Catherine Tekakwitha/3/7

Imprimerie du Messager (p. 277-287).


CHAPITRE SEPTIÈME


Le tombeau de Catherine Tekakwitha


Après la mort, c’est la mise au tombeau sous quelques pelletées de terre. Le tombeau garde bien sa proie ; il en garde aussi le souvenir. Combien sont-ils ceux dont la mémoire survit à la tombe ? Pour la plupart c’est le grand silence, en attendant le grand réveil.

L’histoire a sauvé de l’oubli certaines existences. Les saints appartiennent tous à ce groupe de grands hommes. À chacun d’eux on peut appliquer le mot du prophète : « Son sépulcre sera glorieux. »


Qui eût dit que cette gloire était réservée à une pauvre petite sauvagesse, après une vie bien courte dans une obscure bourgade du nouveau monde, et que cet élan des âmes vers son tombeau éclaterait dès l’année de sa mort, pour se prolonger jusqu’en notre vingtième siècle ?

À peine ensevelie sur les bords du fleuve, au pied de la grande croix, Catherine Tekakwitha voit accourir à elle les gens du village, les missionnaires eux-mêmes, puis les habitants des bourgs voisins et enfin ceux des villes de Montréal et de Québec. On s’agenouille sur sa tombe, on l’invoque dans toutes les détresses ; on veut emporter un souvenir, un talisman, un peu de poudre du tombeau. Et voilà que cette poussière, à l’instar de ces graines ailées portées par les vents et multipliant partout arbustes, arbres et fleurs, cette poussière s’en va sur tous les points de la colonie opérer d’innombrables merveilles.

Elle garde toute sa vertu curative, même lorsque le corps de la sainte est enlevé de là et transféré au nouveau village.

La mission en effet eut un nouvel exode, neuf ans après la mort de Catherine, 1689. La raison en était, comme dans la migration précédente, l’épuisement du sol. L’ancien poste, avec le tombeau et sa croix, appelé jusque-là Kahnawaké (au rapide), prit le nom de Kateri tsi tkaiatat (là où Catherine fut inhumée). C’est aussi en son honneur que toute cette région se nomme encore Côte Sainte-Catherine. Le nouveau village s’appela Kahnawakon (dans le rapide). Les restes de Catherine y furent transportés, et, cette fois, déposés pieusement dans la chapelle.

L’odyssée n’était pas finie. Un troisième déplacement s’effectua en 1696, toujours en remontant un peu le fleuve. La mission devait y rester vingt-trois ans. À cette époque, le P. de Charlevoix, jeune scolastique, enseignait au collège de Québec. Il recueillait déjà les documents qui devaient servir à son Histoire de la Nouvelle-France. C’est sans doute dans ce but qu’il vint, en 1708, à Kanatakwenké.

Ce dernier nom signifie : « d’où le village a été ôté ». Le village dut, en effet, décamper encore une fois et aller planter sa tente au-dessus des rapides en face de Lachine. L’installation était cette fois définitive. C’est le site actuel, sous le nom iroquois de 1676, Kahnawaké et sa forme anglaise Caughnawaga ; gardant toujours le vocable primitif liturgique de Mission Saint-François-Xavier. Les Français lui conservèrent le nom de Sault St-Louis.

Cette quatrième migration eut lieu en 1719. Deux ans plus tard, au printemps de 1721, le P. de Charlevoix, faisant partie d’un voyage officiel d’exploration, s’arrêta quelque temps à Kahnawaké. On garde encore le bureau vermoulu sur lequel il écrivit à la duchesse de Les Diguières : « La situation est charmante, l’église et la maison des missionnaires sont deux des plus beaux édifices du pays, et c’est ce qui fait juger qu’on a pris de bonnes mesures pour n’être plus obligé de faire de nouvelles transmigrations. »

Caughnawaga possède de précieuses reliques du passé. Nulle pourtant n’égale celle de Catherine Tekakwitha. Ses restes, déposés dans un coffret, suivirent le village dans ses diverses pérégrinations. Ils sont présentement, sous scellés, dans la voûte de sûreté de la résidence. Tous n’y sont pas : plusieurs parties des ossements ont été données à diverses époques. La tête fut cédée à la seconde mission iroquoise qui s’établit à Saint-Régis en 1754. On la plaça dans l’église. Elle y subit le sort de l’édifice qu’un incendie détruisit plus tard de fond en comble[1]. On invoque néanmoins encore Catherine à Saint-Régis, sous l’affectueuse appellation de « Notre Sainte ».

