Catéchisme du concile de Trente/Chapitre 38

Concile de Trente
Traduction par Emmanuel Marbeau.
Desclée, Lefebvre et Cie (p. 580-609).

L’un des devoirs les plus sacrés du ministère pastoral, l’un des plus indispensables au salut du peuple, c’est, à coup sûr, l’enseignement de la Prière chrétienne. Si un Pasteur pieux et zélé ne met pas tous ses soins à en instruire les Fidèles, beaucoup d’entre eux n’en connaîtront jamais la nature et l’importance. C’est pourquoi le Prêtre, digne de ce nom, s’appliquera de toutes ses forces à bien faire comprendre à ses auditeurs religieux ce qu’il faut demander à Dieu, et comment il convient de le demander.

Toutes les qualités de la Prière parfaite se trouvent réunies dans cette divine formule que Notre-Seigneur Jésus-Christ voulut bien enseigner à ses Apôtres, et, par eux ou par leurs successeurs, à tous ceux qui dans la suite devaient embrasser la Religion chrétienne ; formule dont les paroles et les pensées doivent être gravées si profondément dans notre esprit et dans notre cœur, qu’elles nous soient toujours présentes. Et pour faciliter aux Pasteurs les moyens d’instruire les Fidèles sur cette Prière particulière, nous avons réuni, dans cette dernière partie de notre Catéchisme, tout ce qui nous a paru se rapporter davantage à notre sujet. Dans ce but, nous avons emprunté largement aux Auteurs les plus savants et les plus célèbres en cette matière. Pour le surplus, les Pasteurs ( s’ils en ont besoin), pourront aller le puiser eux-mêmes, et aux mêmes sources.

I. — DE LA NÉCESSITÉ DE LA PRIÈRE modifier

La première chose à enseigner, dans ce sujet, c’est la nécessité de la Prière, car la recommandation qui nous en est faite n’est pas un simple conseil, mais bien un précepte rigoureux et formel. Notre-Seigneur Jésus-Christ l’a déclaré expressément: « Il faut toujours prier. »[1]

Cette nécessité de la Prière ressort également de la petite Préface que l’Eglise nous fait dire à la Messe, avant l’Oraison Dominicale: Notre-Seigneur, nous ayant commandé de prier, et nous ayant donné Lui-même un modèle de prière, nous osons dire, etc C’est donc parce que la Prière est nécessaire d’une part, et parce que d’autre part, ses disciples Lui avaient dit: « Seigneur, apprenez-nous à prier »,[2] que le Fils de Dieu leur prescrivit une formule de prière, en leur donnant l’espoir qu’ils obtiendraient tout ce qu’ils demanderaient. Bien plus, Il voulut confirmer son précepte par son propre exemple, non seulement en priant avec assiduité, mais même en passant des nuits entières à prier.

Les Apôtres ne manquèrent pas de transmettre ce précepte de Jésus-Christ à ceux qui embrassaient la Foi chrétienne. C’est ainsi que Saint Pierre et Saint Jean se font un devoir de le rappeler très exactement aux âmes croyantes ; et l’Apôtre Saint Paul s’empresse de les imiter, en exhortant fréquemment les Chrétiens à cette salutaire obligation de la Prière.

Il est, en outre, tant de biens et de secours dont nous avons besoin et pour l’âme et pour le corps, qu’il nous faut absolument recourir à la Prière. Elle seule, en effet, est capable d’exposer fidèlement à Dieu notre détresse. Elle seule peut en obtenir tout ce qui nous manque. ne l’oublions pas, Dieu ne doit rien à personne, et par conséquent, si nous voulons qu’Il nous accorde ce dont nous avons besoin, nous devons nécessairement le solliciter de Lui par la Prière. La Prière est comme un instrument qu’Il nous a donné, afin que nous nous en servions pour obtenir ce que nous désirons. Sans la Prière — cela n’est que trop certain — il est des choses que nous n’aurions jamais. Ainsi, l’un de ses effets les plus extraordinaires, c’est qu’elle possède la vertu de chasser les démons. Car, dit Notre-Seigneur dans Saint Matthieu: « Il est un genre de démons qui ne peut se chasser que par le jeûne et par la Prière. »[3]

C’est donc se priver d’un grand nombre de faveurs particulières, que de négliger ce pieux exercice de la Prière, de n’en point prendre l’habitude, de ne pas s’en acquitter avec tout le soin qu’il mérite. Pour obtenir, au contraire, ce que l’on demande, il ne faut pas seulement une Prière convenable, il faut une prière persévérante. Comme le dit très bien Saint Jérôme[4] il est écrit: « On donne à quiconque demande. Si donc on ne vous donne pas, c’est que vous ne demandez pas. Demandez donc, et vous recevrez. »[5]

II — UTILITÉ ET FRUITS DE LA PRIÈRE modifier

Si la Prière est nécessaire, elle est aussi extrêmement utile. Ses fruits sont très agréables et très abondants. Les Pasteurs en trouveront le détail dans les Saint Pères, lorsqu’ils auront à les expliquer aux Fidèles. Pour nous, nous nous sommes bornés à en choisir quelques-uns qui nous ont paru convenir aux besoins des temps présents.

Le premier fruit que nous retirons de la Prière, c’est que notre Prière honore Dieu, car elle est un Acte de religion que les Saintes Lettres comparent à un parfum. « Que ma Prière s’élève vers Vous, dit le Prophète, comme la fumée de l’encens ! »[6] en priant, nous reconnaissons que nous dépendons de Dieu, nous confessons et proclamons qu’Il est l’Auteur de tous les biens, nous n’espérons qu’en Lui, et nous Le regardons comme le seul refuge et l’unique soutien de notre existence présente et de notre vie future. Du reste, ce fruit de la Prière est clairement marqué dans ces paroles: « Invoquez-moi au jour de la tribulation, Je vous en tirerai, et vous M’honorerez ! »[7]

Un second fruit de la Prière, — fruit infiniment avantageux et consolant, et qu’on en retire lorsque Dieu l’exauce — c’est qu’elle ouvre le ciel dont elle est la clef, selon Saint Augustin. « La Prière monte, dit-il, et la miséricorde divine descend. Si basse que soit la terre, si élevé que soit le ciel, Dieu entend néanmoins la parole de l’homme. »[8]

La Prière est d’une vertu et d’une utilité si grandes, que par elle nous obtenons la plénitude des dons célestes. C’est à cause de nos Prières que Dieu nous donne l’Esprit Saint pour guide et pour appui. Par elle encore nous conservons la pureté de notre Foi, nous écartons les dangers, nous évitons les peines, nous sommes protégés de Dieu dans la tentation et nous triomphons du démon. En un mot, la Prière est la source des joies les plus pures. C’est pourquoi Notre-Seigneur disait: « Demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit parfaite. »[9]

D’ailleurs, il n’est pas possible de douter un seul instant que Dieu dans sa Bonté ne réponde et ne se rende à l’appel de la Prière. nous en trouvons la preuve en maints endroits de nos Saints Livres. Et comme ces textes sont sous la main de tous, nous nous bornerons à citer les paroles suivantes d’Isaïe: « Alors vous invoquerez, dit-il, et le Seigneur vous exaucera: vous crierez, et le Seigneur dira: Me voici ! »[10] Et ailleurs: « avant qu’ils ne crient, Je les entendrai ; ils parleront encore, que déjà Je les aurai exaucés »[11] Quant aux exemples de ceux qui ont obtenu de Dieu ce qu’ils demandaient, ils sont si nombreux et si connus que nous n’avons pas besoin de les rapporter ici.

