La critique sacrée a de grandes obligations à ce savant illustre ; sans parler du service qu’il nous a rendu, en rajeunissant, en dépit des astronomes et des derniers disciples de Dupuis et de Volney, le fameux zodiaque de Dendérah. Une foule de détails, d’allusions et de rapprochements dus aux infatigables et ingénieuses recherches du savant ont jeté un nouveau jour sur la Bible et confirment sa fidélité.


L’évêque Grégoire, de l’Église constitutionnelle, écrivait également :


Les talents qui vous distinguent, les preuves éclatantes que déjà vous en avez données, promettent à notre littérature languissante des consolations et de bons ouvrages.


Avec plus d’éclat, les catholiques autorisés tenaient le même langage.

Chateaubriand, pontife laïque des croyances, écrivait :


Vos admirables travaux auront la durée des monuments que vous venez de nous expliquer !


Dans son rapport officiel, approuvé par le roi Charles X, le 15 mai 1826, pour la création du musée égyptien du Louvre sous la surveillance de Champollion, le vicomte de La Rochefoucauld s’exprimait ainsi :


Relativement aux monuments d’Égypte, une érudition consciencieuse ne pouvait opposer que des déductions conjecturales aux assertions diverses. Les monuments portaient en eux-mêmes la solution de tant de difficultés : mais l’interprétation des écritures hiéroglyphiques était encore un mystère qui durait depuis quinze cents ans. Tout fut subitement changé par la découverte de l’alphabet des hiéroglyphes, dont l’application a déjà été très utile à la vérité de l’histoire et à l’affermissement des saines doctrines. Car — Votre Majesté ne l’a pas oublié — ce sont les découvertes de M. Champollion qui ont démontré sans opposition que ce zodiaque de Dendérah, qui semblait alarmer la conscience publique n’est qu’un ouvrage de l’époque Romaine en Égypte… On voit donc se réunir à la fois, en faveur de la nouvelle création (musée égyptien) l’intérêt des arts, celui des sciences historiques, l’honneur littéraire de la France, et l’affermissement des saines doctrines, que l’étude des monuments ne peut que mettre dans un plus grand lustre.


Et le duc de Blacas, félicitant Champollion sur sa nomination de conservateur du musée égyptien, ajoutait :


M. le duc de Doudeauville ne m’a pas laissé ignorer l’opposition qu’il a eu à combattre ; mais, par des faits, vous démentirez tout ce que la malveillance a cherché à répandre sur vos principes : j’en suis bien certain.


Louis XVIII avait jugé de même, si nous en croyons le Moniteur du temps :


Le roi ayant daigné accorder une bienveillante attention à l’intéressant travail de M. Champollion sur les écritures égyptiennes, vient de lui faire remettre par M. le duc de Blacas, premier gentilhomme de la Chambre, une boîte d’or, ornée du chiffre de Sa Majesté en diamants.


Le cadeau d’une royale tabatière occasionna un second présent, qu’annonçait fort spirituellement à l’égyptologue cette lettre de Bordeaux, signée Suriray de la Rue (Magasin des tabacs en feuilles, exotiques et indigènes).


  Monsieur,

 « Si j’étais roi, je voudrais être juste… »

Je ne vous aurais point donné une tabatière sans la remplir de poudre jaune d’Ophir, ou de sable du Pactole. Le destin m’empêche de pouvoir faire aussi bien

 « Que si j’étais contrôleur des finances… »

Mais vous me permettrez du moins de vous offrir un peu de poudre de nicotine digne je crois d’emplir votre royale tabatière ; car « je suis orfèvre » et j’ai horreur du vide… de nos connaissances. Aussi, nul n’est plus affamé que moi de vérités et admirateur plus sincère des vives clartés que vous répandez au sein de ces merveilleuses ténèbres d’Égypte.

Je me flatte, Monsieur, que dans vos laborieuses veilles, vous estimerez, au moins autant qu’une prise de tabac, le souvenir de votre très humble serviteur.


