Ce qu’on peut faire avec une marine, à propos de la guerre des Balkans

Ce qu’on peut faire avec une marine, à propos de la guerre des Balkans
Revue des Deux Mondes6e période, tome 13 (p. 181-204).
CE QU’ON PEUT FAIRE AVEC UNE MARINE
A PROPOS DE LA GUERRE DES BALKANS.

Au moment où j’écris ceci, — commencement de décembre 1912, — la guerre s’assoupit dans les Balkans, sauf du côté de Scutari d’Albanie et autour d’Andrinople, dont l’énergique ténacité force le respect des heureux adversaires de la Turquie.

Les négociations engagées à Tchataldja aboutiront-elles à la paix ? Il serait difficile de le prédire, et il ne le serait pas moins de préjuger du degré de résistance que les Turcs, raffermis, renforcés, opposeraient dès maintenant aux alliés, sur la triple rangée de forts, de redoutes et de batteries qui barre, de Derkos à Buyuk-Tchekmedjé, la presqu’île de Byzance.

Ces lignes de Tchataldja, en passe de devenir aussi célèbres que le furent, il y a un siècle, celles de Torrès Védras, où vint se briser l’effort de l’armée de Masséna, ces lignes ont été déjà sérieusement tâtées par les Bulgares, sur leurs deux ailes ; et, des deux côtés, la flotte ottomane contribua largement, — intervention assez inattendue ! — au succès de la défense en canonnant les colonnes qui se glissaient le long de la mer pour tourner un front trop redoutable. Pour en finir, les six torpilleurs bulgares[1], résolument lancés à l’attaque par une nuit de « temps bouché, » ont torpillé, non pas, comme il eût fallu, les cuirassés turcs, mais le croiseur de grand’garde, Hamidieh, qui a été obligé de rentrer dans la Corne-d’Or, gravement avarié.

Ce coup d’éclat n’en est pas moins fort honorable pour la naissante marine, qui montre ainsi ce qu’elle eût pu faire avec des moyens moins restreints ; et l’état-major du roi Ferdinand regrette sans doute aujourd’hui de n’avoir pas donné à la force navale de la Bulgarie un développement qui lui aurait permis de disputer à la flotte du Sultan, aussi mal organisée que son armée, la maîtrise de la Mer-Noire.

D’autre part, et comme on supposait que, sauf les Monténégrins, un peu loin, vraiment, les alliés balkaniques tiendraient tous à honneur de jouer leur rôle dans l’assaut des remparts avancés de Constantinople, on assurait que la marine grecque allait convoyer jusqu’à Enos, au Nord de la presqu’île de Gallipoli, une division de l’armée du Diadoque, qui serait venue, avec les Serbes de la Strouma, se ranger à la droite de l’armée bulgare.

Ce bruit ne se confirme pas[2]. Plus agissante aujourd’hui qu’en 1897, cette petite marine grecque a efficacement bombardé Prevesa d’Epire, en face d’Actium, — car on se bat toujours aux mêmes endroits, — coulé des canonnières, torpillé, elle aussi, un petit cuirassé turc qui, au demeurant, se gardait fort mal à Salonique. Cela fait, elle a paru s’employer exclusivement à mettre au pouvoir du roi Georges les îles de la mer Egée. C’est assez l’habitude, dans les coalitions, qu’après le premier effort donné, chacun tire de son côté et va où l’appellent ses visées favorites ou ses intérêts immédiats.

Les Grecs savent bien que, cette fois. encore, Constantinople leur échappera ; du moins veulent-ils avoir les abords des Dardanelles ; délivrer promptement, aussi, du joug turc leurs frères de l’Archipel et prendre des gages qu’il sera difficile de leur enlever : Beati possidentes !...

Tout cela, encore un coup, est très naturel et parfaitement justifié au point de vue purement hellénique ; mais, au point de vue de l’intérêt commun et du succès final des opérations d’ensemble auxquelles il était logique de n’assigner de terme que devant le portail de Sainte-Sophie, il y avait mieux à faire d’une petite escadre qui semble solide et assez bien entraînée.

Profitant de ce qu’une partie des navires ottomans restait fixée dans la Mer-Noire aux rivages de Kara Bouroun et que le reste ne pouvait guère quitter les abords de Buyuk-Tchekmedjé sans donner aux Bulgares la tentation d’attaquer en masse le flanc gauche des lignes turques, les Grecs auraient dû déjà, d’un coup de vigueur beaucoup moins téméraire qu’on ne le pense, forcer les Dardanelles et venir présenter le combat à cette division de la mer de Marmara, en vue même des minarets de Stamboul.

C’est ce que nous allons examiner de près. Nous verrons ensuite ce que les Turcs auraient pu faire eux-mêmes avec leurs vieux cuirassés et leurs contre-torpilleurs neufs. Enfin, rapprochant ces deux études de certains faits de guerre dont l’histoire maritime, — une histoire malheureusement trop peu connue, — nous a conservé les enseignemens, nous verrons que les flottes s’adaptent avec souplesse à toutes les circonstances, qu’elles peuvent rendre aux armées des services immédiats et qu’il ne faut donc pas restreindre leur utilisation à la recherche idéale (et dont les bénéfices n’apparaissent souvent qu’un peu lointains) de la domination de la haute mer.


La défense des Dardanelles, réorganisée après la guerre de 1877, et à peine retouchée depuis, ne répond plus aux besoins actuels. Les canons, de calibres et de types variés (Paixhans et Krüpp pour la plus grande part) ne sont plus assez puissans et leur tir n’est plus assez rapide, faute d’affûts, de casemates et de transmissions bien disposés. Il y a quelques projecteurs, des feux chercheurs surtout, mais peu de feux de combat, et les nappes lumineuses ne sont ni assez étendues, ni assez fixes, au point de vue de l’intensité. Tout se ressent, là comme ailleurs et plus qu’ailleurs, de l’insouciance et de l’ignorance technique des Ottomans.

Point de lunettes de pointage, point de télémètres sérieux ; pas d’abris pour les commandans de batteries ; et comme les principaux ouvrages, les plus modernes, sont assez près de l’eau (leur armement visant à rompre les cuirasses de flottaison), les servans des bouches à feu peuvent être, malgré les traverses greffées sur les parapets, mitraillés ou fusillés sur leurs pièces par les bâtimens qui défilent devant eux.

Il n’en est pas moins vrai que le forcement des Dardanelles, de jour, entraînerait des pertes pour l’escadre assaillante, surtout aux deux étroits tournans de Chanak-KilidBahr et de Nagara Bokala Kalehsi (Abydos et Sestos), où le détroit n’a plus que 4 200 et 1 800 mètres, avec un courant constant, du Nord au Sud, de 2 nœuds en moyenne.

L’entreprise serait particulièrement délicate si, aux difficultés résultant d’une artillerie de côte qui est au moins nombreuse, si elle est piètrement organisée, se joignaient les dangers toujours très graves que font courir aux coques plongées, aux « œuvres vives » des bâtimens, les mines sous-marines ou torpilles automatiques mouillées entre deux eaux, à la profondeur moyenne de 3 à 4 mètres.

On sait que, pendant la guerre italo-turque et au moment où la flotte italienne, avec l’assentiment plus ou moins explicite, en tout cas peu empressé de certaines puissances européennes, se rapprochait des Dardanelles, dans une attitude agressive, le gouvernement turc fit mouiller des engins de ce genre à l’entrée du détroit et aussi, sans doute, dans l’étranglement Chanak-Nagara. Il n’en fallut pas davantage pour éteindre toute velléité de forcement de la part des unités de combat italiennes et la randonnée de certains torpilleurs, incident autour duquel on fit quelque bruit, se réduisit à une courte incursion, de nuit, à l’ouvert de la ligne avancée Sedul Bahr-Koum kaleth (Château Neuf d’Europe-Château Neuf d’Asie).

