Chapitre 13 Chaîne d’or sur l’évangile de saint Jean Chapitre 15


CHAPITRE XIV


Versets. 1-4.


S. AUG. (Traité 67 sur S. Jean.) Le Sauveur voulant prévenir la crainte tout humaine que sa mort pouvait produire dans l’âme de ses disciples et le trouble qui devait s’en suivre, cherche à les consoler, en leur déclarant qu’il est Dieu lui-même : « Et il dit à ses disciples : Que votre cœur ne se trouble point, vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi, » c’est-à-dire, si vous croyez en Dieu, par une conséquence nécessaire, vous devez croire en moi, conséquence qui ne serait point légitime, si Jésus-Christ n’était pas Dieu. Vous craignez la mort pour la nature du serviteur, que votre cœur ne se trouble


point, la nature divine la ressuscitera. — S. Chrysostome : (hom. 73 sur S. Jean.) La foi que vous aurez en moi et dans mon Père qui m’a engendré, est plus puissante que tous les événements qui peuvent arriver, et aucune difficulté ne peut prévaloir contre elle. Il prouve encore ici sa divinité en dévoilant les pensées les plus intimes de leur âme, et en leur disant : « Que votre cœur ne se trouble point. » S. AUG. Comme la prédiction que Jésus avait faite à Pierre, toujours plein de confiance et d’ardeur qu’il le renierait trois fois avant le chant du coq avait aussi rempli de crainte les autres disciples, Nôtre-Seigneur les rassure en leur disant : « Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père. » C’est ainsi qu’il calme le trouble et l’agitation de leur âme, en leur donnant l’espérance assurée, qu’après les périls et les épreuves de cette vie, ils seraient pour toujours réunis à Dieu avec Jésus-Christ. Que l’un soit supérieur à un autre en force, en sagesse, en justice, en sainteté, aucun ne sera exclu de cette maison, où chacun sera placé suivant son mérite. Tous recevront également le denier que le père de famille ordonne de donner à ceux qui ont travaillé à sa vigne. (Mt 20) Ce dernier est le symbole de la vie éternelle, qui n’a pour personne une durée plus longue, parce qu’il ne peut y avoir de durée plus ou moins grande dans l’éternité. Le grand nombre de demeures signifie donc les différents degrés de mérites qui existent dans cette seule et même vie éternelle. — S. GREG. (hom. 16 sur Ezech.) Ou bien ce grand nombre de demeures s’accorde avec l’unité de denier, parce que bien que l’un goûte une félicité plus grande que l’autre, tous cependant éprouvent un même sentiment de joie dans la claire vue de leur Créateur. — S. AUG. Ainsi Dieu sera tout en tous, car comme Dieu est charité par l’effet de cette charité, ce qui est à chacun sera le partage de tous. C’est ainsi que chacun possède les choses qu’il n’a pas en réalité, mais qu’il aime, dans un autre. La différence de gloire n’excitera donc aucune envie, parce que l’unité de la charité régnera dans tous les cœurs. — S. GREG. (Moral., dern. liv., chap. 14 ou 24.) D’ailleurs les bienheureux n’éprouveront aucun désavantage de cette disparité de gloire, parce que chacun recevra la mesure suffisante pour combler ses désirs.


S. AUG. Il faut rejeter comme opposé à la foi chrétienne le sentiment de ceux qui prétendent que cette multiplicité de demeures signifie qu’il y aura en dehors du royaume des cieux un lieu destiné aux âmes innocentes qui seront sorties de cette vie sans avoir reçu le baptême, condition nécessaire pour entrer dans le royaume des cieux. Puisque toute la maison des enfants de Dieu, qui sont appelés à régner, ne peut être que dans le royaume, loin de nous la pensée qu’il y ait une partie de cette maison royale qui ne soit point dans le royaume, car le Seigneur n’a pas dit : Dans la béatitude éternelle, mais : « Dans la maison de mon Père il y a un grand nombre de demeures. »


S. Chrysostome : On peut encore rattacher autrement ces paroles à ce qui précède. Le Seigneur avait dit à Pierre : « Là où je vais vous ne pouvez me suivre maintenant, mais vous me suivrez par la suite. » Or, les disciples auraient pu regarder cette promesse comme faite exclusivement à Pierre, c’est pour cela qu’il leur dit ici : « Il y a un grand nombre de demeures dans la maison de mon Père, » c’est-à-dire, le palais que je destine à Pierre vous est également destiné, car il y a dans ce palais un grand nombre de demeures, et il n’y a point à objecter qu’elles ont besoin d’être préparées, car il s’empresse d’ajouter : « S’il en était autrement, je vous l’aurais dit, je vais vous préparer une place. » S. AUG. Ces paroles prouvent suffisamment qu’il leur parle de la sorte, parce qu’il y a dans le ciel un grand nombre de demeures, et qu’il n’est pas besoin d’en préparer quelqu’une. — S. Chrysostome : Comme Il avait dit à Pierre : « Vous ne pouvez pas me suivre maintenant, » et qu’ils pouvaient craindre d’être pour toujours séparés de lui, il ajoute : « Et lorsque je m’en serai allé, et vous aurai préparé une place, je reviendrai et vous prendrai avec moi, afin que là où je suis, vous soyez aussi. » Quoi de plus propre que ce langage pour leur inspirer une vive confiance en lui ? — THEOPHYL. Ne semble-t-il pas leur dire, en effet : Que les demeures soient préparées ou ne le soient point, vous ne devez point vous troubler, car en supposant qu’elles ne soient point préparées, je vais moi-même vous les préparer avec toute la sollicitude possible ?


S. AUG. Mais comment Nôtre-Seigneur peut-il aller nous préparer nue place, puisque d’après lui, il y a déjà un grand nombre de demeures ? C’est qu’elles ne sont pas encore comme elles doivent être préparées, car les demeures qu’il a préparées par la prédestination, il les prépare encore par son action divine. Elles existent donc, déjà dans les décrets de sa prédestination, autrement il aurait dit : J’irai et je préparerai (c’est-à-dire je prédestinerai) une place ; mais comme elles ne sont pas encore l’objet de l’action divine, il ajoute : « Et lorsque je m’en serai allé et que je vous aurai préparé une place. » Or, il prépare maintenant ces demeures, en leur préparant ceux qui doivent les habiter. En effet, lorsque le Sauveur dit : « Il y a un grand nombre de demeures dans la maison de mon Père ; » que devons-nous entendre par cette maison de Dieu, si ce n’est le temple de Dieu, temple dont l’Apôtre dit : « Le temple de Dieu est saint, et c’est vous qui êtes ce temple ? » (1 Co 3, 17.) Or, cette maison est encore en voie de construction et de préparation. Mais pourquoi faut-il qu’il s’en aille pour cette préparation, puisque c’est lui-même qui nous prépare, ce qu’il ne peut faire, s’il le sépare de nous ? Il veut nous enseigner par là, que pour préparer ces demeures, le juste doit vivre de la foi. Si vous jouissez de la claire vue, la foi n’est plus possible. Que le Seigneur s’en aille donc pour se dérober aux regards, qu’il se cache pour devenir l’objet de notre foi, car c’est la vie de la foi qui nous prépare la place. Que la foi nous fasse désirer le Sauveur, afin que les saints désirs nous en mettent en possession. D’ailleurs, si vous l’entendez bien, il ne quitte ni le lieu d’où il paraît s’éloigner, ni celui d’où il est venu jusqu’à nous. Il s’en va en se cachant à nos regards, il vient en manifestant sa présence. Mais s’il ne demeure avec nous pour nous diriger et nous faire avancer dans la voie de la sainteté, le lieu où nous demeurerons avec lui, en jouissant de sa présence, ne nous sera point préparé.


ALCUIN. Voici donc le sens de ce qu’il leur dit : « Je m’en vais, » (c’est-à-dire, je m’absente corporellement), mais : « Je reviendrai de nouveau, » (par la présence de ma divinité), ou bien encore, je reviendrai juger les vivants et les morts. Et comme il prévoyait qu’ils lui demanderaient où il irait, et le chemin qu’il suivrait, il les prévient et leur dit : « Où je vais, vous le savez (c’est-à-dire, vers mon Père), et vous savez la voie » (c’est-à-dire, que j’y vais par moi-même). — S. Chrysostome : En leur parlant de la sorte, il fait connaître le désir qui était au fond de leur âme et leur offre l’occasion de l’interroger.

Versets. 5-7.


S. Chrysostome : (horn. 73 sur S. Jean.) Si les Juifs, qui ne demandaient pas mieux que de se séparer de Jésus-Christ, l’interrogeaient sur le lieu où il devait aller, combien plus les disciples qui ne voulaient pour rien en être séparés, désiraient savoir où il allait ? aussi lui font-ils cette question dans un sentiment mêlé d’amour et de crainte : « Thomas lui dit : Seigneur, nous ne savons où vous allez. » — S. AUG. (Traité 59 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de leur dire qu’ils savaient où il allait, et qu’ils en savaient aussi la voie ; Thomas, de son côté, déclare ignorer ces deux choses, mais le Fils de Dieu ne peut mentir ; les Apôtres savaient donc, mais ils ignoraient qu’ils savaient, et Nôtre-Seigneur leur prouve qu’ils savaient ce qu’ils croyaient ignorer : « Jésus lui dit : Je suis la voie, la vérité et la vie. » — S. AUG. (Serm. 34 sur les par. du Seign.) C’est-à-dire, où voulez-vous aller ? je suis la voie ; où voulez-vous aller ? je suis la vérité ; où voulez-vous demeurer ? je suis la vie. Tout homme est capable de percevoir la vérité et la vie, mais tout homme ne trouve pas la voie qui y conduit. Que Dieu soit une certaine vie éternelle, et une vérité que l’on peut connaître, c’est ce que les philosophes de ce monde ont eux-mêmes compris, mais c’est le Verbe de Dieu qui, dans le sein du Père, est la vérité et la vie qui est devenu la voie en se revêtant de notre humanité. Marchez par cette humanité, et vous arriverez jusqu’à la divinité ; car il vaut encore mieux marcher en boitant dans la voie, que de l’aire de grands pas hors de la voie. — S. HIL. (de la Trin., 7) Celui qui est la voie ne vous conduira pas dans des chemins perdus et sans issue ; celui qui est la vérité, ne peut vous tromper, et celui qui est la vie ne vous laissera pas dans l’erreur de la mort. — THEOPHYLACTE. Lorsque vous menez la vie active, Jésus-Christ est pour vous la voie, lorsque vous persévérez dans la vie contemplative, il devient pour vous la vérité. La vie est le fruit de l’action de la vie contemplative, car il faut nécessairement marcher et annoncer l’Evangile pour mériter la vie future et éternelle.


