— Le roi, messieurs !
Au long de l’allée centrale menant vers un délicat cabinet de verdure, les courtisans se rangèrent prestement. Il y avait là, sous des habits magnifiques, aux couleurs violentes et douces passementé d’or, brodés et rebrodés, des femmes à soixante quartiers et des rôdeuses, des marquis, des valets, des mouchards et des fils de roi.
Tous les hommes se découvrirent. Les perruques frisées s’étalèrent au soleil, encadrant des faces moites et attentives. Les femmes préparèrent leur courbette, tenant la jupe à paniers de chaque côté des hanches et pliant déjà le genou. Une coquine aux yeux galants délaça vite alors son corsage, afin que, durant sa révérence, ses seins pussent en sortir et son corps se dénuder seul jusqu’au ventre. Elle était au premier rang et on savait le roi las, difficile à enflammer, plus difficile à satisfaire. Mais que ne tenterait pas une candidate aux faveurs de sa Majesté ?
— Le roi !... Le roi !...
Le silence se fit brusquement. Les têtes commencèrent de s’incliner. Un chambellan passa, vêtu d’écarlate, avec un regard aigu aux deux rangs de curieux et de courtisans.
Puis ce fut un couple de valets armés.
Et le roi.
Il était grand, sombre, fatigué et magnifique. La lippe ancestrale alourdissait sa bouche. Le nez courbe était noble et vraiment royal. L’œil net étudiait toutes les faces inclinées.
Il passa, le jarret cambré, la taille rigide, mais, devant la femme aux seins étalés, eut un regard incisif, un demi-sourire.
Vingt courtisans guettaient toutes les impressions du visage dominateur. Rapide, un duc s’était déjà rapproché.
Le roi, sans perdre une ligne de sa grandeur, sans presque bouger les lèvres, demanda :
— Cette femme, à droite, devant le comte de Duras ?
— Venue de sa province pour attirer les regards de Votre Majesté.
— L’air vicieux, certes !
— Aux ordres du roi de France. Lesbienne, dit-on toutefois.
— Je la voudrais voir avec Mme de Choisy.
— Ce serait fait.
— Tout de suite. Dans le cabinet de verdure.
Le courtisan s’inclina, fit un pas de côté, se trouva devant un homme froid qui attendait, pour les exécuter, tous les ordres possibles.
Un coup d’œil sur la femme toujours attentive qui devine son heure venue. Deux mots :
— Au cabinet de verdure, dans deux minutes, nue, et jouant à l’amour avec Mme de Choisy.
L’autre se penche vers la femme, lui donne un ordre. Elle sort des rangs sans qu’on le remarque et cour, se délaçant à mesure.
Mme de Choisy est à dix pas. Impériale, elle cherche à la fois des victimes et des amitiés chez les assistants. C’est la reine de Lesbos à Paris. Elle a détourné de leurs devoirs cent épouses passionnées, elle a une villa défendue par des eunuques, comme un pacha, où elle reçoit et initie des vierges à l’amour féminin.
Elle suit un jeune homme, bâtard du feu régent de France, qui lui a transmis les ordres. Et ses mains tremblent de désir. Son vice, elle l’a satisfait jusqu’ici partout, mais jamais durant une réception à Versailles et sous les yeux augustes de Sa Majesté !

Trois minutes après, à l’entrée du cabinet de verdure, le roi Louis le Bien-Aimé, quinzième du nom, les yeux vifs et la bouche crispée, contemplait deux femmes nues qui se divertissaient sur la mousse. Le soleil jetait à terre des ronds d’or. Des deux corps, l’un était clair, l’autre sombre. On entendait dans le silence des halètements et de petits cris…
Et cent têtes penchées, à distance respectueuse, s’efforçaient de saisir un fragment du délicieux spectacle, une jambe, un bras, une croupe, une tête aux cheveux fous…