Chapitre 18 Chaîne d’or sur l’évangile de saint Jean Chapitre 20


CHAPITRE XIX



Versets 1-5.



S. AUG. (Traité 116 sur S. Jean.) Les Juifs ayant demandé à grands cris qu’à l’occasion de la fête de Pâques, Pilate leur délivrât non pas Jésus, mais Barabbas, « alors, dit l’Evangéliste, Plate prit Jésus elle fit flageller. » Il est vraisemblable que Pilate n’eut en cela d’autre pensée que de rassasier lu cruauté des Juifs, par la vue de ce châtiment ignominieux, et de les empêcher de pousser la fureur jusqu’à demander la mort de Jésus. C’est dans le même dessein qu’il permit, ou peut-être même qu’il ordonna aux soldats de sa cohorte de faire ce que rapporte l’Evangéliste. Il raconte, en effet, ce que firent les soldats, mais il ne dit point que ce fut par l’ordre de Pilate : « Et les soldats, ayant tressé une couronne d’épines, la mirent sur sa tête, et le revêtirent d’un manteau d’écarlate. Puis ils venaient, à lui, et disaient : Je vous salue, roi des Juifs. » — S. Chrysostome : Comme pour répondre à ce que Pilate vient de dire, que Jésus était roi des Juifs, ils le revêtent des insignes dérisoires de la royauté. — Bède : Pour diadème, ils lui mettent sur la tête une couronne d’épines, et pour la pourpre dont se servaient autrefois les rois, ils lui jettent sur les épaules un lambeau de pourpre. Le récit de saint Jean n’est point ici en contradiction avec ce que dit saint Matthieu, qu’on jeta sur lui un manteau d’écarlate ; car, selon la remarque d’Origène, l’écarlate et la pourpre ont une même origine ; les excroissances qui contiennent la cochenille laissent couler, par les incisions qu’on leur fait, des gouttes de sang, qui servent à teindre à la fois la pourpre et l’écarlate. Bien que ce fût par dérision que les soldats traitent ainsi le Sauveur, ils accomplissaient pour nous des actions pleines de mystères. La couronne d’épines signifiait que Jésus se chargeait de nos péchés, que la terre de notre corps produit comme autant d’épines ; le manteau de pourpre est la figure de la chair, esclave de ses passions. Nôtre-Seigneur est encore revêtu de pourpre, lorsqu’il se glorifie des triomphes remportés par les martyrs.




S. Chrysostome : Ce n’était point pour obéir aux ordres du gouverneur que les soldats en agissaient ainsi, mais pour plaire aux Juifs. Ce n’était point sur son ordre qu’ils étaient venus pendant la nuit se saisir de Jésus, mais ils se portaient à tous les excès pour être agréables aux Juifs, qui leur avaient promis de fortes sommes d’argent. Cependant, au milieu de tant et de si cruels outrages, Jésus garde le silence. Pour vous, ne vous contentez pas d’entendre le récit d’un tel spectacle, mais qu’il soit toujours présent à votre esprit, et imitez le Roi de l’univers et le Seigneur des anges, souffrant avec patience de semblables outrages, et les supportant sans ouvrir la bouche. — S. AUG. C’est ainsi que Jésus-Christ accomplissait ce qu’il avait prédit de lui-même ; c’est ainsi qu’il enseignait les martyrs à supporter tout ce que la cruauté des persécuteurs pourrait inventer contre eux ; c’est ainsi que le royaume qui n’était pas de ce monde triomphait de ce monde superbe, non pas en livrant des combats sanglants, mais en souffrant avec patience et humilité.




S. Chrysostome : Pilate, dans l’espérance que la vue de ces sanglants outrages mettrait un terme à la fureur des Juifs, leur présente Jésus couronné d’épines : « Pilate sortit de nouveau, et dit aux Juifs : Voici que je vous l’amène dehors, afin que vous sachiez que je ne trouve en lui aucune cause de mort. » — S. AUG. Nous avons ici une preuve que ce ne fut pas à l’insu de Pilate que les soldats exercèrent ces actes de cruauté, soit qu’il les ait ordonnés, soit qu’il les ait simplement permis, pour le motif que nous avons indiqué plus haut, afin que ses ennemis pussent boire à longs traits ces sanglants outrages, et éteindre ainsi la soif qu’ils avaient de son sang, « Jésus sortit donc portant une couronne d’épines et un manteau d’écarlate. » Il parait, non pas dans l’éclat de la royauté, mais au milieu des opprobres dont il est rassasié. « Et Pilate leur dit : Voilà l’homme ; » c’est-à-dire, si vous portez envie au roi, épargnez du moins celui que vous voyez si profondément humilié, et que toute votre envie s’apaise et tombe devant cet excès d’ignominie.




Versets 5-8.



S. AUG. ( Traité 116 sur S. Jean.) L’envieuse fureur des Juifs contre Jésus-Christ ne fait que s’enflammer et s’accroître encore davantage : « Les princes des prêtres et leurs satellites ne l’eurent pas plutôt vu, qu’ils crièrent : Crucifiez-le, crucifiez-le. » — S. Chrysostome : (hom. 84 sur S. Jean.) Pilate, voyant l’inutilité de ses efforts, leur dit : « Prenez-le vous-mêmes, et crucifiez-le. » C’est le langage d’un homme qui manifeste son horreur pour une action, et qui semble engager à faire ce qu’il n’a pas voulu accorder ; car les Juifs ne lui avaient amené Jésus que pour qu’il fût condamné par le jugement du gouverneur lui-même ; or il arriva tout le contraire, c’est-à-dire qu’il est déclaré innocent au tribunal du gouverneur. C’est ce qu’il leur dit en propres termes : « Je ne trouve pas en lui de cause qui mérite la mort. » C’est-à-dire qu’il ne cesse de le justifier de toutes les accusations portées contre lui. Il est donc évident que ce n’est que pour satisfaire leur fureur qu’il a livré Jésus à ces premiers et sanglants outrages. Mais rien de tout cela ne fut capable d’émouvoir et de fléchir les Juifs, semblables à des chiens affamés. « Les Juifs lui répondirent : Nous avons une loi, et selon cette loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » — S. AUG. Voici un sujet d’envie plus grande encore. L’usurpation de la puissance royale, par des moyens illicites, n’était rien auprès du cette ambition sacrilège. Cependant Jésus ne s’était arrogé injustement ni l’un ni l’autre de ces titres, il les possède tous les deux en vérité, il est le Fils unique de Dieu, et Dieu l’a établi roi sur Sion, sa montagne sainte (Ps 2), et il lui serait facile de donner actuellement des preuves de cette double puissance, s’il ne préférait montrer que sa patience est d’autant plus grande que sa puissance est plus étendue. — S. Chrysostome : Pendant qu’il est ainsi l’objet de leurs disputes, il accomplit cette prophétie : « Il n’a pas ouvert la bouche, et dans son humiliation son jugement a été supprimé. » — S. AUG. (De l’accord des Evang., 2, 8.) Cette accusation des Juifs peut se rattacher à celle que rapporte saint Luc : « Nous l’avons trouvé soulevant notre nation, » et à laquelle on peut ajouter : « Parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. »




S. Chrysostome : Pilate est effrayé de ce nouveau chef d’accusation ; il craint que ce qu’il vient d’entendre dire ne soit vrai, et qu’il ne s’expose à commettre une plus grande injustice : « Pilate ayant entendu ces paroles, dit l’Evangéliste, fut encore plus effrayé. » — Bède : Pilate est effrayé, non point parce qu’il entend parler de la loi (puisqu’il était païen), mais parce qu’il craint de mettre à mort le Fils de Dieu. — S. Chrysostome : Les Juifs, au contraire, n’eurent point horreur de ce qu’ils venaient de dire, et ils mettent à mort le Sauveur pour une cause qui aurait dû les faire tomber tous en adoration devant lui.




Versets 9-11.



S. Chrysostome : (hom. 84 sur S. Jean.) Pilate, saisi de crainte, adresse à Jésus une nouvelle question : « Et, étant rentré dans le prétoire, il dit à Jésus : D’où êtes-vous ? » Il ne lui demande plus : Qu’avez-vous fait ? Mais Jésus ne lui fit aucune réponse. Pilate lui avait entendu dire qu’il était né, et qu’il était venu pour rendre témoignage à la vérité, et que son royaume n’était pas de ce monde ; son devoir était donc de résister courageusement à ses ennemis, et de le délivrer ; mais au contraire il se laisse entraîner par les injustes fureurs des Juifs : Jésus ne lui fait donc aucune réponse, parce que les questions de Pilate n’étaient pas sérieuses. D’ailleurs ses œuvres lui rendaient un témoignage assez éclatant, et il ne voulait point triompher de ses accusateurs par ses discours et par l’habileté de ses moyens de défense pour montrer qu’il était venu volontairement pour souffrir.