Champollion lui-même fait connaître une autre largesse :


Sa Majesté vient de me faire cadeau d’un exemplaire du grand ouvrage de la Commission d’Égypte : c’est un présent qui vaut sept mille francs, si je me décidais à le vendre ; mais le respect et la reconnaissance !…


En attribuant une si haute valeur vénale à l’ouvrage des savants de l’ancienne expédition, Champollion n’exagérait pas. Le prospectus des libraires Bure et Tilliard porte en effet que le prix des neuf volumes avec leurs huit cent quarante planches sur papier vélin, retouchées au pinceau, était de six mille sept cent cinquante francs.

Louis-Philippe d’ailleurs ne se montra pas, plus tard, moins généreux. Il fit exécuter en biscuit de Sèvres, d’après le dessin de Champollion défunt, et offrit au frère de celui-ci, une coupe égyptienne, dont le jeune savant avait rapporté l’image, et qui s’est appelée, d’après ses gracieux appendices, le vase aux gazelles. Ce souvenir de Louis-Philippe et de Sésostris existe encore en la maison de Vif.

Dans les mêmes sentiments que Charles X, la pieuse Gazette de France écrivait sous la signature de M. Destain :


Vous venez, Monsieur, de nous enrichir d’une heureuse conquête. La Gazette suit vos travaux avec l’intérêt qu’on doit à vos lumières, à votre courage, et aux résultats que vous avez déjà obtenus. Nous ne nous arrêterons pas : Il me tarde beaucoup de vous voir et de vous féliciter de tout mon cœur.


Le même journal, essentiellement orthodoxe, s’empressa dès que Champollion fut mort, d’ouvrir une souscription pour son monument. La Gazette appartenait alors à M. de Genoude, un Dauphinois, que Champollion avait eu pour camarade au lycée de Grenoble, et qu’il a même mentionné dans sa correspondance enfantine, comme on l’a vu plus haut, l’appelant Genoud, ce qui n’était pas un surnom de collège, mais à cette époque le vrai nom du célèbre journaliste, régulièrement ennobli dans la suite.


Ces témoignages sans doute sont précieux et honorables ; mais, sur les questions qui touchent à la foi, les approbations les plus hautes, même celles de la cour de France, n’offrent qu’une relative importance. Ce qui domine, en ces matières, c’est le jugement de Rome.

Rome, demandait-on, acceptera-t-elle sans défiance les horizons indéfinis dont Champollion déchire ainsi le voile ? Approuvera-t-elle, en principe, ces incursions libres, inattendues, illimitées, de la science dans une antique histoire qui confine, sur beaucoup de points, à l’histoire révélée ? Ne craindra-t-elle pas des oppositions possibles entre le livre sacré dont elle est gardienne, et le livre également ancien qui va renaître des cendres, en dehors de son contrôle ? Quel accueil fera-t-elle à cet audacieux — taxé d’ailleurs de libéral — qui risque peut-être, par sa découverte, d’attenter à la tradition ?

Rome n’avait nullement condamné les précédentes recherches sur l’histoire et même sur la langue de l’ancienne Égypte. Ainsi, Champollion, parmi les pionniers qui ont tenté avant lui la voie, a-t-il pu citer — avec éloge — de savants ecclésiastiques, tels que les jésuites portugais qui ont remonté le Nil ; puis le Père Athanase Kircher, de Fulda en Allemagne, auteur de l’Œdipe Égyptien, écrit en latin, le Père Mingarelli, à Venise, le Père Dubernet et le Père Sicart, tous quatre Jésuites ; le Père Bonjour et le Père Georgi, Augustins ; le célèbre cardinal Étienne Borgia, évêque de Vélétri, qui avait établi dans son palais un véritable musée égyptien. Mais, cette fois, il ne s’agissait plus d’interpréter à tâtons, comme ceux-ci l’avaient fait, les traditions fabuleuses de l’antiquité classique sur l’Égypte ; les révélations précises succédaient aux conjectures plus ou moins clairvoyantes ; Champollion évoquait soudain le témoignage direct, inépuisable, du sphynx africain, jusqu’alors obstinément muet.

Qu’en penseraient les chefs religieux ?

Ce jugement de Rome, Champollion, malgré son esprit indépendant, n’y était nullement insensible :


Il est tout à fait convenable que je prenne ma course vers la basse Italie, où je suis annoncé depuis longtemps, d’après les dires de mes compatriotes qui en reviennent. Je tiens à convertir les Romains à mon Église !