S. AUG. (Traité 69.) Ils savaient donc la voie, parce qu’ils le connaissaient, lui qui est la voie. Mais qu’était-il besoin d’ajouter qu’il était la vérité et la vie, alors que la voie étant connue, il restait à savoir quel en était le terme, si ce n’est parce qu’il allait à la vérité et à la vie ? Il allait donc à lui-même par lui-même. Mais, Seigneur, est-ce que pour venir jusqu’à nous, vous vous étiez quitté vous-même ? Je sais que vous avez pris la forme de serviteur, et que vous êtes venu dans une chair mortelle, tout en demeurant où vous étiez d’abord, et vous êtes retourné par cette même chair sans vous séparer de ceux vers lesquels vous étiez venu. Si donc c’est par cette chair que vous êtes venu et que vous êtes retourné, c’est par cette même chair aussi que vous êtes devenu tout à la fois la voie que nous devons prendre pour arriver jusqu’à vous, et la voie par laquelle vous êtes vous-même venu et retourné. Or, lorsque vous êtes retourné vers la vie (qui n’est autre que vous-même), vous avez conduit cette même chair de la mort à la vie. Jésus-Christ est donc allé à la vie lorsque sa chair a passé de la mort à la vie. Et comme le Verbe est la vie, c’est à lui-même que le Christ est venu, car le Christ est un composé de ces deux choses, le Verbe et la chair dans une même personne. Dieu était venu par le moyen de la chair vers les hommes, la vérité était venue trouver le mensonge, car Dieu est la vérité, et tout homme est menteur. (Rm 3, 4.) Lors donc qu’il s’est dérobé aux regards des hommes, et qu’il a élevé sa chair vers ces hauteurs inaccessibles au mensonge. C’ est le même Verbe fait chair qui, par lui-même, c’est-à-dire par sa chair, est retourné vers la vérité, qui n’est autre que lui-même ; vérité qu’au milieu même des hommes de mensonge, il a conservée jusque dans la mort. Lorsque moi-même je vous tiens un langage que vous comprenez, je m’avance en quelque sorte vers vous, sans me quitter moi-même, et lorsque je cesse de parler, je reviens comme à moi-même, tout en demeurant avec vous, si vous retenez ce que vous avez entendu. Or, si cela est possible à l’homme, image créée de Dieu, que ne peut point son image substantielle qu’il a engendrée ? Il va donc à lui-même par lui-même, et par lui-même au Père, et par lui, nous allons nous-mêmes à lui et au Père.


S. Chrysostome : Si j’ai le pouvoir de vous conduire au Père, vous ne pouvez manquer d’y arriver, car il n’est pas possible d’y arriver par un autre chemin. En rapprochant ce qu’il a dit précédemment : « Personne ne peut venir à moi, si mon Père ne l’attire, » de ce qu’il déclare ici que personne ne peut venir à son Père que par lui, il se proclame l’égal de celui qui l’a engendré. Mais comment après avoir dit : « Vous savez où je vais, et vous en savez la voie, » ajoute-t-il : « Si vous m’aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père, » c’est-à-dire, si vous connaissiez ma nature et ma dignité, vous connaîtriez aussi la nature et la dignité du Père. Il n’y a point ici contradiction, car ils connaissaient, mais d’une connaissance imparfaite, il était réservé à l’Esprit saint de leur donner cette connaissance dans toute sa perfection. C’est pour cela qu’il ajoute : « Bientôt vous le connaîtrez (il veut parler d’une connaissance tout à fait spirituelle), et vous l’avez déjà vu (c’est-à-dire par moi) ; » il leur apprend ainsi que celui qui le voit, voit son Père, or, ils l’avaient vu, non dans sa nature divine, mais sous le voile de la chair dont il était revêtu.


Bède : Il nous faut examiner maintenant comment Nôtre-Seigneur a pu dire à ses disciples : « Si vous m’aviez connu, » etc. Après leur avoir dit précédemment : Là où je vais, vous le savez, et vous savez le chemin. La réponse à cette difficulté est que parmi les Apôtres, quelques-uns le savaient, et d’autres, du nombre desquels était Thomas, l’ignoraient. — S. HIL. (de la Trin., 7) On peut encore rattacher ces paroles entre elles d’une autre manière. Comme on ne peut aller au Père que par le Fils, il faut examiner si c’est par renseignement de sa doctrine ou par la foi en sa nature divine. La réponse à cette question se trouve dans les paroles qui suivent : « Si vous m’aviez connu, vous auriez aussi connu mon Père. » En effet, le Sauveur a suivi cet ordre dans le mystère de son incarnation, qui avait pour objet de confirmer lu nature divine de son Père, il a distingué le temps de la vision du temps de la connaissance ; celui qu’ils doivent connaître bientôt, ils l’ont déjà vu et ils devaient recevoir par l’effet de la révélation l’intelligence de la nature divine qu’ils avaient déjà contemplée en lui.

Versets. 8-11.


S. HIL. (de la Trin., 7) La nouveauté de ce langage étonne l’apôtre Philippe, on ne voit en Jésus-Christ qu’un homme, et il se proclame le Fils de Dieu, il déclare qu’en le connaissant on connaît son Père, et que qui le voit voit son Père ; Philippe fait au Sauveur cette question qu’autorisait son titre d’Apôtre : « Seigneur, montrez-nous votre Père, et cela nous suffit. » Il ne nie pas qu’on puisse voir son Père en lui, mais il demande qu’on le lui montre, non pas comme vu spectacle extérieur propre à satisfaire les regards du corps, mais comme une démonstration intellectuelle qui lui fasse comprendre celui qu’il désire voir ; car il avait bien vu le Fils de Dieu sous une forme humaine, mais il ne savait pas comment en le voyant, il pouvait voir le Père. Et comme preuve que cette manifestation qu’il désire est plutôt une démonstration de l’intelligence qu’une vision extérieure, il ajoute : « Et cela nous suffira. » —S. AUG. (de la Trin., 8) Celle joie dont il nous comblera en nous montrant son visage (Ps 15, 11), ne nous laissera plus rien à désirer, et c’est ce qu’avait bien compris Philippe, lorsqu’il disait : « Seigneur, montrez-nous le Père, et cela nous suffit. » Mais il n’avait pas encore compris qu’il pouvait également dire à Jésus-Christ : « Seigneur, montrez-vous à nous, et cela nous suffit, car c’est pour lui faire comprendre cette vérité, que Nôtre-Seigneur ajoute : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ? » — S. AUG. (Traité 70.) Mais comment le Sauveur peut-il leur faire ce reproche, alors qu’ils savaient bien où il allait, ainsi que la voie qui y conduisait, par cela seul qu’ils le connaissaient lui-même ? Cette question peut facilement se résoudre, en disant que parmi les Apôtres, quelques-uns connaissaient Jésus-Christ, mais que quelques autres ne le connaissaient pas, et que de ce nombre était Philippe.


S. HIL. (de la Trin., 7) Le Sauveur fait donc un reproche à cet Apôtre, de ce qu’il ne le connaît point, car la plupart des actions qu’il avait faites, comme de marcher sur la mer, de commander aux vents, de remettre les péchés, de rendre la vie aux morts, étant visiblement les œuvres d’un Dieu ; toute la difficulté venait de ce que sous le voile de l’humanité qu’il avait prise, Philippe n’avait pas compris l’existence de la nature divine. Aussi à la demande que lui fait cet Apôtre, de lui montrer son Père, il répond : « Philippe qui me voit, voit mon Père. » — S. AUG. En effet, lorsque nous parlons de deux personnes parfaitement semblables, nous disons : « Si vous avez vu l’une, vous avez vu l’autre. » C’est dans ce sens que Nôtre-Seigneur dit : « Celui qui me voit, voit mon Père, » non pas que le Père soit le même que le Fils, mais parce que le Fils a une entière et parfaite ressemblance avec le Père.


S. HIL. (de la Trin., 7) Nôtre-Seigneur ne veut point parler ici de la vue des yeux du corps, car la chair qui est née de la vierge Marie, ne peut servir à découvrir un Jésus-Christ la nature divine, mais c’est l’intelligence que nous avons du Fils de Dieu, qui nous fait comprendre le Père, car si le Fils est l’image du Père, il a avec lui une même nature, et cette expression signifie simplement qu’il a été engendré. Les paroles du Sauveur ne laissent point supposer, en effet, une seule et unique personne, bien qu’elles expriment l’unité de nature, car en ajoutant : « Voit le Père, » il exclut la supposition d’une personne unique, et nous force d’admettre qu’en vertu de l’unité de nature, le Père est vu dans le Fils. — S. AUG. Mais doit-on faire des reproches à celui qui, voyant une personne parfaitement semblable à une autre, désire voir l’autre terme de la ressemblance ? Nous répondons que le Sauveur reprend son disciple, parce qu’il voyait le fond de son cœur ; Philippe désirait connaître le Père, comme si le Père était supérieur au Fils, et par là-même il ne connaissait pas le Fils, m supposant qu’il existait un être qui lui fût supérieur. C’est pour redresser cette erreur que Nôtre-Seigneur lui dit : « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ? » C’est-à-dire, si c’est beaucoup pour vous de voir le Père dans le Fils, croyez au moins ce que vous ne voyez pas. — S. HIL. (de la Trin., vu.) Comment pouvait-on encore ignorer le Père, et quelle nécessité de le faire connaître à ceux qui l’ignoraient, alors qu’on pouvait le voir dans le Fils ? Or, on le voyait, parce qu’ils ont une commune nature, et qu’en vertu de cette nature absolument semblable, celui qui engendre et celui qui est engendré ne sont qu’un, selon ces paroles du Sauveur : « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ? » — S. AUG. (de la Trin., 1, 2.) Le Sauveur voulait qu’il vécût de la foi avant de parvenir à la claire vision, car la contemplation est la récompense de la foi, et c’est la foi qui prépare les cœurs à cette récompense en les purifiant.