Il arrive quelquefois cependant que nous n’obtenons pas de Dieu ce que nous Lui demandons. C’est vrai. Mais Dieu n’en veut pas moins notre bien. Ou Il nous accorde des grâces plus grandes et plus précieuses que celles que nous sollicitons, ou l’objet de notre Prière n’est ni nécessaire ni utile, ou peut-être même, si Dieu nous l’avait accordé, il nous serait devenu funeste et nuisible. « Car, dit Saint Augustin, il y a des choses que Dieu refuse dans sa bonté et qu’Il accorde dans sa colère. »[12] D’autres fois aussi notre Prière est si tiède et si nonchalante que nous ne pensons pas même à ce que nous disons. Cependant la Prière est l’élévation de notre âme vers Dieu. Mais si, en priant, l’esprit qui devrait ne s’occuper que de Dieu, s’égare sur toutes sortes d’objets, et si l’on débite sans attention, sans piété, presque au hasard, les formules qu’on récite, comment donner le nom de Prière chrétienne à ce vain bruit de paroles ? est-il étonnant dès lors que Dieu se montre insensible à nos désirs, puisque par notre négligence et notre indifférence même, nous semblons prouver que nous ne tenons pas du tout à ce que nous demandons, ou bien que nous sollicitons des choses qui nous seraient nuisibles ?

Au contraire, quand on prie avec attention et ferveur, on obtient de Dieu beaucoup plus qu’on ne demande. Saint Paul nous l’atteste dans son Epître aux Ephésiens. nous en avons la preuve également dans la Parabole de l’enfant prodigue. Ce malheureux jeune homme se serait cru très bien traité, si seulement son père avait voulu l’admettre au rang de mercenaire.

Quelquefois même Dieu met le comble à ses faveurs, en nous accordant ses. dons non seulement en abondance, mais encore avec promptitude, non seulement sur notre demande, mais sur un simple désir de notre part.

C’est ce que nous voyons dans nos Saints Livres, où nous trouvons des formules de ce genre: « Dieu a exaucé les vœux du pauvre. »[13] Oui vraiment notre Dieu répond aux désirs intimes et secrets de ceux qui ont besoin, avant même qu’ils ne Lui aient exposé leur détresse.

Un troisième fruit de la Prière, c’est qu’elle est un exercice et un accroissement de toutes les vertus, en particulier de la Foi. Le mayen de prier, en effet, et de bien prier, si l’on n’a pas foi en Dieu ? C’est la parole de l’Apôtre Saint Paul: « Comment invoqueront-ils Celui auquel ils ne croient point ? »[14] Dès lors plus les Fidèles mettent d’ardeur à prier, plus ils ont une foi grande et ferme dans la Bonté et la Providence de Dieu, et par suite plus ils sont disposés à Lui obéir, c’est-à-dire à s’en rapporter à Lui pour tous leurs besoins, et à Lui demander toutes choses.

Dieu pourrait, à coup sûr, répandre sur nous tous ses dons, sans prières et même sans désirs de notre part. C’est ainsi qu’Il en agit envers les animaux privés de raison, à qui Il donne tout ce qui est nécessaire à leur existence. Mais ce Père d’une Bonté parfaite veut être prié par ses enfants. Il veut qu’en L’invoquant chaque jour, notre Prière s’élève chaque jour jusqu’à Lui avec une confiance plus grande. En un mot Il veut, en exauçant nos Prières, affirmer de plus en plus et proclamer en quelque sorte son infinie Bonté envers nous.

La Prière augmente aussi la Charité. En effet, lorsque nous reconnaissons Dieu comme l’Auteur de tous les biens et de tous les avantages dont nous jouissons ici-bas, nous nous attachons à Lui de tout l’amour dont notre cœur est capable. Les affections humaines grandissent et s’enflamment par les conversations, les visites, les rapports fréquents. Il en est de même de l’Amour de Dieu. Plus les hommes pieux multiplient leurs prières, en implorant la Bonté de Dieu, et en s’entretenant avec Lui, plus ils sentent croître en eux-mêmes une joie pénétrante, en même temps qu’ils sont portés à aimer et à servir Dieu de tout leur cœur.

Si donc Dieu nous oblige à Le prier, c’est afin que nous soyons plus ardents à Lui demander ce que nous désirons ; c’est aussi [selon la pensée de Saint Augustin] « afin que nous ne soyons redevables qu’à la constance et d la vivacité de nos désirs, de ces faveurs signalées dont notre cœur, auparavant sec et resserré, n’aurait pas été digne ».[15]

Il veut aussi nous faire comprendre et toucher du doigt, en quelque sorte, cette vérité capitale, que si le secours de la Grâce céleste venait à nous manquer, nous ne pourrions absolument rien par nous-mêmes. Quel motif, par conséquent, de nous appliquer à prier avec toute la ferveur possible 1

La Prière est encore une arme très puissante contre les ennemis les plus dangereux de notre nature: « contre le démon et ses attaques, dit saint Hilaire, combattons par le bruit de nos prières. »[16]

Un autre fruit bien précieux que nous assure la prière, c’est que malgré notre dégradation originelle, et par suite notre inclination au mal et aux divers appétits déréglés de la concupiscence, Dieu nous permet néanmoins d’élever nos pensées jusqu’à Lui. Et s’il nous permet d’agir de la sorte, c’est qu’il veut par là nous faire mériter ses bienfaits, sanctifier notre volonté, purifier nos souillures et détruire en nous les effets malheureux du péché.

Enfin la Prière, selon la pensée de Saint Jérôme, résiste à la colère divine elle-même. « Laisse-Moi », disait Dieu à Moise, qui L’arrêtait par sa Prière, au moment où Il voulait châtier son peuple.[17] C’est qu’en effet pour apaiser la colère de Dieu irrité, pour l’amener à suspendre ses coups, lorsqu’il se prépare à frapper le coupable, et même pour Le faire revenir de sa « fureur », rien n’est plus efficace que la Prière des âmes pieuses.

