Chêne et Roseau/Sagesse et Folie

Imprimerie de Dubuisson (p. 5-6).


SAGESSE ET FOLIE


Vers vous je viens, ma chère, en véritable amie ;
Inquiète je suis de vous, de votre vie !…
Chacun dit, et je sais que toujours l’air rêveur,
Vous allez au hasard, qu’un souffle vous fait peur.
Sans mot dire, écoutant d’un air presque stupide
Des chants bruyants tout comme un courant d’eau limpide ;
Pour être claire enfin, souvent votre raison
Pour tous n’est qu’un vain mot nullement de saison.

D’où vient cet air rêveur ? Pourquoi donc fuir le monde,
Dédaigner la parure, aimer la nuit profonde ?
À nos plaisirs pourquoi préférer vos pinceaux,
Vos bouquins, vos papiers ? Mieux vaudrait des fuseaux !
Vous m’indignez parfois. Je voudrais, jeune et belle,
Vous voir dans nos salons couverte de dentelle.
Que vous sert d’être femme ? Ah ! je vous plains vraiment,
Car tout en vous, ma chère, étonne assurément…

La femme est une esclave avant tout qui doit plaire,
Craindre le préjugé, près d’un mari se taire.
Les hommes font les lois, il faut les respecter,
Croire ce qu’ils disent, ne point s’inquiéter
S’ils ont tort ou raison : vous devez vous soumettre !
Suivez donc mes leçons, et veuillez me promettre
De réformer vos goûts, d’être soumise un jour,
Et d’être femme enfin, je le dis sans détour.

 

« Non vraiment, vos discours, toute votre éloquence
» Ne saurait me convaincre et calmer ma démence.
» Et suivant votre exemple, aujourd’hui moi je veux
» Que ma franchise aussi vous fasse ces aveux.
» D’abord ne citant pas votre bonté, madame ;
» Oui, clairement je vois le fil de votre trame.
» Quand vous cachez si bien vos serres de vautour,
» Vous blessez hardiment qui n’a pas votre amour.

» Pour moi, depuis longtemps vivant en solitaire,
» Peu m’importe vraiment ce qu’en dit le vulgaire !
» D’ailleurs qui saurait rendre à mon cœur désolé
» Ces beaux jours d’innocence à jamais envolés !
» Nul ne saurait changer en un ruisseau limpide
» L’Océan furieux et la vague rapide,
» Qui, semblable à sa sœur l’Imagination,
» S’agite et va chercher une autre région !

» Ignorant que l’étude est un puissant remède
» Pour calmer la douleur qui toujours se succède,
» Qu’elle a sublime don de conduire à l’oubli
« En faisant riche, heureux ; qu’elle seule anoblit,
» Dissipe les erreurs, sachant élever l’âme ;
» Qu’enfin elle rend sourd à l’aigre voix du blâme,
» Riant des pauvres fous, vous prétendez savoir
» Donner trop de bonheur à qui n’en peut avoir ! »