Ce chapiteau barbare où des monstres se tordent

Mercure de France (p. 13-14).

III


Ce chapiteau barbare, où des monstres se tordent,

Soudés entre eux, à coups de griffes et de dents,
En un tumulte fou de sang, de cris ardents,
De blessures et de gueules qui s’entre-mordent,
C’était moi-même, avant que tu fusses la mienne,
Ô toi la neuve, ô toi l’ancienne !
Qui vins à moi, du fond de ton éternité
Avec, entre les mains, l’ardeur et la bonté.

Je sens en toi les mêmes choses très profondes
Qu’en moi-même dormir,
Et notre soif de souvenir
Boire l’écho, où nos passés se correspondent.


Nos yeux ont dû pleurer aux mêmes heures

Sans le savoir, pendant l’enfance ;
Avoir mêmes effrois, mêmes bonheurs,
Mêmes éclairs de confiance ;
Car je te suis lié par l’inconnu
Qui me fixait, jadis, au fond des avenues
Par où passait ma vie aventurière ;
Et, certes, si j’avais regardé mieux,
J’aurais pu voir s’ouvrir tes yeux
Depuis longtemps, en ses paupières.