III. — DES DIVERSES PARTIES DE LA PRIÈRE modifier

Après avoir parlé aux Fidèles de la nécessité et de l’utilité de la Prière des Chrétiens, il faut aussi leur apprendre quelles sont les diverses parties qui la composent. D’après le témoignage de l’Apôtre, cette science importe extrêmement au parfait accomplissement du devoir de la Prière. Dans son épître à Timothée, où il exhorte son disciple à prier saintement et avec piété, il distingue avec soin les différentes parties de cet exercice. « Je recommande avant toutes choses, dit-il, que l’on fasse des supplications, des prières, des demandes, et des actions de grâces pour tous les hommes. »[18] Et comme la différence entre ces quatre mots employés par l’Apôtre est assez difficile à établir, les Pasteurs qui croiront utile de l’expliquer à leurs auditeurs ne manqueront pas de consulter, entre autres, Saint Hilaire et Saint Augustin.

A vrai dire les deux parties principales de la Prière sont la demande et l’action de grâces. Les autres en dérivent comme de leur source. Voilà pourquoi nous n’avons pas cru devoir les passer sous silence. nous allons à Dieu, et nous Lui rendons un culte d’hommage et de respect, soit pour obtenir de Lui quelque bienfait nouveau, soit afin de Lui témoigner notre reconnaissance pour tous ceux dont sa Bonté ne cesse de nous enrichir et de nous combler. toute Prière revêt nécessairement ce double caractère. Dieu Lui-même nous l’a marqué en ces termes par la bouche de David: « Invoquez-Moi au jour de la tribulation, Je vous délivrerai, et vous M’honorerez. »[19]

Et d’abord est-il possible d’ignorer combien nous avons besoin de la Libéralité et de la Bonté de Dieu, pour peu que l’on considère l’excès de nos misères et de notre pauvreté ? D’autre part tous ceux qui voient et qui pensent se rendent bien compte que le cœur de Dieu est très favorablement disposé pour le genre humain et qu’Il se plaît à répandre sur nous ses largesses. De quelque côté en effet que nous portions nos regards et nos pensées, partout nous voyons éclater les preuves les plus admirables de la Bonté et de la Générosité divines. Qu’avons-nous en effet que nous n’ayons reçu de la Libéralité de Dieu ? et si tous les biens que nous possédons. ne sont que des présents de sa Munificence, pourquoi tous ensemble, dans la mesure de nos forces, n’exalterions-nous point par nos louanges un Dieu si infiniment bon, pourquoi ne ferions-nous pas monter vers Lui de continuelles actions de grâces ?

Mais, soit que l’on demande, soit que l’on remercie, il y a dans la Prière différents degrés, plus élevés et plus parfaits les uns que les autres. Afin donc que les Fidèles puissent non seulement prier, mais encore prier très bien et comme il convient, les Pasteurs auront soin de leur proposer la méthode la meilleure et la plus parfaite, et ils les exhorteront de toutes leurs forces à la mettre en pratique.

Mais précisément quelle est la meilleure manière de prier ? quel est le degré le plus élevé en matière d’Oraison ? évidemment c’est celui des âmes pieuses et justes qui, appuyées sur le fondement inébranlable de la vraie foi, arrivent graduellement, par la pureté de leur conscience et par la ferveur de leurs vœux, à ce point d’élévation où elles peuvent contempler l’infinie Puissance de Dieu, avec son immense bonté et sa sagesse suprême. Là elles acquièrent l’espérance certaine d’obtenir tout ce qu’elles demanderont présentement, et cette abondance incalculable de biens que Dieu a promis d’accorder à ceux qui sauront implorer son secours avec une piété sincère et fervente.

C’est ainsi que, portée en quelque sorte sur deux ailes, l’âme prend son essor vers le ciel et s’élève jusqu’à Dieu, pour Le louer et Le remercier tout ensemble des bienfaits si précieux qu’elle a reçus. Ensuite avec une piété ardente et une profonde vénération, elle Lui parle en pleine confiance de tous ses besoins, comme le ferait un fils unique au plus aimé des pères.

Cette manière de prier prend dans la Sainte Écriture le nom d’effusion ou d’épanchement. « Je répands ma Prière en sa présence, dit le prophète, et j’exprime devant Lui ma tribulation. »[20] Ceci revient à dire que celui qui se présente devant Dieu pour le prier, ne doit rien taire, rien cacher, mais épancher tout son cœur dans le sien, et se réfugier avec confiance dans le sein de Celui qui est le plus aimant des Pères. C’est ainsi en effet que l’Esprit Saint Lui-même règle notre conduite sur ce point: « Répandez vos cœurs devant Dieu, dit le Psalmiste, et mettez vos peines dans le sein du Seigneur. »[21] C’est aussi de ce degré d’Oraison que Saint Augustin veut nous parler dans son enchiridion, quand il dit: « Ce que la Foi croit, l’Espérance et la Charité le demandent. »[22]

Un autre degré de la Prière, c’est celui où se trouvent certaines personnes que le poids de leurs péchés mortels écrase, mais qui néanmoins font tous leurs efforts pour se relever avec cette Foi qu’on appelle morte, et remonter jusqu’à Dieu. Mais comme leurs forces sont presque anéanties, et leur Foi très affaiblie, elles ne peuvent se soulever de terre. Cependant elles reconnaissent leurs fautes, le remords les déchire, la contrition est dans leur cœur, et tout éloignées qu’elles sont de Dieu, elles s’humilient et s’abaissent devant Lui en implorant la grâce du pardon et de la paix. Une telle prière obtient toujours

son effet devant Dieu, qui non seulement l’exauce, mais qui pousse la miséricorde envers ces âmes pécheresses jusqu’à les appeler à Lui en ces termes: « Venez à Moi, dit-Il, vous tous qui êtes fatigués et courbés sous le fardeau, et Je vous soulagerai. »[23] De ce nombre était ce Publicain qui n’osait pas même lever les yeux vers le ciel, et qui cependant sortit du temple, dit l’Evangile, plus justifié que le Pharisien.

Un troisième degré de Prière se trouve dans ceux qui n’ont pas encore la Foi. Grâce à la Bonté divine qui rallume en eux les faibles restes de la lumière naturelle, ils se sentent entraînés avec une grande ardeur à l’étude et à l’amour de la vérité, et ils demandent par de ferventes Prières la faveur d’en être instruits. S’ils persévèrent dans ces bonnes dispositions, la Clémence divine ne rejettera point leurs instances. nous en avons une preuve remarquable dans l’exemple du centurion Corneille. Aussi bien qui donc a jamais fait cette Prière du fond du cœur, et a trouvé fermées les portes de la Miséricorde divine ?

