Cent Ballades (Christine de Pisan)/Ballade LIII


LIII



Sage seroit qui se saroit garder
Des faulx amans qui adès ont usage
De dire assez pour les femmes frauder
Trop se plaignent de l’amoureuse rage
Qui plus les tient que l’oisellet la cage,
Et vont faignant qu’ilz en ont couleur fade
Mais quant a moy tiens de certain corage,
Qui plus se plaint n’est pas le plus malade.

Qui les orroit jurer et bien bourder,
Faire semblant d’estre plus serf qu’un page,
Aler, venir, muser et regarder,
Et en parlant recouper leur langage
Pour decepvoir, a pou n’est il si sage
Eulx guermenter a la plaisant et sade
Mais on peut bien jugier a leur visaige,
Qui plus se plaint n’est pas le plus malade.

De telz amans Dieux les vueille amender.
Il en est moult, je croy, dont c’est dommage,
Qui partout vont aux dames demander
Grace et mercy, ou envoyent message,
Qui ne le font fors pour querre avantage
En certains lieux ; pour ce dit ma balade,

Qu’en ce cas cy, tant soit de hault parage,
Qui plus se plaint n’est pas le plus malade.