Mais à peine les négociations d’Ouchy semblaient-elles en bonne voie, que l’Angleterre, la Russie, l’Allemagne se hâtaient de demander à la Sublime-Porte l’enlèvement des mines automatiques qui paralysaient complètement, dans les Dardanelles, la navigation commerciale.

Ces torpilles enlevées, on ne les y a plus remises. L’amirauté turque a supposé que l’artillerie suffisait à interdire le passage à une force navale qui, évidemment, est beaucoup plus modeste que la flotte italienne.

C’était cependant une imprudence, car, absolument libre de ses mouvemens dans la mer Egée, disposant, — elle en fait la preuve, — d’une sérieuse flotte à vapeur de commerce, la marine grecque pouvait, au lieu de transporter une division bulgare de Salonique à Dédéagatch, jeter une division grecque sur la côte Nord de la presqu’île de Gallipoli et faire tomber sans coup férir les ouvrages des Dardanelles en les prenant à revers.

Rien ne serait plus facile, en effet, à qui oserait le faire ; et cela parce qu’on n’a jamais prévu de descente sur cette côte septentrionale de la longue crête de collines qui forme la Chersonèse de Thrace. Ce que l’on a prévu seulement, dès 1854, époque où nous occupions Gallipoli avec les Anglais (mais à titre d’alliés des Turcs), c’est une attaque venant de la terre ferme, de la Thrace même, par l’isthme de Boulair, du nom d’une petite ville qui le domine. Là, du golfe de Saros à la mer de Marmara, s’élèvent des lignes fortifiées analogues à celles de Tchataldja, mais beaucoup moins longues (5 kilomètres à vol d’oiseau), beaucoup moins solides aussi et moins étudiées. Certains ouvrages y portent encore les noms de Napoléon III et de Victoria, ce qui marque à la fois leur origine et leur âge.

À cette époque, extrême début de cette guerre d’Orient qu’on devait appeler plus tard « guerre de Crimée, » les alliés, encore en petit nombre sur le territoire turc et mal organisés pour l’offensive, ne songeaient qu’à se garder contre une attaque de l’armée russe du Danube, dont les succès (arrêtés depuis sous les murs de Silistrie) faisaient redouter une marche rapide sur Constantinople. Mais si l’on pouvait craindre, dans ce dernier cas, qu’un corps détaché de cette armée d’invasion vint forcer les alliés dans la Chersonèse, ou au moins les y bloquer, il était évidemment impossible que ce corps débarquât sur la côte Nord. Il ne pouvait venir que par Lulé-Burgas, Rodosto et Boulair, Les flottes française et anglaise étaient en effet maîtresses absolues de la mer Egée et de la mer de Marmara. La flotte russe n’avait jamais songé à franchir le Bosphore.

lien fut de même vingt-cinq ans plus tard. Cette fois, malgré la magnifique résistance de Plewna, que rappelle aujourd’hui celle d’Andrinople, l’armée du grand-duc Nicolas arriva jusqu’à San Stefano, aux portes de la capitale turque ; mais, comme en 1854 et faute d’avoir des vaisseaux dans la mer Egée, elle ne pouvait attaquer la Chersonèse que par Boulair, dont les lignes avaient été renforcées. D’ailleurs, il importait assez peu aux Russes de détruire, ou seulement d’occuper les batteries des Dardanelles, tant que celles du Bosphore n’étaient pas tombées dans leurs mains.

Quoi qu’il en soit, les Turcs n’ont jamais pensé à défendre d’une manière permanente ou semi-permanente les baies d’Arapos et d’Hanafart, ni les longues plages découvertes qui s’étendent au Sud d’Hanafart et de Guba-tépé. Ils n’auraient pas non plus assez de troupes mobiles, en dehors des garnisons, fort dispersées, de leurs batteries des Dardanelles, pour s’opposer, sous le feu de la flotte grecque, à la descente d’une division d’infanterie. Celle-ci, en deux heures, aurait gagné, avec ses canons de montagne[3], les hauteurs de 200 mètres d’altitude qui dominent Bokaia-kaleh-si, Kilid-Bahr et Sedul-Bahr.

Que deviendrait alors la défense des Dardanelles ?

Je veux bien que les garnisons turques, — les Ottomans ont fait leurs preuves de ténacité, — que les garnisons des ouvrages, dis-je, se refusent à battre la chamade et s’enferment dans les vieux châteaux forts qui, sur les trois points en question, servent de noyau aux groupes de batteries de côte ; mais les artilleurs, canonnés et fusillés par derrière, puisque les ouvrages ne sont pas paradossés, comment feraient-ils pour se maintenir et tirer sur les bâtimens grecs ?... Ceux-ci, n’ayant à craindre que les pièces de la côte d’Asie, longeraient de très près la côte d’Europe, ce que la hauteur des fonds rend toujours facile, et accableraient de projectiles légers, tirés à bout portant, les servans des batteries. C’est là, dans un forcement de passe, un moyen économique et suffisamment efficace de paralyser les ouvrages qui n’ont pas de « commandement » sur la mer.

Mais pourquoi, au demeurant, courir encore le risque de recevoir les coups des canons de la côte d’Asie, si difficile qu’il soit à ceux-ci de bien régler leur tir sur des navires dont le profil se confond avec les accidens du rivage opposé[4] ? Il n’est que d’attendre la nuit qui suivra l’établissement de la division de troupes grecques sur les hauteurs qui dominent les batteries d’Europe. Dans l’état de désorganisation où elles seront à ce moment-là et où les entretiendra un feu lent et continu des canons de montagne, le tir de nuit leur deviendra tout à fait impossible et celui des ouvrages de la côte d’Asie sera plus inefficace encore que le tir de jour.

Je vais plus loin et je prétends que la flotte grecque, bien pilotée comme elle l’est, choisissant une de ces nuits à demi brumeuses qui permettent de reconnaitre les contours caractéristiques des promontoires, mais qui enveloppent les vaisseaux d’un voile suffisamment protecteur ; je prétends, dis-je, qu’à trois ou quatre heures du matin, à l’heure où toute veille faiblit, — et surtout la veille des Turcs ! — cette flotte aurait pu franchir les Dardanelles quasi sans coup férir, pourvu qu’elle marchât assez vite, sans hésitation, sans se soucier de l’éclat inopiné d’un projecteur[5], ou d’une canonnade incertaine, gardant elle-même le silence le plus absolu et naviguant « beaupré sur poupe, » tous feux éteints.

Un Farragut, un Roussin, un Nelson, un Dugay-Trouin n’eussent point hésité !... Rappelons-nous les beaux forcemens de passe, de Wicksburg, du Tage, de Copenhague, de Rio de Janeiro.

Et si l’on m’opposait l’exemple du passage des Dardanelles, justement, par l’escadre anglaise de Duckworth, en 1807, je ferais remarquer qu’après tout, les 7 vaisseaux britanniques se tirèrent de ce pas dangereux sans avaries majeures. Cette fois-là, déjà, les batteries turques, d’un type archaïque, — quelques canons dataient de Mahomet II et lançaient des boulets de marbre ! — mal organisées, très médiocrement servies par des artilleurs improvisés, n’étaient pas à la hauteur des circonstances. Mais quand donc les Turcs sont-ils organisés ? Ce n’est pas, assurément, en 1912...


