CHACORNAC

Jean Chacornac, l’astronome bien connu, est mort le 6 septembre dernier. Chercheur infatigable, il s’était fait un nom parmi les observateurs qui enrichissent la science du ciel par la découverte d’astres nouveaux. Travailleur assidu, il avait abordé avec les plus consciencieux efforts toute une série de labeurs, dont les résultats publiés pour la plupart témoignent de la grande activité de son esprit.

Chacornac, né à Lyon le 21 juin 1823, dut, jeune encore, se placer dans le commerce ; nous le trouvons employé successivement dans plusieurs maisons de cette ville, d’où il vint à Marseille. Il était là commis dans un bazar, lorsqu’il fit la connaissance du directeur de l’Observatoire, M. Valz, qui lui permit de fréquenter cet établissement et laissa une lunette de quatre pouces à sa disposition. Chacornac commence alors ses observations sur les taches solaires, à la date du 4 mars 1849, et s’adonne avec ardeur à l’exploration du ciel. Ses efforts ne sont pas infructueux, car, le 15 mars 1852, il rencontre une comète nouvelle, dont le directeur de l’Observatoire annonce de suite la découverte à l’Académie, au nom de J. Chacornac, élève-astronome.

À partir de cette époque, on peut donc le considérer comme complètement engagé dans la carrière astronomique qu’il doit parcourir avec succès. Il amasse dès le début des matériaux considérables qui le conduiront plus tard à la confection de nouvelles cartes célestes, dont plusieurs savants avaient eu déjà l’idée. M. Hind en Angleterre et M. Valz en France s’étaient occupés, en effet, de ce genre de travail, et voulaient construire des cartes plus détaillées que celles de l’Académie de Berlin, les seules dont on faisait usage.

Les quatre petites planètes, Cérès, Pallas, Junon et Vesta ont été découvertes dans les sept premières années de ce siècle. Trente-huit ans plus tard, en 1845, Hencke, de Driessen, découvrit la planète Astrée, et en 1847, la petite planète Hébé. L’attention des observateurs fut ainsi ramenée à la recherche des astéroïdes qui circulent entre Mars et Jupiter. Dans leur route, les petites planètes devant nécessairement traverser le plan de l’écliptique, il suffisait de limiter à plusieurs degrés au-dessus ou au-dessous de ce plan les cartes nécessaires pour la vérification du ciel dans les régions fréquentées par ces petits astres. M. Valz en avait déjà construit quelques-unes, lorsqu’il eut l’idée de s’adjoindre Chacornac, qui le seconda puissamment dans ses projets ; c’était en 1852. Cette année même, le 20 septembre, Chacornac, en confectionnant des cartes écliptiques, découvre Massilia (aperçue la veille par M. de Gasparis, à Naples) et l’année suivante, dans la nuit du 6 au 7 avril, il trouve Phocéa.

En 1854, M. Le Verrier, nommé directeur de l’Observatoire de Paris, appelle Chacornac et le fait nommer astronome-adjoint, à la date du 4 mars. Il est entendu que Chacornac continuera ici les travaux commencés à l’Observatoire de Marseille, et que l’Observatoire de Paris lui fournira les moyens de faire paraître l’Atlas écliptique.

Les six premières livraisons, comprenant 36 cartes, ont, en effet, été publiées depuis cette époque jusqu’à l’année 1863 ; elles ont été construites au moyen d’un équatorial de 9 pouces, ce qui a permis à l’auteur d’y placer les étoiles jusqu’à la treizième grandeur. L’exactitude de ces cartes a été constatée par les astronomes qui s’en sont servis dans la recherche des petites planètes ; quelques-unes renferment plus de 3 000 étoiles. Tout en confectionnant ses cartes, Chacornac a découvert plusieurs petites planètes. Le jour même, 3 mars 1854, où la recherche des phénomènes qui peuvent se présenter accidentellement dans le ciel, a pu être provisoirement organisée à l’Observatoire de Paris, Chacornac trouvait Amphitrite, que M. Albert Marth, de l’Observatoire de Regent’s-Park, à Londres, avait vue deux jours auparavant. Il découvrit ensuite Polymnie (28 octobre 1854), Circé (6 avril 1855), Léda (12 janvier 1856), Lætitia (8 février 1856), Olympia (12 septembre 1860). Ces observations d’astres nouveaux lui ont valu à plusieurs reprises les récompenses de l’Académie, qui lui décerne, en 1863, le prix d’astronomie « pour les belles et importantes cartes célestes qu’il a construites, avec tant de soin, et qui sont d’un si grand secours pour les explorateurs du ciel étoilé. »