S. HIL. (de la Trin., 7) Or, le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, non par la double union de deux natures qui se rencontrent, ni par l’union d’une nature supérieure qui vient s’enter sur une autre nature, parce que les choses intérieures ne peuvent être soumises aux nécessités des dimensions corporelles, et demeurer extérieures aux choses qui les contiennent, mais le Père est dans le Fils, et le Fils dans le Père, en vertu de sa naissance d’une nature vivante sortant d’une autre nature vivante, c’est-à-dire, en vertu de la naissance d’un Dieu engendré par un Dieu. — S. HIL. (de la Trin., 5) En effet, Dieu qui est immuable, agit conformément à sa nature en engendrant une nature immuable, et cette naissance parfaite d’un Dieu immuable qui sort du sein d’un Dieu immuable, lui conserve toute la perfection de sa nature. Nous comprenons donc que la nature divine est en lui, en ce sens que c’est Dieu qui est dans Dieu, et qu’il n’y a point d’autre Dieu en dehors de lui qui est Dieu.


S. Chrysostome : (hom. 74 sur S. Jean.) On peut encore donner une autre explication de ce passage. Philippe voulait voir le Père des yeux du corps, parce qu’il pensait avoir vu le Fils de la sorte, peut-être aussi, parce qu’il avait entendu dire aux prophètes qu’ils avaient vu le Seigneur, c’est sous cette impression qu’il dit à Jésus : « Montrez-nous le Père. » Les Juifs lui avaient souvent fait cette question : « Quel est votre Père ? » Pierre et Thomas lui avaient demande oùl il allait, et ni les uns ni les antres n’avaient compris sa réponse. Philippe donc voulant éviter le reproche d’importunité, se contente de lui dire : « Montrez-nous le Père, et cela nous suffit, » c’est-à-dire, nous ne demandons rien autre chose. Or, le Sauveur ne lui répond point : « Vous demandez une chose impossible ; » mais il lui fait comprendre qu’il n’a même pas vu le Fils, car s’il avait pu le voir, il aurait vu aussi le Père, et c’est le sens de ces paroles : « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez pas ? Philippe, qui me voit, voit aussi mon Père. » Il ne lui dit pas : Vous ne m’avez pas vu, mais : « Vous ne m’avez pas connu, » c’est-à-dire, vous n’avez pas compris que le Fils demeurant ce qu’est le Père, peut très-bien montrer en lui celui qui l’a engendré. Il distingue ensuite les deux personnes, en ajoutant : « Celui qui me voit, voit aussi mon Père, » pour prévenir cette erreur que le Fils est une même personne avec le Père. Il lui montre maintenant qu’il n’a point vu le Fils des yeux du corps. Si quelqu’un veut donner ici au mot voir la signification du mot connaître, je ne m’y oppose point, et tel serait alors le sens de ces paroles : « Celui qui me connaît, connaît aussi le Père. » Mais ce n’est point la pensée du Sauveur, qui a voulu exprimer sa consubstantialité avec son Père en ces termes : Celui qui a vu ma nature, a vu la nature de mon Père. Il résulte de là qu’il n’est pas une simple créature, car celui qui voit un être créé ne voit pas Dieu. Philippe, d’ailleurs, désirait voir la nature du Père. Si donc le Sauveur avait une nature différente de son Père, il ne dirait pas : « Celui qui me voit, voit mon Père, « car personne ne peut voir la nature de l’or dans celle de l’argent ; une nature ne peut faire voir en elle-même une nature toute différente.


S. AUG. Le Sauveur s’adresse ensuite non plus à Philippe seul, mais a tous ses apôtres : « Les paroles que je vous dis, je ne vous les dis pas de moi-même ; » que signifie cette manière de s’exprimer : « Je ne parle pas de moi-même, » si ce n’est : Moi qui vous parle, je ne suis pus de moi-même ? Il attribue ainsi ce qu’il fait à celui de qui lui vient avec l’être le pouvoir d’agir. — S. HIL. (de la Trin., 7) Il ne nie donc pas qu’il soit le Fils, il ne dissimule pas non plus la puissance de la nature paternelle qui est en lui, car lorsqu’il parle, il parle dans sa propre nature, et en déclarant qu’il ne parle pas de lui-même, il atteste en lui la naissance divine qui le fait naître d’un Dieu.— S. Chrysostome : Voyez avec quelle abondance de preuves il établit l’unité de la nature divine : « Le Père qui demeure en moi, fait lui-même les œuvres que je fais. » C’est-à-dire, mon Père et moi n’agissons point d’une manière différente, comme il le dit ailleurs : « Si je ne fais point les œuvres de mon Père, ne croyez pas en moi. » Mais pourquoi passe-t-il des paroles aux œuvres ? Il paraissait convenable de dire : C’est lui qui dit les paroles que je prononce, mais il veut donner ici deux preuves différentes empruntées, l’une à la doctrine, l’autre aux miracles ; ou encore, parce que les paroles étaient ici comme des œuvres. — S. AUG. En effet, celui qui édifie son prochain par ses discours, fait une bonne œuvre. Ces deux propositions ont été pour des hérétiques différents, la matière d’une double difficulté. Le Fils n’est point égal au Père, disent les Ariens, puisqu’il ne parle point de lui-même. Le Père est la même chose que le Fils, disent à leur tour les Sabelliens, car que signifient ces paroles : « Le Père qui demeure en moi, fait lui-même les œuvres que je fais, » si ce n’est : Je demeure en moi-même, moi qui fais ces œuvres ? — S. HIL. (de la Trin., 7) Que le Père demeure dans le Fils, cela n’indique pas une seule et même personne ; que d’un autre côté, le Père agisse par le Fils, on ne peut en conclure qu’ils soient d’une nature différente. Disons encore que celui qui ne parle point de lui-même, prouve par-là même qu’il n’est pas seul, et que celui qui parle par lui n’est pas d’une nature différente. Or, après avoir enseigné que le Père parlait et agissait en lui, il apportait la foi à cette unité parfaite entre lui et son Père, en ajoutant : « Ne croyez-vous pas que je suis dans mon Père, et que mon Père est en moi ? » Tant il veut que nous croyons que le Père parle et agit dans son Fils, non par un effet de sa puissance, mais par l’effet de la génération divine et de l’unité de nature. — S. AUG. Jusque-là Nôtre-Seigneur n’avait adressé de reproches qu’à Philippe, il fait voir maintenant qu’il n’était pas le seul qui les méritât, en disant à tous : « Croyez au moins à cause de mes œuvres ? » — S. Chrysostome : Si ce que j’ai dit ne suffit pas pour vous convaincre que je cuis consubstantiel à mon Père, apprenez-le du moins par mes œuvres. » C’est le sens de ces paroles : « Croyez-le du moins à cause de mes œuvres. » Vous avez vu des miracles faits avec autorité, vous avez vu en moi tous les signes les plus évidents de divinité, les péchés remis, les morts ressuscités, et d’autres prodiges semblables. — S. AUG. Croyez donc au moins à cause de mes œuvres, que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi ; car si nous avions une nature distincte, nous ne pourrions nullement agir avec autant d’unité.


Versets. 12-14.


S. Chrysostome : (hom. 74 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de dire à ses disciples : « Croyez du moins, à cause, de mes œuvres ; » il veut leur apprendre maintenant que non-seulement il peut faire des œuvres semblables, mais qu’il peut en faire de plus grandes, et (ce qui est encore plus admirable), qu’il peut communiquer à d’autres ce pouvoir : « En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui croit en moi fera lui-même les œuvres que je fais, et en fera encore de plus grandes. »


S. AUG. (Traité 71 sur S. Jean.) Mais quelles sont ces œuvres plus grandes ? Est-ce d’avoir guéri les malades par l’ombre seule de son corps lorsqu’ils passaient ? (Ac 5, 15.) Car c’est une action plus merveilleuse de guérir par l’ombre seule de son corps que par la frange de son vêtement. Toutefois en s’exprimant de la sorte, le Sauveur avait en vue les faits et les œuvres de ses paroles ; en effet, lorsqu’il dit : « Mon Père qui demeure en moi, opère lui-même les œuvres ; » de quelles œuvres voulait-il parler ? évidemment des paroles qu’il disait. Et le fruit de ces paroles, c’était la foi de ses disciples ; mais lorsque ses disciples eux-mêmes prêchèrent l’Evangile, ceux qui se convertirent furent beaucoup plus nombreux qu’ils n’étaient eux-mêmes, puisque les nations elles-mêmes embrassèrent la foi. (Traité 72.) Ne voyons-nous pas ce jeune homme riche se retirer de Jésus plein de tristesse après l’avoir entendu ? (Mt 19) Et cependant le conseil qu’un seul ne put se décider à pratiquer sur la recommandation du Sauveur, un grand nombre l’embrassèrent avec ardeur à la prédication des Apôtres. Il a donc fait de plus grandes œuvres lorsqu’il a été prêché par ceux qui croyaient, que lorsqu’il parlait lui-même à ceux qui recrutaient. Mais voici une autre difficulté, ces œuvres plus grandes n’ont été faites que par les Apôtres ; or, ce n’est, pas seulement d’eux que le Sauveur veut parler, lorsqu’il dit : « Celui qui croit en moi. » Ou bien ne doit-on compter parmi ceux qui croient en Jésus-Christ que ceux qui auraient fait des œuvres plus grandes que les siennes ? Cette conséquence serait dure, elle serait même absurde, si on ne comprenait bien ces paroles. L’Apôtre dit : « Lorsqu’un homme, sans faire des œuvres, croit en celui qui justifie le pécheur, sa foi lui est imputée à justice. (Rm 4, 5) En cela nous faisons les œuvres de Jésus-Christ, car c’est faire l’œuvre de Jésus-Christ que de croire en lui ; c’est une œuvre qu’il fait en nous, non toutefois sans notre concours. Entendez donc bien le sens de ces paroles : Celui qui croit en moi, fera aussi les œuvres que je fais ; je les fais le premier, et il les fera après moi, parce que je ne les fais le premier que pour qu’il les fasse à mon exemple. Or, quelles sont ces œuvres ? la justification du pécheur, c’est ce que le Christ opère dans le pécheur, mais avec le concours de sa volonté. Or, c’est là une œuvre plus grande que la création du ciel et de la terre, car le ciel et la terre passeront, mais le salut et la justification des prédestinés demeureront à jamais. Les anges dans les cieux, sont aussi l’œuvre de Jésus-Christ, pouvons-nous dire que celui qui coopère à la grâce de Jésus-Christ pour sa justification, fait une œuvre plus grande que la création des anges ? Que celui qui en est capable, juge si la création des justes estime œuvre plus grande que la justification des pécheurs, si l’une et l’autre de ces deux œuvres annoncent une puissance égale, la seconde exige une plus grande miséricorde. D’ailleurs il n’est nullement nécessaire d’entendre de toutes les œuvres de Jésus-Christ, ces paroes : « Il fera de plus grandes œuvres que les miennes. » Peut-être n’a-t-il voulu parler que des œuvres qu’il opérait alors, et en ce moment il ne faisait qu’enseigner la doctrine de la foi ; or, enseigner la doctrine de la justice (ce que Jésus a fait sans nous), c’est faire moins que du justifier les pécheurs, ce qu’il a fait en nous avec le concours de notre volonté.