Enfin le dernier degré de la Prière est celui de ces pécheurs qui non seulement ne se repentent point de leurs mauvaises actions et de leurs infamies, mais encore entassent crimes sur crimes. Et cependant ils n’ont pas honte de solliciter de Dieu le pardon de ces péchés dans lesquels ils veulent persévérer ! Certes, ils n’oseraient pas, dans de pareilles dispositions, demander aux hommes un pardon semblable. Aussi, qu’arrive-t-il ? Leur Prière n’est point exaucée. « Ce scélérat, dit la Sainte Ecriture, en parlant d’Antiochus, priait le Seigneur de qui il ne devait point obtenir miséricorde. »[24] C’est pourquoi les Pasteurs ne manqueront pas d’exhorter fortement ceux qui sont dans ce triste état, à renoncer définitivement à la volonté de pécher, et à se convertir à Dieu dans toute la sincérité de leur cœur.

IV. — CE QU’IL FAUT DEMANDER DANS LA PRIÈRE modifier

Lorsque nous expliquerons en détail l’Oraison Dominicale, nous dirons exactement ce qu’il faut demander dans la Prière, et ce qu’il ne faut pas demander. Pour l’instant, il suffit de rappeler aux Fidèles d’une manière générale qu’ils ne doivent demander à Dieu que des choses justes et honnêtes. S’ils demandaient ce qui ne convient pas, ils auraient à craindre d’être repoussés avec cette réponse: « Vous ne savez ce que vous demandez. »[25] Or, tout ce qu’on peut désirer légitimement, il est permis également de le demander. La promesse si étendue de Notre-Seigneur ne nous permet pas d’en douter. « Vous demanderez tout ce que vous voudrez, et il vous sera donné. »[26] Il s’engage en effet à tout accorder.

Ainsi donc, en premier lieu, nous dirigerons nos vœux et nos désirs de telle sorte que Dieu, qui est notre plus grand Bien, soit aussi l’objet de notre amour et de nos désirs les plus grands. nous désirerons ensuite tout ce qui peut nous unir le plus étroitement à Dieu. Mais nous éloignerons soigneusement de notre cœur et de nos affections tout ce qui pourrait nous séparer de Lui, ou seulement affaiblir notre union mutuelle.

En prenant pour règle suprême ce Bien souverain et parfait, il est facile de déterminer dans quelle mesure il faut désirer et demander à Dieu notre Père les autres choses qu’on appelle aussi des biens. Ainsi, les biens du corps, comme les autres biens extérieurs, c’est-à-dire, la santé, la force, la beauté, les richesses, les honneurs, la gloire, ne sont que trop souvent des occasions et des instruments de péché, et par conséquent il est difficile de les demander d’une manière conforme à la piété et au salut. C’est pourquoi il faut en réduire la demande dans des limites telles que nous ne désirions ces avantages de la vie présente qu’autant qu’ils nous sont nécessaires. Dès lors notre Prière se rapporte à Dieu. Il nous est bien permis en effet de demander ce qui faisait l’objet de la prière de Jacob et de Salomon. Or le premier disait: « Si le Seigneur me donne du pain pour me nourrir et des vêlements pour me couvrir, Il sera toujours mon Dieu. »[27] Et le second: « Donnez-moi seulement ce qui est nécessaire à la vie. »[28] Mais comme Dieu, dans sa Bonté, veut bien pourvoir à notre nourriture et à notre entretien, n’est-il pas bien juste que nous ne pendions jamais de vue cette recommandation de l’Apôtre: « Que ceux qui achètent soient comme s’ils ne possédaient pas ! que ceux qui usent des choses de ce monde, soient comme s’ils n’en usaient pas ; car la figure de ce monde passe ; »[29] et cette autre du Prophète David, (que nous avons déjà citée): « Si les richesses nous viennent en abondance, n’y attachons point notre cœur. »[30] Dieu Lui-même a voulu nous l’apprendre nous n’en avons que l’usufruit, et encore à la condition d’y associer les autres. Si nous avons la santé, si nous possédons en abondance les autres biens du corps et de la fortune, souvenons-nous que Dieu ne nous les a donnés que pour nous aider à Le mieux servir et à soulager davantage le prochain.

Quant aux biens et aux ornements de l’esprit, comme les arts et les sciences, nous pouvons les demander, mais seulement à la condition qu’entre nos mains ils tourneront à la Gloire de Dieu et au salut de notre âme. La seule chose que nous puissions souhaiter, rechercher, demander d’une manière-absolue, sans condition et restriction, c’est, nous l’avons déjà dit, la Gloire de Dieu, et ensuite tout ce qui peut nous rattacher et nous unir à ce souverain Bien, comme la Foi, la crainte du Seigneur et son amour ; vertus dont nous parlerons plus longuement lorsque nous expliquerons toutes les demandes de l’Oraison Dominicale.

Ce n’est pas tout ; après avoir appris aux Fidèles ce qu’ils doivent demander, il faut aussi leur faire connaître pourquoi ils doivent demander. Or, la Prière se compose précisément de la demande et de l’action de grâces. Parlons d’abord de la demande.

V. — POUR QUI FAUT-IL PRIER modifier

Il faut prier pour tous les hommes sans exception ennemis, étrangers, ou d’une religion différente de la nôtre. Car l’ennemi, l’étranger, l’infidèle, sont également notre prochain. Or, d’après l’ordre formel de Dieu, nous devons aimer notre prochain, et par conséquent prier pour lui, puisque la Prière pour les autres est un des devoirs de la Charité. Cette recommandation de l’Apôtre: « Qu’il se fasse, je vous en prie, des Prières pour tous les hommes, »[31] n’a pas d’autre but.

Il n’est pas inutile de faire remarquer que dans la Prière on doit demander d’abord ce qui intéresse le salut de l’âme, puis ce qui se rapporte au bien du corps.

Les premiers pour qui nous sommes obligés de prier sont les Pasteurs des âmes. L’Apôtre Saint Paul nous l’apprend par son propre exemple ; il écrit aux Colossiens « de prier pour lui, afin que Dieu lui ouvre une entrée pour prêcher sa parole ».[32] Il agit de même avec les Thessaloniciens. nous lisons dans les Actes des Apôtres: « qu’une prière continuelle se faisait dans l’Eglise pour Pierre »[33] ; et Saint Basile, dans ses traités des Mœurs, nous rappelle qu’« il faut prier pour ceux qui président à la Parole de vérité ».

En second lieu, il faut prier pour les Princes. C’est encore l’enseignement de Saint Paul. nul n’ignore en effet combien il importe au bien public d’avoir des Princes pieux et zélés pour la justice. Il faut donc demander à Dieu de les rendre tels qu’ils doivent être pour commander aux autres.