Le savant ne présumait pas trop de la sagesse et de la raison qui inspireraient à son égard la cour pontificale. Elle ne prêta pas l’oreille aux appréhensions des timorés. Champollion fut admis par elle, avec la distinction la plus marquée, ainsi que vont nous l’apprendre ses lettres intimes à son frère.

Le pèlerin de la science arrive à Rome en 1825, l’année sainte, l’année du grand jubilé accordé par Léon XII.


Dix mille citoyens romains considérant qu’ils se trouvent tous les ans à même de faire leur salut, puisqu’ils restent à la source même des absolutions, ont trouvé à propos d’évacuer Rome pour passer une grande partie de l’année sainte à Naples ou à Florence. Les mauvaises langues disent que ces messieurs quittent leur ville pour aller s’amuser ailleurs, vu que certains règlements publiés pour cette année dans la capitale du monde chrétien gênent singulièrement la toilette des dames et entravent les réunions mondaines. Il en résulte que les logements sont à très bon compte, dans la ville des Césars, et c’est un bien pour ceux qui sont comme moi délivrés de l’embarras des richesses. Tous les lieux de distraction sont très sagement fermés.


Champollion remarque incidemment à Rome les curieux vestiges, encore subsistants alors, de l’étrange discipline imposée par Napoléon à la curie pontificale dans ses rapports avec l’épiscopat français :


Il est de principe rigoureusement observé qu’aucun prélat n’écrive directement à un confrère français, et réciproquement. Toutes les relations des évêques de France et du clergé avec Rome, doivent avoir lieu par l’intermédiaire seul du ministre de l’Intérieur ou des relations extérieures !


Les études approfondies de Champollion à Rome ne l’empêchent pas de participer aux manifestations religieuses :


J’allai dîner et je fis maigre selon l’ordonnance…

J’assistai à une grand’messe célébrée hier par le chapitre de Saint-Jean-de-Latran, en mémoire d’Henri IV, premier chanoine de la basilique. Il était représenté par le duc de Montmorency, qui occupait, en qualité de chanoine, la première place dans les stalles…

Je compte demain assister à une béatification qui se fera dans la grande basilique…

À Nocera, vieille ville grecque, superbe procession, dont le principal personnage était une madone de bois colossale, et habillée avec toute la recherche imaginable. Je doute fort que la Notre-Dame de Liesse dont M. Dacier fait tant de bruit, ait une aussi fière tournure que la Madona di Nocera. Celle-ci a quelque chose d’Osque, ou tout au moins de vieux style grec…

Dis à M. Saint-Prix que je lui porterai certainement sa dispense, de la Daterie Apostolique…

Il a été impossible d’obtenir pour Saint-Prix la permission de faire gras. Il faut de toute rigueur présenter un certificat de médecin constatant qu’une bonne maladie vous donne le droit de profiter de cette indulgence de l’Église. Adresse-moi ce certificat : je sais à qui m’adresser pour obtenir la permission en règle moyennant cette forme qui est indispensable…

J’ai vu dans l’un des portefeuilles de la Propagande un beau volume sur papier de soie, contenant une sorte d’histoire littéraire de la Compagnie de Jésus en chinois et en latin. Aux archives de la Propagande, les innombrables cartons classés dans un ordre géographique et chronologique tout à la fois renferment une grande quantité de documents littéraires de tous les genres. Les recherches sur les idiomes en usage dans les diverses contrées visitées par les Missionnaires fourniraient des notions précieuses sur plusieurs dialectes de l’arabe qui sont encore mal connus, ou serviraient utilement à l’étude des anciennes langues de l’Afrique et de l’Asie. À cet égard les Jésuites ont beaucoup fait…

Mes tendresses à M. Dacier. Je lui ai acheté un beau chapelet à Notre-Dame-de-Lorette, à laquelle j’ai fait une visite à cinq heures du matin et aux flambeaux…

Par la première occasion j’enverrai des chapelets de Lorette et du Pape…

M. Dacier peut être certain que je ne l’oublierai pas dans mes prières en visitant les quatre basiliques ; et si j’obtiens un brevet d’indulgences, il y sera certainement compris, lui et tous les siens.