Nôtre-Seigneur donne ensuite un grand sujet d’espérance à ceux qui lui adresseront leurs prières, lorsqu’il ajoute : « Parce que je vais à mon Père.. » — S. Chrysostome : C’est-à-dire, je ne dois point périr, mais je resterai dans la puissance qui m’est propre, et je demeurerai dans les cieux. Ou bien tel est le sens de ces paroles : C’est à vous maintenant de faire des miracles, pour moi je m’en vais à mon Père. — S. AUG. Et afin que personne ne fût tenté de s’attribuer le mérite de ces œuvres plus grandes, il leur fait voir que c’est lui-même qui en sera l’auteur : « Et tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, je le ferai. » Il venait de dire : « Il fera, » il dit maintenant : « Je le ferai, » et voici l’explication de cette parole : Ne regardez pas ce que je vous dis comme impossible, celui qui croit en moi ne peut être plus grand que moi ; c’est moi-même qui ferai alors des œuvres plus éclatantes que celles que je fais maintenant, je ferai par celui qui croit en moi ces œuvres plus grandes que celles que je fais actuellement par moi-même, ce qui n’accuse point un défaut de puissance, mais un sentiment de condescendance.


S. Chrysostome : Nôtre-Seigneur dit : « Tout ce que vous demanderez en mon nom, » c’est ce que proclamaient les Apôtres : « Au nom de Jésus-Christ, levez-vous et marchez ; » (Ac 3, 6 ; 9, 33) car c’est lui-même qui était l’auteur de tous les miracles qu’ils opéraient, et la main du Seigneur était avec eux. — THEOPHYL. Il nous fait connaître ici la véritable théorie des miracles, c’est par la prière et par l’invocation de son nom qu’on peut opérer les plus grands prodiges.


S. AUG. Mais que veulent dire ces paroles : « Tout ce que vous demanderez, » lorsque nous voyons tant de fidèles demander sans recevoir ? N’est-ce point parce qu’ils demandent mal ? Dieu refuse dans sa miséricorde ce qu’on ne demande que pour en faire un mauvais usage. Comment donc faut-il entendre ces paroles : « Tout ce que vous demanderez, je le ferai, » si Dieu, dans leur intérêt, n’accorde point aux fidèles l’objet de leurs prières ? Cette promesse n’a donc été faite qu’aux seuls Apôtres ? Non, sans doute, car le Sauveur avait dit précédemment : « Celui qui croit en moi, fera les œuvres que je fais moi-même. » Si nous considérons l’accomplissement de cette promesse dans les Apôtres eux-mêmes, nous voyons que celui qui a travaillé plus qu’eux tous, a prié trois fois le Seigneur d’éloigner de lui l’ange de Satan, sans avoir pu obtenir l’effet de sa prière. (2 Co 12, 7-9.) Comprenez bien le sens de ces paroles : « En mon nom, » (qui est Jésus-Christ.) Le mot Christ signifie roi, le mot Jésus veut dire sauveur ; donc tout ce que nous demandons contre les véritables intérêts de notre salut, nous ne le demandons pas au nom du suiveur. Cependant il ne laisse pas d’être notre Sauveur, non-seulement quand il nous accorde l’objet de nos prières, mais même quand il refuse de les exaucer, car il se montre justement notre Sauveur, en refusant de nous accorder ce qu’il sait être contraire à notre salut. Le médecin sait bien ce que le malade demande dans l’intérêt ou contre l’intérêt de sa santé, et il refuse d’accorder à ce malade les choses nuisibles qu’il désire, justement pour lui conserver la santé. Disons encore qu’il est des choses que nous demandons en son nom et qu’il ne nous accorde pas au moment même où nous les demandons, mais il les accorde plus tard ; il diffère, mais il ne refuse pas d’exaucer nos prières. Il ajoute aussitôt : « Afin que le Père soit glorifié dans le Fils, si vous demandez quelque chose en mon nom je le ferai. » Le Fils ne fait donc rien sans le Père, puisqu’il n’agit que pour que le Père soit glorifié en lui. — S. Chrysostome : En effet, lorsqu’on verra le Fils opérer de grandes choses, la gloire en reviendra à celui qui l’a engendré. Pourquoi répète-t-il de nouveau : « Je le ferai ? » pour confirmer la vérité de ses paroles. — THEOPHYL. Remarquez, par quels degrés le Père est glorifié : c’est au nom de Jésus que sont opérés les miracles en vertu desquels les peuples croyaient à la prédication des Apôtres, et tandis qu’ils parvenaient ainsi à la connaissance, du Père, le Père était glorifié dans le Fils.


Versets. 15-17.


S. Chrysostome : (hom. 74 sur S. Jean.) Les paroles que Notre-Seigneur venait de dire : « Tout ce que vous demanderez, je le ferai, » pouvaient donner aux Apôtres la pensée que toute prière indistinctement devait être exaucée ; il se hâte donc de prévenir cette idée, en ajoutant : « Si vous m’aimez, gardez mes commandements ; » comme s’il leur disait : C’est à cette condition que j’exaucerai vos prières. Ou bien encore, comme la nouvelle qu’il venait de leur apprendre, qu’il allait à son Père, devait naturellement les jeter dans le trouble, il leur dit : « L’amour que vous devez avoir pour moi, ne doit point avoir pour effet de troubler votre âme, mais de vous faire accomplir mes commandements ; car l’amour consista à obéir et à croire à celui qu’on aime. » Il prévoit aussi qu’ils devaient désirer vivement cette présence extérieure et cette, consolation sensible dont ils avaient joui jusqu’à présent, et c’est pour cela qu’il ajoute : « Et moi, je prierai mon Père, et il vous donnera un autre Paraclet. » — S. AUG. (Traîté 74) En parlant ainsi, il fait voir qu’il est lui-même un Paraclet. Le mot Paraclet veut dire, en latin, avocat, et saint Jean dit du Sauveur : « Nous avons pour avocat auprès du Père, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ. » (Jn 1) — ALCUIN. Ou bien, le mot Paraclet veut dire Consolateur, et les Apôtres, en effet, avaient eu jusqu’alors un Consolateur, qui les animait et les fortifiait par l’éclat de ses miracles et par la douceur de ses enseignements. — DIDYM. (De l’Eprit saint.) Nôtre-Seigneur appelle l’Esprit saint un autre consolateur, non qu’il ait une nature autre que la sienne, mais parce que son opération est différente. Le Sauveur était venu pour remplir l’office de médiateur et d’ambassadeur, et comme un pontife qui devait prier pour nos péchés, l’Esprit saint reçoit le nom de Paraclet ou de consolateur dans un autre sens, parce que ça mission est de consoler ceux qui sont dans la tristesse. Mais de cette diversité d’opérations, il faut se garder de conclure à la différence de natures, puisque nous voyons dans un autre endroit l’Esprit consolateur remplir près du Père l’office d’ambassadeur. « L’Esprit lui-même, dit saint Paul, demande pour nous par des gémissements inénarrables. » (Rm 8, 20.) Le Sauveur, de son côté, répand la consolation dans les cœurs affligés, car il est écrit : « Il a consolé tous les humbles de son peuple. » (1 M 14, 14)


S. Chrysostome : Le Sauveur dit : « Je prierai mon Père » pour rendre ses paroles plus dignes de foi : car s’il avait dit simplement : Je vous enverrai un autre consolateur, ils ne l’auraient pas cru aussi facilement. — S. AUG. (Cont.le. Serm. Des Ar, 19) Et cependant pour montrer que ses œuvres ne sont point distinctes de celles du Père, il dit ailleurs : « Lorsque je m’en serai allé, je vous l’enverrai. » (Jn 16) — S. Chrysostome : Qu’aurait-il eu, en effet, plus que les apôtres, s’il avait dû prier son Père pour qu’il envoyât l’Esprit saint, alors que nous voyons les apôtres eux-mêmes le communiquer aux autres, sans avoir recoins à la prière ? — ALCUIN. Je prierai, comme inférieur par mon humanité, mon Père, à qui je suis égal et consubstantiel par ma nature divine. — S. Chrysostome : Il leur promet que l’Esprit saint demeurera avec eux éternellement, parce qu’il ne les quittera même pas après leur mort ; et il leur enseigne, indirectement, par là même, que l’Esprit saint ne doit ni souffrir la mort comme lui, ni se séparer d’eux. Et pour éloigner de leur esprit, la pensée d’une nouvelle incarnation qui rendrait le Saint-Esprit visible à leurs yeux, il ajoute : « L’Esprit de vérité, que le monde ne peut recevoir parce qu’il ne le voit point et ne le connaît point. » — S. AUG. Cet Esprit saint est une des personnes de la sainte Trinité, et la foi catholique le proclame consubstantiel et coéternel au Père et au Fils.


S. Chrysostome : Il l’appelle l’Esprit de vérité, parce que c’est lui qui nous révèle le sens des figures de l’Ancien Testament ; le monde ici, ce sont les méchants ; et voir, c’est connaître avec certitude, parce que la vue est le plus clair de tous les sens.


Bède : Remarquez encore qu’en appelant l’Esprit saint l’Esprit de vérité, il prouve en même temps qu’il est son Esprit. De même encore lorsqu’il enseigne que cet Esprit est donné par le Père, il déclare par là même qu’il est l’Esprit du Père, et que par conséquent l’Esprit saint procède du Père et du Fils.


S. GREG. (Moral., 5, 19 ou 20, dans les anc. ex. ) Dès que l’Esprit saint remplit un cœur, il excite en lui un ardent désir des biens invisibles. Mais comme les cœurs des mondains n’ont d’amour que pour les biens extérieurs, le monde ne peut recevoir cet Esprit, parce qu’il est incapable de s’élever jusqu’à l’amour des choses invisibles. En effet, plus les âmes mondaines s’étendent et s’élargissent au dehors par leurs désirs, plus elles se resserrent et deviennent étroites pour recevoir ce divin Esprit.