S. AUG. Ce silence de Nôtre-Seigneur Jésus-Christ, dans plusieurs circonstances, est rapporté par tous les évangélistes. Jésus se tait, en effet, devant le prince des prêtres, devant Hérode et devant Pilate lui-même. Il accomplit ainsi pleinement cette prophétie : « Il est demeuré dans le silence, sans ouvrir la bouche, comme un agneau est muet devant celui qui le tond, » (Is 53) en ne répondant pas à ceux qui l’interrogent. Il a répondu, sans doute, à plusieurs des questions qui lui étaient faites, cependant la comparaison de l’agneau reste vraie pour les circonstances où il n’a pas voulu répondre ; ainsi sou silence est une preuve, non de sa culpabilité, mais de son innocence, et il a été devant ses juges, non comme un coupable convaincu de ses crimes, mais comme un innocent, immolé pour les péchés des autres.




S. Chrysostome : Jésus, continuant de se taire, « Pilate lui dit : Vous ne me parlez pas, ignorez-vous donc que j’ai le pouvoir de vous crucifier et le pouvoir de vous délivrer ? » Voyez comme Pilate est lui-même ici son propre juge. En effet, si tout dépend de vous, pourquoi ne délivrez-vous pas celui en qui vous ne trouvez aucune cause de mort ? Après que Pilate eut ainsi prononcé sa propre condamnation, Jésus lui répondit : « Vous n’auriez sur moi aucun pouvoir, s’il ne vous était donné d’en haut. » Il lui apprend ainsi que les événements qui le concernent ne suivent pas la marche ordinaire des choses, et ne découlent pas de causes naturelles, mais de raisons secrètes et surnaturelles ; ne croyez pas cependant que le Sauveur justifie entièrement pour cela la conduite de Pilate : « C’est pourquoi, ajoute-t-il, celui qui m’a livré à vous est coupable, d’un plus grand péché. » Mais, me direz-vous, si ce pouvoir a été donné d’en haut, ni Pilate, ni les Juifs ne sont coupables d’aucun crime ? Vaine objection, car ce pouvoir lui a été donné dans ce sens qu’il lui a été accordé, c’est-à-dire que Dieu a permis tout ce qui arrivait, mais Pilate, et les Juifs n’en sont pas pour cela moins coupables.




S. AUG. Nôtre-Seigneur répond ici à la question qui lui était faite ; lors donc qu’il ne répondra pas, ce n’est ni par conscience de sa culpabilité, ni par artifice, mais parce qu’il est semblable à l’agneau, qui se tait devant ceux qui le tondent ; et, lorsqu’il croit devoir répondre, c’est pour enseigner, comme pasteur. Recueillons donc ici la leçon que Nôtre-Seigneur nous donne, et qu’il nous enseigne encore par son Apôtre : « Il n’y a point de puissance qui ne soit de Dieu ; » (Rm 13, 1) et celui qui, poussé par un noir sentiment d’envie, livre au pouvoir un innocent pour le faire mettre à mort, est plus coupable que le dépositaire du pouvoir lui-même qui condamne cet innocent, parce qu’il craint le pouvoir qui lui est supérieur. En effet, le pouvoir que Dieu avait donné à Pilate était subordonné à celui de César. C’est pour cela que Jésus lui dit : « Vous n’auriez sur moi aucun pouvoir (c’est-à-dire le moindre pouvoir tel que celui que vous avez), si ce pouvoir, quel qu’il soit, ne vous avait été donné d’en haut. » Mais comme je connais l’étendue de ce pouvoir (qui ne va pas jusqu’à être complètement indépendant), je déclare que a celui qui m’a livré entre vos mains est coupable d’un plus grand péché. » C’est par un sentiment d’envie qu’il m’a livré à votre pouvoir, tandis que c’est par un sentiment de crainte que vous exercez contre moi ce pouvoir. Jamais on ne doit sacrifier à la crainte la vie d’un innocent, mais c’est un bien plus grand crime de la sacrifier à l’envie. Aussi Nôtre-Seigneur ne dit pas : Celui qui m’a livré entre vos mains est coupable de péché (comme si Pilate lui-même ne l’était pas), mais : il est coupable d’un plus grand péché ; » paroles qui devaient faire comprendre à Pilate qu’il était loin d’être exempt de faute. — THEOPHYLACTE. « Celui qui m’a livré, » c’est-à-dire Judas, ou la foule. Devant cette réponse si claire de Jésus : « Si je ne me livrais moi-même, et si mon Père ne vous l’accordait, vous n’auriez sur moi aucun pouvoir, » Pilate fait de plus grands efforts pour délivrer Jésus. « De ce moment, Pilate cherchait à le délivrer. » — S. AUG. Lisez ce qui précède, et vous trouverez que déjà il avait cherché les moyens de mettre Jésus en liberté. L’expression : « Depuis lors, de ce moment, de là, » signifie : à cause de cela, pour ce motif, c’est-à-dire pour ne pas se rendre coupable de péché, en condamnant à mort un innocent qui était livré entre ses mains.

Versets 12-16.



S. AUG. (Tr. 116 sur S. Jean.) Les Juifs s’imaginèrent qu’en menaçant Pilate de César, ils lui inspireraient une crainte plus grande encore, et qu’ils obtiendraient de lui la condamnation de Jésus plus efficacement que lorsqu’ils lui avaient dit : « Nous avons une loi, et selon notre loi il doit mourir, parce qu’il s’est fait Fils de Dieu. » Mais les Juifs criaient : « Si vous le délivrez, vous n’êtes point ami de César, car quiconque se fait roi n’est pas ami de César. » — S. Chrysostome : (Hom. 84 sur S. Jean.) Mais comment pouvez-vous prouver qu’il a voulu se faire roi ? Par la pourpre dont il était revêtu ? par son diadème ? par ses chars ? par ses soldats ? Est-ce qu’il ne marchait pas toujours seul avec ses douze disciples, ne se servant que de ce qu’il y avait de plus commun pour sa nourriture, pour son vêtement, pour son habitation ?




S. AUG. La crainte de la loi des Juifs n’avait eu aucune influence sur Pilate pour le déterminer à faire mourir Jésus-Christ ; il avait craint bien plus de livrer à la mort le Fils de Dieu. Mais il ne put se résoudre à ne pas tenir compte de César, de qui venait son pouvoir, comme il avait fait pour la loi d’un peuple étranger. Aussi, dit l’Evangéliste, « Pilate, ayant entendu ces paroles, fit amener Jésus dehors, et il s’assit sur son tribunal au lieu qui est appelé lithostrotos, on hébreu gabatha. » — S. Chrysostome : Pilate quille les Juifs pour examiner plus sérieusement encore cette affaire, ce qu’indiquent ces paroles : « Il s’assit sur son tribunal. » — LA GLOSE. Le tribunal est pour les juges ce que le trône est pour les rois, ce que la chaire est pour les docteurs. — Bède : Le mot lithostrotos, qui signifie terrain pavé de pierres, était un lieu élevé comme l’indique le mot hébreu.