Sur les quatre basiliques en voici au moins deux :


Sorti de mon hôtel, rue Condotti, je suis allé droit sur Saint-Pierre. Décrire l’impression que j’ai éprouvée en arrivant sur la place de cette basilique est chose impossible. Nous sommes des misérables en France, nos monuments font pitié à côté des magnificences romaines !…

L’intérieur de Sainte-Marie-Majeure, d’une richesse inconcevable, m’a paru plus noble et plus beau que Saint-Pierre même ! Ses deux magnifiques rangées de colonnes ioniques font un effet admirable.


Le voyageur jouit à Rome de la vie mondaine :


Le soir, je vois le monde, et grâce à notre ambassadeur je me trouve lancé dans le tourbillon.


La vie artistique, si intense à Rome, attire aussi Champollion :


Baruzzi, premier élève et successeur de Canova, m’a conduit dans son atelier où sont encore en grande partie les chefs-d’œuvre de son maître, plâtres ou marbres. J’ai également eu le plaisir de voir l’atelier de Tenerami, et celui du célèbre Thorswalden. Je suis dans les antiquités et les beaux-arts jusqu’au cou. Cette vie me plairait fort.


Il jouit également des concerts sacrés… non sans faire de plaisantes réserves :


La musique était délicieuse ; et j’en aurais été ravi si malheureusement cinq ou six figures de castrats ne se fussent constamment trouvées en perspective : cela désenchante tout. Les sons ne paraissent plus si purs quand on aperçoit l’instrument.


Champollion, à Rome, s’occupe aussi de manifestations royalistes :


Et nous aussi, Romanis, nous fêterons le sacre (de Charles X). Le duc de Montmorency est tout occupé de la grande et magnifique fête qu’il donnera à cette occasion dans la villa Médicis. Ce sera superbe et on en parlera longtemps parmi les enfants de Romulus. C’est une bénédiction que de leur fournir une occasion de s’occuper et de passer une dizaine d’heures, dans une année sainte où tous les plaisirs sont suspendus ou proscrits par ordonnance. N’ayant rien de mieux, on se rabat sur les cérémonies publiques…

Le duc de Montmorency célèbre dignement la fête du sacre. Le 20 ont eu lieu des distributions de vivres au peuple romain qui les a reçues avec son avidité ordinaire. Mais le mauvais temps a empêché que la grande fête donnée à la villa Médicis à huit cents patriciens et à huit mille plébéiens, n’eût lieu le jour même. Nous attendons de jour en jour que le beau ciel d’Italie daigne se montrer digne de sa réputation. Je verrai l’effet que produira un chef-d’œuvre de ma façon. Le duc a saisi avec empressement l’idée d’élever au milieu de la villa, qui domine une partie de Rome, un obélisque de quarante ou cinquante pieds de hauteur, chargé de quatre longues légendes hiéroglyphiques coloriées et relatives au sacre du roi. Les hiéroglyphes ressortiront en transparents ; cela fera un effet magnifique, à ce que disent les architectes et décorateurs. On ne parle que de cet obélisque dans les salons, et il me tarde de voir illuminé cet aîné de mes enfants. Du reste les inscriptions sont d’une élégance classique, et les hiéroglyphes sont combinés, dessinés, de manière à ne rien craindre de la comparaison avec le voisin, l’obélisque de la place du peuple…

La fête du sacre, donnée par notre ambassadeur a eu lieu dans la soirée de dimanche. Elle a été superbe et mon obélisque a produit tout l’effet qu’on pouvait en attendre.


L’égyptologue eut d’ailleurs cette spécialité de célébrer pompeusement Charles X à l’étranger. Il a en effet écrit plus tard du Caire :


Le nom de notre monarque est partout vénéré. Mes jeunes gens ont peint ici les décorations du théâtre français, qui a été inauguré pour la fête du roi au grand contentement des français.