S. AUG. Nôtre-Seigneur déclare que le monde (c’est-à-dire ceux qui aiment le monde), ne peuvent recevoir l’Esprit saint, comme si nous disions : L’injustice ne peut être juste. Le monde donc, c’est-à-dire ceux qui aiment le monde, ne peuvent recevoir l’Esprit saint, parce qu’ils ne le voit point. En effet, l’amour du monde est privé de ces yeux invisibles par lesquels nous ne pouvons voir l’Esprit saint que d’une manière invisible. « Pour vous, vous le connaîtrez, parce qu’il demeurera au milieu de vous. » Et afin qu’ils n’entendent pas ces paroles : « Il demeurera au milieu de vous, » d’une demeure visible, comme celle d’un hôte à qui l’on donne l’hospitalité, il ajoute : « Et il sera en vous. » — S. Chrysostome : C’est-à-dire il ne demeurera pas au milieu de vous comme j’y suis demeuré moi-même, mais il habitera dans vos âmes.


S. AUG. Il faut d’abord se donner à quelqu’un avant de demeurer ni lui, et Nôtre-Seigneur explique ces paroles : « Au milieu de vous, » par ces autres : « En vous ; » car s’il n’est pas en vous, vous ne pouvez non plus avoir en vous la connaissance de ce divin Esprit. C’est ainsi que vous voyez en vous-même votre propre conscience.


S. GREG. (Moral., 2, 28 ou 41 dans les anc. ex. ) Si l’Esprit saint demeure dans les disciples, comment donner encore comme signe distinctif du médiateur que l’Esprit saint demeure en lui, comme il est dit à Jean-Baptiste : « Celui sur qui vous verrez l’Esprit saint descendre et demeurer, c’est lui qui baptise ? » Cette difficulté disparaîtra bientôt, si nous prenons soin de faire une distinction entre les dons de l’Esprit saint. Quant aux dons sans lesquels il est impossible de parvenir à la vie, l’Esprit saint demeure dans tous les élus ; s’il s’agit au contraire des dons qui ont pour objet non de conserver, mais de produire dans les autres la vie surnaturelle, il ne demeure pas toujours ; quelquefois, en effet, il suspend le pouvoir d’opérer des miracles, pour que l’humilité garde plus sûrement les vertus qu’il inspire. Jésus-Christ, au contraire, jouit toujours, et en toutes circonstances, de la présence de l’Esprit saint.


S. Chrysostome : Par ces seules paroles, Nôtre-Seigneur renverse d’un seul coup deux hérésies contraires. En disant : « Je vous enverrai un autre, » il établit la différence de personnes ; et en lui donnant le nom de consolateur, l’identité de nature. — S. AUG. (contr. le serm. des Ar., chap. 19.) L’office de consolateur, que les hérétiques abandonnent à l’Esprit saint, comme à la dernière personne de la sainte Trinité, l’Apôtre l’attribue à Dieu lui-même, quand il dit : « Dieu qui console les humbles nous a consolés. (2 Co 7, 6) L’Esprit saint qui console les humbles, est donc Dieu. Ou s’ils prétendent que saint Paul veut parler ici du Père et du Fils, qu’ils cessent de séparer l’Esprit saint du Père du Fils, en lui attribuant exclusivement l’office de consolateur.


S. AUG. (Traité 64 sur S. Jean.) Mais s’il est vrai que la charité de Dieu a été répandue dans nos cœurs par l’Esprit saint qui nous y été donné (Rm 5), comment aimer Jésus-Christ et observer ses commandements pour mériter de recevoir l’Esprit saint, puisque nous ne pouvons sans lui ni aimer ni observer les commandements ? Peut-on dire que nous avons d’abord en nous la charité qui nous fait aimer Jésus-Christ, et que cet amour de Jésus-Christ et l’observation de ses commandements attirent en nous l’Esprit saint qui répand la charité de Dieu le Père dans nos cœurs ? Cette interprétation est tout à fait erronée ; celui qui croit aimer le Fils de Dieu, et n’aime pas le Père, n’aime certainement pas le Fils, il aime le produit de son imagination. La seule manière de résoudre cette difficulté est donc de dire que celui qui aime a déjà l’Esprit saint, et qu’en le possédant, il mérite de le posséder encore davantage et d’avoir ainsi un plus grand amour. Les disciples de Jésus avaient déjà en eux l’Esprit saint que le Sauveur leur promettait, mais ils devaient le recevoir d’une manière plus abondante. Ils le possédaient au dedans d’eux-mêmes, il devait leur être donné d’une manière visible, ce n’est donc point sans raison que ce divin Esprit est promis, non-seulement à celui qui ne l’a pas encore, mais à celui qui le possède déjà. Il est promis à celui qui ne l’a pas, pour qu’il le possède, et à celui qui l’a déjà pour qu’il le reçoive plus abondamment. — S. Chrysostome : Lorsque Jésus eut purifié ses disciples par le sacrifice de sa passion, que leurs péchés furent effacés et que le temps fut venu de les envoyer affronter les dangers et les combats, ils eurent besoin de recevoir l’Esprit saint dans toute sa plénitude. Il ne leur fut point donné aussitôt sa résurrection, afin que leurs désirs plus ardents fussent une préparation à recevoir l’abondance de ses grâces.


Versets. 18-21.


S. AUG. (Traité 75 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur ne veut point laisser croire à ses disciples qu’il leur donne l’Esprit saint pour le remplacer, comme s’il ne devait plus être avec eux, et c’est pour cela qu’il leur dit : « Je ne vous laisserai point orphelins. » Le mot orphelins signifie la même chose que le mot pupilles, l’un est grec, l’autre latin. Ainsi, bien que le Fils de Dieu nous ait donnés à son Père comme des enfants adoptifs, il veut lui-même nous témoigner une tendresse toute paternelle.


S. Chrysostome : (hom. 75.) Le Sauveur leur avait dit tout d’abord : « Vous viendrez là où je vais ; » mais comme il fallait attendre un long espace de temps, il leur promet l’Esprit saint, et parce qu’ils ne comprenaient pas l’excellence de ce don, il leur promet sa présence dont ils étaient si avides, en leur disant : « Je viendrai à vous. » Mais il ne vent pas qu’ils recherchent sa présence telle qu’ils en ont joui jusqu’à présent, il exclut indirectement ce genre de présence quand il ajoute : « Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, » c’est-à-dire : Je viendrai à vous, mais non pas comme par le passé, en demeurant chaque jour tout entier au milieu de vous. Et pour prévenir cette objection : Pourquoi donc avez-vous dit aux Juifs : « Bientôt vous ne me verrez plus ? » Il leur dit : « C’est vers vous seuls que je viendrai. » — S. AUG. Le monde le voyait alors des yeux du corps revêtu d’une chair visible, mais il ne voyait pas le Verbe, qui était caché sous l’enveloppe d’un corps sensible, de même qu’après sa résurrection, il a donné cette chair, non-seulement à voir, mais à toucher à ses disciples, tandis qu’il en a dérobé la vue à ses ennemis ; peut-être est-ce pour cela qu’il dit : « Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, mais pour vous, vous me verrez. » Cependant, comme au jour du jugement, le monde, c’est-à-dire, ceux qui sont exclus de son royaume, le verront de leurs yeux, je crois qu’il a surtout voulu désigner ce temps de la fin du monde où il disparaîtra pour toujours des yeux des réprouvés, et ne sera plus vu que de ceux qui l’aiment. Et s’il se sert de cette locution : « Encore un peu de temps, » c’est que ce qui parait long aux yeux des hommes, est toujours très-court aux yeux de Dieu.


« Parce que je vis et que vous vivrez aussi. » — THEOPHYL. C’est-à-dire, bien que je doive souffrir la mort, cependant je ressusciterai : et vous aussi vous vivrez, c’est-à-dire, vous serez dans la joie, lorsque vous me verrez, et dès que j’apparaîtrai, vous ressusciterez comme des morts qui sortent du tombeau. — S. Chrysostome : Il veut parler ici non de la vie présente, mais de la vie future, et tel est le sens de ces paroles : La mort de la croix ne me séparera point de vous pour toujours, mais elle ne fera que me cacher un instant à vos yeux.


S. AUG. Pourquoi dit-il de lui au présent : « Parce que je vis, » et d’eux au futur : « Et que vous vivrez ? » C’est parce qu’il leur promettait pour l’avenir la vie de la chair ressuscitée, telle qu’il devait bientôt la manifester le premier dans sa personne. En effet, sa résurrection devait suivre presque immédiatement sa mort, et c’est pour cela qu’il dit au présent : « Je vis, » pour exprimer le terme prochain de sa résurrection. Mais comme la résurrection des siens devait être différée jusqu’à la fin des siècles, il ne leur dit pas : Vous vivez, mais : « Vous vivrez. » Nous vivrons en vertu de sa vie, car si c’est par un homme que la mort est entrée dans le monde, c’est aussi par un homme qu’aura lieu la résurrection des morts. Et dans ce jour (où s’accomplira cette promesse de vie), vous connaîtrez (par intuition, ce dont la foi nous donne ici la connaissance), que je suis dans mon Père, et vous en moi, et moi en vous, » parce qu’en effet, lorsque nous vivrons de cette vie qui aura complètement détruit la mort, nous verrons alors s’accomplir ce qu’il a commencé lui-même, c’est-à-dire, qu’il soit en nous et que nous soyons en lui. — S. Chrysostome : Ou bien encore, au jour de ma résurrection, vous connaîtrez, parce que leur foi devint pleine de certitude lorsqu’ils le virent ressusciter et revenir au milieu d’eux ; car la puissance de l’Esprit saint, qui leur enseignait toutes choses était grande. Quant à ces paroles : « Je suis dans mon Père, » c’est le langage de l’humilité, et quand il ajoute : « Et vous en moi, et moi en vous, » il veut parler de son humanité, du secours qui vient de Dieu, car l’Ecriture emploie très souvent des mots semblables, mais qu’elle entend dans un sens différent, suivant qu’elle les applique à Dieu ou aux hommes. — S. HIL. (de la Trin., 8) Ou bien en s’exprimant de la sorte, il veut que nous croyions qu’il est dans son Père par sa nature divine, que nous sommes en lui par sa naissance corporelle, et qu’il est encore en nous par le mystère de son sacrement, comme il l’atteste lui-même : « Celui qui mange ma chair et boit mon sang, demeure en moi et moi en lui. » (Jn 6)