C’était le jour de la préparation de la Pâque, vers la sixième heure. — ALCUIN. Le mot parasceve veut dire préparation. C’est le nom que l’on donnait au sixième jour de la semaine, parce que l’on préparait en ce jour ce qui était nécessaire pour le jour du sabbat, comme Dieu l’avait recommandé pour la manne : « Le sixième jour, vous en recueillerez le double. » (Ex 16) L’homme a été créé le sixième jour, et Dieu s’est reposé le septième, c’est pour cela que le Sauveur a voulu souffrir le sixième jour, et reposer le septième jour dans le sépulcre : « C’était vers la sixième heure. » — S. AUG. (Traité 117 sur S. Jean.) Pourquoi donc saint Marc rapporte-t-il que ce fut à la troisième heure qu’ils le crucifièrent ? C’est-à-dire, qu’il fut crucifié à la troisième heure par les langues des Juifs, et qu’il le fut à la sixième heure par les mains des soldats. Il nous faut donc comprendre que la cinquième heure était passée, et la sixième commencée lorsque Pilate s’assit sur son tribunal à la sixième heure, comme le dit saint Jean, et que cette sixième heure s’écoula tout entière, pendant le trajet du Calvaire, le crucifiement et les différentes circonstances qui se passèrent au pied de la croix. C’est depuis cette heure jusqu’à la neuvième que le soleil s’obscurcit, et que les ténèbres se répandirent sur toute la terre, comme l’affirment les trois évangélistes saint Matthieu, saint Marc et saint Luc. Mais comme les Juifs ont cherché à rejeter sur les Romains (c’est-à-dire sur Pilate et ses soldats), le crime d’avoir mis à mort Jésus-Christ, saint Marc passe sous silence l’heure à laquelle les soldats crucifièrent le Sauveur, et rappelle de préférence la troisième heure, pour nous faire comprendre que ce ne sont pas seulement les soldats qui l’ont crucifié, mais encore les Juifs qui ont demandé à grands cris, à la troisième heure, qu’il fût crucifié. On peut encore expliquer autrement celte difficulté en prenant cette sixième heure comme la sixième heure de la préparation et non la sixième heure du jour. En effet, saint Jean ne dit pas : C’était vers la sixième heure du jour, mais : « C’était vers la sixième heure de la préparation. » Le mot parascere signifie eu latin prœparatio, et, comme le dit l’Apôtre : « Jésus-Christ, notre Agneau pascal, a été immolé. » (1 Co 5) Or, si nous comptons la préparation de cette pâque, depuis la neuvième heure de la nuit, où les princes des prêtres prononcèrent l’arrêt de mort du Sauveur, en disant : « Il est digne de mort, » jusqu’à la troisième heure du jour, où l’évangéliste saint Marc rapporte qu’il fut crucifié, nous trouvons six heures, trois heures de nuit et trois heures de jour. — THEOPHYL. Il en est qui résolvent cette difficulté en rejetant cette variante sur la négligence d’un copiste parmi les Grecs, chez qui les lettres de l’alphabet font l’office de chiffres. En effet, la lettre grec appelée γάμμα qui est caractérisée par la γ, désigne la troisième heure, tandis qu’une autre lettre qui a quelque ressemblance avec la première, c’est-à-dire, la lettre ς, signifie la sixième heure. Or, il a pu très-bien arriver que, par la négligence des copistes, un de ces signes ait été employé pour l’autre.




S. Chrysostome : Pilate était sorti sous le prétexte de procéder à un nouvel interrogatoire, mais au fond il n’en fait rien, et il abandonne Jésus aux Juifs, espérant les fléchir par cette condescendance : « Et il dit aux Juifs : Voilà votre roi. » — THEOPHYL. C’est-à-dire : Voilà cet homme que vous accusez de vouloir usurper la royauté ; dans cet étal d’humiliation, il ne peut rien entreprendre de semblable. — S. Chrysostome : Tout ce que Pilate leur avait déjà dit devait suffire pour apaiser leur fureur, mais ils craignaient qu’une fois délivré, Jésus n’entraînât de nouveau la multitude après lui ; car l’ambition est pleine d’artifices, et elle est capable de conduire une âme à sa perte. Aussi les Juifs redoublent-ils leurs instances : « Mais eux criaient : Otez-le, ôtez-le du monde. » Ils s’efforcent de le faire mourir de la plus ignominieuse des morts, et c’est pour cela qu’ils ajoutent : « Crucifiez-le, » tant ils redoutent que sa renommée survive à sa mort. — S. AUG. Pilate cherche encore à surmonter la terreur que lui a inspiré le nom de César : « Pilate leur demanda : Crucifierai-je votre roi ? » Il veut fléchir par la considération de leur propre ignominie ceux qu’il n’a pu adoucir par le spectacle des ignominies de Jésus-Christ.




« Les pontifes répondirent : Nous n’avons de roi que César. » — S. Chrysostome : Dieu ne les a livrés au châtiment que parce qu’ils l’avaient choisi de leur pleine volonté. Ils ont repoussé unanimement le règne de Dieu, et Dieu les a rendus victimes de leur propre jugement. Ils ont repoussé le règne de Jésus-Christ et ils ont appelé sur eux le règne de César.




S. AUG. Enfin Pilate se laisse vaincre par la crainte : « Alors, il le leur livra pour être crucifié. » Il aurait paru, en effet, se déclarer ouvertement contre César en persistant à vouloir donner un autre roi à ceux qui déclaraient n’avoir d’autre roi que César, et en accordant l’impunité à celui dont ils lui demandaient la mort parce qu’il avait osé aspirer à la royauté. L’Evangéliste ne dit pas : Il le leur livra pour qu’ils le crucifiassent, mais : « Afin qu’il fût crucifié, » en vertu du jugement et du pouvoir du gouverneur. Mais il dit positivement que Jésus leur fut livré pour montrer qu’ils étaient étroitement associés au crime dont ils s’efforçaient d’éloigner d’eux le soupçon ; car jamais Pilate ne serait arrivé à cette extrémité s’il n’avait voulu en cela satisfaire leurs plus vifs désirs.




Versets 16-18.



LA GLOSE. Sur l’ordre qui leur fut donné par le gouverneur, les soldats se saisirent de Jésus pour le crucifier : « Ils prirent donc Jésus et remmenèrent. » — S. AUG. (Traité 110 sur S. Jean.) On peut entendre ici que ce furent les soldats qui faisaient partie de la garde du gouverneur, car plus bas l’Evangéliste s’exprime sans ambiguïté : « Lorsque les soldats l’eurent crucifié. » Mais quand il attribuerait exclusivement aux Juifs l’exécution tout entière du crime, ce ne serait que justice, car ils sont véritablement les auteurs de la condamnation qu’ils ont arrachée à Pilate.




S. Chrysostome : (Hom. 83 sur S. Jean.) Mais comme aux yeux des Juifs le bois de la croix était un bois souillé qu’ils évitaient avec soin et qu’ils n’auraient jamais consenti à toucher, ils en chargèrent Jésus lui-même comme un criminel condamné à mort : « Et portant sa croix, » etc. C’est ce qui déjà avait eu lieu dans celui qui était la figure du Sauveur, Isaac, qui avait porté lui-même le bois de son sacrifice : mais alors le sacrifice figuratif ne s’accomplit que dans la volonté du père, tandis qu’il dut s’accomplir ici en réalité, parce que c’était la vérité. — THEOPHYL. De même qu’Isaac fut délivré et qu’un bélier fut immolé en sa place, de même la nature divine demeure ici impassible, et il n’y a eu d’immolé que l’humanité, qui fait comparer le Sauveur à un bélier, comme étant le fils d’Adam, semblable à un bélier qui s’est égaré. Mais comment expliquer ce que dit un autre évangéliste, qu’ils forcèrent Simon de porter la croix ? — S. AUG. (De l’accord des Evang., 3, 10.) Les deux choses se sont faites successivement, d’abord ce que dit saint Jean, et ensuite ce que rapportent les trois autres évangélistes ; il faut donc admettre qu’il portait lui-même sa croix au moment où il se dirigeait vers le lieu du Calvaire.




S. AUG. (Trait. 117 sur S. Jean.) Quel grand spectacle ! Mais aux yeux de l’impiété, quel immense sujet de moquerie ! aux yeux de la piété, quel grand et touchant mystère ! L’impiété tourne en dérision ce Roi qu’elle voit, au lieu de sceptre, porter le bois de son supplice ; la piété contemple ce Roi qui porte cette croix où il devait se clouer lui-même avant de la placer sur le front des rois. Cette croix le rendra un objet de mépris pour les impies, mais les cœurs des saints y placeront toute leur gloire. Il relève donc, la croix en la portant sur ses épaules, et il portait ainsi le chandelier de cette lampe qui devait répandre sa lumière et ne point demeurer sous le boisseau. — S. Chrysostome : Semblable aux triomphateurs, il portait sur ses épaules le signe de sa victoire.




Il en est qui prétendent qu’Adam est mort et enseveli dans cet endroit qui est appelé Calvaire, et que Jésus avait voulu établir le trophée de sa victoire là où la mort avait inauguré son règne. — S. JER. (Sur S. Matth.) Cette opinion flatte agréablement l’esprit du peuple, mais elle est dénuée de vérité. Car, c’est hors de la ville et au delà des portes que l’on tranchait la tête à ceux que l’on condamnait à mort, d’où ce lieu a pris le nom de Calvaire (ou lieu de ceux qui sont décapités). Quant à Adam, nous lisons dans le livre de Josué, fils de Navé, qu’il a été enseveli entre Ebron et Arbée.




