Imprimerie de « l’Événement » (p. vii-xii).

PRÉFACE


De tous les genres de littérature cultivés au Canada, c’est celui de la fiction qui rapporte le moins. Aussi, faut-il avoir le culte des lettres poussé jusqu’à la passion pour s’y livrer. À vrai dire, il n’y a que dans le journalisme qu’on ait réussi à vivre chez nous la plume à la main. Et encore, si l’annonce ne venait pas à la rescousse, la pauvrette aurait une existence bien précaire.

L’histoire vit plus longtemps que le roman sans payer davantage, non à cause de sa valeur supérieure au point de vue du style mais il se trouve, d’une génération à l’autre, un petit nombre d’individus disposés à s’instruire sur les choses de leur pays, et c’est ce qui assure à l’histoire une certaine pérennité. Il est dans la destinée du roman canadien de lutter contre un ennemi formidable : l’œuvre des Balzac, des Daudet, des Bourget et autres… La vogue de nos romans s’est montrée, pour cette raison, bien transitoire. Qui demande encore, à la Bibliothèque du Parlement, « Charles Guérin », « L’Intendant Bigot », « Le Chevalier de Mornac », œuvres de valeur assurément. Ils ne sont guère recherchés que par les bibliophiles et les bouquinistes, en général plus familiers avec les titres de leurs trésors qu’avec le fond. Le roman canadien le plus lu est encore « Les anciens Canadiens » de M. de Gaspé. Cette œuvre du vieux conteur conserve un grand attrait, grâce à ses reflets d’histoire de notre pays qui lui prêtent leur charme.

Certains qui ne sont pas du métier prétendent qu’un écrivain devrait se contenter, pour prix de son effort, de la gloire que promirent les lettres. Il faut bien souvent se résigner au Canada à cette compensation. Cependant, n’est-on pas fondé à répondre comme l’autre : travailler pour acquérir une renommée flatteuse, ça m’irait très-bien, s’il ne fallait pas payer mon dîner trois cent soixante-cinq fois par année.

Il convient donc de marquer un bon point aux Canadiens qui se livrent à la littérature d’imagination, comme M. Hector Bernier qui, malgré sa jeunesse, vient de signer de son nom un deuxième volume. Et il faut qu’il ait une vocation littéraire sincère pour revenir devant le public après l’abattage auquel avait donné lieu son début : « Au large de l’Écueil ». Par contre, plusieurs littérateurs de Montréal et de Québec ont encouragé son effort. Y a-t-il eu, dans ce conflit d’appréciations, excès de part et d’autre ? Entre la critique outrancière et les guirlandes de roses passées au cou du jeune auteur, c’est l’avenir qui décidera… Le malheur est que, dans ces sortes de partages de voies discordantes, les jeunes écrivains sont portés à écouter celles qui flattent le plus. Nous ne pouvons faire ce reproche à M. Hector Bernier qui a beaucoup travaillé ce second volume.

Ce qui demeure tout à l’honneur de M. Bernier, c’est la haute inspiration qui, comme une brise tonifiante, souffle à travers son œuvre. C’est quelque chose, c’est même beaucoup au regard de la pourriture que sert trop souvent au public le roman du jour, pour la plus grande délectation d’un trop grand nombre de lecteurs à la recherche de viande creuse ou malsaine.

Dans son dernier roman, M. Bernier engage la jeunesse canadienne à cultiver, à développer dans son âme l’amour de notre race. Telle est la pensée maîtresse de : « Ce que disait la flamme. » Monsieur Bernier y invoque la renaissance de l’orgueil national chez les jeunes Canadiens, avec un louable enthousiasme…

En suivant le développement de la fiction de M. Bernier, on ressent l’ardente sincérité qui l’anime dans la poursuite de son rêve d’un relèvement patriotique. Le cœur de la jeunesse canadienne devrait s’aimanter vers le pôle magnétique de la patrie et tout son effort tendre à la rendre glorieuse et prospère. Que de nobles choses lui sourient alors au travers des ombres vaporeuses et dorées d’un avenir qu’on voudrait prochain ! Il faudrait des sacrifices pour donner corps à ces grandes conceptions. Qu’importe, la jeunesse n’est-elle pas appelée, par la générosité de ses sentiments, à la hauteur des plus sublimes réalisations ?

Les considérations psychologiques abondent dans le récit de M. Bernier. Il faut lui savoir gré de ne pas trop appuyer ici et de suggérer les conclusions au lieu de les exposer longuement. Toute son affabulation s’amène dans un style pénétré de lumière et de couleurs. Amiel s’est un jour avisé de formuler un axiome, sujet depuis de bien des gloses : « Un paysage est un état de l’âme ». Comprenez par cette phrase de l’écrivain genevois que la nature paraît belle ou laide selon l’état de votre esprit. La vision est la résultante de la subjectivité. « Ô montagnes odieuses ! » clamait Victor Hugo après la mort de sa fille. « Superbes collines ! » chantait un autre poète au bras de sa fiancée. Monsieur Bernier applique la formule d’Amiel sans la connaître probablement : selon que la vie est douce ou cruelle à ses personnages, il choisit un cadre en harmonie avec leurs émotions.

Et quel plus merveilleux décor que Québec où la scène se passe. Plusieurs pages au cours du récit ont arrêté et retenu notre attention, notamment celle où Jean Fontaine, tente de ramener sa sœur à une conception élevée de la vie. C’est là un morceau d’une belle tenue littéraire, fortement pensé et qui touche parfois à la haute éloquence. Par malheur, il plaira plus au lecteur qu’il n’a touché l’héroïne du roman. Il est quelques jeunes filles trop uniquement intéressées par les calculs émotionnants du bridge et les hallucinations du tango. Yvonne Fontaine l’une d’elles, trouve bien plus en harmonie avec ses sentiments certaines banalités amoureuses que les appels de Jean.

À remarquer aussi la démonstration émue où M. Bernier rappelle l’importance pour la race canadienne de travailler au rapprochement des riches et des pauvres afin de prévenir par ce moyen la lutte funeste des classes, source de tant de misère en Europe.

L’œuvre de M. Bernier comptera dans les lettres canadiennes. On sort de cette lecture réconforté et sous le charme d’une impression salutaire. Le roman n’est pas sans certains défauts sur lesquels il ne convient pas d’insister, car ils viennent de l’exubérance, de la jeunesse et se corrigeront avec le temps. Non offendar parvis maculis.

Maintenant qu’il a jeté d’une façon brillante son nom au vent de la renommée, qu’il s’arrête un temps pour se livrer à l’étude des classiques, qu’il se défie de la production trop facile. Il y a chez notre jeune ami l’étoffe d’un écrivain, et, s’il suit nos conseils, les qualités que révèlent ses premiers romans s’affirmeront avec éclat.

A. D. DECELLES.