Par le Forum, des lumières vont et viennent. On entend des claquements de sandales sur les dalles, avec les commandements et les rires sortant des litières obscures. Le pas des soldats qui veillent dans les voies attenantes sonne par moments. Leur semelle de bronze avertit les rôdeurs, le glaive leur tinte sur les jambières. La paix règne, d’ailleurs, sur la capitale du monde.
Mais c’est la nuit où l’on doit fêter la bonne Déesse, au temple du Grand Pontife, qui depuis peu se nomme Caïus-Julius Cæsar.
Les fêtes de la bonne Déesse ne comptent que des femmes. Nul homme n’u est admis. Voici peu d’années, la célèbre Clodia y introduisit pourtant son frère Clodius déguisé en femme. Hélas ! le déguisement ne put éviter la mise à l’épreuve par une servante de la Regia. Là où elle croyait trouver une femme, elle découvrit donc un mâle, et ce fut un scandale qui n’est point encore oublié.
Certes Clodia ni Clodius n’eurent à en souffrir. César lui-même, bien qu’il ait répudié sa femme, complice de l’amusante aventure, était loin d’avoir trouvé là motif à aucune colère. Il aimait tout ce qui émeut les nerfs des femmes et y trouvait de salaces encouragements à ses vices que l’indulgence unanime. Toutefois, le déguisement de Clodius se trouvait devenir une affaire politique, d’où la répudiation. Et c’était, cette années-là, la première fois que sa nouvelle épouse présiderait les fêtes de la bonne Déesse. Il espérait que tout se passerait sans nouvelle aventure.
Or, une à une, les litières portant des femmes demi-nues, ou tout à fait nues, sous une mante de laine, entraient chez le Grand Pontife. Les litières se rangeaient à droite, près du Temple des Vestales, sous la surveillance de quelques légionnaires. L’intérieur de la Regia, résidence du Pontife, était un lacis de couloirs réunissant de vastes salles circulaires, et dans l’une d’elles cinquante femmes s’amusaient de leur nudité. Au fond, vers l’orient, se trouvait l’autel de la bonne Déesse, avec deux colombes égorgées et un nuage d’encens flottait autour de la pierre sculptée.
Sur d’épais tapis partout répandus, les femmes s’étaient cependant assises ou étendues. Il y avait là des épouses de consuls et d’imperators, ainsi que des héritières des plus grands noms romains, comme la veuve du dernier grand-prêtre.
César y eût reconnu vingt masques autoritaires auxquels se soumettaient les princes du Sénat et les proconsuls. Certains corps étaient admirables ; d’autres, les grâces s’infléchissaient sans cesser d’être fascinantes ; toute la grandeur romaine s’y trouvait donc représentée par des femmes fières d’elles-mêmes et de leurs désirs.
Et sans nulle honte, car c’était là non pas une débauche, mais un rite religieux, inspiré des dieux et sauveur de la cité, les femmes s’embrassaient, se divertissaient, s’égayaient, à deux ou à trois, un peu partout, dans la vaste salle éclairée de cent lampes odorantes, qui donnaient, avec leur lumière, une pénétrante odeur de musc.
Mais Sempronia, qui était connue pour la liberté de ses mœurs, son audace et sa décision, réclama soudain :
— Drusilla !
Drusilla, célèbre disciple de Sapho la Lesbienne, s’élança en riant vers celle qui l’appelait. Pourtant on la retenait partout en criant, parmi les rires :
— Moi d’abord, moi la première !
Sempronia cria pus fort :
— Drusilla, j’ai soif de toi, mais confie celles qui te désirent à Scaura, qui sait aussi donner du goût, de la douceur et du piment à ses enlacements.
— À moi Drusilla ! cria la femme de César, plus nue, en vérité, pas sa posture que les autres.
Ce fut un assaut fou, où tous les corps se mêlaient. Mais il y eut aussi celles que le désir tenait immobiles et qui ne savaient comment le satisfaire.
— Tant pis ! dit Clodia, enfiévrée par les contacts hâtifs de Scaura, que dix femmes de sénateurs se disputaient maintenant, je n’y tiens plus. Qu’on aille me chercher un homme !
Toutes restèrent effarées devant la demande sacrilège. Mais Metella, fille de celui qui, depuis, fut consul, étant allée jusqu’à la porte en riant, revint en sautant comme une chèvre :
— Clodia, dit-elle avec des soupirs de gaîté désordonnée, Clodia, il n’y a pas d’homme à la porte, mais si tu le veux, il y a un petit âne !