Les Dardanelles une fois franchies, soit de jour, dans les conditions que j’ai indiquées tout à l’heure, soit de nuit, avec ou sans le secours de l’attaque à revers des batteries d’Europe, l’escadre grecque aurait eu à se mesurer avec la flotte turque ; ou, tout au moins, avec la partie de cette flotte qui flanquait, dans la mer de Marmara, l’aile gauche des lignes de Tchataldja.

Je remarquerai tout de suite que cette opération du forcement des Dardanelles ayant, de quelque façon qu’elle soit comprise, un caractère marqué de surprise, il est probable que la portion de la force navale turque employée dans la Mer-Noire au flanquement de l’aile droite des lignes, n’aurait pas eu le temps de repasser le Bosphore avant que l’escadre grecque fût arrivée au contact de la division de la mer de Marmara. Du débouché des Dardanelles au méridien de Buyuk Tchekmedjé il y a à peine 80 ou 85 milles, que les navires hellènes, même les 3 petits cuirassés dont je vais parler, pouvaient franchir en six ou sept heures. La balance des forces actives se serait donc trouvée rompue au profit de l’escadre assaillante.

Mais cette balance, en fait, que donne-t-elle, qu’indique-t-elle, toute combinaison stratégique mise à part ?

La marine grecque présente tout d’abord le noyau solide d’une division homogène de 3 cuirassés de 5 000 tonnes, construits en 1889-90 et refondus en 1900-1901. Ces bâtimens, Hydra, Psara, Spetsaï, ont les caractéristiques suivantes :

Vitesse aux essais : 17 nœuds[6] ; cuirassement à la flottai- son : 30 centimètres ; sur le pont principal : 50 millimètres en moyenne ; armement : 3 canons de 27,5, 5, 5 de 15 cm., 1 de 10 cm. 8 de 65 mm. ; 3 tubes lance-torpilles ; équipage : 400 hommes.

1 croiseur cuirassé remarquablement doué comme puissance offensive, le Georgio Averoff (du nom d’un généreux et patriote donateur, dit-on), a été acheté l’an dernier aux chantiers italiens d’Orlando. Cette unité a pour caractéristiques :

Déplacement : 10 200 tonneaux ; vitesse : 24 nœuds ; cuirassement : 20 centimètres sur les flancs et 51 millimètres sur le pont principal ; armement : 4 pièces de 23m,4, 4, 8 de 19 cm., 16 de 76 millimètres ; 3 tubes lance-torpilles[7].

C’est évidemment le plus beau fleuron de la couronne navale des Hellènes. Les Turcs n’ont rien à opposera ce beau bâtiment.

Une flottille de 8 excellens « destroyers, » ou contre-torpilleurs, complète heureusement cette petite escadre active. Construits il y a quatre ou cinq ans, les Doxa, Nike, Aspis, Velos, etc., etc., déplacent 410 ou 420 tonnes, atteignirent 31 nœuds de vitesse à leurs essais et sont armés de 2 tubes pour grosses torpilles, avec 2 canons de 76 mm. et 4 de 57 mm.

Notons encore un « submersible, » le Delphin, de 310 tonnes en surface et 465 en plongée, avec les vitesses respectives de 14 et 9 milles à l’heure. Ce sous-marin, qui est armé de 5 tubes lance-torpilles ne parait pas être encore « au point. » Du moins n’a-t-il pas fait parler de lui, jusqu’ici ; et voilà cependant, s’il en fut jamais, un type de bâtiment auquel la remontée des Dardanelles serait bien facile, les mines sous-marines, seul danger qu’il put redouter, ayant été supprimées.

Les Grecs doivent regretter de ne pas s’être attachés plus tôt à l’organisation d’une flottille de sous-marins.

Après les diverses unités, neuves ou refondues, que je viens d’énumérer, il n’y a plus à citer que de vieux navires, encore utilisables à la rigueur dans le service de la surveillance et de la défense du littoral. Tels, 5 torpilleurs de 85 tonnes, qui datent de 1886 ; tels encore 12 ou 15 avisos, canonnières et vedettes ; tels, enfin, les 2 petits cuirassés qui constituèrent, il y a quelque trente ans, le noyau primitif de la flotte grecque et qui sont aujourd’hui employés comme bâtimens-écoles ou casernes, le Vassilevs-Georgios et la Vassilissa-Olga.

Une mention, toutefois, à 3 ou 4 croiseurs auxiliaires que le ministre de la Marine grecque a empruntés à une flotte à vapeur marchande dont les progrès, depuis quelques années, sont fort remarquables[8] et qui fournit à la flotte de guerre un excellent fonds d’équipages bien dégrossis.


Il est difficile de reconnaître le même avantage à la marine turque. L’Osmanli a pu être marin, autrefois, du temps du grand corsaire Barberousse. Encore est-il probable que les meilleurs auxiliaires de l’habile Kaïreddin étaient des rayas et, précisément, des Grecs, attirés sous son pavillon par l’appât du butin. Mais ces temps sont changés. Depuis Lépante, la marine turque n’a cessé de décliner, et le marin ottoman s’est toujours montré fort médiocre, quoique très brave et très dévoué. A Tchesmé, à Navarin, à Sinope, il a su mourir glorieusement pour sa foi et pour le Kalife. Mais, savoir mourir, ce n’est pas assez pour vaincre...

Faut-il en conclure que la flotte dont je vais donner la composition serait absolument incapable, faute de personnel compétent, de se mesurer avec l’escadre grecque[9] ? Non, ce serait hasardeux, car j’ai des raisons de croire que le grand Empire de l’Europe centrale qui, depuis quinze ou vingt ans, témoigne à la Turquie une amitié dont quelques-uns contestent le désintéressement, a fourni, ou laissé fournir à sa marine le précieux secours d’un personnel technique et militaire parfaitement dressé. Tous les marins, mécaniciens, électriciens, torpilleurs, canonniers, etc., d’origine germaine qui ont conduit de la mer du Nord ou de la Baltique dans le Bosphore les 2 cuirassés Weissemburg et Kurfürst Friedrich Wilhelm, ainsi que les 4 « destroyers » achetés à la maison Schichau, n’ont pas regagné les côtes embrumées de leur patrie. Il en est resté à Constantinople, et non des moindres...

Quoi qu’il en soit, voici l’ordre de bataille de la flotte ottomane actuelle :

3 cuirassés d’escadre :

a) Le Messoudieh (9 100 tonneaux), qui date de 1874, mais a été refondu en 1904 : vitesse de 13 nœuds ; cuirassement de 305 millimètres à la flottaison et 25 au pont principal ; armement : 2 canons de 240 millimètres ; 12 de 150 ; 14 de 76 ; 10 de 57.

b) Kaïreddin Barbarossa (ex « Kurfürst Friedrich Wilhelm ») et Torgout Reiss (ex « Weissemburg »), bâtimens de 10 000 tonnes, 16 nœuds de vitesse, 400 millimètres et 65 de cuirassement ; armés de 6 canons de 280 millimètres, 8 de 105 et 8 de 88 ; plus, 3 tubes lance-torpilles<ref> On construit chez Armstrong (Newcastle) un dreadnought de 21 000 tonnes. </ef>.

