Cent Ballades (Christine de Pisan)/Ballade XIX

Cent Ballades, Texte établi par Maurice RoyFirmin Didot (p. 20).


XIX



Long temps a que je perdi
Tout mon soulas et ma joye,
Par la mort que je maudi
4Souvent ; car mis m’a en voye
De jamais nul bien avoir ;
Si m’en doy par droit blasmer ;
N’oncques puis je n’oz vouloir
8De faire ami, ne d’amer.

Ne sçay qu’en deux ne fendi
Mon cuer, du dueil que j’avoye
Trop plus grant que je ne di,
12Ne que dire ne sçaroye,
Encor mettre en nonchaloir[1]
Ne puis mon corroux amer ;
N’oncques puis je n’oz vouloir
16De faire ami, ne d’amer.

Depuis lors je n’entendi
A mener soulas ne joye ;
Si en est tout arudi
20Le sentement que j’avoye.
Car je perdi tout l’espoir
Ou me souloie affermer.
N’oncques puis je n’oz vouloir
24De faire ami, ne d’amer.

  1. B N’encor