Plusieurs saints personnages nous avertissent par leurs exemples de prier aussi pour les bons et les justes. Ils ont besoin en effet des Prières des autres. Dieu l’a voulu ainsi, afin de prévenir dans leur cœur les mouvements de l’orgueil, en leur faisant sentir qu’ils ont besoin des suffrages de leurs inférieurs.

Notre-Seigneur nous ordonne également de prier pour ceux « qui nous persécutent et nous calomnient ».[34]

Selon le témoignage de Saint Augustin, — et ce témoignage a une grande valeur — l’Eglise a reçu des Apôtres la coutume de faire des Prières et des vœux pour ceux qui sont hors de la vraie Religion, afin que les infidèles obtiennent la Foi, que les adorateurs des idoles soient arrachés à leurs erreurs impies ; que les Juifs déchirent le voile épais qui leur cache la vérité, et la reconnaissent enfin ; que les hérétiques, revenant à la saine raison, s’instruisent, comme ils le doivent, de la Doctrine catholique ; que les schismatiques, qui se sont séparés de la Communion de la très sainte Eglise leur mère, se rattachent à elle de nouveau par les liens d’une véritable Charité. Les Prières qui sont ainsi faites avec une Foi ardente, pour toutes ces sortes de personnes, sont d’une grande efficacité. On peut le constater par cette multitude d’hommes de toutes conditions que Dieu arrache chaque jour à la puissance des ténèbres, pour les faire entrer dans le Royaume de son Fils bien aimé, et dont Il fait des vases de miséricorde, de vases de colère qu’ils étaient auparavant. tout Chrétien intelligent et pieux sera toujours convaincu que les Prières des âmes justes ont une très large part à ces conversions.

Les Prières que l’on adresse à Dieu pour les âmes des trépassés, afin de les faire sortir du Purgatoire, sont une tradition et une conséquence de la doctrine des Apôtres. nous avons dit tout ce qu’il fallait rappeler sur ce point, en traitant du saint Sacrifice de la Messe.

Quant à ceux qui ont le malheur d’être en état de péché mortel, c’est à peine s’ils peuvent retirer quelque utilité des Prières et des vœux. Cependant la Charité chrétienne demande qu’on prie pour eux, et qu’on en vienne aux larmes et aux gémissements devant Dieu pour leur obtenir pardon et miséricorde.

Si donc les Saints ont fait quelquefois des imprécations contre les impies, les Pères de l’Eglise veulent que nous les regardions comme des prédictions du sort qui les attend, ou des souhaits de mort qui ne s’adressent qu’au péché, pour le détruire, et par là sauver les pécheurs.

Dans la 2° partie de la Prière, nous rendons à Dieu les actions de grâces les plus vives pour les divins et immortels bienfaits dont Il a comblé sans cesse, et dont II comble encore tous les jours le genre humain.

Mais surtout nous Le remercions, et d’une manière spéciale, pour tous les Saints ; nous Le louons et Le bénissons, autant qu’il est en nous, de la victoire et du triomphe que sa paternelle Bonté leur a fait remporter sur tous leurs ennemis, intérieurs et extérieurs.

C’est là ce que nous faisons en particulier dans la Salutation Angélique, lorsque nous disons à la Ste Vierge, en forme de prière: Je vous salue, Marie, pleine de grâces, le Seigneur est avec vous, vous êtes bénie entre toutes les femmes. Par ces paroles en effet nous rendons à Dieu un splendide hommage de louanges et d’actions de grâces, pour tous les dons célestes dont Il a bien voulu combler la très sainte Vierge, et en même temps nous la félicitons elle-même de son incomparable bonheur.

Et ce n’est pas sans raison que la sainte Eglise a ajouté, à cette action de grâces, des Prières et des invocations à la très sainte Mère de Dieu. Elle veut que nous ayons recours à elle avec une pieuse confiance et une profonde humilité, afin d’obtenir par son intercession que Dieu veuille bien se réconcilier avec nous malgré toutes nos fautes, et nous accorder les biens qui nous sont nécessaires pour cette vie et pour l’autre. Oui, nous devons, enfants d’Eve exilés dans cette vallée de larmes, invoquer, sans jamais nous lasser, celle qui est la Mère de la miséricorde, l’avocate du peuple fidèle, afin qu’elle prie pour nous, pauvres pécheurs ; nous devons en un mot réclamer sans cesse par nos Prières le secours et l’assistance de celle dont les mérites sont si éminents devant Dieu, et dont on ne peut sans impiété et sans crime révoquer en doute la volonté parfaite et formelle de nous venir en aide.

VI. — A QUI DOIT-ON ADRESSER DES PRIÈRES modifier

Que ce soit pour nous un devoir de prier Dieu et d’invoquer son saint nom, c’est non seulement ce que nos Saints Livres nous enseignent, mais encore ce que proclame l’instinct naturel de notre cœur, qui ne cesse de nous rappeler cet ordre de Dieu: « Invoquez-Moi au jour de la tribulation. »[35] Au reste, en disant qu’il faut prier Dieu, nous entendons par là les trois Personnes divines.

En second lieu, nous recourons aux Saints qui sont dans le ciel. C’est un article de Foi dans l’Eglise de Dieu qu’on doit les prier. Et un vrai Chrétien ne peut avoir le moindre doute à ce sujet. Mais comme nous avons déjà traité cette question en son lieu, nous y renvoyons les Pasteurs et les Fidèles. toutefois pour prévenir les erreurs dans lesquelles pourraient tomber les ignorants, il sera nécessaire de montrer aux Chrétiens la différence qui existe entre la Prière que l’on fait à Dieu, et celle que l’on adresse aux Saints. C’est qu’en effet, nous ne prions pas Dieu et les Saints de la même manière. nous demandons à Dieu qu’Il nous donne lui-même les biens, ou qu’Il nous délivre des maux ; et nous demandons aux Saints, comme jouissant de la faveur et de l’amitié de Dieu, de nous prendre sous leur protection, et de nous obtenir les choses dont nous avons besoin. De là deux formules de Prières très différentes. A Dieu nous disons proprement: ayez pitié de nous, exaucez-nous ; aux Saints: priez pour nous. Cependant nous pourrions aussi, dans un autre sens, demander aux Saints d’avoir pitié de nous, parce qu’ils sont très miséricordieux. Ainsi il nous est permis de les prier de prendre compassion de nos misères, et de nous aider de leur crédit et de leur intercession auprès de Dieu.