4 petits cuirassés anciens, pouvant être considérés comme garde-côtes :

Avn-I-Illah, Mouïn-l-Zaffer, Feth-l-Boidend, Assar-I-Tewfik ; dates de lancement : 1867-70, refonte en 1907 ; caractéristiques : 3 000 tonnes ; 12 nœuds ; 200 millimètres et 30 millimètres de cuirassement ; 4 canons de 150 millimètres, 6 de 75 et 10 de 57. Pas de cloisonnement, :

2 croiseurs protégés modernes :

Hamidieh, Medjidieh, date de lancement : 1903 ; caractéristiques : 4 000 tonnes ; 22 nœuds ; de 50 à 100 millimètres de cuirasse sur le pont principal ; 2 pièces de 150 millimètres, 8 de 120, 6 de 47 et 2 tubes.

10 contre-torpilleurs assez neufs (1906-1910), de 400 à 700 tonnes ; les 4 plus récens, achetés à la maison Schichau, de Dantzig, filent 36 nœuds, ont 3 tubes lance-torpilles et portent 2 canons de 75 millimètres avec 6 de 57.

12 torpilleurs médiocres, échelonnés de 1900 à 1905.

20 canonnières sans valeur militaire.

On sait que le Hamidieh a été gravement avarié par une torpille bulgare et que l’un des quatre petits cuirassés a coulé, en rade de Salonique, sous les coups d’un torpilleur grec.

La force navale active effectivement disponible se compose donc de : 3 cuirassés d’escadre et un éclaireur (Medjidieh), formant l’escadre de ligne ;

10 contre-torpilleurs et quelques torpilleurs, formant l’escadre légère ;

3 petits cuirassés, formant l’escadre de réserve.

Telle était, du moins, la distribution des diverses unités à la fin de la guerre italo-turque[10].


Ainsi, d’un côté, — celui des Hellènes, — 3 cuirassés de 5 000 tonnes, 1 croiseur cuirassé de 10 000 et 8 contre-torpilleurs ; de l’autre, — celui des Ottomans, — 3 cuirassés de 10 000 tonnes, 1 éclaireur ou croiseur protégé et 10 contre-torpilleurs ; soit, pour les premiers, à ne considérer que l’artillerie grosse et moyenne : 9 canons de 275 millimètres, 4 de 234, 8 de 190, 15 de 150 et 3 de 100 ; et pour les seconds : 12 de 280 millimètres, 2 de 240, 14 de 150, 8 de 120 et 8 de 105.

Ces valeurs sont, en somme, comparables et, n’était que les Grecs paraissent mieux entraînés, — par le seul fait de l’activité qu’ils ont déployée depuis le commencement des hostilités, — les deux escadres seraient à peu près équivalentes. Je tiens pourtant que la présence du Georgios Averoff du côté des Hellènes confère à ceux-ci un appréciable avantage. Sans doute, si les Turcs tiraient bien, la ligne de bataille formée par les Hydra, Psara et Spetsaï ne tarderait pas à être désorganisée par le feu prépondérant de la ligne des Messoudieh, Kaïreddin Barbarossa

et Torgout Reïss, mais, grâce à sa vitesse très supérieure, l’Averoff se portera sur l’avant de cette dernière ligne, — il barrera le T, pour employer l’expression consacrée en pareil cas, — et accablera le bâtiment de tête des coups de ses 4 canons de 234 millimètres et des 4 de 190 qu’il peut présenter par le travers.

J’ajoute qu’à tort ou à raison (car il est très difficile de savoir exactement où en sont les Turcs au point de vue de l’utilisation des bâtimens torpilleurs), j’ai plus de confiance dans l’efficacité des destroyers hellènes que dans celle des destroyers ottomans, en dépit de ce qu’ils ont pu garder de personnel « européen. »

Les torpilleurs, petits ou grands, sont les brûlots des anciennes guerres navales, et l’on sait que les Grecs excellèrent toujours dans le maniement de ces engins.

« Mais enfin, m’objectera-t-on peut-être, quel avantage essentiel les Hellènes ou, pour mieux dire, les alliés balkaniques eussent-ils retiré, dans leur attaque des lignes de Tchataldja et dans leur entreprise finale sur Constantinople, des opérations maritimes, résolument offensives que vous préconisez, et qui, après tout, eussent fait courir à l’escadre grecque des risques fort sérieux ? »

Sans parler de l’effet moral, — et j’en pourrais parler cependant, car enfin c’est là un de ces « impondérables » dont l’importance, à la guerre, ne saurait être discutée, — il suffit de jeter les yeux sur la carte[11] pour trouver immédiatement la réponse à cette question.

En effet, tant qu’une force navale grecque n’a pas pénétré dans la mer de Marmara, les renforts venus par mer aux alliés ne peuvent descendre qu’à Enos ou dans le golfe de Saros, au Nord et en dehors de la presqu’île de Gallipoli ; ils ne sauraient donc suivre d’autre route que celle de Kesham, Malgara, Rodosto, Eregli et Silivri. Arrivés là, ils se joignent sans doute à l’aile droite bulgare, mais, pas plus qu’elle, ils ne peuvent tourner la gauche des lignes de Tchataldja, puisque celle-ci s’appuie à la mer et à une division de navires turcs.

La situation change complètement dès que l’escadre grecque a forcé les Dardanelles. A supposer même qu’après avoir, comme je l’ai dit, paralysé et détruit les batteries de la côte d’Europe en les prenant à revers, les Hellènes n’aient pas pu faire passer CROQUIS du Théâtre des Opérations Maritimes

(Dardanelles, Mer de Marmara, Bosphore) </ref> Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/198 le détroit, — en raison des batteries de la côte d’Asie, — à leur flotte de transport, il n’est pas douteux qu’à Gallipoli, Rodosto, Silivri, Artaki, Gemlik, Ismidt, ils trouveraient un nombre plus que suffisant de bateaux de toute espèce pour embarquer une forte division d’infanterie et quelques batteries de montagne[12], qu’ils iraient débarquer, — après avoir battu la flotte turque, s’entend, — vers San Stefano, sur la plage de Kutchuk-Tchekmedjé, qui est à une quinzaine de kilomètres en arrière des lignes. Et là, ce ne serait plus seulement de l’effet moral qui serait produit...

Au surplus, qu’on n’oublie pas que Constantinople même n’est pas défendue. Soit le Bosphore (qui n’est fortifié qu’à partir de Beïkos, dans sa partie Nord), soit les Dardanelles franchis, la vieille capitale de tant d’empereurs et de sultans est à la merci des canons d’un navire de guerre. L’escadre grecque, même aussi éprouvée qu’on la veuille supposer après sa lutte contre l’escadre turque, y aurait donc dicté sa loi. Les bâtimens de l’escadre internationale se seraient bornés à recueillir leurs nationaux, tout au plus à couvrir Péra et Galata. Mais, justement, ce n’est ni Péra, ni Galata qui s’offrent aux vues — et aux coups — lorsqu’on aborde Constantinople par la mer de Marmara, c’est Stamboul, c’est le château des Sept-Tours, léni Kapou, Koum Kapou, l’ancien Boukoléon et la mosquée d’Achmet aux six minarets et Saint-Sophie et le vieux sérail, toute la magnifique, pittoresque, mais impuissante Turquie des romantiques...

Quel admirable rêve pour la marine grecque et comment n’a-t-elle pas tout fait au monde pour vivre ce rêve en réalité !


Mais la flotte turque elle-même, qui semble à peine sortir de sa torpeur et dont on dit aujourd’hui qu’elle pourrait bien présenter le combat aux Hellènes, au dehors des Dardanelles, pourquoi n’a-t-elle pas agi plutôt, et vigoureusement, je ne dis même pas dans la mer Egée, où l’escadre grecque était sans doute mobilisée bien avant elle, mais au moins dans la Mer-Noire, où les torpilleurs bulgares ne furent prêts à marcher qu’au bout d’un mois ?