ALCUIN. Or, c’est par l’amour et par l’observation de ses commandements que s’accomplira cette union parfaite qu’il a commencée lui-même, et en vertu de laquelle il est en nous, et nous en lui. Et ce n’est pas seulement à ses Apôtres qu’est promis ce bonheur, mais à tous les hommes : « Celui qui a mes commandements et qui les garde, » etc. — S. AUG. Celui qui les a dans sa mémoire et les garde dans sa vie ; celui qui les a dans ses discours et qui les garde dans ses œuvres ; celui qui les a par son attention à les écouter et qui les garde par sa fidélité à les pratiquer ; celui qui les a en les observant et qui les garde par une constante persévérance : voilà celui qui m’aime véritablement, la preuve de l’amour doit être dans les œuvres, ou alors il n’est plus qu’une dénomination stérile. — THEOPHYL. Voici, en effet, le vrai sens de ces paroles : vous pensez me donner un témoignage d’amour en vous attristant de ma mort, mais pour moi la preuve de l’amour véritable, c’est l’observation de mes commandements. Or, quelle sera la récompense de cet amour ? « Celui qui m’aime sera aimé de mon Père, et je l’aimerai aussi. » — S. AUG. Mais qu’est-ce à dire : « Je l’aimerai, » comme s’il n’avait pas aimé jusque-là ? Il répond à cette difficulté en ajoutant : « Et je me manifesterai à lui, » c’est-à-dire, je l’aimerai pour me manifester à lui et lui donner la claire vision comme récompense de sa foi. Maintenant Jésus nous aime pour nous amener à la foi, il nous aimera alors pour nous conduire à la vision des cieux ; et nous aussi nous aimons maintenant en croyant ce que nous verrons un jour, et nous aimerons alors en voyant ce qui est l’objet de notre foi.


S. AUG. (Lett. 112 à Paulin., chap. 10) Or, il a promis de se manifester à ceux qui l’aiment comme un seul Dieu avec son Père, et non corporellement comme il a été vu dans ce monde par les méchants eux-mêmes. — THEOPHYL. Ou bien encore, comme il devait leur apparaître après sa résurrection dans un corps glorieux et plus rapproché de la divinité, il leur fait cette prédiction afin qu’ils ne le prennent point pour un esprit ou pour un fantôme, et que bannissant tout sentiment de défiance, ils se rappellent qu’il se manifeste à eux pour les récompenser d’avoir observé ses commandements, et qu’ils persévèrent dans cette observance pour jouir toujours de cette manifestation.


Versets. 22-27.


S. AUG. (Traité 76 sur S. Jean.) Nôtre-Seigneur venait de dire : « Encore un peu de temps, et le monde ne me verra plus, mais pour vous, vous me verrez. » Judas, non pas le traître surnommé Iscariote, mais celui dont l’Epître est au rang des Ecritures canoniques, Judas lui demande l’explication de ces paroles : « Judas, non pas l’Iscariote, lui dit : Seigneur, d’où vient que vous vous manifesterez à nous et non au monde ? » Il lui demande donc la raison pour laquelle il doit se manifester, non pas au monde, mais à ses disciples, le Seigneur lui donne cette raison, c’est qu’il est aimé des uns et qu’il n’est pas aimé des autres. Jésus lui répondit : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera, » etc. — S. GREG. (hom. 30 sur les Evang.) La preuve de l’amour ce sont les œuvres ; l’amour de Dieu ne peut jamais être oisif, dès qu’il existe, il opère de grandes choses, s’il refuse d’agir, ce n’est qu’un simulacre d’amour.


S. AUG. L’amour qui distingue et sépare les saints des partisans du monde, est cet amour qui inspire un même esprit à ceux qui habitent (Ps 68, 7) dans la maison où le Père et le Fils font leur demeure, en répandant leur amour sur ceux à qui ils doivent se manifester un jour. Il y a donc une certaine manifestation intérieure de Dieu, complètement inconnue des impies, à qui Dieu le Père ne se manifeste jamais. Quant au Fils, ils ont pu le voir, mais seulement dans sa chair, cette manifestation ne ressemble nullement à l’autre, elle ne peut d’ailleurs leur être toujours présente, elle ne dure qu’un peu de temps, et loin d’être pour eux une cause de joie et de récompense, elle est bien plutôt un principe de jugement et de condamnation : « Et nous viendrons à lui. » Le Père et le Fils viennent à nous, lorsque nous venons nous-mêmes à eux ; ils viennent à nous en nous secourant, nous venons à eux en obéissant à leur inspiration, ils viennent à nous en nous comblant de leur lumière, nous venons à eux en la contemplant, ils viennent à nous en nous remplissant de leurs dons, nous venons à eux en les recevant. Cette vision n’a aucun rapport avec les sens extérieurs, elle est tout intérieure, et cette demeure n’est point passagère, elle est éternelle : « Et nous ferons en lui notre demeure. » — S. GREG. Dieu vient dans certaines âmes et n’y demeure pas, parce que si le repentir leur fait tourner les regards vers Dieu, elles oublient ce repentir aux approches de la tentation, et retombent dans leurs anciens péchés, comme si elles ne les avaient jamais pleurés. Celui donc qui aime Dieu d’un amour véritable, voit le Seigneur venir en lui et y établir sa demeure, parce qu’il est tellement pénétré de l’amour de Dieu, qu’il lui reste fidèle dans le temps même de la tentation, et il aime véritablement Dieu, parce que le plaisir criminel ne peut triompher de son âme en lui arrachant son consentement.


S. AUG. Mais devons-nous admettre que l’Esprit saint reste étranger à cette demeure que le Père et le Fils font dans l’âme de celui qui les aime ? Alors que signifieraient ces paroles que le Sauveur a dites précédemment de l’Esprit saint : « Il demeurera au milieu de vous, et il sera en vous, » à moins qu’on ne pousse l’absurdité jusqu’à penser que lorsque le Père et le Fils arrivent, le Saint-Esprit s’éloigne comme pour laisser la place à ceux qui lui sont supérieurs ? La sainte Ecriture va du reste au-devant de cette grossière objection, lorsqu’elle dit : « Afin qu’il demeure en vous éternellement. » L’Esprit saint sera donc éternellement dans la même demeure avec le Père et le Fils, parce qu’il ne peut venir sans eux, et qu’ils ne peuvent venir sans lui. C’est pour établir la distinction des personnes de la sainte Trinité, que quelques opérations sont attribuées nominativement à chacune des personnes, mais il ne faut jamais en exclure les autres personnes, parce qu’il n’y a qu’une seule et même nature dans la Trinité.


S. GREG. Plus on se livre aux plaisirs bas et terrestres, plus on s’éloigne de l’amour des biens célestes. « Celui qui ne m’aime pas, poursuit Nôtre-Seigneur, ne garde point mes commandements. » L’amour du Créateur exige donc le concours de la langue, du cœur et de la vie. — S. Chrysostome : (hom. 75 sur S. Jean.) On peut encore donner cette explication : Judas pensait qu’ils ne verraient le Sauveur que comme nous voyons les morts pendant notre sommeil, et c’est pour cela qu’il lui fait cette question : « D’où vient que vous vous manifesterez à nous et non au monde ? » Langage qui revient à celui-ci : Malheur à nous ! Vous allez mourir, et vous ne nous apparaîtrez plus que comme les morts ont coutume d’apparaître. C’est pour détruire ce soupçon que Nôtre-Seigneur leur dit : « Mon Père et moi, nous viendrons à lui, » c’est-à-dire, je me manifesterai de même que mon Père. « Et nous ferons en lui notre demeure ; » ce qui éloigne toute idée de sommeil et de songe ; il ajoute : « Et la parole que vous avez entendue n’est pas de moi, mais de mon Père, qui m’a envoyé. » C’est-à-dire, celui qui n’écoute pas ma parole, n’aime ni mon Père, ni moi. Le Sauveur s’exprime de la sorte, parce qu’il ne dit rien qui soit en dehors de son Père, ou qui ne soit conforme à son bon plaisir. — S. AUG. Peut-être est-ce pour établir une distinction, que lorsqu’il s’agit de ses propres paroles, le Sauveur parle au pluriel : « Celui qui ne m’aime pas, ne garde pas mes commandements ; » tandis que lorsqu’il parle au singulier de sa parole, c’est-à-dire du Verbe du Père, il ne dit point que c’est sa parole, mais celle du Père, c’est-à-dire lui-même. En effet, il n’est point son Verbe, mais le Verbe du Père ; de même qu’il n’est point son image, mais l’image du Père ; de même qu’il n’est point son Fils, mais le Fils du Père. C’est donc avec raison qu’il attribue à l’auteur de son être ce qu’il fait comme étant son égal, puisque c’est de lui qu’il a reçu ce qui lui donne cette parfaite égalité.


S. Chrysostome : Parmi les choses que le Sauveur vouait de leur dire, les unes étaient claires, les autres étaient restées incomprises ; il ajoute donc, pour calmer le trouble de leur âme : « Je vous ai dit ceci, demeurant avec vous. » — S. AUG. (Traité 77) Cette demeure qu’il vient de promettre pour l’avenir, est toute différente de celle qu’il déclare exister actuellement. La première est toute spirituelle, et se réalise au dedans de l’âme ; l’autre est extérieure ut accessible aux yeux du corps comme au sens de l’ouïe. — S. Chrysostome : Or, pour les préparer à supporter plus patiemment la privation de sa présence corporelle, il leur promet que son départ sera pour eux la cause des biens les plus abondants, car tant qu’il restait au milieu d’eux d’une manière visible, sans que l’Esprit saint vint en eux, ils ne pouvaient comprendre aucune vérité importante. Aussi Nôtre-Seigneur ajoute : « Mais le Paraclet, l’Esprit saint, que mon Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses, et vous rappellera tout ce que je vous ai dit. » — S. GREG. Le mot grec παράχλητος veut dire en latin avocat ou consolateur. L’Esprit saint est appelé avocat, parce qu’il intercède auprès de la justice du Père en faveur des pécheurs qui se sont égarés, et en inspirant l’esprit de prière à ceux qu’il remplit de ses dons. On lui donne aussi le nom de consolateur, parce qu’il délivre de l’affliction et de la tristesse les âmes que la pensée de leurs crimes plongent dans une mer d’amertumes, en leur faisant entrevoir l’espérance du pardon. —S. Chrysostome : Il leur représente encore l’Esprit saint comme consolateur, en vue des tribulations dont ils allaient être assaillis.