S. Chrysostome : Or, ils le crucifièrent avec des voleurs, dit l’Evangéliste : « Ils le crucifièrent, et avec lui deux antres, un de chaque côté, et Jésus au milieu, » accomplissant ainsi malgré eux la prophétie d’Isaïe : « Il a été mis au nombre des scélérats ; » (Is 53) et c’est que ce qu’ils faisaient pour l’outrager servait au triomphe de la vérité. Le démon voulait obscurcir l’éclat de cette mort, mais il ne put y parvenir. Il y avait trois crucifiés, mais personne n’attribua à un autre qu’à Jésus les miracles qui se firent. Tous les efforts du démon furent donc inutiles ; et, loin d’obscurcir sa gloire, il la fit briller d’un plus vif éclat, car le miracle que fit Jésus en convertissant un des voleurs et en lui ouvrant les portes du ciel est bien plus grand que celui d’ébranler et de fendre les rochers.




S. AUG. (Trait. 31 sur S. Jean, vers la fin.) Cependant, si vous voulez y faire attention, la croix de Jésus fut un tribunal ; le juge était placé au milieu de deux criminels : l’un des deux crut et fut sauvé ; l’autre insulta son juge et fut condamné. Il commençait à faire dès lors ce qu’il doit accomplir un jour à l’égard des vivants et des morts, en plaçant les uns à sa droite et les autres à sa gauche.




Versets 19-22.



S. Chrysostome : (Hom. 84 sur S. Jean.) De même que l’on met sur les trophées des inscriptions qui rappellent les victoires des triomphateurs, ainsi Pilate place une inscription sur la croix de Jésus : « Pilate fil aussi une inscription qu’il fit mettre au haut de la croix. » Il veut par là prendre la défense de Jésus-Christ et séparer sa cause de celle des voleurs, et tout à la fois se venger des Juifs, en faisant ainsi connaître publiquement l’excès de leur malice, qui les a portés à s’élever contre leur propre roi : « Il y était écrit : Jésus de Nazareth, roi des Juifs. » — Bède : Il était ainsi démontré que le règne de Jésus-Christ, loin d’être détruit comme le pensaient les Juifs, était bien plutôt affermi. — S. AUG. (Traité 118 sur S. Jean.) Mais est-ce que Jésus est seulement le roi des Juifs ? a’est-il pas aussi le roi des Gentils ? Oui sans doute, il l’est aussi des Gentils, car après avoir dit par la bouche du prophète : « J’ai été établi roi par lui sur Sion, sa montagne sainte, » il ajoute : « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour héritage. » (Ps 20) Il nous faut donc voir dans cette inscription un grand mystère, c’est-à-dire, que l’olivier sauvage a pris part à la sève et au suc de l’olivier (Rm 11, 17), et que ce n’est pas l’olivier franc qui a pris part à l’amertume de l’olivier sauvage. Jésus-Christ est donc le roi des Juifs, mais des Juifs circoncis de cœur plutôt qu’extérieurement, de cette circoncision qui se fait par l’esprit, et non par la lettre.




« Beaucoup de Juifs lurent cette inscription, parce que le lieu où Jésus fut crucifié était près de la ville. » — S. Chrysostome : Il est vraisemblable qu’un grand nombre de Gentils s’étaient rendus avec les Juifs à Jérusalem pour la fête de Pâque, et afin que tous pussent lire cette inscription, elle fut écrite non dans une seule langue, mais dans trois langues différentes : « Elle était écrite en hébreu, en grec et en latin. »




— S. AUG. Ces trois langues étaient alors les plus répandues : la langue hébraïque, qui était celle des justes, qui se glorifiaient de leur loi ; la langue grecque, celle des sages parmi les païens ; la langue latine, qui était celle des Romains, dont la domination s’étendait alors sur presque toutes les nations de la terre. — THEOPHYL. Cette inscription en trois langues signifiait que le Christ était le roi des trois sciences, la science pratique, la physique et la théologie. La langue latine figure la science pratique, les Romains ayant déployé, dans leurs expéditions, une puissance et une habileté sans égale ; la langue grecque est le symbole de la science physique, parce qu’en effet les Grecs ont consacré tous leurs efforts à la découverte des phénomènes de la nature ; enfin la langue hébraïque signifie la théologie, parce que c’est aux Juifs qu’a été confiée la connaissance des choses divines.




S. Chrysostome : L’envie des Juifs poursuit Jésus-Christ jusque sur la croix : « Les princes des prêtres dirent donc à Pilate : N’écrivez point : Le roi des Juifs ; mais qu’il s’est dit roi des Juifs. » Car cette inscription semble affirmer la proposition qu’elle exprime ; mais si l’on ajoute : Qu’il s’est dit roi des Juifs, on y verra une preuve de son audacieuse et criminelle ambition. Mais Pilate persévère dans son premier dessein : « Pilate répondit : Ce qui est écrit est écrit. » — S. AUG. O puissance ineffable de l’action de Dieu jusque dans les cœurs de ceux qui la méconnaissent ! Ne semble-t-il pas qu’une voix secrète, un silence qui avait son éloquence faisait retentir aux oreilles de son âme ce qui avait été prédit si longtemps auparavant dans le livre des Psaumes : « Ne changez pas l’inscription du titre ? » Mais que dites-vous, prêtres insensés ! Cette inscription cessera-t-elle d’être vraie, parce que Jésus a dit : « Je suis roi des Juifs ? » Si l’on ne peut changer ce que Pilate a écrit, pourra-t-on changer ce qui est affirmé par la vérité elle-même ? Pilate a écrit ce qu’il a écrit, parce que le Seigneur a véritablement dit ce qu’il a dit.

Versets 23-24.



S. AUG. (Traité 118 sur S. Jean.) Sur le jugement rendu par Pilate, les soldats placés sous ses ordres crucifièrent Jésus, comme le dit l’Evangéliste : « Les soldats, après avoir crucifié Jésus, » etc. Et cependant si nous considérons les intentions, si nous prêtons l’oreille aux cris qui se font entendre, ce sont bien plutôt les Juifs qui l’ont crucifié. Les trois autres évangélistes ont raconté plus succinctement ce fait et le tirage au sort des vêtements du Sauveur, tandis que saint Jean entre ici dans de plus grands détails : « Ils prirent ses vêtements et ils en firent quatre parts, » etc. On voit par là que ce furent quatre soldats qui crucifièrent Jésus par les ordres de Pilate : « Et sa tunique ; » sous-entendez : « Ils prirent » pour donner à la phrase ce sens : « Ils prirent aussi sa tunique. » L’Evangéliste s’exprime de la sorte pour nous faire comprendre que les soldats partagèrent les autres vêtements sans les tirer au sort, ce qu’ils ne firent que pour la tunique, qu’ils prirent avec ses autres vêtements sans la partager. « Et cette tunique, poursuit-il, était sans couture, d’un seul tissu depuis le liant jusqu’en bas. » — S. Chrysostome : (hom. 85 sur S. Jean.) Saint Jean nous fait ici une description de la tunique du Sauveur, et comme c’est l’usage dans la Palestine de faire les vêtements avec deux morceaux d’étoffe que l’on réunit ensemble, il veut nous montrer que telle était la tunique de Jésus, pour nous faire comprendre indirectement la pauvreté de ses vêtements. — THEOPHYL. D’autres disent que dans la Palestine on tisse la toile non comme chez nous en mettant le tissu au-dessous et la chaîne au-dessus de manière que le tissu se dirige vers le haut, mais dans un sens tout contraire.




S. AUG. L’Evangéliste nous apprend ensuite pourquoi cette tunique fut tirée au sort : « Ils se dirent donc entre eux : Ne la divisons point, » etc. Ils avaient donc divisé en parties égales les autres vêtements, ce qui avait rendu superflu le tirage au sort ; mais pour cette tunique, ils ne pouvaient en avoir chacun une partie qu’en la coupant en quatre lambeaux qui leur eussent été complètement inutiles. Pour éviter cet inconvénient, ils aimèrent mieux que le sort la rendît la part d’un seul. Les oracles des prophètes viennent rendre ici témoignage au récit évangélique : « Afin que s’accomplît cette parole de l’Ecriture : Ils se sont partagé mes vêtements, » etc. — S. Chrysostome : Voyez quelle précision dans sa prophétie ; le Prophète ne prédit pas seulement ce que les soldats ont partagé, mais ce qui n’a pu être l’objet d’un partage, en effet, ils ont partagé les vêtements, mais ils ont tiré au sort la tunique qu’ils n’ont pas voulu diviser.