Et je sais bien que, de cette flotte turque, deux ou trois unités, au début des hostilités, allèrent jeter quelques obus sur Kavarna. Mais il y avait mieux à faire. Il y avait à former le plus tôt possible, à Sinope, à Trébizonde, à Samsoun, un convoi capable de porter une forte division de rédifs des vilayets du Nord de l’Anatolie, de ceux dont les contingens, acheminés par les interminables voies de terre, — par les pistes de caravanes, — arrivèrent bien après Kirk-Kilissé et Lulé-Bourgas sur le théâtre des opérations, où les attendait le choléra.

Ce convoi formé en quelques jours, car les élémens ne manquaient pas dans ces ports fréquentés de la côte méridionale de l’Euxin, il fallait le diriger soit sur Bourgas, soit sur Varna et y débarquer ces 12 ou 15 000 hommes, la côte n’étant pas sérieusement défendue, de même que la mer était libre.

« Mais qu’auriez-vous prétendu faire de cette poignée d’hommes, alors que la Bulgarie mobilisait plus de 200 000 soldats ? » diront peut-être les stratégistes à principes absolus qui font fi des diversions. — Tout simplement retarder la marche si rapide, foudroyante, a-t-on dit, et le mot n’est pas trop fort, de cette aile gauche bulgare, qui, partie du quadrilatère Varna-Choumla-Slivno-Bourgas, a mnené le train contre la grande armée turque, l’a assaillie brusquement par son extrême droite et culbutée à Kirk-Kilissé.

« Elle ne se serait pas arrêtée, ni détournée de son objectif pour jeter à la mer vos 15 000 Turcs... » m’objectera-t-on. Qu’en savez-vous ? En tout cas, si on les eût laissés libres d’occuper Bourgas, par exemple, port assez important, où ils auraient au moins trouvé les vivres et les souliers dont manquaient les corps d’armée groupés autour d’Andrinople, les 15 000 Turcs dont je parle se seraient promptement renforcés d’une nouvelle division, peut-être d’une troisième, et alors la diversion ne pouvait plus être négligée, car il ne s’agissait de rien moins que d’un corps d’armée prenant à revers l’aile gauche bulgare...

En résumé et quelques biais qu’il prit, le grand état-major ottoman aurait dû largement user de la mer, — où tout est chemin, — et de sa marine, au fur et à mesure que les élémens en étaient mobilisés, pour agir sur le flanc découvert du déploiement de ses adversaires, en vue de retarder leur concentration et le coup de massue qui en était l’inévitable conséquence. Les quatre ou cinq torpilleurs bulgares n’étaient pas prêts, je le répète, et l’eussent-ils été que l’on avait de quoi les refouler avec la douzaine de bons « destroyers » dont on pouvait disposer, moyennant un peu d’activité. On a dit que les torpilles de ceux-ci n’étaient pas réglées. Mais, justement, dans la Mer-Noire et contre les torpilleurs bulgares, ce n’était pas de torpilles qu’ils avaient besoin. Leurs canons suffisaient...

Au fond de tout cela, avec l’insouciance et l’inertie turques, il y a peut-être cette préoccupation obsédante que l’on retrouve toujours à notre époque, quand il est question de transport de troupes par mer après le début des hostilités et qui se traduit par le principe absolu qu’on ne peut, qu’on ne doit rien tenter de semblable avant d’être maître de la mer.

Je viens de dire « à notre époque. » C’est qu’en effet, ce principe est nouveau ; et je crois bien que c’est nous qui l’avons formulé les premiers, obéissant involontairement aux suggestions de cette mentalité circonspecte, timide, que nous ont faite nos grands désastres d’il y a quarante ans.

De ce fâcheux principe les Japonais ne s’embarrassèrent jamais, ni en 1894, dans leur guerre contre la Chine, ni en 1904-1905, dans leur formidable duel avec la Russie, où ils ne furent réellement maîtres de la mer que tout à la fin, grâce à Tsou-Shima et lorsque, depuis longtemps déjà, leurs armées couvraient le Sud de la Mandchourie.

Ils perdirent bien quelques transports, ce qui donna même lieu, on s’en souvient, a d’admirables scènes d’abnégation et d’héroïsme ; mais enfin, pour un de coulé, — fortune de guerre ! — trente autres passaient sans encombre et en quelques semaines la grande armée du maréchal Oyama était constituée.

On ne s’embarrassait pas davantage d’une telle prudence chez nous, en Europe, dans les grandes guerres d’autrefois ; et si je remontais jusque dans l’antiquité, je retrouverais la même fermeté tranquille devant un genre de périls que, seul, un mirage d’imagination peut rendre particulièrement impressionnant.

Laissons là pourtant les grandes expéditions maritimes des anciens. Ne rappelons pas le passage de l’Adriatique par les légions de César en face des vaisseaux de Pompée. Choisissons seulement dans les temps modernes quelques exemples d’heureuse combinaison d’efforts sur terre et sur mer, quelques bons modèles d’adaptation exacte des facultés des flottes aux besoins des armées, parmi tous ceux que nous donne l’histoire militaire de 1790 à 1815. Nous y relèverons presque toujours, comme trait caractéristique, non pas l’insouciance, mais bien l’acceptation très délibérée, très ferme aussi, des chances contraires que peut entraîner, pour les assaillans, le fait que la force navale adverse n’est pas anéantie.

Il y a, dans cet ordre d’idées, de remarquables opérations des Suédois dans la Baltique, contre les Russes. Ces opérations sont peu connues en France parce qu’elles se déroulèrent en 1790, et que nos historiens de cette époque s’hypnotisent volontiers sur nos affaires intérieures. Quoi qu’il en soit, Gustave III voulait reprendre les districts finlandais cédés par la Suède à l’empire moscovite par le traité d’Abo. Après deux campagnes malheureuses, en 1788 et en 1789, il mit à la mer, au commencement de mai 1790, d’une part, une flotte de 23 vaisseaux et 25 frégates ou corvettes, commandés par le duc de Sudermanie, son frère ; de l’autre, une imposante flottille de 300 péniches, portant 2 000 canons et une armée de débarquement, sous l’escorte d’une escadre de bâtimens légers. Prenant en personne la direction de ce rassemblement, il battit à Frederiksham, le 15 mai, la flottille russe et opéra sa descente entre Viborg et Pétersbourg. L’alarme était grande dans cette capitale. Malheureusement, le roi de Suède perdit du temps pour marcher en avant et, de son côté, le duc de Sudermanie ne réussit pas à empêcher les deux divisions de la flotte russe, celle de Revel et celle de Cronstadt, de faire leur jonction sur le champ de bataille de Borgö.

La maîtrise de la mer, indécise jusque-là, passait décidément aux Russes !

Pendant un mois, vaisseaux suédois, frégates, péniches, troupes de débarquement, et Gustave III lui-même furent bloqués dans Borgo par la flotte moscovite. Mais, dans la nuit du 3 au 4 juillet, plusieurs brûlots audacieusement conduits mirent le désordre dans les vaisseaux de l’amiral Tchitchakof (c’est le résultat que l’on obtiendrait maintenant avec une brusque attaque de torpilleurs, par nuit noire) ; l’escadre suédoise se jeta à son tour sur l’adversaire et le Roi profita du combat, qui fut long et acharne, pour prendre le large avec sa flottille.