Ces détails ne doivent pas nous faire oublier que nous venons surtout constater à Rome quelle réception est faite à Champollion par la cour pontificale. Ses lettres s’étendent sur ce point. À Turin, il est affectueusement accueilli par le savant abbé Peyron, et le savant abbé Gazzera, et le savant Mgr Tosti, nonce du Pape auprès la cour de Savoie ; à Bologne, par le chanoine archéologue Schiassi ; à Florence, par l’abbé Zannoni ; à Tortone, par le chanoine Bottazzi ; à Nola, par l’évêque en personne.

À Rome, dès l’arrivée du savant dans « la ville des pèlerins et des Césars », les familiers du Pape, c’est-à-dire le cardinal Mezzofanti, célèbre et universel linguiste, le Père Ungarelli, barnabite, le savant garde-noble marquis Melchiori, l’abbé Féa, président des antiquités, le futur cardinal Maï, déjà prélat très en faveur, Mgr Testa, confident intime de Sa Sainteté, le chevalier Paul Drake et l’abbé François Cancellieri, bibliothécaire de la Propagande, formèrent au jeune égyptologue français le plus affectueux et le plus admiratif entourage  :


Il est difficile d’être mieux accueilli à Rome que je ne l’ai été…

J’ai été comblé de toutes les manières ; Monsignor Maï, le découvreur des palimpsestes, prélat et préfet de la bibliothèque du Vatican, homme plein d’esprit et de cœur, a mis entièrement à ma disposition tout ce qui pouvait m’intéresser et m’a prié, de plus, de faire une notice raisonnée des papyrus égyptiens du Vatican, dernièrement acquis par le Saint-Père. J’ai fait un travail qui paraîtra incessamment en langue italienne, et c’est Maï lui-même qui a fait la traduction de mon manuscrit…

Parmi mes bons amis de Rome je compte surtout Monsignor Testa, prélat secrétaire des Brefs aux Princes, celui qui écrivait dans le temps contre le zodiaque de Dendérah. Il m’a reçu à bras ouverts, et comme ayant porté le dernier coup à la bête ; c’est un vieillard d’une gaieté charmante, homme d’esprit et fort instruit. Il m’a absolument épousé et je lui rends de bien bon cœur toute l’affection qu’il m’a témoignée…

Je trouve enfin tout ce qu’il est possible de désirer en politesse et en facilités pour mes recherches…

Je vais terminer, à la Bibliothèque vaticane, le catalogue de leurs manuscrits égyptiens. Mgr Maï le traduit en italien, ainsi qu’une notice de ma façon, je suis charmé de laisser à Rome une petite carte de visite. Je n’ai qu’à me louer de la manière aimable dont je suis accueilli. J’ai trouvé toutes les facilités imaginables pour tout voir et pour tout copier.

J’ai retrouvé à Mgr Maï sa même ardeur, et pour l’Égypte et pour l’égyptien…

Les hiéroglyphes sont en grand honneur à Rome. On m’a questionné, interrogé, et on a voulu absolument que je donnasse, chez M. le comte de Funchal, ambassadeur de Portugal, cinq ou six séances, dans lesquelles j’ai développé mon système et la marche de ma découverte. C’était une vraie mission que je prêchais là, et la grâce efficace a agi et j’ai compté autant de convertis que d’auditeurs…

La cour de Rome prend un intérêt direct à nos travaux…


Si l’entourage pontifical se montrait si favorable à Champollion, c’est que Léon XII lui-même s’était clairement prononcé :


J’ai eu l’honneur d’être présenté au Pape, qui m’a accueilli de la manière la plus aimable…

Sa Sainteté a daigné me recevoir quoique malade. Le tout s’est passé de la manière la plus aimable. Le Pape, qui parle très bien français, a bien voulu me dire trois fois que j’avais rendu un beau, grand, et bon service à la religion par mes découvertes.


De plus, le Pape donna l’ordre au savant français de relever, de traduire et de publier, aux frais de la Chambre apostolique, les inscriptions des obélisques et monuments égyptiens existant à Rome.


Je suis bien aise que ces beaux monuments paraissent enfin fidèlement reproduits, et avec mon attache.


Et il ne faut pas croire qu’il s’agit ici d’une audience banale, d’une simple courtoisie. Le Pape entendit marquer à Champollion, mieux encore que par ses paroles, son approbation très précise ; il convoqua chez lui l’ambassadeur de France, duc de Montmorency-Laval, et lui confia, au sujet du grand égyptologue, une mission spéciale, instante, dont l’ambassadeur a rendu compte en ces termes à son gouvernement :


À son Excellence Monsieur le Baron de Damas, ministre des affaires étrangères.