S. AUG. Le récit de saint Matthieu ainsi conçu : « Ils se partagèrent ses vêtements en les tirant au sort, » a voulu nous faire entendre que ce partage s’étendit à tous les vêtements et à la tunique elle-même qu’ils tirèrent au sort. Saint Luc s’exprime en termes à peu près semblables : « Partageant ensuite ses vêtements, ils les jetèrent au sort, » c’est-à-dire qu’en partageant ses vêtements, ils en vinrent à la tunique qu’ils tirèrent au sort. Saint Luc a mis le mot sort au pluriel sortes pour le singulier sortem. Le récit du saint Marc, seul paraît faire quelque difficulté : « Ils se partagèrent ses vêtements, les tirant au sort, pour savoir ce que chacun en emporterait. » Il semble par là qu’ils aient tiré au sort la totalité des vêtements, et non la tunique seule ; mais cette ambiguïté n’est due qu’à la concision du récit. Ces paroles : « Les tirant au sort » équivalent à celles-ci : « Les tirant au sort au moment du partage. » Il ajoute : « Pour savoir ce que chacun en emporterait, » c’est-à-dire, pour savoir qui emporterait sa tunique, et le sens complet de la phrase serait celui-ci : « Ils tirèrent ses vêtements au sort pour savoir qui emporterait sa tunique qui restait après le partage égal des autres vêtements. Les vêtements du Sauveur partagés en quatre parts représentent l’universalité de l’Église qui s’étend aux quatre parties du monde, et qui se trouve également répandue dans chacune d’elles. La tunique tirée au sort figure l’unité de toutes les parties unies entre elles par le lien de la charité. Mais si la charité nous ouvre une voie plus excellente (1 Co 12), si elle est supérieure à la science (Ep 3), si elle est le premier de tous les commandements selon ces paroles de saint Paul : « Par-dessus tout ayez la charité, » (Col 3) c’est avec raison que le vêtement qui fin est le symbole est d’un seul tissu depuis le haut jusqu’en bas. L’Evangéliste ajoute : « Jusqu’en bas, » car il faut nécessairement avoir la charité pour appartenir à ce grand tout qui s’appelle l’Église catholique. Elle est sans couture pour qu’elle ne puisse se séparer, et elle devient la possession d’un seul, parce qu’elle ramène tous les hommes à l’unité. Le tirage au sort est une figure de la grâce de Dieu, car lorsqu’on règle une chose par le sort on ne tient compte ni de la qualité des personnes ni de leurs mérites, mais on laisse la décision aux dispositions secrètes des jugements de Dieu.




S. Chrysostome : Ou bien encore, selon l’interprétation de quelques-uns, cette tunique sans couture, d’un seul tissu dans toute son étendue, figure dans le sens allégorique que ce n’est pas seulement un homme mais un Dieu qui est crucifié.




THEOPHYL. On peut dire encore que cette tunique sans couture est la figure du corps de Jésus-Christ qui est comme tissu dans sa partie supérieure, car l’Esprit saint est survenu dans la Vierge Marie ; et la vertu du Très-Haut l’a couverte de son ombre. Le très-saint corps de Jésus-Christ est donc indivisible ; car bien qu’il soit distribué à tous pour sanctifier l’âme et le corps de chaque fidèle, cependant il est dans tous en entier et d’une manière indivisible. Comme le monde visible est composé de quatre éléments, on peut voir dans les vêtements du Sauveur partagés en quatre parties égales les créatures visibles que les démons se partagent entre eux, toutes les fois qu’ils mettent à mort le Verbe de Dieu qui habite en nous, et qu’ils s’efforcent de nous entraîner dans leur malheureux sort par les charmes trompeurs des plaisirs du monde.




S. AUG. De ce que cette action est accomplie par des hommes pervers, il ne s’ensuit pas qu’elle ne puisse être la figure d’une bonne chose, car alors que dirons-nous de la croix elle-même qui a été préparée par les impies ? Et cependant nous y voyons figurées ces dimensions mystérieuses dont parle l’Apôtre, c’est-à-dire, « la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur. » (Ep 3, 18.) La largeur est dans le bois transversal sur lequel les bras du crucifié sont étendus, elle figure les bonnes œuvres qui s’accomplissent dans toute l’expansion de la charité. La longueur est dans la partie qui descend jusqu’à terre et signifie la persévérance qui est égale à la longueur du temps. La hauteur est dans le sommet qui s’élève au-dessus de la partie transversale ; elle figure la fin surnaturelle à laquelle nous devons rapporter toutes nos œuvres. La profondeur enfin est dans la partie qui s’enfonce dans la terre ; cette partie est cachée, c’est elle cependant qui soutient toutes les parties apparentes de la croix ; c’est ainsi que le principe de toutes nos bonnes œuvres sort des profondeurs de la grâce de Dieu que personne ne peut comprendre. Mais quand même la croix de Jésus-Christ ne figurerait autre chose que ce que l’apôtre saint Paul exprime en ces termes : « Ceux qui appartiennent à Jésus-Christ ont crucifié leur chair avec ses passions ni ses désirs déréglés ; » (Ga 5, 24) quel grand bien ce serait déjà ! Enfin qu’est-ce que le signe de Jésus-Christ, si ce n’est sa croix ? Si on n’imprime ce signe sur les fronts des fidèles, si on ne le trace sur l’eau qui les régénère, sur l’huile du chrême qui sert à l’onction sainte, sur le sacrifice qui les nourrit, aucun de ces sacrements n’est administré suivant les règles de leur institution divine.




Versets 24-27.



THEOPHYL. Pendant que les soldats s’occupaient de leurs misérables intérêts, Jésus étendait sa sollicitude sur sa sainte Mère : « Voilà ce que firent les soldats. Cependant, debout près de la croix de Jésus était sa mère, » etc. — S. AMBR. (Lettre à l’Église de Verceil.) Marie, mère de Jésus se tenait debout au pied de la croix de son Fils, saint Jean est le seul qui nous apprenne cette circonstance. Les autres évangélistes ont décrit le monde ébranlé au moment où le Sauveur fut crucifié, le ciel couvert de ténèbres, le soleil refusant sa lumière, le ciel ouvert au bon larron pieusement repentant. Mais saint Jean nous apprend ce dont les autres n’ont point parlé, les paroles qu’il a, du haut de la croix, adressées à sa mère. Il a estimé qu’il était plus merveilleux que Jésus triomphant de ses douleurs ait donné à sa mère ce témoignage de tendresse, que d’avoir fait don du ciel au bon larron ; car si la grâce qu’il accorde au bon larron est une preuve de sa miséricorde, cet hommage public d’affection extraordinaire que le Fils rend à sa mère témoigne une piété filiale bien plus grande et plus admirable. « Femme, lui dit-il, voilà votre Fils, » et au disciple : « Voilà votre mère. » Jésus-Christ testait du haut de la croix, et son affection se partageait entre sa mère et son disciple. Le Sauveur faisait alors non-seulement son testament pour tous les hommes, mais son testament particulier et domestique, et ce testament recevait la signature de Jean, digue témoin d’un si grand testateur. Testament qui avait pour objet, non une somme d’argent, mais la vie éternelle, qui n’était point écrit avec de l’encre, mais avec l’Esprit du Dieu vivant (2 Co 3) : « Ma langue, disait le Psalmiste, est comme la plume de l’écrivain qui écrit très-vite. » (Ps 44) Il ne convenait pas non plus que Marie fût au-dessous de ce qu’exigeait la dignité de mère de Dieu ; aussi tandis que les Apôtres ont pris la fuite, elle se tient debout au pied de la croix, elle jette des regards pieusement attendris sur les blessures de son Fils, parce qu’elle considère non la mort de ce Fils chéri, mais le salut du monde. Ou bien encore, comme elle savait que la mort de son Fils devait être la rédemption du monde, elle croyait en formant ainsi la cour de ce divin Fils ajouter par sa propre mort au sacrifice qu’il offrait pour tous les hommes : mais Jésus n’avait pas besoin qu’on vînt lui prêter secours pour la rédemption du monde, lui qui a sauvé tous les hommes sans le secours de personne ; ce qui lui fait dire par la bouche du Roi-prophète : « J’ai été comme un homme sans aide, libre entre les morts. » (Ps 87) Il accepte le témoignage d’affection de sa mère, mais il n’implore le secours d’aucune créature. Mères pieuses, imitez cette Vierge sainte qui dans la mort de son Fils unique et bien-aimé vous donne un si grand exemple de vertu maternelle ; car jamais vous n’avez eu des enfants plus chéris, et cette divine Vierge ne pouvait avoir, comme vous, l’espérance de donner le jour à un autre fils.