Trop tôt fatigué de cette guerre où le succès semblait lui revenir, préoccupé d’ailleurs de la situation intérieure de son royaume, Gustave III, à qui l’on reprocha fort son inconstance et sa légèreté, signa le 14 août suivant le traité de Vœrélœ. Rien n’était changé en Finlande et l’heureuse Russie avait échappé à un danger sérieux.

Retenons ici, en tout cas, la fière audace de l’entreprise, digne des beaux temps de la Suède, sous le grand Gustave et sous Charles XII.

Moins aventurée sans doute, mais chanceuse encore était l’expédition que les Anglais préparaient, au commencement de 1801, pour nous enlever l’Egypte. Pas beaucoup plus que la flotte suédoise en 1790, la flotte anglaise n’était maîtresse de la mer, du moins de la Méditerranée orientale. Or, le corps expéditionnaire se rassemblait à Makri, en Asie Mineure, en même temps que les 60 ou 70 voiles qui devaient le jeter sur la place d’Aboukir, sous la protection des 7 vaisseaux de ligne et des 4 frégates de lord Keith. Pendant ce temps le gouvernement consulaire, parfaitement au courant des desseins de l’Angleterre, s’occupait activement de faire passer des renforts à l’armée d’Egypte, sensiblement réduite depuis les trois années qu’elle occupait le pays. Je passe sur diverses mesures de détail[13] et sur des mouvemens d’escadre, françaises ou espagnoles, qui avaient pour objet de distraire l’attention des forces navales anglaises de l’Océan et du détroit de Gibraltar. Le point essentiel est que le vice-amiral Ganteaume, sorti de Brest, le 23 janvier 1801, par coup de vent de Nord-Ouest, avait réussi à pénétrer dans la Méditerranée avec 7 vaisseaux et 2 frégates, force égale à celle que l’Amirauté avait donnée à lord Keith. Malheureusement l’officier général français n’avait ni la sûreté de vues, ni la fermeté de caractère nécessaires dans les circonstances où il se trouvait. A peine eut-il passé le détroit qu’il se crut entouré par les escadres anglaises, alors qu’il n’y avait dans le bassin occidental de la Méditerranée que les quatre vaisseaux du commodore Warren, chassés justement de Gibraltar par l’arrivée inopinée de l’escadre française. Ganteaume s’avisa donc de relâcher à Toulon, le 19 février, au lieu de pousser droit dans l’Est ; il resta au port un long mois et lorsqu’il appareilla, le 22 mars, les 18 000 Anglais de sir Ralph Abercrombie avaient déjà, depuis seize jours, opéré leur descente à Aboukir, malgré les efforts du brave Priant et de ses 1 500 soldats. La perspective de voir 7 vaisseaux et plusieurs frégates se jeter sur l’énorme convoi qu’il escortait n’avait pas ému lord Keith[14].

Mais si nous voulons parler de l’audace dans la conception autant que de l’habile ténacité dans l’exécution, en ce qui touche ces expéditions d’outre-mer, quel plus bel exemple à donner que celui de notre propre expédition d’Egypte, dont il ne faut pourtant pas attribuer le mérite exclusif à Bonaparte, car enfin une bonne part, dans la décision, en revient au Directoire et une autre, dans l’exécution, à la Marine. Or, en mai-juin 1798, la situation, dans la Méditerranée, était singulièrement menaçante. L’actif, l’entreprenant Nelson était là, avec 14 vaisseaux, des meilleurs qui aient jamais battu les mers !...

Et pourtant si, à la secrète pensée des périls qu’ils devaient courir pendant une traversée que tout annonçait fort longue, — elle dura trente-quatre jours, défalcation faite de la relâche à Malte, — le cœur de Brueys et de ses lieutenans battait plus vite, rien n’en paraissait sur leurs visages. La correspondance

Napoléon et le Mémorial de Sainte-Hélène font foi de la sérénité d’âme qui régnait à bord de l’Orient, de l’élévation et de la gaieté des entretiens...

Tout avait été, d’ailleurs, admirablement disposé, à bord de nos 13 vaisseaux, par les soins du général en chef et de l’amiral, pour recevoir chaudement l’escadre anglaise, tout en couvrant le convoi.

« C’était l’étoile du grand homme, dira-t-on. Près de lui, sous son égide, tous se sentaient en confiance... »

Soit ! Mais remontons à deux années en arrière.

A la fin de 1796, dans la pire saison de l’année et dans les parages les plus difficiles, une grande expédition maritime se prépare ; il s’agit de porter de Brest en Irlande Hoche et 22 000 soldats. Jamais, au demeurant, on n’avait été moins maître de la mer, au sens absolu que l’on donne aujourd’hui à cette expression. Villaret-Joyeuse, d’abord désigné comme chef maritime de l’opération, ne tarda pas à se récuser, excédé, il faut le dire, des extraordinaires prétentions de Hoche[15]. Morard de Galle, un des brillans officiers de Suffren dans l’Inde, lui succéda et finit par appareiller le 15 décembre avec 17 vaisseaux, 26 frégates ou corvettes et 20 transports. Malheureusement, dès la première nuit, cette flotte se disloqua et dès lors chacun navigua « à la part, » pour employer l’expression pittoresque des marins. Quelques jours après, cependant, l’ennemi n’ayant pas paru, du moins en force suffisante, les cinq sixièmes du corps expéditionnaire se trouvaient au point de rendez-vous fixé, au fond de la baie de Bantry, où pas un seul soldat anglais ne se montrait, du reste. Mais, par une singulière fatalité, la frégate qui portait les deux chefs de l’expédition, Hoche et Morard de Galle, n’apparaissait pas non plus. Battue par les vents contraires, chassée par des frégates ennemies, convaincue, on ne sait trop pourquoi, que l’armée navale était dispersée sans remède, la Fraternité, après avoir erré plusieurs jours sur la mer, revint à Brest. Pendant ce temps, on délibérait à Bantry-bay. Le contre-amiral Bouvet, sans montrer beaucoup d’empressement pour l’opération, ne refusait pas d’opérer la descente. La décision, à cet égard, appartenait évidemment au plus ancien des officiers généraux de l’armée. Cet officier ne put se déterminer à débarquer, bien que, encore un coup, rien ne l’en empêchât. Il y a sans doute, pour l’échec, comme pour le succès des grandes entreprises, des hommes marqués par le destin... Celui-ci s’appelait Grouchy.

L’expédition d’Irlande ne coûta en somme que quelques centaines d’hommes, capturés sur une frégate ou coulés sur deux autres. Au retour à Brest, le vaisseau rasé les Droits de l’Homme, gravement compromis par le mauvais temps, fit côte à Audierne après un magnifique combat soutenu contre les Anglais, enfin ralliés aux atterrages de la Bretagne.

Ainsi donc, cette fois encore, l’audace, la témérité même de l’entreprise, si elle n’obtenait pas le succès, — il ne s’en fallut que du courage moral d’un seul homme ! — du moins en imposait à la fortune contraire.


En commençant cette étude, je parlais de la souplesse avec laquelle des flottes bien constituées et intelligemment maniées se prêtent à toutes les circonstances et adaptent leurs facultés à tous les besoins des armées en campagne. Je ne puis mieux finir sans doute qu’en en fournissant un exemple remarquable, qu’il me faut malheureusement emprunter aux Anglais, puisque aussi bien personne n’a su mieux qu’eux se servir de la force navale pour multiplier le pouvoir offensif de la force terrestre.