Rome, 22 juin 1825.

  Monsieur le Baron,

Ce serait en quelque sorte faire tort à un savant distingué, qui vient de quitter Rome, en y laissant des souvenirs qui ne passeront pas, que de ne point faire connaître au gouvernement du roi, non seulement l’accueil plein de bonté qu’il a reçu de Sa Sainteté, mais encore la déclaration d’estime et de véritable intérêt qu’Elle a daigné exprimer à son égard.

Le Pape m’a dit, en propres termes, qu’il reconnaissait dans les travaux de M. Champollion un service important rendu à la religion : « Il a, dit-il, abaissé et confondu l’orgueil de cette philosophie qui prétendait avoir découvert dans le zodiaque de Dendérah une chronologie antérieure à celle des Écritures sacrées. »

Le Saint-Père s’est donc fait détailler par Mgr Testa, très docte dans la connaissance des antiquités (et, en qualité de secrétaire des Lettres aux Princes, familier chez Sa Sainteté) et s’est fait expliquer les arguments par lesquels M. Champollion établit 1o que ce zodiaque a été construit sous Claude et Néron ; 2o qu’il n’existe aucun monument qui remonte au delà de deux mille deux cents ans avant l’ère chrétienne, c’est-à-dire à l’époque d’Abraham ; en sorte que, suivant notre croyance obligée, il reste environ dix-huit siècles de ténèbres, dont on ne peut sortir que par l’interprétation des livres saints.

Ce n’est pas à cela seul que se borne le mérite de M. Champollion.

Sous le rapport des arts, il se fait encore remarquer. Il s’occupe de la composition d’un ouvrage sur l’histoire, et surtout sur les inscriptions des obélisques de Rome dont lui seul a pu pénétrer les mystères : et les journaux de cette ville en portent plus d’un témoignage.

Je puis vous assurer, Monsieur le baron, que la décoration de la Légion d’honneur qui serait accordée à M. Champollion serait une chose agréable au Pape, et à tout le corps des savants de Rome.

Les inscriptions de l’obélisque qui vient d’être élevé en hommage au Roi, et dont les ministres étrangers m’ont demandé avec empressement la traduction pour l’envoyer à leurs Cours sont peut-être de nouvelles considérations en faveur de la demande qui fait l’objet de cette lettre.

Agréez, Monsieur le baron, les nouvelles assurances, etc.

Montmorency-Laval.

Champollion est informé de cette démarche :


L’excellent duc de Montmorency-Laval a dû écrire proprio motu et former une demande en ma faveur, avec l’assentiment et la recommandation formelle du Saint-Père. Il a eu la bonté de m’instruire de ce plan.


Charles X fit aussitôt répondre au pape Léon XII que ses intentions seraient remplies :


Une lettre de M. de Corbière m’annonce la faveur que le roi m’a faite de me nommer chevalier de la Légion d’honneur…


En effet, avant même que l’illustre voyageur eût repassé la frontière française, la croix sollicitée pour lui au nom de l’Église lui fut remise par l’ambassade à Turin :


J’ai été crucifié ces jours derniers par M. de Château, premier secrétaire d’ambassade, fondé de pouvoirs de M. de la Tour du Pin : c’est donc une affaire faite.


À l’imitation du pape, le patriarche de Jérusalem voulut que Champollion fût décoré. Il lui envoya la croix de l’Ordre du Saint-Sépulcre en récompense orientale des services rendus à la religion par l’égyptologie. Mais le savant était pauvre : il ne put acquitter pour cette croix les droits de chancellerie, encore qu’on lui eût fait savoir qu’on les réduirait, à son propre gré.


Les érudits ne sont pas des Crésus. Je dois renoncer à cet honneur et me contenter de celui d’en avoir été cru digne.


En France, le haut clergé professa les mêmes sentiments que l’autorité romaine à l’égard du grand égyptologue.