S. JER. (Contre Helvid.) Cette Marie qui est appelée dans saint Marc et dans saint Matthieu la mère de Jacques et de Joseph, fut l’épouse d’Alphée et la sœur de Marie, mère du Seigneur. Saint Jean l’appelle Marie de Cléophas, nom qui lui vient soit de son père, soit de sa famille, soit de quelque autre cause. Si vous étiez tenté de croire que Marie, mère de Jacques le Mineur, et celle qui est ici appelée Marie de Cléophas sont deux personnes différentes, il faut vous rappeler que la coutume de l’Ecriture est de donner différents noms à une seule et même personne. — S. Chrysostome : Remarquez ici que c’est le sexe le plus faible qui fit paraître le plus de courage ; les femmes restent au pied de la croix pendant que les disciples se sont enfuis.




S. AUG. (De l’acc. des Evang., 3, 21.) Si saint Matthieu et saint Luc n’avaient pas désigné nominativement Marie-Madeleine, nous aurions pu dire que parmi ces femmes les unes s’étaient tenues près de la croix, et les autres plus éloignées, car saint Jean seul fait ici mention de la mère du Sauveur. Mais comment entendre que la même Marie-Madeleine s’est tenue loin de la croix (comme le rapportent saint Matthieu et saint Luc) et qu’elle fût au pied de la croix, suivant le récit de saint Jean ? Il faut dire que malgré l’intervalle qui les séparait de la croix, on pouvait dire qu’elles en étaient rapprochées, parce qu’elles en étaient à portée, et en même temps qu’elles ni étaient loin en comparaison de la foule qui en était plus rapprocher avec le centurion et les soldats. On peut encore admettre que les pieuses femmes qui étaient présentes avec la mère du Seigneur s’éloignèrent de la croix après que Jésus eut recommandé sa mère à son disciple, pour se dégager de la multitude qui les entourait, et considérer de plus loin le spectacle qu’elles avaient sous les yeux, ce qui fit dire aux autres évangélistes qui ne parlent d’elles qu’après la mort du Sauveur qu’elles se tenaient loin de la croix. Qu’importe d’ailleurs à la vérité du récit que tous les évangélistes donnent les noms de quelques-unes de ces femmes, et que chaque évangéliste fasse mention spéciale de quelques autres ?




S. Chrysostome : D’autres femmes aussi se tenaient près de la croix, et le Sauveur paraît ne faire attention qu’à sa mère, nous apprenant ainsi que nos mères ont droit à des égards plus particuliers. Lorsque nos parents cherchent à s’opposer à nos intérêts spirituels, nous ne devons pas même les connaître ; mais aussi lorsqu’ils n’y mettent aucun obstacle, nous devons leur donner de préférence aux autres tous les témoignages d’affection qu’ils peuvent désirer. C’est ce que fait Jésus. « Jésus ayant donc vu sa mère, et près d’elle le disciple qu’il aimait, il dit à sa mère : Femme, voilà votre Fils. » — Bède : Saint Jean se donne à connaître par l’affection que Jésus avait pour lui, non pas sans doute qu’il en fût aimé à l’exclusion des autres, mais parce qu’il était l’objet d’une affection plus particulière qu’il devait à sa virginité. En effet, il était vierge lorsqu’il fut appelé par Jésus, et il demeura vierge toute sa vie.




S. Chrysostome : Quel magnifique témoignage d’honneur le Seigneur donne à son disciple ! Mais une sage modestie lui fait garder le silence sur cet honneur dont il est l’objet. Si en effet il avait voulu s’en prévaloir, il eût fait connaître le motif de l’affection que Jésus avait pour lui, motif qui devait se rattacher à une cause d’un ordre supérieur. Le Sauveur ne dit rien autre chose à saint Jean ; il ne le console pas dans sa tristesse, parce que ce n’était pas le temps de faire de longs discours de consolation. Sa mère reçoit de lui une marque d’honneur non moins remarquable. Dans la tristesse profonde où elle était plongée, il fallait lui chercher un appui et un soutien pour remplacer Jésus, qui allait la quitter ; il la confie donc lui-même à son disciple, afin qu’il en prenne soin ; « Ensuite il dit à son disciple : Voici votre mère. » — S. AUG. (Traité 119 sur S. Jean.) C’était l’heure dont Jésus, avant de changer l’eau eu vin, avait dit à sa mère : « Femme, qu’y a-t-il entre vous et moi ? Mon heure n’est pas encore venue. » Au moment de faire une œuvre toute divine, il semble repousser comme lui étant inconnue la mère, non pas de sa divinité, mais de son humanité ou de son infirmité. Maintenant, au contraire qu’il endure des souffrances propres à la nature humaine, il recommande celle dans le sein de laquelle il s’est fait homme avec l’affection qu’inspiré la nature. Il nous donne ainsi un enseignement d’une haute moralité ; il nous apprend par son exemple, comme un bon maître, les tendres soins que la piété filiale doit inspirer aux enfants pour leurs parents ; et le bois où sont cloués les membres du Sauveur mourant a été aussi comme la chaire du haut de laquelle le divin Maître nous a enseigné.




S. Chrysostome : C’est ainsi qu’il confond l’impudente erreur de Marcion. Si, en effet, il n’est point né selon la chair, il n’a pas eu de mère, alors pourquoi cette sollicitude extraordinaire dont elle est l’objet ? Considérez encore comment, au moment où il est crucifié, Jésus fait tout avec le plus grand calme : il confie sa mère à son disciple, il accomplit les prophéties, il donne l’espérance du ciel au bon larron. Au contraire, avant son crucifiement, son âme paraît en proie au trouble. Il donnait ainsi la preuve, d’un côté de la faiblesse de la nature humaine, de l’autre de la force supérieure de son âme. Il nous apprend ainsi à ne point nous laisser abattre, si au milieu des adversités le trouble vient à s’emparer de notre âme, et lorsque nous serons entrés dans la lice à supporter toutes les épreuves comme faciles et légères.




S. AUG. En quittant sa mère, il prenait soin de lui laisser en quelque sorte un autre fils, et saint Jean nous fait connaître la raison de cette conduite dans les paroles suivantes : « Dès ce moment le disciple la reçut chez lui. » (In sua.) Mais quel est ce « chez lui » dans lequel Jean reçut la mère du Sauveur ? Est-ce qu’il n’était pas du nombre de ceux qui avaient dit : « Voici que nous avons tout quitté pour vous suivre ? » Il la reçut donc chez lui, non pas dans ses propriétés, parce qu’il n’en avait pas, mais dans son affection, qui le portait à prodiguer à la mère de Jésus tous les offices personnels. — Bède : Une autre version porte : « Le disciple la reçut comme sienne ; » (in suam) quelques-uns disent comme étant sa mère, mais il est plus naturel de sous-entendre le mot curam, il la reçut pour être l’objet de sa sollicitude.




Versets 28-30.



S. AUG. (Traité 119 sur S. Jean.) L’homme qui apparaissait aux regards endurait toutes les souffrances qui étaient réglées par le Dieu qui demeurait caché. « Après cela, Jésus sachant que toutes choses étaient accomplies, afin que l’Ecriture, » c’est-à-dire cette prédiction de l’Ecriture : « Et dans ma soif, ils m’ont abreuvé de vinaigre, » (Ps 68) reçût aussi son accomplissement, il dit : « J’ai soif. » Il semble dire par là aux Juifs : Vous avez oublié ce dernier trait, donnez-moi ce que vous êtes. Les Juifs étaient en effet un vinaigre dégénéré du vin des patriarches et des prophètes. Or, il y avait là un vase plein de vinaigre, c’est-à-dire que les Juifs, dont le cœur, semblable à une éponge, renfermait mille cavités tortueuses comme autant de repaires de malice, puisèrent à plein vase et remplirent leur cœur de l’iniquité du monde : « Les soldats remplirent une éponge de vinaigre, et, l’environnant d’hysope, la lui présentèrent à la bouche. » — S. Chrysostome : (Hom. 85 sur S. Jean.) Le spectacle qu’ils avaient sous les yeux, loin de les adoucir, ne fit qu’augmenter leur cruauté, et pour étancher sa soif, ils lui donnent le breuvage des condamnés, c’est pour cela qu’ils font usage d’hysope.