On vénère, à l’Hôtel-Dieu de Québec, une relique de la bienheureuse.

Au siècle dernier, le P. Frémiot, un des bons missionnaires des Odjibwés, portait sur lui, au moment de faire ses derniers vœux, diverses reliques, dont l’une était de Catherine Tekakwitha.

Quelques fragments de ses reliques se trouvent dans la croix de son tombeau. Voici à quelle occasion ils y furent déposés.

Les Jésuites, revenus au Canada à la fin de mai 1842, recevaient de Mgr Bourget, comme premier pied-à-terre, la paroisse de Laprairie. Ils rentraient ainsi dans leur ancienne possession.

L’année suivante, eut lieu au tombeau une cérémonie que le P. Tellier, l’un des Pères de la cure, raconte en ces termes :

« Une des cérémonies les plus intéressantes que nous eûmes à Laprairie, fut la restauration de la croix sur le tombeau de la bonne Catherine Tekakwitha : ce fut une heureuse idée de quelques habitants du voisinage. Il y avait eu de tout temps une croix érigée sur le tombeau de la vierge iroquoise, mais celle qui s’y trouvait tombait de vétusté. Trois habitants équarrirent, peignirent et décorèrent une croix neuve en bois, de 25 pieds de haut. Le vénérable missionnaire du Sault Saint-Louis[2] donna quelques ossements de la vierge, qui furent enchâssés très proprement dans une niche pratiquée au tronc de la croix ; et le septième dimanche après la Pentecôte, 23 juillet 1843, nous nous rendîmes sur les bords de la rivière du Portage.

« À côté et à droite de la croix, magnifiquement ornée de guirlandes et couchée sur un plan incliné, s’élevait une estrade ombragée, au-dessus de laquelle flottaient quatre drapeaux avec des inscriptions iroquoises et françaises. La nation iroquoise avait été solennellement invitée au triomphe de son héroïne. Elle arriva à la suite de son missionnaire, de son interprète et de ses chefs ; elle se plaça à la droite de l’enceinte réservée, et pointa son canon à l’embouchure de la rivière du Portage, dans la direction du fleuve et de la ville de Montréal…

« La multitude franco-canadienne et anglaise, accourue de la ville et des paroisses environnantes, prit place à la gauche et en face de la croix et de l’enceinte réservée, et braqua son canon à ses côtés. Le fleuve Saint-Laurent coulait au pied de la croix, et le murmure des rapides voisins se mêlait aux accents confus de la multitude religieuse. »

À la première décharge du canon, le Vexilla Regis est entonné. Un chœur de jeunes filles exécute ensuite quelques couplets de cantiques. Puis viennent, entremêlés de coups de canon et de chants iroquois, un sermon en français par le P. Martin, un autre en iroquois par l’abbé Marcoux, curé de Caughnawaga, un troisième en anglais par le vicaire général, l’abbé Hudon. « Alors, conclut le P. Tellier, la croix reçut la bénédiction de M. le vicaire général et s’éleva avec majesté sur les bords du Saint-Laurent, au milieu des chants de l’Église, des décharges de canons et des acclamations de la multitude. »[3]

Cette croix, abattue par le vent, fut remplacée par une autre en 1884, grâce au zèle des habitants de Laprairie.

