Cent Ballades (Christine de Pisan)/Ballade LVI

Cent Ballades, Texte établi par Maurice RoyFirmin Didot (p. 57).


LVI



Mon bel ami, je voy trop bien
De vray, quel que le semblant soit,
Que vostre cuer ne m’aime en rien.
Bien borgnes est qui ne le voit ;
Vous le dites quoy qu’il en soit,
Mais c’est tout pour moy faire pestre,
Car l’œuvre loe le maistre.

Il appert a vostre maintien
Comment vo cuer d’amer recroit ;
Car tout un moys, si com je tien,
De moy veoir ne vous chauldroit.
Que m’amissiez qui le croiroit ?
Certes, ce ne pourroit estre,[1]
Car l’œuvre loe le maistre.

Dont trop pour fole je me tien,
Et aussi chascun m’i tendroit,
De vous amer ; car nesun bien
De ce venir ne me pourroit,
Puis qu’en riens ne vous en seroit,
Et j’aperçoy trop bien vostre estre
Car l’œuvre loe le maistre.

  1. Note Wikisource : « Vers 13, on peut encore faire la correction en maintenant tel quel ce vers et en abrégeant les vers 6 et 20. » (erratum, p. 319).