S. AUG. L’hysope dont ils entourent l’éponge est une petite plante qui a une vertu purgative ; elle représente justement l’humilité de Jésus-Christ qu’ils entourèrent de leurs criminelles intrigues et qu’ils crurent avoir circonvenue ; car c’est l’humilité de Jésus-Christ qui nous purifie. Il ne faut pas s’étonner qu’ils aient pu approcher une éponge de la bouche de Jésus qui, sur la croix, était élevé bien au-dessus de la terre, car d’après les autres évangélistes qui nous rapportent cette circonstance, que celui-ci passe sous silence, ils le firent à l’aide d’un roseau, afin que le breuvage contenu dans l’éponge pût arriver à la hauteur de la croix. — THEOPHYL. Il en est qui pensent que ce roseau fut tout simplement l’hysope, parce que cette plante a des branches qui ressemblent au roseau.




« Jésus ayant donc pris le vinaigre dit : Tout est accompli. » Qu’est-ce qui est accompli ? Ce que les prophètes avaient prédit si longtemps auparavant. — Bède : Mais comment concilier ce que dit ici saint Jean : « Après qu’il eut pris ce vinaigre, » avec ce que rapporte un autre Evangéliste : « Qu’il n’en voulut point boire ? » Cette difficulté est facile à résoudre. Jésus prit le vinaigre non pour le boire, mais pour accomplir ce qui était écrit. — S. AUG. Et comme il ne restait plus rien de ce qui devait s’accomplir avant sa mort, l’Evangéliste ajoute : « Et baissant la tête, il rendit l’esprit, » après avoir fait toutes les choses dont il attendait l’accomplissement pour mourir, agissant en tout comme celui qui avait le pouvoir de donner sa vie et le pouvoir de la reprendre. — S. GREG. (Moral., 11, 3.) L’esprit est mis ici pour l’âme, car si par esprit l’Evangéliste entendait autre chose que l’âme, il s’en suivrait que l’âme serait restée après le départ de l’esprit. — S. Chrysostome : Ce n’est point parce qu’il expire qu’il baisse la tête, mais c’est après qu’il a baissé la tête qu’il expire, et l’Evangéliste veut nous montrer par toutes ces circonstances que Jésus est le maître de toutes choses. — S. AUG. Quel autre s’endort si précisément quand il veut comme Jésus est mort au moment qu’il a voulu ? Quelle espérance, mais aussi quelle crainte doit inspirer la puissance qu’il fera éclater au jour du jugement, alors que celle qu’il manifeste en mourant est déjà si grande ? — THEOPHYL. Le Sauveur remet sou esprit a Dieu et à son Père, pour nous apprendre que les âmes des saints ne restent point dans les tombeaux, mais qu’elles reviennent dans les mains du Père de tous les hommes, tandis que les âmes des pécheurs sont envoyées dans un lieu de supplices, c’est-à-dire dans l’enfer.




Versets 31-37.



S. Chrysostome : (Hom. 85 sur S. Jean.) Les Juifs, qui ne craignaient pas d’avaler le chameau et rejetaient le moucheron, après avoir audacieusement consommé un si grand attentat, manifestent des scrupules, des inquiétudes au sujet du jour du sabbat. « Les Juifs, de peur que les corps ne demeurassent sur la croix le jour du sabbat, » etc. — Bède : Le mot parasceve, qui veut dire préparation, indique ici le sixième jour de la semaine, et on lui donnait ce nom parce qu’en ce jour, les Israélites devaient préparer une double provision d’aliments ; parce que le lendemain était le grand jour du sabbat, à cause de la grande solennité de Pâque. — S. AUG. (Traité 120 sur S. Jean.) Ce ne sont point les jambes des suppliciés qui devaient être enlevées, mais ceux à qui on les brisait pour les faire mourir devaient être détachées de la croix pour ne point profaner ce grand jour de fête par le spectacle de leur supplice prolongé sur la croix. — théophyl. D’ailleurs la loi défendait que le supplice d’un homme condamné à mort se prolongent au delà du coucher du soleil. Peut-être aussi ne voulurent-ils pas être regardés comme des bourreaux ou des homicides dans ce jour de fête.




S. Chrysostome : Voyez ici combien est grande la force de la vérité ; les Juifs eux-mêmes, par leurs efforts, concourent à l’accomplissement des prophéties : « Il vint donc des soldats qui rompirent les jambes au premier, et de même à l’autre qu’on avait crucifié avec lui. Puis étant venu à Jésus, et voyant qu’il était déjà mort, ils ne lui rompirent point les jambes ; mais un des soldats lui ouvrit le côté avec une lance. » — THEOPHYL. Pour complaire aux Juifs, les soldats percent de leur lance le corps de Jésus-Christ et poursuivent de leurs outrages ce corps même inanimé ; mais cet outrage donne lieu à un miracle éclatant, car n’est-ce pas un véritable miracle que le sang coule d’un corps privé de la vie ? — S. AUG. L’Evangéliste se sert ici d’une expression choisie à dessein ; il ne dit pas il frappa ou il blessa son côté, mais il ouvrit son côte avec une lance, pour nous apprendre qu’il ouvrait ainsi la porte de la vie d’où sont sortis les sacrements de l’Église, sans lesquels on ne peut avoir d’accès à la véritable vie. « Et il en sortit aussitôt du sang et de l’eau. » Ce sang a été répandu pour la rémission des péchés, cette eau vient se mêler pour nous au breuvage du salut ; elle est à la fois un bain qui purifie et une boisson rafraîchissante. Nous voyons une figure de ce mystère dans l’ordre donné à Noé d’ouvrir sur un des côtés de l’arche une porte par où pussent entrer les animaux qui devaient échapper au déluge, et qui représentaient l’Église, (Gn 6, 16) C’est en vue du même mystère que la première femme fut faite d’une des côtes d’Adam pendant son sommeil (Gn 2, 22), et nous voyons ici le second Adam s’endormir sur la croix après avoir incliné la tête pour qu’une épouse aussi lui fût formée par ce sang et cette eau qui coulèrent de son côté après sa mort. O mort qui devient pour les morts un principe de résurrection et de vie ! Quoi de plus pur que ce sang ? Quoi de plus salutaire que cette blessure ? — S. Chrysostome : C’est donc de ce côté ouvert que nos saints mystères tirent leur origine ; lors donc que vous approchez de l’autel pour boire ce calice redoutable, approchez dans les mêmes dispositions que si vous deviez appliquer vos lèvres sur le côté même de Jésus-Christ. — THEOPHYL. Ceux qui refusent de mêler l’eau avec le vin dans la célébration des saints mystères trouvent donc ici leur condamnation, car ils paraissent ne pas croire que l’eau ait coulé du côté du Sauveur. Essaiera-t-on de dire qu’il restait encore un léger principe de vie dans le corps de Jésus, ce qui explique le sang qui sortit de son côté ; mais l’eau qui en sort maintenant est une preuve sans réplique qu’il était mort. Aussi l’Evangéliste prend-il soin d’ajouter : « Et celui qui l’a vu en rend témoignage. » — S. Chrysostome : C’est-à-dire, il ne l’a point appris des autres, il était présent, il en a été le témoin oculaire ; « et son témoignage est véritable. » Il fait cette réflexion à l’occasion de ce nouvel outrage fait au corps du Sauveur, et non après le récit de quelque prodige extraordinaire pour fixer davantage l’attention. Eu s’exprimant de la sorte, il ferme aussi par avance la bouche des hérétiques, prédit les mystères que l’avenir devait dévoiler, et arrête ses regards sur le trésor inépuisable qu’ils renferment.




