Ne nous frappons pas/Ce qu’on pourra nommer — et sans conteste — le clou de l’exposition

CE QU’ON POURRA NOMMER — ET SANS CONTESTE — LE CLOU DE L’EXPOSITION.

Je viens de passer toute la matinée sur les chantiers de notre Exposition proche.

Une vraie ruche !

Les palais sortent du sol comme à la suite du coup de baguette de quelque fée ; les palissades, également, s’édifient très vite, et j’ai vu une petite cabane pour surveillant, laquelle n’exigea pas plus d’une semaine pour se voir entièrement parachevée.

Ah ! on voit bien que nous sommes dans le siècle de la vapeur !

(Encore un an et nous serons dans celui de l’électricité, en attendant mieux. Qui sait ce que l’avenir réserve à nos petits-neveux, et nièces ? Quel fluide nouveau ?)

Plusieurs constatations, notamment, m’enchantèrent.

Le conseil d’administration de la Tour Eiffel s’est enfin décidé à faire remplacer par des pièces en fer toutes les vieilles lattes de bois pourri (les trois quarts au moins du monument) qui en faisaient partie, depuis dix ans, à la grande terreur des gens compétents.

Visité aussi l’emplacement de la coquette à la fois et grandiose exhibition des sœurs Vaissier : la fameuse bulle de savon de 300 mètres de diamètre.

Ce sera très joli, mais ces dames sauront ce que cela leur coûte.

Je me déclarais enchanté de toutes ces merveilles, mais mon cicérone (M. Picard lui-même, s. v. p.), hochait la tête, de l’air d’un homme point arrivé à son summum de ravissement.

— Tout cela, finit-il par dire, tout cela ne nous donne pas notre clou.

— Quel clou ? fis-je, l’esprit ailleurs.

— Le clou de l’Exposition, donc !

— Vous voulez installer un clou à l’Exposition ?

Un peu de surprise teinta le facies de M. Picard.

— Bien sûr ! dit-il. Il faut toujours un clou dans une exposition qui se respecte.

J’avais toujours l’esprit ailleurs, et le malentendu continua.

— Mais si vous voulez un clou à votre Exposition, m’obstinais-je, qui vous empêche d’en construire un ?

La surprise qui teintait le facies de M. Picard s’accentua en ahurissement.

— Construire un clou ?

— Quoi de plus simple ?… Et c’est, en effet, une très bonne idée d’installer un clou à l’exposition. Beaucoup de personnes sortent de chez elles sans prévoir la somme exacte de leur dépense probable. On est tenté par quelque bibelot ingénieux qu’on ne retrouvera peut-être pas ailleurs et d’ici longtemps… on n’a plus le sou. Alors, quoi de plus aisé, que de courir au petit pavillon ad hoc et d’y engager sa montre, les humbles bijoux de sa femme, ou les riches diamants de sa maîtresse ?

M. Picard se tenait les côtes ; il avait saisi.

— Un clou ! se secouait-il convulsivement, un clou ! C’est un mont-de-piété que vous compreniez ?

— Pas autre chose.

Puis, devenu subitement grave, M. Picard s’écria :

— Mais c’est une idée excellente que vous avez là !

Il mit alors le doigt sur le bouton du téléphone.

Un ingénieur apparut :

— Ingénieur, commanda M. Picard, érigez-moi un mont-de-piété, un joli mont-de-piété, bien en vue, et arrangez-vous de façon que cet édifice soit entièrement terminé avant la tombée de la nuit.

— Entendu, monsieur le commissaire général ! fit l’homme en se retirant.