Catéchisme d’économie politique/1881/15

Texte établi par Charles Comte, Joseph GarnierGuillaumin (p. 90-96).
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CHAPITRE XV.

Des prohibitions.


Quelles sont les prohibitions dont il est ici question ?

Ce sont les défenses faites par les lois d’importer ou d’exporter certains produits.

Sur quels produits s’étendent principalement les prohibitions ?

On prohibe, en général, la sortie des matières premières et l’entrée des produits manufacturés.

Sur quel motif s’appuie-t-on ?

On s’imagine que ce que l’étranger nous paye pour des matières premières n’est pas tout profit, et que ce qu’il nous paye pour notre main-d’œuvre est tout profit.

Cette opinion est-elle fondée ?

Il est très vrai que lorsque l’étranger nous paye 600 fr. pour une pièce de drap, il nous rembourse pour 600 fr. d’avances qui ont été le prix de services productifs exécutés par des Français. Mais quand il nous paye 600 fr. pour une balle de laine, il nous rembourse également pour 600 fr. d’avances qui ont été le prix de services productifs exécutés de même par des Français. Dans les deux cas, cette somme est tout profit pour la France, puisqu’elle est en totalité gagnée par des Français.

Oui ; mais dans le premier cas, nous ne livrons à l’étranger que 60 à 80 livres de matières ; et dans le second cas, nous lui en livrons 300.

Ce n’est pas la matière qui fait l’importance de ce que nous livrons à l’étranger, c’est la valeur de la matière. S’il fallait éviter de vendre des objets pesants et encombrants, il faudrait éviter d’exporter du fer, du sel et d’autres matières qui ont très peu de valeur à proportion de leur volume.

Ne vaudrait-il pas mieux exporter du fer ouvragé que du fer en barres ?

Si, par l’exportation du fer ouvragé, nous augmentons la somme totale de nos exportations, ce genre d’envois nous est favorable ; mais l’exportation d’une valeur de 1,000 francs en fer brut nous est aussi favorable que celle de 1,000 francs en fer ouvragé. Il y a, dans les deux cas, la même somme de services productifs payés à la nation.

Dans les deux cas les profits s’adressent-ils aux mêmes classes de producteurs ?

Non ; quand une demande de fer en barres est adressée par une nation étrangère à la France, il y a plus de profits obtenus par la classe des entrepreneurs, et moins par la classe ouvrière, que si l’étranger demandait du fer ouvragé. Si la demande prenait habituellement ce cours, le nombre des entrepreneurs français se multiplierait un peu plus, et celui des ouvriers un peu moins ; mais les gains de la nation seraient les mêmes dans l’un et l’autre cas.

La somme des exportations n’est-elle pas plus considérable quand les lois favorisent de préférence l’exportation des objets manufacturés ?

Les lois qui favorisent le plus les exportations sont celles qui laissent le plus de liberté dans le choix des objets que le commerce envoie au dehors et qu’il reçoit en retour.

Convient-il, en conséquence, d’abolir tous les droits d’entrée ?

Non ; car notre commerce avec l’étranger aurait alors un privilège sur notre agriculture et nos fabriques qui, de leur côté, supportent leur part des impôts. L’équité veut que toutes les industries et tous les consommateurs supportent leur part des charges communes[1].

Faudrait-il supprimer tous les droits d’entrée qui excéderaient cette proportion ?

Si l’on supprimait brusquement les droits exagérés et les prohibitions, on pourrait ruiner les établissements qui ne se sont élevés qu’à la faveur des privilèges que ces droits et ces prohibitions leur assurent. Le bien même veut être exécuté avec prudence[2].

Quel bien résulterait-il d’un système qui diminuerait autant que possible les entraves et les frais qui accompagnent le commerce avec l’étranger ?

Il en résulterait une plus grande activité dans nos relations commerciales au dehors et, par conséquent, dans notre production intérieure.

Comment y gagnerions-nous une plus grande production intérieure ?

Chaque nation ne peut consommer pour son usage qu’un nombre borné d’objets. Si les habitants de la France ne peuvent chaque année consommer qu’un nombre de cinq millions de chapeaux de feutre, et s’ils n’ont point de commerce extérieur, ils ne pourront fabriquer au delà de cinq millions de chapeaux de feutre, car un plus grand nombre ne se vendrait pas. Mais s’ils importent du sucre et du café, ils pourront fabriquer peut-être un million de chapeaux en sus, qui seront exportés pour payer du sucre et du café. Ils auront produit, pour ainsi dire, leur sucre en chapeaux.

Je conçois cet avantage, quand il s’agit de nous procurer des denrées que nous ne pouvons pas créer nous-mêmes ; mais quant aux produits que nous pouvons créer chez nous, pourquoi les tirerions-nous de l’étranger ?

Il nous est avantageux de les tirer de l’étranger si, avec les mêmes frais de production, nous obtenons ainsi une plus grande quantité de produits.

Expliquez-moi cela par un exemple.

Si nous tirons d’Allemagne 100,000 aunes de rubans de fil, nous importons une marchandise que nous pourrions produire immédiatement nous-mêmes, mais qu’il convient mieux d’importer que de fabriquer ; car leur fabrication nous coûterait, par supposition, 7,000 francs, tandis que nous les payons avec 2,000 mille aunes de taffetas qui ne nous coûtent que 6,000 mille francs de frais de production.

C’est fort bien si nous sommes admis à les payer en soieries ; mais ne serions-nous pas en perte s’il fallait les payer en argent ?

Rappelez-vous le précédent chapitre : comme nous n’avons point de mines d’argent, il faut toujours que nous fassions, avec des produits de notre sol et de notre industrie, l’acquisition de l’argent que nous payons à l’étranger. De toutes les manières, en dernier résultat, nous ne payons les produits étrangers qu’avec nos produits.

Mais, dans ce commerce, ne peut-on pas perdre comme gagner ?

Toutes les fois qu’un commerce se soutient, c’est qu’il donne du bénéfice aux commerçants. Il en donne aussi aux agriculteurs et aux fabricants nationaux dont les commerçants achètent les produits. Il convient de même aux consommateurs nationaux qui, par le moyen du commerce avec l’étranger, obtiennent soit des produits que leur pays ne fournit pas, soit à meilleur marché des produits que leur pays pourrait créer, mais plus dispendieusement. Si tout le monde y gagne, comment la nation y perdrait-elle ?



  1. Mais l’égalité existe en fait ; car la production des marchandises importées a dû acquitter les charges des pays de provenance et ensuite les frais de transport. Ces charges se compensent. Il serait d’ailleurs impossible d’en faire une péréquation exacte. J. G.
  2. Ceci répond aux déclamations dont les écrits de M. J.-B. Say ont été l’objet, depuis quelque temps, de la part de quelques sectes obscures. On a prétendu que toutes les théories de ce savant économiste pouvaient se résumer en quatre mots : Laissez faire, laissez passer. Une telle assertion ne pouvait faire fortune qu’auprès de ceux qui n’ont pas lu ses ouvrages et qui ne jugent que sur la parole d’autrui. Ch. C.

    Les économistes du xviiie siècle disaient aux corporations : Laissez faire, c’est-à-dire : Laissez travailler ; ils disaient aux douanes provinciales : Laissez passer, c’est-à-dire : Laissez échanger. Ils proclamaient ainsi la grande liberté du travail impliquant celle des échanges, sans demander naturellement qu’on laisse tout faire et tout passer, comme les en ont accusés les écoles socialistes auxquelles Ch. Comte fait allusion, ainsi que les prohibitionnistes triomphant sous la Restauration et depuis. J. G.