Les travaux de Chacornac sont nombreux, et il faut ajouter à ceux que nous avons déjà énumérés la série de ses observations sur les taches solaires, dont il s’est occupé pendant de longues années. Les Comptes rendus de l’Académie des sciences renferment à ce sujet une foule de notes dont l’ensemble constitue une description détaillée des changements observés à la surface du soleil, et témoigne de son habileté d’observateur. Les dessins qui accompagnent ses différents mémoires ont été exécutés par lui avec le plus grand soin. Nous pouvons en dire autant de ceux des planètes, des nébuleuses, qu’il a étudiées avec le télescope de Foucault de 80 centimètres de diamètre, actuellement à l’Observatoire de Marseille. Sur ce dernier point, Chacornac avait repris l’observation des nébuleuses en spirales de lord Rosse, en particulier de celle des Chiens de chasse, où il a reconnu que la petite nébulosité est elle-même composée de lignes spirales se rattachant aux rayons de la grande. Plusieurs des dessins de l’astronome français, comparés à ceux des mêmes nébuleuses d’Herschel, paraissent indiquer de légères variations de formes. Chacornac a signalé, en outre, le cas très-curieux d’une petite nébulosité isolée et ayant disparu, dans la constellation du Taureau.

Chacornac était aussi très-familiarisé avec les études sélénologiques. Il a trouvé dans la lune ample matière à d’intéressantes investigations ; il a dessiné avec attention un certain nombre de paysages lunaires, examiné tout particulièrement les montagnes rayonnantes de notre satellite et imaginé une théorie ingénieuse, qui rattache ces phénomènes aux autres mouvements du sol lunaire. Chacornac est un des observateurs qui admettent la continuité de l’action volcanique à la surface de la lune.

Notons encore des expériences photométriques intéressantes ; en particulier, celles faites de 1855 à 1859, sur la question de savoir si le centre du soleil est réellement plus lumineux que ses bords ; en résumant ces observations, le centre du disque aurait un éclat sensiblement uniforme sur une étendue égale aux trois dixièmes du diamètre, et les bords seulement la moitié de cette intensité. La pénombre des taches serait d’un éclat supérieur à celui du bord du soleil. Chacornac a pu également mesurer de très-petites différences d’intensité de la lumière des astres.

Nous devons à Chacornac la découverte de plusieurs étoiles variables, des observations du satellite du Sirius. En 1856, il observe les étoiles filantes du mois d’août avec M. Goujon à Paris, tandis que MM. Besse-Bergier et Liais vont à Orléans. En 1858, son attention se porte sur la belle comète de Donati, dans laquelle il trouve des traces de polarisation, ce qui concorderait avec le résultat obtenu en 1835 par Arago, sur la lumière de la comète de Halley. En 1860, il fait partie de l’expédition française, envoyée en Espagne pour observer l’éclipse totale de soleil du 18 juillet.

Les travaux remarquables de Chacornac l’ont fait nommer astronome titulaire le 22 février 1857, et chevalier de la Légion d’honneur le 15 août de la même année. Il avait bien mérité ce succès, obtenu au prix de journées et de nuits entières, consacrées, sans regret, à la science dont il était épris. Il avait toujours l’œil à la lunette, entassant des observations soignées et abondantes ; plein de zèle et d’activité, il ne connaissait pas de limites et travaillait sans cesse. Mais ce labeur excessif, joint à des craintes exagérées, le fatiguait considérablement, et sa santé en fut même gravement compromise. Il fut obligé de quitter l’Observatoire au mois de juin 1863, et se réfugia peu après à Villeurbanne, près Lyon.

Chacornac retrouve alors pour son esprit la tranquillité nécessaire, et reprend ses occupations favorites. Il construit de ses mains un télescope de 40 centimètres de diamètre et de 3 mètres de distance focale, avec lequel il continue l’étude des taches du soleil, qu’il poursuit jusqu’à sa fin : il était arrivé à cette conclusion que des séries de volcans se trouvent à la surface du soleil, et que les facules aussi bien que les taches se forment par leur éruption. Il amène la construction d’un télescope de 81 centimètres presque à son achèvement. C’est dans son observatoire particulier que la mort est venue le frapper et l’enlever à la science qu’il avait illustrée par de nombreuses découvertes et d’importants travaux.

A. Fraissinet.