Au cours de l’été de 1812, pendant que Napoléon et son immense armée s’enfonçaient au cœur de la Russie, lord Wellington, à qui des circonstances heureuses avaient permis de s’emparer successivement des deux portes d’entrée du Portugal en Espagne, Badajoz au Sud, Ciudad Rodrigo au Nord, méditait d’envahir la province de Salamanque et la Vieille-Castille pour menacer les communications de nos armées avec la France par la Navarre et Bayonne. Le maréchal Marmont, chargé, après Masséna, du lourd commandement de l’armée que l’on appelait encore « de Portugal, » bien qu’elle eut complètement évacué ce pays, voyait venir le péril et demandait du secours au roi Joseph et à ses collègues, les commandans des armées du Nord (Asturies, Guipuzcoa, Biscaye), d’Aragon, Catalogne et Valence, enfin d’Andalousie.

Il ne comptait en effet que 42 000 hommes, une élite, à la vérité, pour arrêter les progrès des 56 000 soldats anglo-hispano-portugais de Wellington[16].

Ce dernier, parfaitement certain que son adversaire immédiat chercherait à se procurer des renforts, prit alors, en parfait accord avec le gouvernement et l’amirauté anglaise, les judicieuses mesures que voici :

La force navale de la Méditerranée fut chargée de se montrer activement sur le littoral espagnol, de Tarragone à Alicante, et d’affecter d’y chercher un point de débarquement favorable à l’armée anglo-sicilienne qu’organisait à Palerme sir William Bentinck, vrai souverain de la Sicile à cette époque, pour le compte de l’Angleterre. Disons tout de suite que, de ce côté, la feinte n’était pas complète. Les Anglais avaient bien l’intention d’exécuter cette descente, mais, en fait, l’opération n’eut lieu qu’après les événemens qui nous occupent. Toujours est-il que le maréchal Suchet, quoique parfaitement intentionné pour le bien commun, dut refuser de concourir à la défense delà Vieille-Castille et se borner à faire avancer une de ses divisions vers le centre de l’Espagne, pour permettre au roi Joseph d’en détacher une de Madrid vers Salamanque.

Du côté de l’Andalousie où commandait, où régnait, peut-on dire, le maréchal Soult, homme de guerre de premier ordre, mais médiocre camarade, la division navale anglaise du détroit eut la mission de multiplier les opérations d’embarquemens, de coups de main, de réembarquemens rapides qu’elle exécutait avec les contingens espagnols, renforcés de quelques Anglais, commandés par Ballesteros. Il n’en fallait pas plus — avec certaines démonstrations du général Hill qui commandait à Badajoz — pour faire pousser les hauts cris au duc de Dalmatie, quand l’état-major du roi Joseph lui demanda d’acheminer 10 ou 12 000 hommes vers Salamanque. Donc, de ce côté-là encore, le maréchal Marmont ne devait rien obtenir.

Du moins comptait-il sur le secours de l’armée la plus rapprochée de la sienne, l’armée du Nord, sous Dorsenne, d’abord, sous Caffarelli ensuite. Ce dernier avait même promis une dizaine de mille hommes, sur les 45 000 dont il disposait, et c’était beaucoup. C’eût été assez, en tout cas, pour tenir tête à l’armée de Wellington et pour conjurer la funeste échauffourée des Arapiles.

Malheureusement, dès le début de juillet, le bruit se répandit, sur la côte du Nord de l’Espagne, de la prochaine arrivée d’une flotte anglaise portant un corps de débarquement.

Caffarelli, qui avait plus de dévouement et de bravoure personnelle que de discernement, fit accueil à cette nouvelle et se hâta d’avertir Marmont qu’il n’était plus assuré de pouvoir lui envoyer les 10 000 hommes promis. La flotte annoncée parut en effet et fit, sur ce long littoral qui court de l’Est à l’Ouest, force démonstrations, en même temps que les guérillas espagnoles redoublaient d’activité. Il n’y eut d’ailleurs pas un homme de mis à terre par les navires anglais, — et pour cause ! la Grande-Bretagne n’avait plus un soldat disponible, — mais seulement quelques canons de montagne et des munitions qui, passés de guérillas en guérillas, parvinrent un mois plus tard à Wellington, tandis qu’il assiégeait le château de Burgos.

Se voyant, ou se croyant réduit à ses seules forces (car, pour comble de disgrâce, le roi Joseph, tout en lui envoyant quelques milliers d’hommes pris à l’armée du centre, l’armée de Madrid, négligea de l’avertir en temps utile de la mise en route de ce renfort), le maréchal Marmont ne perdit pas courage. Il eut même la téméraire confiance de manœuvrer de très près sur le flanc de l’armée anglaise, aux environs de Salamanque ; et c’est ainsi que s’engagea, le 22 juillet, sans dessein prémédité de la part des deux généraux en chef, la bataille des Arapiles, où, dès le début, Marmont, Bonnet, son successeur et Clausel, successeur de Bonnet, furent blessés grièvement. Clausel, pourtant, put rester à cheval, retirer du feu quatre divisions compromises et diriger la retraite sur le Douro que l’on repassa sans encombre. Le surlendemain il recevait de Caffarelli deux régimens de cavalerie dont le commandant de l’armée du Nord estimait pouvoir se passer, sur la côte montagneuse des Asturies, « pour repousser, disait-il, les Anglais qui vont débarquer... »

En définitive, les habiles feintes de Wellington et l’activité de la marine anglaise avaient eu un plein succès. Dans l’Est, dans le Sud, dans le Nord de la Péninsule, les chefs militaires français, incertains, l’imagination hantée par les souvenirs du Helder, d’Aboukir, de Canope, de Sainte-Euphémie, de Vimieïro, s’en étaient laissé imposer par les démonstrations de vaisseaux qu’ils croyaient bondés de troupes anglaises. Et il était arrivé ceci que, sur les 230 000 hommes que nous avions alors en Espagne, on n’avait pu en opposer aux Anglais que 42 000, sur le principal théâtre d’opérations, sur le champ de bataille où allait se décider le sort de la campagne.

Cinquante-huit ans plus tard, à la fin de juillet 1870, une escadre cuirassée française circulait sur le littoral de la Baltique. Elle apparaissait successivement à l’ouvert de la baie de Kiel, devant Swinemünde, devant Colberg, devant Dantzig enfin ; mais l’on sentait trop que ce n’était là qu’une vaine parade, une promenade militaire sans portée. Cette force navale, en effet, n’était suivie d’aucun navire de charge ; elle ne montrait point comme on l’a dit alors, « un seul pantalon rouge… »

Et pourtant l’effet moral de l’arrivée de notre escadre, doublé par la connaissance que l’on avait des projets de descente caressés par le gouvernement français, cet effet moral, — incertitude, anxiété, émoi des populations, prévoyance qui ne veut pas se laisser prendre en défaut, — tout cela faisait que le grand état-major allemand retenait sur la côte le corps d’armée n° II, un des meilleurs (les Poméraniens), et la 13e division d’infanterie (Mecklembourg).

Ce ne fut que bien des jours après l’apparition des sept frégates blindées de l’amiral Bouët-Willaumez, vers le 10 août, quand il devint évident que nous ne songions pas du tout à faire un débarquement, que les Poméraniens furent dirigés sur la Lorraine. Arrivés à Pont-à-Mousson le lendemain de Rezonville et la veille de Saint-Privat, acheminés sur Mars-la-Tour d’abord, puis sur le « Point-du-Jour » où, depuis le matin du 18, la droite allemande luttait contre la gauche française, ils apparurent comme des sauveurs sur le champ de bataille, à la nuit tombante, juste à temps pour recueillir les VIIe et VIIIe corps et pour épargner à la 1re armée une déroute qui eût largement balancé l’avantage que la 2e remportait au même moment sur notre aile droite, à Saint-Privat et à Roncourt[17].