DIDYME. (De l’Esprit saint, liv. 2) Le Sauveur affirme que l’Esprit saint est envoyé par le Père en son nom, et le nom du Sauveur est celui de Fils, qui exprime à la fois l’unité de nature et la distinction des personnes. En effet, il est exclusivement le propre du Fils de venir au nom du Père, en conservant les relations qui existent du Père le Fils ; aussi nul autre n’est venu au nom du Père, mais plusieurs sont venus au nom du Seigneur Dieu tout-puissant. De même donc que les serviteurs qui viennent au nom de leur maître rappellent le souvenir de leur maître, par cela seul qu’ils sont ses serviteurs et ses subordonnés ; ainsi le Fils qui vient au nom de son Père porte et rappelle son nom par cela seul qu’il est reconnu pour le Fils unique de Dieu. Par cela donc que l’Esprit saint est envoyé par le Père au nom du Fils, il montre les liens étroits qui l’unissent au Fils ; aussi est-il appelé l’Esprit du Fils, et par la grâce de l’adoption, il donne à ceux qui veulent le recevoir le titre et les droits d’enfants de Dieu. Or, ce divin Esprit, qui est envoyé par le Père et qui vient au nom du Fils, enseignera toutes choses à ceux dont la foi eu Jésus-Christ est parfaite, c’est-à-dire tous les mystères et les secrets spirituels de la vérite et de la sagesse, et il les enseignera non comme les hommes enseignent les arts et la sagesse, à force d’étude et d’habilité, mais cet Esprit de vérité les enseignera comme étant lui-même par essence la doctrine et la sagesse, et répandra invisiblement dans les âmes la science des choses divines.


S. GREG. La parole de celui qui enseigne demeure nécessairement infructueuse si l’Esprit saint n’est présent dans le cœur de celui qui reçoit ses enseignements. Que personne donc n’attribue à celui qui enseigne l’intelligence des vérités qui sortent de ses lèvres, car sans la présence de ce maître intérieur, la langue de celui qui enseigne travaille inutilement à l’extérieur. Le Créateur lui-même ne parle point à l’homme pour son instruction, à moins que l’Esprit saint ne lui parle on même temps par son onction. — S. AUG. Mais est-ce donc que le Fils parle et que l’Esprit saint enseigne, de manière que nous entendions les paroles du Fils, et que l’enseignement de l’Esprit saint nous en donne l’intelligence ? C’est donc la Trinité tout entière qui parle et qui enseigne ; mais si l’action de chacune des divines personnes ne nous était présentée comme distincte et séparée, la faiblesse humaine ne pourrait en aucune manière la comprendre.


S. GREG. (hom. 30.) Examinons encore pourquoi le Sauveur dit de l’Esprit saint : « Il vous suggérera toutes les choses, » etc., ce qui parait indiquer un ministère inférieur. Mais il faut nous rappeler que le mot suggérer a quelquefois le sens de fournir, de donner, et on dit de l’Esprit invisible qu’il suggère, non qu’il nous inspire la science puisée dans les régimes inférieurs, mais parce qu’il la tire des profondeurs cachées aux yeux des hommes. — S. AUG. Ou bien encore ces paroles : « Il vous suggérera, » c’est-à-dire il vous rappellera, doivent nous faire comprendre que c’est pour nous un devoir de ne jamais oublier que ses salutaires enseignements ont pour objet et pour fin la grâce que l’Esprit nous remet en mémoire. — THEOPHYL. L’Esprit saint a donc tout ensemble enseigné et remis en mémoire ; il a enseigné les vérités que Jésus-Christ n’avait pas voulu faire connaître à ses disciples, parce qu’ils n’étaient pas capables de les comprendre ; et il les a fait ressouvenir de celles que le Sauveur leur avait enseignées, mais dont ils avaient perdu la mémoire par suite de l’obscurité des choses elles-mêmes ou de la lenteur de leur intelligence.


S. Chrysostome : Ces discours du divin Maître jetaient le trouble dans leur âme, en leur représentant les persécutions elles combats qu’ils auraient à soutenir après que Jésus les aurait quittés ; il les console donc le nouveau en leur disant : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » — S. AUG. Il nous laisse la paix dans ce monde, afin qu’elle nous serve à vaincre nos ennemis et à nous aimer les uns les autres ; il nous donnera sa paix dans le siècle futur, où nous régnerons sans avoir à craindre ni les attaques des ennemis, ni les dissentiments avec nos frères. Or, c’est lui-même qui est notre paix, et lorsque nous croyons qu’il est et lorsque nous le verrons tel qu’il est. Mais pourquoi, lorsqu’il dit à ses disciples : « Je vous laisse la paix, » ne dit-il point : Ma paix, tandis que dans la proposition suivante il dit : « Je vous donne ma paix ? » Devons-nous sous-entendre ce pronom ma dans la phrase où il n’est pas exprimé ? Ou bien y a-t-il ici quelque vérité cachée ? Par sa paix, il veut que nous entendions celle dont il jouit lui-même. Quant à la paix qu’il nous laisse pendant cette vie, c’est plutôt notre paix que la sienne. Le Sauveur n’a en lui aucun élément de guerre intérieure, parce qu’il n’y a en lui aucun péché ; tandis que la paix que nous pouvons avoir en ce monde ne nous empêche pas de dire : « Pardonnez-nous nos péchés. » De même encore la paix règne entre nous, parce que nous croyons à l’amour mutuel que nous avons les uns pour les autres ; mais cette paix n’est point parfaite, parce que nous ne pouvons pénétrer réciproquement les pensées secrètes de nos cœurs. Je sais toutefois que l’on peut entendre ces paroles du Sauveur dans le sens d’une simple répétition de la même pensée. Il ajoute : « Je ne vous la donne pas comme le monde la donne ; » c’est-à-dire, je ne la donne pas comme la donnent les hommes qui aiment le monde. Ils s’accordent mutuellement la paix, afin de pouvoir jouir des biens de ce monde sans inquiétude et sans crainte ; et s’ils laissent la paix aux justes en ce sens qu’ils ne les persécutent pas, ce ne peut être une paix véritable, parce qu’il ne peut y avoir de véritable entente là où les cœurs sont séparés. — S. Chrysostome : D’ailleurs, la paix qui n’est qu’extérieure est souvent très-dangereuse, et n’est d’aucune utilité pour ceux qui la possèdent.


S. AUG. (serm. 59 sur les par. du Seign.) La paix, c’est la sérénité de l’âme, la tranquillité de l’esprit, la simplicité du cœur, le lien de l’amour, l’union intime de la charité ; celui qui n’aura point voulu observer ce divin testament de la paix, ne pourra parvenir à l’héritage du Seigneur, et il ne peut espérer d’être en paix avec Jésus-Christ, s’il est en guerre avec un de ses frères en Jésus-Christ.


Versets. 27-31.


S. chkys. (hom. 75 sur S. Jean.) Ces paroles du Sauveur à ses disciples : « Je vous laisse ma paix, » leur faisaient pressentir son départ et pouvaient leur inspirer un sentiment de trouble ; il se hâte donc de sur dire : « Que votre cœur ne se trouble point et ne s’effraie point. » Ce double sentiment était produit en eux l’un par l’amour, l’autre par la crainte.


S. AUG. (Traité 78 sur S. Jean.) Ce qui pouvait être pour eux une cause de trouble et d’effroi, c’est que Jésus les quittait (quoiqu’il dût revenir), et que pendant cet intervalle, le loup pouvait profiter de absence du pasteur pour fondre sur le troupeau : « Vous avez entendu, leur dit le Sauveur, que je vous ai dit : Je m’en vais et reviens à vous. » Il s’en allait en tant qu’homme, et il restait en tant que Dieu. Mais pourquoi ce trouble et cet effroi, puisqu’en se dérobant à leurs regards, Jésus n’abandonnait pas leur cœur ? Or, pour leur faire comprendre que c’était comme homme qu’il leur avait dit : « Je m’en vais et je reviens à vous ; » il ajoute : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je m’en vais à mon Père, » etc. C’est en tant qu’il n’était pas égal au Père, que le Fils devait aller à son Père, d’où il devait revenir juger les vivants et les morts. Mais en tant qu’il est égal à celui qui l’a engendré, il ne se sépare jamais de son Père, mais il est tout entier avec lui en tout lieu en vertu de cette divinité qu’aucun lieu ne peut limiter. Aussi le Fils de Dieu, égal à son Père dans la forme de Dieu (car il s’est anéanti lui-même sans perdre la forme de Dieu, mais en prenant la forme de serviteur), (Ph 2), est plus grand que lui-même, puisque la forme et la nature de Dieu qu’il n’a point perdues, sont plus grandes que la forme et la nature de serviteur qu’il a prises. A ne considérer que cotte forme de serviteur, le Fils de Dieu est inférieur, non-seulement au Père, mais à l’Esprit saint ; sous ce rapport Jésus-Christ enfant était inférieur à ses parents, puisqu’il leur était soumis dans son enfance, comme l’Evangile nous l’apprend. (Lc 2) Reconnaissons donc en Jésus-Christ deux natures, la nature divine, qui le fait égal au Père, et la nature humaine, qui le rend inférieur au Père. Or, ces deux natures ne font point deux Christs, mais un seul Christ ; de sorte qu’il n’y a pas en Dieu quaternité, mais trinité. Or, Nôtre-Seigneur dit : « Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez dr ce que je m’en vais à mon Père. » Félicitons, en effet, la nature humaine, de ce que le Fils unique de Dieu a daigné la prendre pour la placer dans les cieux, au sein de l’immortalité, de ce que la terre a été élevée si haut, et de ce que la poussière, devenue incorruptible, s’est assise à la droite le Dieu le Père. Qui ne se réjouirait, s’il aime Jésus-Christ, qui ne ’applaudirait de voir sa nature revêtue de l’immortalité dans la personne du Christ, et d’espérer obtenir lui-même un jour cette immoralité par les mérites de Jésus-Christ ?


