Cent Ballades (Christine de Pisan)/Ballade LXII

Cent Ballades, Texte établi par Maurice RoyFirmin Didot (p. 63-64).


LXII



Ha ! mon ami, que j’ay long temps amé !
Comment as tu le cuer si desloiauix,
Que moy qui t’ay si doulcement clamé
Ami long temps, tu me fais tant de maulz ?
Parjur, mauvais, plein de mençonge et faulz,
On te devroit par dessus tous clamer,
De moy laissier ainsi pour autre amer.

Je t’avoye dessus tous affermé
Pour mon ami sur tous especiaulx,
Et tous jours t’ay chery et reclamé
De tout mon cuer qui t’a esté loyaulz ;

Mais plus mauvais n’a n’en France n’en Caulx
Ne autre part, le cuer as trop amer
De moy laissier ainsi pour aultre amer.

Est donc ton cuer si pris et enflammé
De celle qui tant me fait de travaulx,
Que de s’amour soies si affamé
Que de moy fais contre elle petit taux ?
Tu t’avances de ce faire a bas saulx,
Ce m’est avis, et te doit on blasmer
De moy laissier ainsi pour aultre amer.