Mais ici prenons bien garde, tous tant que nous sommes, de ne pas attribuer à qui que ce soit ce qui n’appartient qu’à Dieu. Par exemple, si quelqu’un récite l’Oraison Dominicale devant l’image d’un saint, qu’il n’oublie pas qu’il demande uniquement à ce saint de prier avec lui, et de solliciter pour lui les choses qui sont contenues dans cette formule, en un mot de vouloir bien se faire son interprète et son intercesseur auprès de Dieu. Saint Jean, dans l’Apocalypse, nous apprend en effet que les saints dans le ciel remplissent ce ministère auprès de Dieu.

VII. — DE LA PRÉPARATION A LA PRIÈRE modifier

Nos Saints Livres nous disent: « Avant la Prière, préparez votre âme, et ne soyez pas comme un homme qui tente Dieu ! »[36] En effet, c’est tenter Dieu que de prier bien et d’agir mal, ou bien de laisser égarer son esprit, quand on s’entretient avec Lui. Puis donc que les dispositions avec lesquelles on doit prier Dieu sont si importantes, les Pasteurs ne manqueront pas d’enseigner à leurs pieux auditeurs les règles de la Prière.

La première de ces règles, ou dispositions, c’est une véritable humilité, avec l’abaissement du cœur et la reconnaissance des fautes qu’on a commises. Ces fautes doivent faire comprendre à celui qui vient à Dieu pour Le prier, que non seulement il ne mérite pas d’obtenir quelque chose, mais qu’il n’est pas même digne de paraître devant Lui. La sainte Ecriture nous parle très souvent de cette disposition. « Le Seigneur a regardé la Prière des humbles, dit le Psalmiste, et Il n’a point méprisé leurs supplications. »[37] L’Ecclésiastique nous dit de son côté : « Que la Prière de celui qui s’humilie pénétrera les nues. »[38] Au reste les Pasteurs instruits dans la sainte Ecriture, trouveront d’eux-mêmes une foule de passages qui se rapportent à cette Vérité, et que nous n’avons pas besoin de citer ici. Cependant nous ne voulons pas passer sous silence deux exemples que nous avens rapportés ailleurs, mais qui sont parfaitement appropriés à notre sujet. Le premier, que tout le monde connaît, est celui du Publicain qui se tenait si loin du sanctuaire, et qui n’osait même pas lever les yeux. Le second est celui de la femme pécheresse qui, pénétrée de douleur, vint arroser de ses larmes les pieds du Seigneur. tous les deux nous montrent clairement quel poids immense l’humilité chrétienne ajoute à la Prière.

Une seconde disposition, c’est la douleur de nos fautes, ou du moins un certain sentiment de peine en voyant que nous ne sommes pas assez repentants. Sans cette double disposition intérieure, ou du moins sans l’une d’elles, il est impassible d’obtenir le pardon de nos péchés. Et comme il y a des crimes qui par eux-mêmes empêchent Dieu, en quelque sorte, d’exaucer nos Prières, par exemple, le meurtre et la violence, nos mains doivent s’abstenir entièrement de toute espèce de cruauté et de mauvais traitements, en un mot de ces crimes dont Dieu nous parle en ces termes par la bouche d’Isaïe: « Lorsque vous étendrez vos mains vers Moi, Je détournerai mes yeux de vous, et lorsque vous multiplierez votre Prière, Je ne vous écouterai point, parce que vos mains sont pleines de sang. »[39]

II faut fuir également la colère et la discorde, qui sont de grands obstacles au succès de nos Prières. Voici ce que l’Apôtre en dit: « Je veux que les hommes prient en tout lieu, élevant vers Dieu des mains pures, sans colère et sans dissension. »[40]

Prenons garde aussi de rester implacables envers ceux qui ont eu des torts envers nous. Dans cet état d’âme, nos Prières ne pourraient déterminer Dieu à nous pardonner. « Lorsque vous vous présenterez pour prier, dit-Il Lui-même, pardonnez si vous avez quelque chose contre quelqu’un. »[41] Et encore: « Si vous ne remettez pas aux hommes leurs fautes, votre Père ne vous remettra point non plus les vôtres. »[42]

II est indispensable aussi que nous n’ayons ni dureté, ni inhumanité envers les pauvres. C’est contre ces hommes au cœur dur qu’il a été dit dans nos Saints Livres : « Celui qui ferme l’oreille au cri du malheureux, criera à son tour, et il ne sera point écouté. »[43]

Que dirons-nous de l’orgueil ? II déplait tant à Dieu ! C’est pourquoi il est écrit: « Dieu résiste aux superbes, et il donne sa grâce aux humbles. »[44] Que dirons-nous enfin de celui qui méprise les oracles divins ? Salomon lance contre lui cet anathème: « La prière de celui qui détourne l’oreille pour ne pas écouter la Loi sera exécrable. »[45] Ce n’est pas à dire pour cela que Dieu condamne et repousse la Prière d’un homme coupable d’injures envers le prochain, de meurtre, de haine, de dureté à l’égard des pauvres, d’orgueil, de mépris pour la Parole sainte, et enfin de tous les péchés, quels qu’ils soient, pourvu que cet homme prie pour obtenir le pardon de ses fautes.

La Foi est aussi un élément essentiel de cette préparation. Sans elle en effet, nous ne pouvons connaître ni la toute Puissance de notre Père suprême, ni sa Miséricorde, qui sont précisément les deux sources de la confiance. Aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ a-t-Il pris soin de nous dire Lui-même: « Tout ce que vous demanderez dans la prière avec Foi vous l’obtiendrez. »[46] Et Saint Augustin, à propos de ces paroles du Sauveur, ne craint pas de nous dire: « Si la Foi manque, il n’y a plus de Prière. »[47] La condition essentielle pour bien prier, c’est donc d’être ferme et inébranlable dans la Foi. Saint Paul le prouve indirectement en disant: « Comment invoqueront-ils Celui en qui ils ne croient point ? »[48] Ainsi donc, il faut croire, et pour que nous puissions prier, et pour que la Foi qui nous fait prier avec succès ne nous manque jamais. Car c’est la Foi qui engendre la Prière, mais c’est la prière qui lève à son tour tous les doutes, et qui rend la Foi stable et invincible. C’est dans cette conviction que Saint Ignace exhortait ceux qui vont à Dieu pour le prier: « Gardez-nous bien, leur disait-il, de porter l’esprit de doute dans la Prière. Heureux celui qui n’aura jamais douté ! »[49] Par conséquent, pour obtenir de Dieu ce que nous Lui demandons, la Foi et l’Espérance certaine d’être exaucés passent avant tout le reste. C’est que l’Apôtre saint Jacques nous rappelle par ces paroles: « Que le Fidèle demande avec Foi et sans hésiter. »[50] Et en effet il est bien des motifs capables d’exciter en nous la confiance dans la Prière.