Il est douloureux de penser que quelques feintes faciles à imaginer et à faire exécuter par notre escadre qui, elle, était absolument maîtresse de la mer, eussent suffi à retenir quelques jours de plus le IIe corps sur le littoral de la Baltique. Le résultat, — ce n’était rien moins, peut-être, que le sort de la guerre, - ; — valait bien sans doute qu’on armât quelques transports ou que l’on frétât au Havre quelques vapeurs pour y embarquer un ou deux milliers d’hommes. Avec les compagnies de débarquement de l’escadre, cela faisait une petite brigade, et il n’en fallait pas plus pour des coups de main adroitement combinés en vue de tenir en haleine, sur un littoral très étendu, un adversaire qui restait forcément indécis sur l’exacte valeur de la force que nous mettions en jeu.

Quelle différence, avouons-le, entre la manière dont les Anglais de 1812, et les Français de 1870 entendaient l’utilisation de la Marine ! Soyons assurés d’ailleurs qu’entre les deux méthodes, ce serait celle des Anglais que choisiraient les Allemands d’aujourd’hui, ces Allemands à qui nous avons laissé prendre sur mer une si formidable et si inquiétante avance !

Contre-Amiral D...


P.-S. — Pendant l’impression de cet article, Grecs et Turcs se sont rencontrés devant l’entrée des Dardanelles, les 17, 18 et 20 décembre. Chacune des deux flottes s’est considérée comme victorieuse, et il est difficile, pour le moment, de les départager. Il semble acquis, toutefois, que les deux bâtimens amiraux, Kaïreddin Barbarossa et Georgios Averoff ont été assez sérieusement éprouvés, le premier plus encore que le second.

Les Turcs étant toujours restés à la portée du feu des ouvrages extérieurs des Dardanelles, le Georgios Averoff n’a pu employer efficacement la tactique, tout indiquée pour lui, dont je parlais plus haut.

En tout cas, les Grecs doivent bien regretter aujourd’hui d’avoir laissé à la marine turque le temps de s’organiser, d’éprouver ses canons et ses pointeurs, de régler ses torpilles, d’affermir le cœur de ses équipages.


D...

  1. Smieli, Berzi, Krabiii, A, B, C, caractéristiques : 100 tonnes de déplacement, 26 nœuds de vitesse, 3 tubes lance-torpilles. Les trois premiers de ces torpilleurs ont été construits par le Creusot, dans son chantier de Chalon-sur-Saône.
  2. On dit, en revanche, que l’escadrille de contre-torpilleurs grecs aurait accompagné à Dédéagatch les transports qui avaient embarqué une division bulgare à Salonique. L’opération aurait porté sur 17 000 hommes et 3 000 chevaux, ce qui est beaucoup, en vérité.
  3. Il est probable que la viabilité est fort défectueuse, en arrière de la route côtière qui relie tous les ouvrages des Dardanelles. Mais des canons de montagne passent partout, à dos de mulets. L’armée grecque n’en manque pas. Quant aux soldats hellènes, ce sont, on le sait, d’excellens fantassins en terrain accidenté.
  4. Ajoutez à cela qu’en tirant sur des bâtimens qui rasent la rive d’Europe, les obus des canons d’Asie atteindraient fréquemment les ouvrages opposés.
  5. L’expérience prouve qu’il ne faut pas toujours se croire découvert lorsque l’on est accidentellement balayé par le faisceau lumineux d’un projecteur.
  6. Les chaudières de ces trois petits cuirassés sont actuellement usées. On ne pourrait leur demander que 12 nœuds, au plus, peut-être 13 nœuds, dans une circonstance exceptionnelle.
  7. Il est intéressant de comparer cet armement formidable à celui de notre type Marseillaise, de même déplacement : 2 canons de 19 centimètres ; 8 de 16 centimètres ; 6 de 10 centimètres ; 18 de 47 millimètres ; 2 tubes. La Marseillaise n’a d’ailleurs donné aux essais que 21m,6.
  8. Le département de la Marine insiste avec raison dans un rapport récent sur les services rendus par la flotte marchande hellénique ; 95 des bâtimens de cette flotte ont été réquisitionnés pour les besoins des opérations de la guerre actuelle. La division bulgare dont j’ai parlé plus haut a été transportée de Salonique à Dédéagatch sur les 17 plus grands et meilleurs navires à vapeur de la flotte en question.
  9. On apprend on ce moment, même, — 12 décembre, — que l’escadre turque, débarrassée par l’armistice du souci de flanquer les lignes de Tchalaldjo,, aurait quelque velléité de présenter le combat, devant l’entrée des Dardanelles, à l’escadre hellénique.
  10. Aux dernières nouvelles, le petit cuirassé Assar-I-Tewfick, le meilleur des quatre, aurait été rattaché à l’escadre de ligne.
  11. Voyez le croquis ci-joint.
  12. Je trouve dans les nouvelles du jour, à propos des batteries de canons de montagne grecque, la confirmation de la facilité avec laquelle elles s’adaptent à toutes les exigences du terrain et savent se passer de chemins frayés. C’est dans les opérations difficiles conduites autour de Janina. Un correspondant du Journal des Débats les a vues s’établir sur des pics réputés inaccessibles qui dominent le défilé de Pente Pigadia.
  13. 4 frégates furent envoyées isolément pour porter des troupes à Alexandrie. 3 arrivèrent à bon port ; la 4e, l’Africaine, fut capturée par la frégate anglaise Phœbé après un sanglant combat.
  14. Je ne m’étends pas sur les opérations de Ganteaume après sa sortie de Toulon. Elles furent très accidentées, très contrariées. L’occasion perdue ne se laisse pas reprendre ! Il parvint cependant, — mais en mai seulement, — à Derna, à vingt lieues à l’Ouest d’Alexandrie, le Derna dont il a été fort question ces temps-ci ; et il fut tenté d’y débarquer les troupes que portaient ses vaisseaux. Réflexion faite, il s’en abstint. A son retour, il captura un vaisseau anglais de lord Keith, ce qui prouve bien que celui-ci n’était pas absolument maître de la mer.
  15. Le jeune général n’avait aucune idée des difficultés que créaient à l’amiral l’état de désorganisation de nos arsenaux, la vétusté de la majeure partie des vaisseaux, la pénurie du personnel essentiellement marin — les gabiers, notamment — enfin l’insuffisance des approvisionnemens en filin, toiles, mâtures, vivres, etc. De plus, il s’en laissait imposer par les criailleries des clubs révolutionnaires à Brest et, au fond, cherchait à faire preuve de zèle républicain vis-à-vis du gouvernement central. Ses lettres, sur lesquelles beaucoup d’historiens se sont fondés pour accuser la marine, trahissent à la fois l’incompétence et la légèreté.
  16. Les Anglais étaient au nombre de 36 000 hommes d’infanterie et de 5 000 cavaliers ou artilleurs environ. Avec un tempérament militaire fort différent de celui des « excellens soldats français, » comme les appelait Wellington lui-même, ces troupes étaient de première valeur.
  17. L’imagerie populaire allemande représente, à ce moment critique de la bataille du 18 août, Moltke mettant l’épée à la main pour conduire lui-même les Poméraniens au dernier assaut du « Point-du-Jour. »