En 1890, une cérémonie qui rappelait celle de 1843 en la dépassant, se déroula à la rivière du Portage. L’abbé Walworth, curé de Sainte-Marie d’Albany, avait une grande dévotion à la sainte. Il vint à son tombeau. Il se dit qu’elle méritait plus qu’une croix de bois pour perpétuer son souvenir. Il fit exécuter un beau monument en granit, vaste cénotaphe sur lequel on grava ces mots :

KATERI TEKAKWITHA
Apr. 17, 1680
Onkweonweke Katsitsiio
Teotsitsianekaron


Traduction :

KATERI TEKAKWITHA
17 avril, 1680
La plus belle fleur épanouie
chez les sauvages

La tombe est entourée d’une clôture élégante en fer, surmontée d’une toiture et d’une grande croix.

Ce fut le 30 juillet 1890 qu’eut lieu la bénédiction solennelle du monument. Trois évêques étaient présents : Mgr Fabre, archevêque de Montréal, Mgr Gravel, évêque de
LE TOMBEAU DE CATHERINE TEKAKWITHA
Nicolet, Mgr NicNierny, évêque d’Albany, dans le diocèse duquel était née et avait été baptisée la jeune Iroquoise. Les prélats étaient accompagnés de soixante prêtres et d’une foule de plus de deux mille personnes. C’est à l’évêque d’Albany que fut déféré l’honneur de bénir le mausolée. Des cantiques suivirent, chantés par les Iroquois. Le P. Drummond, S. J., le P. Burtin, O. M. I, alors curé de Caughnawaga, célébrèrent ensuite, à tour de rôle, en français, en anglais et en iroquois, la vie si pure, la mort si belle de Kateri Tekakwitha.

Les pèlerinages à son tombeau se sont renouvelés à diverses reprises. Pas aussi souvent peut-être qu’on pouvait le désirer, et cette diminution dans le culte de la vierge iroquoise explique sans doute l’actuelle rareté de ses interventions en faveur des malades.[4]

Nous voulons finir ce chapitre par une pensée fort belle de l’auteur anonyme qui a fait l’Abrégé de la vie de Catherine Tekakwitha.

Il écrivait peu de temps après la mort de Catherine, à l’époque (1688-1689) où sa dépouille mortelle était encore au pied de la grande croix du cimetière. Il vient de Deux voies pour se rendre de Montréal au Tombeau de Catherine Tekakwitha. raconter plusieurs guérisons merveilleuses d’adultes, dues à la puissance d’intercession de la sainte. Il termine par ces mots :

« Elle n’en use pas de la sorte à l’égard des enfants malades (iroquois) pour lesquels on la prie, et l’expérience fait voir que la terre de son tombeau qui guérit les personnes avancées en âge, semble plutôt attirer ceux-ci dans le ciel. Aussi sa fosse est-elle entourée des enfants qui sont morts depuis qu’elle y est, comme si cette première vierge iroquoise, que nous croyons être dans la gloire, prenait plaisir que son corps chaste fût environné de ces petits innocents, comme d’autant de lys. »

Cette gracieuse image rappelle la délicate phrase du P. Chauchetière à l’occasion de la fuite de Catherine des bords de la Mohawk : « J’ai considéré jusques à présent, dit-il, Catherine comme un lis entre les épines ; nous allons voir comme Dieu a transplanté ce beau lis et l’a mis dans un jardin rempli de fleurs, je veux dire dans la mission du Sault. »

Le mot est resté.

Catherine Tekakwitha a été dans l’Église de Jésus-Christ un lis très pur, et comme le Bien-Aimé des Cantiques, elle se plaît parmi les lis.

  1. P. Burtin, O. M. I., Vie de Catherine Tekakwitha, Québec, 1894, p. 64. — Abbé Forbes, Almanach Iroquois de 1900, p. 64 et suiv.
  2. L’abbé Joseph Marcoux.
  3. Lettres des Nouvelles Missions du Canada, t. I, p. 43 et suiv.
  4. Aux deux voies indiquées sur la carte ci-après, on pourrait en ajouter une troisième, via Lachine et Caughnawaga.