D’abord, c’est la Bienveillance et la Bonté parfaite que Dieu nous témoigne, puisqu’Il nous ordonne de L’appeler notre Père, pour nous montrer que nous sommes ses enfants.

C’est le nombre presque infini de ceux qui ont obtenu l’effet de leurs Prières.

C’est ce Médiateur souverain qui se tient sans cesse à notre disposition, Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont Saint Jean a dit: « Si quelqu’un a péché, nous avons auprès du Père un Avocat, Jésus-Christ qui est juste ; et il est Lui-même propitiation pour nos péchés. »[51] Saint Paul, de son côté, dit aux Romains: « Jésus-Christ qui est mort, qui est ressuscité, qui est à la droite de son Père et qui y intercède pour nous ; »[52] et puis à Timothée: « Il n’y a qu’un Dieu et un seul Médiateur de Dieu et des hommes, Jésus-Christ, qui est homme ; »[53] et enfin aux Hébreux: « Il a dû se rendre semblable en toutes choses il ses frères, afin qu’Il fût un Pontife miséricordieux et fidèle auprès de Dieu. »[54] Dès lors, quoique indignes par nous-mêmes d’obtenir quelque chose, cependant à cause des mérites infinis de notre divin Médiateur et Intercesseur, de Jésus-Christ, nous devons espérer, avec une confiance entière, que Dieu voudra bien nous accorder tout ce que nous Lui demanderons de légitime par son entremise.

Enfin, c’est l’âme même de nos Prières, c’est-à-dire le Saint Esprit qui nous les inspire, et qui fait qu’elles sont toujours recevables. « Car, dit l’Apôtre Saint Paul, Dieu nous a envoyé l’Esprit d’adoption de ses enfants, dans lequel nous crions: Père, Père ! »[55] C’est cet esprit qui vient en aide à notre faiblesse et à notre ignorance dans le devoir de la Prière, ou plutôt, dit encore Saint Paul: « Il est l’Esprit qui prie pour nous par des gémissements ineffables. »

Que si quelques-uns chancellent encore, et ne se sentent pas assez fermes dans la Foi, qu’ils disent avec les Apôtres « Seigneur, augmentez notre Foi ; »[56] ou avec l’aveugle « aidez mon incrédulité ».[57]

Animés d’une Foi vive et d’une espérance ferme, nous obtiendrons infailliblement de Dieu tout ce que nous désirons, si nous avons soin de conformer à sa Loi et à sa volonté toutes nos pensées, toutes nos actions et toutes nos Prières. « Si vous demeurez en Moi, dit notre Seigneur, et que mes paroles demeurent en vous, vous demanderez tout ce que vous voudrez, et il vous sera accordé. »[58] n’oublions pas toutefois que pour obtenir de Dieu toutes les grâces que nous demandons, il faut avant tout, comme nous l’avons déjà dit, l’oubli des injures, la bienveillance, et la volonté de faire du bien au prochain.

VIII. — MANIÈRE DE PRIER: QUALITÉS DE LA PRIÈRE modifier

Il importe extrêmement de savoir bien prier. Car, quoique la Prière en elle-même soit une chose très salutaire, cependant si on ne la fait pas comme il convient, elle ne produit aucun fruit. Souvent, comme le dit l’Apôtre Saint Jacques, nous n’obtenons pas ce que nous demandons, parce que nous demandons mal.[59] Les Pasteurs auront donc à cœur d’enseigner aux Fidèles quelle est la meilleure manière de demander et de prier, soit en particulier, soit en public, en un mot ils leur apprendront les règles de la Prière chrétienne, d’après Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même.

Il faut donc prier en esprit et en vérité ;[60] car le Père céleste demande des adorateurs en esprit et en vérité. Or c’est prier ainsi que de parler à Dieu avec toute l’ardeur de son esprit, et toute l’affection de son cœur. Certes, nous sommes loin de dire que la Prière vocale ne puisse revêtir aussi cette qualité. Cependant nous croyons devoir accorder la première place à la Prière qui part d’un cœur enflammé d’amour, et que Dieu — qui connaît les plus secrètes pensées des hommes — sait toujours entendre, sans même que la bouche la prononce. C’est ainsi qu’Il entendit, qu’Il exauça, la Prière intérieure d’Anne, la mère de Samuel, dont nos Saints Livres nous disent qu’elle pleura pour prier, et que ses lèvres remuaient à peine.[61] C’est ainsi encore que priait David: « Mon cœur Vous a parlé, dit-il à Dieu, mes yeux Vous ont cherché. »[62] La sainte Ecriture est remplie d’exemples semblables.

La Prière vocale, elle aussi, a son utilité propre, et même sa nécessité. Elle excite la ferveur de l’âme, et elle enflamme la piété de celui qui prie. C’est ce que Saint Augustin écrivait en ces termes à Proba: « Quelquefois les paroles ou d’autres signes excitent plus vivement et augmentent nos saints désirs. Quelquefois nous sommes forcés, par l’ardeur qui nous anime et la piété qui nous enflamme, d’exprimer par des paroles ce qui se passe dans notre cœur. Quand le cœur en effet est plein de joie et qu’il le manifeste, il est juste aussi que la bouche elle-même se réjouisse. Par ce moyen nous faisons tout ensemble à Dieu le sacrifice de notre corps et de notre âme, et nous imitons les Apôtres qui priaient de cette manière, comme on le voit dans les Actes, et dans Saint Paul, en plusieurs endroits. »[63]

Comme il y a deux sortes de Prières, l’une privée, l’autre publique, nous pouvons dans la Prière privée prononcer telles paroles qui nous plaisent, pour seconder nos sentiments intérieurs et notre piété. Quant à la Prière publique instituée par l’Eglise pour augmenter la dévotion des Fidèles, on ne peut en aucune façon s’abstenir d’employer des paroles, et dans les temps qu’elle a fixés.

C’est le propre des Chrétiens seuls de prier en esprit, et les infidèles ne connaissent point cette coutume. C’est d’eux que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous dit: « Quand vous priez, ne multipliez point les paroles comme les païens, qui croient qu’en parlant beaucoup ils seront exaucés. ne les imitez point ; car votre Père connaît vos besoins, avant que vous Lui ayez rien demandé. »[64] Cependant en condamnant les paroles trop multipliées, notre Seigneur ne réprouve point les longues Prières, lorsqu’elles sont le fruit d’un sentiment profond et durable ; au contraire Il nous y exhorte pas ses propres exemples. Car non seulement Il passait des nuits à prier,[65] mais Il répéta jusqu’à trois fois de suite la même demande.[66] Il faut donc retenir de cette parole de Notre-Seigneur, que ce n’est point le vain bruit des mots qui touche le Cœur de Dieu.