Mgr de Frayssinous, évêque d’Hermopolis, s’empressa de mettre à profit, dans ses conférences de Saint-Sulpice, la confirmation qu’apportait à la chronologie mosaïque la lecture des hiéroglyphes égyptiens.

Le cardinal de Bausset, académicien et pair de France, écrivait au savant :


Je voudrais voir votre sort décidé de la manière la plus conforme à vos goûts, à vos connaissances et à l’intérêt général, dans une partie si importante pour tous les amis des sciences et des lettres. Je trouverai toujours ma satisfaction personnelle dans tout ce qui pourra contribuer à la vôtre… L’estime des hommes recommandables par leurs lumières et leurs qualités est la récompense la plus douce des travaux qui ont pour objet de faire aimer la religion.


L’évêque de Bayeux :


Brûlant d’un vif désir de voir et d’entendre M. Champollion, je lui demande s’il aurait la bonté de me recevoir demain mercredi ? Je lui présente l’hommage de mon admiration et je suis impatient de le faire en présence.


Et plus tard :


Informé par les papiers publics de la perte irréparable que nous avons faite par la mort de M. Champollion, un de ses admirateurs se permet de témoigner ses regrets personnels. Je n’oublierai jamais le bonheur parfait dont j’ai joui en l’entendant parler de ses scientifiques recherches sur les monuments égyptiens et sur leur chronologie. Si, comme je le présume, il y avait une souscription ouverte pour lui élever un monument, je serais flatté d’y envoyer la mienne.


Mgr Simon, évêque de Grenoble :


Je suis très flatté qu’une bonne circonstance me procure l’avantage de vous faire agréer l’assurance de mes sentiments.


L’abbé Greppo, vicaire général de Belley :


Mon évêque et moi avons souscrit l’un et l’autre à l’ouvrage sur l’Égypte. J’entends des personnes craindre que votre publication ne blesse les doctrines religieuses : je leur dis à tous le contraire.


L’abbé Labouderie, vicaire général d’Avignon :


Que M. Champollion se ménage pour la gloire de la France et pour la satisfaction de ses nombreux admirateurs. Qu’il agrée l’assurance des sentiments qui lui sont connus et qui sont inaltérables.


Enfin, un vétéran de l’ancien clergé, un revenant de l’émigration, le savant bénédictin Dom de Bétencourt, âgé de quatre-vingt-quatre ans, écrivait à Champollion :


C’est une bonne fortune pour moi de rencontrer un parfait accord entre vos idées et les miennes : je vous ai voué ma reconnaissance !


Mgr Raillon, archevêque d’Aix, tenait un semblable langage ; et Mgr de Bovet, archevêque de Toulouse, publiait lui-même, d’après Champollion, les Dynasties Égyptiennes.

L’Église ne pouvait plus hautement témoigner de ses sentiments à l’égard de l’homme de génie, qui, disciple de la science seule et n’entendant servir aucune polémique confessionnelle, a cependant, sans le vouloir, sans le chercher, confirmé les bases fondamentales de nos croyances, en projetant une éclatante lumière sur les vieilles ténèbres égyptiennes, ténèbres qu’avant lui la fausse science exploitait impudemment au profit de l’erreur.


L’opinion publique ne s’y est pas trompée. Ce sont des honneurs chrétiens qu’elle a d’abord décernés à la mémoire du grand égyptologue. Il est à propos de transcrire ici, en terminant, la délibération municipale prise le lendemain de sa mort, par sa ville natale :


Ce jourd’hui onze mars mil huit cent trente-deux les membres du Conseil municipal de la ville de Figeac extraordinairement convoqués par M. le Maire, en vertu de l’autorisation de M. le Sous-Préfet…

Considérant que les études et les travaux scientifiques de Jean-François Champollion honorent sa patrie et commandent un témoignage solennel de la reconnaissance de ses concitoyens…

Arrêtent à l’unanimité :

Un service funèbre sera célébré dans l’église paroissiale le dix-huit mars mil huit cent trente-deux.

M. le Maire est prié d’inviter toutes les autorités à cette cérémonie.


Ce n’est qu’après avoir rempli ce pieux devoir que la ville de Figeac, plus tard imitée par la ville de Paris, par la France entière et par toute l’Europe, s’occupa d’élever un monument à son illustre fils.