Cent Ballades (Christine de Pisan)/Ballade XXX


XXX



Faulx mesdisans aront ilz le pouoir
De moy faire mon ami eslongnier ?
Nanil, par Dieu ! combien que leur savoir
4Mettent a moy grever sanz espargnier,
Mais ja pourtant ne feront recreant
Mon cuer d’amer ; a cellui le creant
Qui l’a du tout, car n’ont pas la poissance
8Qu’a vraye amour puissent faire grevance.

Grever peut bien mon corps ou mon avoir
Leur faulx agait, que ne puis engigner,
Ou mon honneur, et si puis recepvoir
12Par eulx maint mal ; si le doy ressoigner ;
Mais se mon fait devoyent en riant
Partout compter en la ville criant,[1]
Si n’ay je pas ne doubte n’esperance
16Qu’a vraye amour puissent faire grevance.

Par leurs lengues ou il n’a mot de voir
(Je pri a Dieu que l’en leur puist roignier,)
Me destournent mon ami a veoir ;
20De ce les voy assez embesoignier,
Et ja par eulx vont maintes gens creant
Pis qu’il n’y a, et ainsi vont grevant
Maint vray amant ; mais n’ay point de doubtance[2]
24Qu’a vraye amour puissent faire grevance.

  1. B c. par la v.
  2. B car n’ay p. de d.