Les hypocrites ne prient point non plus du fond de leur cœur, et Jésus-Christ nous met en garde contre leurs détestables habitudes: « Lorsque vous priez, nous dit-il, ne soyez point comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et aux coins des places publiques, enfin d’être vus des hommes. En vérité, Je vous le dis ; ils ont reçu leur récompense. Pour vous, quand vous priez, entrez dans votre chambre, et, la porte étant fermée, priez votre Père en secret, et votre Père qui voit dans le secret vous accordera votre demande. »[67] Le mot chambre. que Notre-Seigneur emploie dans ce passage, peut très bien s’entendre du cœur de l’homme. Et il ne suffit pas d’entrer dans son cœur, pour prier, mais de plus il faut le fermer, de peur qu’il ne s’y glisse et qu’il n’y pénètre quelque chose du dehors, qui pourrait altérer la pureté de la Prière. Si nous sommes fidèles à cette recommandation de son divin Fils, le Père céleste qui connaît parfaitement notre cœur et ses plus secrètes pensées se plaît à exaucer nos supplications.

La Prière exige également la persévérance. C’est par là surtout qu’elle est efficace. Notre-Seigneur Jésus-Christ Lui-même a voulu nous le montrer par l’exemple de ce juge qui, ne craignant ni Dieu, ni les hommes,[68] se laissa vaincre pourtant par la persévérance et les instances de la veuve, et lui accorda sa requête. Prions donc avec assiduité. n’imitons pas ceux qui après avoir prié une ou deux fois, sans être exaucés, se fatiguent de la Prière. Un devoir que l’autorité de Notre-Seigneur et des Apôtres nous recommande si expressément ne doit point connaître la fatigue et la lassitude. Si parfois nous sentons quelque faiblesse dans notre volonté, adressons-nous à Dieu, prions-Le de nous donner la force de persévérer.

Le Fils de Dieu veut aussi que ce soit en son nom que notre Prière arrive à Dieu son Père. C’est uniquement par le mérite et le crédit d’un tel Médiateur que nous pouvons être exaucés. Ecoutons ce qu’Il dit Lui-même dans Saint Jean : « En vérité, en vérité, Je vous le dis ; si vous demandez quelque chose à mon Père en mon nom, Il vous le donnera. Jusqu’ici vous n’avez rien demandé en mon nom, demandez et vous recevrez, afin que votre joie soit parfaite. »[69] Et encore: « Tout ce que vous demanderez à mon Père en mon nom, Je le ferai. »

Imitons le zèle et la ferveur des Saints dans la Prière Joignons l’action de grâces à la demande, à l’exemple des Apôtres, qui conservèrent fidèlement cette pratique, comme nous le voyons dans Saint Paul.[70]

Ajoutons à la Prière le Jeûne et l’Aumône. Le Jeûne va très bien avec la prière. Lorsque le corps est appesanti par la nourriture, l’esprit n’est plus libre ; il ne peut ni contempler Dieu, ni se plonger dans l’oraison. L’Aumône aussi s’allie admirablement avec la Prière. Car comment oser se dire animé d’une vraie Charité, quand on a les moyens de faire du bien aux nécessiteux, et que l’on néglige de secourir son prochain et son frère ? Ou comment celui qui manque de Charité osera-t-il réclamer l’assistance divine ? à moins qu’en demandant pardon de sa faute, il ne demande aussi très humblement à Dieu de lui accorder la Charité.

Voilà donc le triple remède, que Dieu dans sa Clémence a préparé pour sauver les hommes. nos péchés sont toujours, ou des offenses envers Lui, ou des torts envers le prochain, ou des attentats contre nous-mêmes. Et bien ! Il nous a donné la Prière pour L’apaiser, l’Aumône pour réparer nos torts envers les autres, et le Jeûne pour effacer les souillures de nos fautes personnelles. On peut dire, il est vrai, que ces trois remèdes peuvent servir à tous les péchés, quels qu’ils soient. Mais il faut reconnaître que chacun d’eux s’applique plus spécialement à l’une des trois espèces de fautes que nous venons d’indiquer.

  1. Luc., 18, 1.
  2. Luc., 11, 1.
  3. Matth., 17, 21.
  4. Hier. in cap., 7.
  5. Matth., 7, 8. = Luc., 11, 10. Joan., 16, 23.
  6. Psal., 140, 2.
  7. Psal., 19.
  8. Serm., 15, 226, de Tempore.
  9. Joan., 16, 24.
  10. Is., 58, 9.
  11. Is, 65, 24.
  12. Aug. serm., 33, de Verb. Domini.
  13. Psal., 9, 17.
  14. Rom., 10, 14.
  15. Aug. Epist., 121, c., 8.
  16. Hil., in Psal. 63.
  17. Exod., 32, 10.
  18. 1 Tim., 2, 1.
  19. Psal., 49, 15.
  20. Psal., 61, 9.
  21. Psal., 54, 23.
  22. Aug. Ench. cap., 7.
  23. Matth., 11, 28.
  24. 2 Mach., 9, 13.
  25. Matth., 20, 22.
  26. Joan., 15, 7.
  27. Genes., 28, 20.
  28. Prov., 30, 8.
  29. 1 Cor., 7, 30.
  30. Psal., 61, 11.
  31. Tim., 2, 1.
  32. Coloss., 4, 3.
  33. Act., 12, 5.
  34. Matth., 5, 44.
  35. Psal., 49, 15.
  36. Eccl., 18, 23.
  37. Psal., 101, 18.
  38. Eccl., 35, 21.
  39. Is., 1, 15.
  40. 1 Tim., 2, 8.
  41. Marc., 11, 25.
  42. Matth., 6, 13.
  43. Prov., 21, 13.
  44. Jac., 4, 6. Pet., I., 5, 5.
  45. Prov., 28, 9.
  46. Matth., 21, 22.
  47. Aug. Ep. 10. Serm., 36.
  48. Rom., 10, 14.
  49. Epist., 10, ad Hier.
  50. Jac., 1, 6. 53. = 1 Tim., 2, 5.
  51. Joan., 2, 14.
  52. Rom., 8, 34.
  53. 1 Tim., 2, 5.
  54. Héb., 2, 17.
  55. Rom., 8, 15.
  56. Luc., 17, 5.
  57. Marc., 9, 24.
  58. Joan., 15, 7.
  59. Jac., 4, 3.
  60. Joan., 4, 23.
  61. 1 Reg., 1, 16.
  62. Psal., 26, 8.
  63. Epist., 121.
  64. Matth., 6, 7.
  65. Luc., 6, 12.
  66. Matth., 16, 44.
  67. Matth., 6, 5.
  68. Joan., 16, 23.
  69. Joan., 14, 14.
  70. Eph., 5, 19.