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Recette pour rester sage

Conte dédié aux Dames


Oh ! mes amis, pourquoi faut-il sans cesse
Que le plaisir soit contraire au devoir ?
— Pour s’en défendre, on n’a qu’à le vouloir,
Disent les gens auxquels on s’en confesse.
Propos menteur et ridicule espoir.
La liberté que cet attrait nous laisse,
N’est qu’un vain mot qu’on ne peut concevoir
De résister avons-nous le pouvoir ?

Quand le désir à chaque instant nous presse,
Sexe adoré, vous qu’un tendre penchant
Porte à l’amour dès votre plus jeune âge,
je m’en rapporte à votre sentiment :
Comment jamais pouvez-vous être sage ?


En vous flattant, on sait vous décevoir,
Et tour à tour, séduite avec adresse,
Par votre amant et par votre faiblesse,
Par vos désirs et par votre miroir.
À chaque instant forcé de vous défendre,
Du piège adroit d’un heureux séducteur.
Il vous faudrait pour ne jamais vous rendre,
Ou plus de force, ou n’avoir pas un cœur.

Il est pourtant quelques femmes prudentes
Qui, nous dit-on, échappent à ces lois.
Boileau, cherchant ces vertus étonnantes,
Dans Paris même, en compta jusqu’à trois.
C’était beaucoup ; et maintenant je pense,
Que, pour aider leur fragile innocence,
Elles avaient quelque secret moyen
Qui les faisait persister dans le bien.

Ces ruses-là, ces heureuses recettes,
Ne doivent point, amis, rester secrètes ;
Quand on les fait, il faut les indiquer.
J’en connais une, et je croirais manquer
À mes devoirs, à la vertu des dames,
Si mon secret, facile à pratiquer,
Restait toujours un secret pour nos femmes.

L’exemple seul peut le bien expliquer.
C’est pour cela qu’en historien fidèle,
Sans plus longtemps du sujet m’écarter,
Discrètement je vais le raconter.

Alix était aussi jeune que belle,
Ses yeux charmants promettaient le plaisir ;
Partant Alix inspirait le désir.
Dire qu’elle eut mille amants d’importance,
Ce serait prendre un inutile soin.
Un d’eux bientôt obtint la préférence ;
Et pour sauver sa trop faible innocence,
D’un prompt hymen Alix eut grand besoin.
Son père était homme d’expérience,
Il se disait en voyant leurs amours :
— Son cœur est pris, le reste est sans défense,
Il faut voler bien vite à son secours.

Si cet amant me donne l’espérance
De voir ma fille heureuse pour toujours,
N’hésitons pas ; et de ma vigilance,
De mes frayeurs, n’allongeons pas le cours.
L’examen fait avec soin et prudence,
Sur chaque point a comblé tous ses vœux,
L’amant aimé promet une constance,

Gage certain du bonheur de tous deux.
Il est bien fait, aimable et généreux,
Riche de plus et de haute naissance ;
Pour nos enfants trouvant tels amoureux,
Ce serait bien de quoi nous satisfaire.
Mais ce fut trop pour notre digne père ;
Il voulut voir, voir de ses propres yeux,
Si pour forcer sa fille à rester sage,
Son gendre avait ces talents merveilleux,
Qui, selon lui, fixaient une volage,
Ces dons brillants, dont le fréquent usage,
De deux époux fait des amants heureux.
Il voulut voir… et ne vit que miracles.
Bien sûr alors de la vertu d’Alix,
À leur hymen il ne mit point d’obstacles,
Et des époux lui donna le Phénix.
Pendant longtemps la troupe rebutée,
Ne troubla point les plaisirs du vainqueur ;
Mais à la fin, d’un doux espoir flattée,
Elle revint à l’attaque d’un cœur,
Qu’elle croyait aussi facile à prendre
Que tous les cœurs de nos femmes de bien.
On ignorait l’invincible moyen
Que notre Alix avait pour se défendre.
On fit venir près d’elle tour à tour,
Ces gens charmants qui ne mettent leur gloire

Qu’à vaincre un jour, puis chanter leur victoire.
Soins superflus ! Rebelle à leur amour,
L’or même, l’or ne put obtenir d’elle,
Ce que toujours il obtient d’une belle.

Lasse à la fin de sa nombreuse cour,
Elle voulut mettre un terme à son zèle,
Et repousser d’une façon nouvelle
Ce peuple amant qui venait chaque jour
La tourmenter et la nommer cruelle.
Elle voulut donner une raison
Pour excuser sa longue résistance,
Mais raison telle, et de telle évidence,
Que s’en tenant à si bonne leçon,
On ne vint plus lui faire violence,
Ni déranger la paix de sa maison.

Elle fit faire en grandeur naturelle,
Par un artiste habile, complaisant,
De son époux une image fidèle.
Ce beau portrait était intéressant ;
Ce n’était point les traits de sa figure,
Qui sur la toile étaient représentés.
On sait assez que la bonne nature,
Nous a donné de plus grandes beautés.

La sage Alix ne veut, dans cette image,
Que… le garant de sa fidélité,
Ce doux lien du plus heureux ménage,
Ce trait brûlant qui, de la volupté,
Porte le trouble en son sein agité.
Il était peint, vermeil comme l’aurore,
Et couronné de myrte et de laurier,
Sa tête haute et son maintien altier,
Le vif carmin dont son teint se colore,
La riche taille, un embonpoint flatteur,
Deux arsenaux où l’amour créateur
Vient préparer ses foudres en silence,
Foudres charmantes que la volupté lance,
Tout annonçait un superbe vainqueur,
Sûr à jamais de maîtriser un cœur.

Alix, alors, contente de l’ouvrage,
À ses amants découvrit son secret.
— Je cesserai, dit-elle, d’être sage,
Quand vous aurez plus beau que ce portrait.
À cet aspect, la trop faible cohorte,
Honteusement alla gagner la porte.

Alix plaça l’image à son chevet,
Et quand parfois, quelque amant se trouvait,
Qui, ne sachant l’innocente malice,

Voulait encore tourmenter notre Alix,
Il suffisait de montrer le phénix ;
Sans répliquer, il se rendait justice.
Par cette ruse, avec cet heureux soin,
Alix toujours fut et sage et discrète.
Sexe enchanteur, très bonne est ma recette.
D’autres moyens vous n’avez pas besoin,
Quand vous aurez chez vous telle merveille,
Faites-en vite un bel épouvantail…
Si ne l’avez… votre ami vous conseille
De la chercher, pour le moins en détail.