« Et il sait qu’il dit vrai, afin que vous croyiez aussi. » — S. AUG. Celui qui a vu ce miracle le sait, et son témoignage doit servir d’appui à la foi de celui qui ne l’a pas vu. Saint Jean confirme par deux-témoignages de l’Ecriture les deux faits dont il atteste la vérité. Après avoir dit : « Ils ne brisèrent point les jambes à Jésus, » il ajoute : « Ces choses se sont faites afin que cette parole de l’Ecriture fût accomplie : Vous ne briserez aucun de ses os, » etc. (Ex 12, 46.) C’est ce qui était recommandé à ceux qui, dans l’ancienne loi, célébraient la pâque par l’immolation d’un agneau, qui était la figure de la passion du Sauveur. Saint Jean avait dit aussi : « Un des soldats ouvrit son côté avec une lance, » et à l’appui il cite cet autre témoignage : « Il est dit encore dans un autre endroit de l’Ecriture : Ils jetèrent leurs regards sur celui qu’ils ont percé ; » (Za 12, 11) ; prophétie qui annonçait que le Christ paraîtrait au monde avec cette chair dans laquelle il a été crucifié. — S. JER. (Préface sur le Pentateuque.) Ce second témoignage est emprunté au prophète Zacharie.




Versets 38-42.



S. Chrysostome : (hom. 85 sur S. Jean.) Joseph pensant que la mort de Jésus avait suffi pour calmer la fureur des Juifs, se présente avec confiance pour rendre au Sauveur les honneurs de la sépulture : « Après cela Joseph d’Arimathie, qui était disciple de Jésus, » etc. — Bède : Arimathie n’est autre que Ramatha, patrie d’Helcana et de Samuel. C’est par une providence toute particulière que Dieu avait veillé à ce que Joseph fut juste pour être digne de recevoir le corps du Seigneur. C’est ce que nous indique l’Evangéliste par ces paroles : « Qui était disciple de Jésus, » etc. — S. Chrysostome : Il ne faisait point partie des douze Apôtres, mais des soixante-douze disciples. Et comment se fait-il que nous ne voyions ici aucun des douze ? Dira-t-on que la crainte des Juifs les retenait, mais Joseph avait les mêmes raisons de craindre, c’est pour cela que l’Evangéliste ajoute : « Mais en secret, parce qu’il craignait les Juifs. » Toutefois comme il jouissait d’une grande réputation et qu’il était connu de Pilate, il obtint de lui ce qu’il demandait : « Et Pilate lui permit d’enlever le corps de Jésus, » qu’il ensevelit non pas comme le corps d’un condamné, mais comme celui d’un personnage des plus célèbres et des plus éminents : « Il vint donc et prit le corps de Jésus. » — S. AUG. (De l’accord des Evang., 3, 22.) En rendant à Jésus les derniers devoirs, il n’est point arrêté par la pensée des Juifs, bien qu’il prit soin de se mettre à l’abri de leur jalousie haineuse lorsqu’il écoutait les enseignements du Sauveur. — Bède : Leur fureur était apaisée en partie par la joie qu’ils éprouvaient de l’avoir emporté contre Jésus-Christ ; Joseph ne craint donc plus de venir demander le corps de Jésus-Christ, démarche qu’il paraissait faire non comme disciple, mais pour remplir à son égard un acte de religion en lui rendant ces derniers devoirs qu’on n’accorde pas seulement aux bons, mais qu’on ne refuse même pas aux méchants. Nicodème vient se joindre à lui : « Nicodème qui était venu trouver Jésus la première fois, » etc. — S. AUG. L’expression primum, la première fois, ne doit pas se joindre à ces paroles : « Portant cent livres d’une composition de myrrhe, » mais au membre de phrase qui précède, car Nicodème était venu trouver Jésus pour la première fois la nuit, comme saint Jean le raconte dans les premiers chapitres de son Evangile. Ce ne fut donc pas la seule fois mais la première fois que Nicodème vint alors trouver Jésus, car il vint plusieurs fois dans la suite pour écouter ses divins enseignements et devenir son disciple.




S. Chrysostome : Ils apportent avec eux des aromates qui ont la vertu de conserver très longtemps les corps et de les préserver de la corruption, car ils ne considéraient encore le Sauveur que comme un homme, mais ils faisaient preuve d’un amour extraordinaire pour lui. — Bède : Il faut remarquer que c’était un parfum simple, purée qu’il ne leur était point permis d’en faire un qui fût composé de divers aromates.




« Ils prirent donc le corps de Jésus, et ils l’ensevelirent, » etc. — S. AUG. L’Evangéliste nous apprend ici que dans les derniers devoirs que l’on rend aux morts, il faut se conformer aux usages particuliers à chaque nation. Or, les Juifs avaient coutume d’embaumer les corps avec divers parfums, afin de les préserver plus longtemps de la corruption. — S. AUG. (De l’accord des Evang., 3, 23.) Saint Jean n’est point ici en contradiction avec les autres évangélistes, ils ne parlent point il est vrai de Nicodème, mais ils n’affirment pas pour cela que Joseph seul ait enseveli le corps du Sauveur, bien qu’ils ne fassent mention que de lui seul. Ils disent encore, que Joseph l’ensevelit dans un linceul, nous défendent-ils pour cela d’admettre que Nicodème ait pu apporter d’autres linges et de justifier ainsi la vérité du récit de saint Jean d’après lequel le corps de Jésus fut enseveli non dans un seul mais dans plusieurs linceuls. D’ailleurs le suaire dont sa tête fut enveloppée et les bandelettes dont son corps fut entouré, et qui étaient de lin aussi bien que le suaire, permettent de dire en toute vérité : Ils l’enveloppèrent dans des linges, quand même il n’y aurait eu qu’un linceul, car on appelle linges généralement tout ce qui est fait de lin. — Bède : C’est de là qu’est venue la coutume de l’Église de consacrer le corps de Jésus-Christ non sur des étoffes de soie ou d’or, mais sur une toile de lin d’une éclatante blancheur.




S. Chrysostome : Comme le temps pressait, (car Jésus était mort à la neuvième heure), et le soir devait bientôt arriver, pendant qu’ils iraient chez Pilate, et qu’ils descendraient de la croix le corps du Sauveur ils le déposent donc dans un tombeau qui était proche : « Or il y avait dans le lieu où il avait été crucifié, un jardin, et dans ce jardin un sépulcre tout neuf, où personne n’avait été encore mis ; » ce qui se fit par une providence toute spéciale, afin qu’on ne pût supposer que c’était un autre que Jésus qui était ressuscité. — S. AUG. De même que ni avant ni après lui, nul autre ne fut conçu dans le sein de la Vierge, ainsi, aucun autre corps ni avant ni après le sien, ne fut déposé dans ce tombeau. — THEOPHYL. C’était un sépulcre nouveau, et cette circonstance nous apprend que nous sommes renouvelés par la sépulture de Jésus-Christ qui détruit le règne de la mort et de la corruption. Voyez encore à quel excès de pauvreté Jésus s’est réduit pour notre amour, il n’avait point de demeure pendant sa vie ; après sa mort, il est enseveli dans un tombeau d’emprunt, et il faut que Joseph vienne couvrir la nudité de sou corps dépouillé de tous ses vêtements.




« Et comme c’était le jour de la préparation du sabbat des Juifs, et que ce sépulcre était proche, ils y mirent Jésus. » — S. AUG. L’Evangéliste veut nous faire entendre qu’ils se hâtèrent de l’ensevelir, pour ne pas être surpris par la nuit, car alors, le temps de la préparation parasceve, que les Juifs appellent en latin le temps des pains sans levain ne leur eût pas permis de remplir cet office. — S. Chrysostome : Ils choisirent ce tombeau qui était proche, afin que les disciples pussent y venir plus facilement et observer attentivement ce qui s’y passerait. Ce sépulcre fut encore choisi afin que les ennemis du Sauveur qui en étaient gardiens fussent eux-mêmes témoins qu’il avait été enseveli, et pour convaincre de mensonge le bruit qu’ils devaient faire courir que son corps avait été enlevé.




Bède : Dans le sens mystique le nom de Joseph veut dire qui est augmenté par l’accroissement des bonnes œuvres, et c’est pour nous un avertissement de nous rendre dignes de recevoir le corps du Seigneur. — THEOPHYL. Maintenant encore Jésus-Christ est mis à mort par les avares dans la personne des pauvres qui souffrent la faim. Soyez donc un nouveau Joseph, et couvrez la nudité de Jésus-Christ, ensevelissez-le par la méditation dans le tombeau spirituel de votre âme. Couvrez-le d’un mélange de myrrhe et d’aloès, deux substances amères, en méditant sérieusement ces paroles : « Allez maudits au feu éternel, » qui est ce qu’il y a de plus amer.