S. HIL. (de la Trin., 9) Ou bien encore, si le Père est plus grand que moi, en vertu de l’autorité de celui qui donne, est-ce que le Fils ne lui est pas inférieur, par-là même qu’il reconnaît avoir reçu de son Père ? Oui, celui qui donne est plus grand, mais le Fils n’est pas inférieur, puisque son Père lui donne d’être un seul et même Dieu avec lui. — S. Chrysostome : On peut encore donner cette explication : Les Apôtres ne savaient pas en quoi consistait cette résurrection qu’il leur avait prédite, en leur disant : « Je m’en vais et je reviens à vous, » et ils l’avaient pas encore de lui une idée convenable, tandis qu’ils regardaient le Père comme infiniment plus grand et plus élevé. Il leur dit donc : « Vous craignez que je ne sois pas assez puissant pour me secourir moi-même, et vous ne pouvez croire que je revienne vous voir près ma mort sur la croix ; mais au moins vous devriez vous réjouir de m’entendre dire que je vais à mon Père qui est plus grand que moi, et qui est assez puissant pour renverser tous les obstacles. » Il accommodait ainsi son langage à la faiblesse de ses disciples, et c’est pour cela qu’il ajoute : « Et je vous le dis maintenant, avant que cela arrive, afin que quand ce sera arrivé, vous croyiez. »


S. AUG. (Traité 79 sur S. Jean.) Que veulent dire ces paroles ? Estce que l’homme ne doit pas croire bien plutôt ce qui lui est proposé comme l’objet de sa foi avant son accomplissement ? Le véritable mérite de la foi, c’est de croire ce qu’on ne voit point, car cet Apôtre à qui Jésus a dit : « Vous avez cru parce que vous avez vu, » il a vu une chose et en a cru une autre, il a vu en Jésus-Christ un homme, et il a cru qu’il était Dieu. On dit bien, il est vrai, qu’on croit ce que l’on voit, qu’on en croit à ses propres yeux, mais ce n’est point là cette foi qui s’établit dans nos cœurs ; les choses que nous voyons ne sont que le moyen par lequel nous croyons celles que nous ne voyons pas. Ces paroles : « Quand cela sera arrivé, » signifient donc qu’après qu’il sera mort, ils le verront de nouveau plein de vie, et qu’en le voyant ils croiront fermement qu’il était le Christ, fils de Dieu, qui a pu opérer un tel prodige et le prédire avant de l’accomplir. Et ils le devaient croire, non d’une foi nouvelle, mais d’une foi plus complète, ou si l’on veut, d’une foi qui avait faibli au moment de sa mort, mais qui s’était ranimée lors de sa résurrection.


S. HIL. (de la Trin., 9) Nôtre-Seigneur leur fait connaître ensuite ce qui devait lui mériter la gloire qui devait suivre sa mort : « Je ne vous parlerai plus guère. » — Bède : Il s’exprime de la sorte, parce que le moment approchait où on allait se saisir de sa personne et le mettre à mort : « Car le prince de ce monde vient. » — S. AUG. Quel est ce prince du monde si ce n’est le démon ? Il n’est point toutefois le prince de toutes les créatures, mais seulement des pécheurs. Aussi lorsque l’Apôtre nous dit : « Nous avons à combattre….. contre les princes de ce monde, » (Ep 6, 12) il ajoute : « De ce monde de ténèbres, » c’est-à-dire, du monde composé des hommes impies, « et il n’a rien en moi, » parce que le Fils de Dieu était venu sans péché, et la trèssainte Vierge n’avait pas conçu et enfanté sa chair d’une source empoisonnée par le péché. Mais alors, pouvait-on lui dire : Pourquoi devez-vous souffrir la mort, si vous êtes sans péché, puisque la mort est la peine du péché ? Il prévient cette objection en ajoutant : « Mais afin que le monde connaisse que j’aime mon Père, et que selon le commandement que mon Père m’a donné, ainsi je fais ; levez-vous, sortons d’ici. » En effet, il était encore à table avec ses disciples, lorsqu’il leur adressait le discours qui précède ; il dit : « Allons, » en se dirigeant vers le lieu où on devait se saisir de sa personne pour le livrer à la mort, bien qu’il n’eût aucunement mérité la mort ; mais son Père lui commandait de mourir, et il voulait donner l’exemple de l’obéissance par amour.


S. AUG. (contr. le disc. des Ar., 2) L’obéissance du Fils, à la volonté et aux ordres de son Père, n’est point une preuve même parmi les hommes, de la diversité et de l’inégalité de nature entre le Père qui commande et le Fils qui obéit, et il y a ici quelque chose de plus, c’est que Jésus-Christ n’est pas seulement Dieu, en quoi il est égal à son Père, mais il est homme aussi, et par conséquent d’une nature inférieure à celle de son Père. — S. Chrysostome : (hom. 76 sur S. Jean.) On peut dire encore que ces paroles : « Levez-vous, sortons d’ici, » sont le commencement d’un autre ordre d’idées. Le temps, comme le lieu, étaient pour les disciples une cause naturelle de crainte et d’effroi. Ils étaient dans un endroit connu et ouvert de toutes parts ; la nuit était profonde, et ils ne prêtaient qu’une médiocre attention aux paroles du Sauveur, tournant les yeux de côté et d’autre, et s’imaginant toujours voir entrer ceux qui devaient les attaquer. Ce que le Sauveur venait de leur dire : « Je ne vous parlerai plus guère, car le prince de ce monde est venu, » ajoutait à leur frayeur. Jésus les voyant sous cette impression en entendant ses paroles, les conduit dans un autre lieu, où la pensée qu’ils étaient plus en sûreté leur laisserait plus de liberté d’esprit pour écouter attentivement les grandes vérités qu’il avait à leur révéler.

S. HIL. (de la Trin., 9) Nôtre-Seigneur se lève et se hâte d’aller consommer le mystère de sa passion par l’amour qui le porte à exécuter les ordres de son Père. Cependant il veut expliquer auparavant le mystère de son incarnation, en vertu de laquelle nous lui sommes unis, comme les branches sont unies à la vigne : « Je suis la vraie vigne, » dit-il à ses disciples. — S. AUG. (Traité 80 sur S. Jean.) Le Sauveur parle ici comme étant le chef de l’Église, dont nous sommes les membres, comme le médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme. (1 Tm 5) En effet, les branches de la vigne sont de même nature que la tige. Mais lorsque Nôtre-Seigneur dit : « Je suis la vraie vigne, » a-t-il ajouté le mot vraie par opposition à la vigne, qu’il prend ici pour terme de comparaison ? Car on lui donne le nom de vigne dans un sens figuré et non au littéral, de même qu’on lui donne les noms d’agneau, de brebis et d’autres encore, où la réalité extérieure existe bien plutôt dans tas choses qui sont prises comme objets de comparaison. En disant : « Je suis la vraie vigne, » il a donc voulu se séparer de cette vigne, à laquelle Dieu dit, par son Prophète : « Comment vous êtes-vous changée en amertume, ô vigne étrangère ? » (Jr 2, 21). Et comment serait-elle la vraie vigne, elle qui, au lieu de fruits qu’on attendait, n’a produit que des épines ? (Is 5)




S. HIL. (de la Trin., 9) Mais le Sauveur a soin de distinguer la majesté divine de son Père de l’humble nature dont il s’est revêtu dans son incarnation, et il le représente comme étant le vigneron intelligent qui cultive cette vigne : « Et mon Père est le vigneron. » — S. AUG. Nous cultivons Dieu, et Dieu nous cultive ; mais nous cultivons Dieu non pour le rendre meilleur, nous le cultivons en l’adorant et non en le labourant ; tandis que Dieu nous cultive pour nous rendre meilleurs que nous ne sommes ; c’est notre âme qui est l’objet de cette culture, et il ne cesse d’extirper tous les mauvais germes de notre cœur, de l’ouvrir par sa parole comme avec le soc de la charrue, d’y jeter la semence de ses commandements, et d’en attendre le fruit de la piété.




S. Chrysostome : Mais Jésus-Christ se suffit à lui-même, tandis que les disciples ont un grand besoin de la main du laboureur ; aussi ne dit-il rien de la vigne elle-même, il ne parle que des branches : « Toute branche qui ne porte point de fruit en moi, il la retranchera. » Ce fruit c’est la vie de la grâce, et Notre-Seigneur nous apprend ainsi que sans les œuvres, nous ne pouvons lui être unis.— S. HIL. (de la Trin., 9) Quant aux branches inutiles et infructueuses, il les coupera et les jettera au feu. — S. Chrysostome : Ceux mêmes qui sont arrivés à une haute vertu ont besoin de l’opération de ce céleste vigneron, et c’est pour cela qu’il ajoute : « Et la branche qui porte du fruit il l’émondera, afin qu’elle en porte davantage. » Il veut parler ici des tribulations qui les attendaient, et Il leur enseigne que les épreuves les rendront plus forts et plus vigoureux, de même qu’on rend la branche de la vigne plus féconde en la taillant et en l’émondant.




S. AUG. Mais qui peut se glorifier d’être si pur dans cette vie, qu’il n’ait point besoin d’être purifié encore davantage, puisque si nous disons que nous n’avons pas de péché, nous nous trompons nous-mêmes ? (1 Jn 1, 1) Dieu purifie donc ceux qui sont déjà purs, afin que cette pureté plus grande, soit aussi la cause d’une plus grande fécondité. Or, Nôtre-Seigneur Jésus-Christ est la vigne, sous le même rapport qui lui fait dire : « Mon Père est plus grand que moi. » (Jn 14) Mais lorsqu’il dit : « Mon Père et moi ne sommes qu’un, » (Jn 10) il est également le vigneron. Et il n’est point vigneron, comme ceux qui ne peuvent que donner leur travail extérieur, son opération va jusqu’à produire l’accroissement intérieur. Aussi se représente-t-il aussitôt comme, celui qui émonde aussi la vigne : « Déjà, leur dit-il, vous êtes purs, à cause des paroles que je vous ai dites. » Voilà donc qu’il émonde les branches, ce qui est l’office du vigneron et non de la vigne. Mais pourquoi ne dit-il pas : Vous êtes déjà purs, à cause, du baptême dans lequel vous avez été lavés ? Parce que, dans l’eau du baptême, c’est la parole qui purifie. Otez la parole, et l’eau n’est plus que de l’eau ordinaire. La parole vient se joindre à l’eau, et forme de sacrement. Or, d’où peut venir à l’eau cette si grande vertu de purifier le cœur en touchant le corps, si ce n’est de la parole, et non pas de la parole simplement dite, mais de la parole qui est crue ? Il faut distinguer, en effet, dans la parole, le son qui passe de la vertu qui demeure. Cette parole de la foi a une telle puissance dans l’Église de Dieu, que par celui qui croit, qui offre, qui bénit, qui répand l’eau, elle purifie l’enfant, qui est encore incapable de croire — S. Chrysostome : Ou bien encore, tel est le sens de ces paroles : Vous êtes purs, à cause des paroles que je vous ai dites. C’est-à-dire, vous avez reçu la lumière de la doctrine, et vous êtes délivrés des erreurs judaïques.