Catéchisme bouddhique/La Doctrine


Catéchisme bouddhique (Buddhistischer Katechismus, 1888)
Ernest Leroux (Bibliothèque orientale elzévirienne, LXIp. 52-107).



LA DOCTRINE (DHAMMA).


69. Qu’est-ce que c’est que la Doctrine ?

La Doctrine, c’est la Vérité et la Règle de Salut que le Bouddha a perçues et annoncées, que la tradition des Arahats nous a conservées et qui sont contenues dans les Livres Saints.

70. Comment nomme-t-on les Livres Saints des Bouddhistes ?

Les trois Pitakas (Tripitaka) ou collections de livres.

71. Comment sont nommées les trois Pitakas ?

Soutta-Pitaka, Vinaya-Pitaka et Abhidhamma-Pitaka.

72. Que contient le Soutta-Pitaka ?

Il contient les enseignements, les prédications et les sentences du Bouddha qui sont destinées aussi bien aux adhérents laïques qu’à la Confrérie ; enfin un certain nombre d’allégories et de préceptes qui doivent expliquer la Doctrine.

73. Que contient le Vinaya-Pitaka ?

Il contient les préceptes et les règles de conduite de la Confrérie des Élus (Sangha).

74. Que contient l’Abhidhamma-Pitaka ?

L’Abhidhamma-Pitaka contient les doctrines religieuses et philosophiques les plus profondes du Bouddhisme et n’est intelligible que pour ceux des Frères qui ont déjà atteint un degré supérieur de développement spirituel et moral.

75. Ces trois collections de livres contiennent-elles des révélations divines ?

Non. Il n’y a pas de révélations divines. Le Bouddhisme rejette absolument cette idée insensée et sans base, que la vérité éternelle soit révélée ou inspirée par un dieu ou par un ange à un homme privilégié, et favorisé d’une grâce spéciale. Les hommes n’ont jamais reçu de révélations que de la bouche de ces maîtres sublimes de la race humaine qui, par leurs propres forces, se sont élevés à la perfection suprême, spirituelle et morale, et que l’on appelle pour cela des Bouddhas, Lumières du monde. Ces hommes perçoivent la vérité éternelle par intuition, lorsqu’ils sont arrivés à l’état d’illumination intérieure. C’est cette vérité éternelle, telle que le Bouddha Gotama l’a perçue et annoncée, que contiennent les trois Pitakas.

76. Qu’est-ce qui a poussé le Bouddha à nous annoncer la Doctrine ?

Sa miséricorde, sa bienveillance sans bornes, sa compassion pour nos souffrances et notre ignorance. Car c’est notre ignorance, c’est-à-dire notre aveuglement naturel et inné (avidya)[1] qui nous empêche de trouver, par nos propres forces, le chemin qui nous sortirait de ce Samsâra.

77. Qu’est-ce que c’est que le Samsâra ?

C’est le monde dans lequel nous vivons : le monde de l’erreur, du péché, de la naissance, de la souffrance et de la mort. C’est le monde qui commence et finit, celui des variations éternelles, des désillusions et des douleurs ; c’est le cercle sans fin des existences toujours nouvelles, dont on ne peut s’échapper, tant que la lumière de la vraie connaissance, qui doit nous sauver, ne s’est pas allumée en nous.

78. Quelle est la cause de la souffrance, de la mort et des vies successives ?

C’est la volonté de vivre[2] qui nous anime tous ; le désir d’une existence individuelle dans ce monde ou dans un autre. (Ciel ou Paradis).

79. Et comment peut-on mettre fin à la souffrance, à la nécessité d’existences successives ?

En se débarrassant de la volonté de vivre, en dominant le désir d’une existence individuelle, dans ce monde ou dans un autre. Voilà la délivrance, l’affranchissement, le chemin pour arriver à la paix éternelle.

80. Qu’est-ce qui nous empêche donc de nous débarrasser de la volonté de vivre et d’arriver à la délivrance ?

Justement cette ignorance (avidya) cet aveuglement terrestre, ce manque de connaissance véritable.

81. Quelle est cette connaissance qui conduit au salut et à la délivrance ?

La connaissance des Quatre Vérités de Salut que le Bouddha nous a annoncées.

82. Quelles sont les Quatre Vérités de Salut ?

Ce sont :

La souffrance.

La cause de la souffrance.

La suppression de la souffrance.

Le chemin qui mène à la suppression de la souffrance.

83. Comment s’expliquent les Quatre Vérités de Salut ?

Écoutez les propres paroles du Bouddha ; elles sont contenues dans le livre de « l’Annonciation de l’Ordre moral du Monde » :

« Frères, c’est parce que nous ne reconnaissons pas et que nous ne saisissons pas les Quatre Vérités de Salut, qu’il nous faut suivre si longtemps le chemin désolé des existences successives. Et quelles sont ces Quatre Vérités de Salut ? Ce sont la vérité de la souffrance, la vérité de la cause de la souffrance, la vérité de la suppression de la souffrance et la vérité du chemin qui mène à la suppression de la souffrance.

Mais, si ces Quatre Vérités sont une fois absolument reconnues et comprises, la volonté de vivre disparaît. Les aspirations qui conduisent à une nouvelle existence s’éteignent et le cercle des vies successives (Samsâra) prend fin.

Voici, Frères, la sublime vérité de la souffrance : La naissance est une souffrance ; la maladie est une souffrance ; la mort est une souffrance. Être séparé de ce qu’on aime est une souffrance. Vivre avec ce qu’on n’aime pas est une souffrance. Ne pas obtenir ce qu’on désire est une souffrance. Être obligé de souffrir ce que l’on déteste est une souffrance. Bref l’existence comme être isolé (Individualité) est, par sa nature même, une souffrance.

Voici, Frères, la vérité sublime de la cause de la souffrance : C’est la volonté de vivre, le désir d’exister et de jouir qui conduit de naissance en naissance et qui cherche sa satisfaction, tantôt dans une forme tantôt dans une autre. C’est le désir de satisfaire ses passions, le désir d’une félicité individuelle, dans ce monde ou dans un autre.

Voici, Frères, la sublime vérité de la suppression de la souffrance : C’est l’anéantissement complet de la volonté de vivre, du désir d’exister et de jouir. Il faut les vaincre, s’en défaire, s’en délivrer, ne plus leur accorder de place en soi-même.

Voici, Frères, la sublime vérité du chemin qui conduit à la suppression de la souffrance : En vérité, c’est le Sublime Sentier à huit parties qui s’appelle : Connaissance droite, volonté droite, parole droite, action droite, vie droite, efforts droits, pensée droite, recueillement droit.

Il y a deux extrêmes, Frères, que celui qui s’efforce d’arriver à la délivrance doit éviter. L’un : le désir de satisfaire ses passions et le goût des jouissances sensuelles est bas, vil, dégradant, et pernicieux ; c’est le chemin des enfants du monde. L’autre : les mortifications violentes est triste, pénible et inutile. Seul, le chemin intermédiaire, que le Bouddha a trouvé, évite ces deux extrêmes, ouvre les yeux, éclaire l’intelligence et conduit à la paix, à la Sagesse, à la Lumière, au Nirvâna[3]. »

84. Qu’est-ce que c’est que le Nirvâna ?

C’est un état de l’esprit dans lequel toute volonté de vivre, tout désir d’exister et de jouir est complètement éteint ; où toute passion, toute aspiration, tout désir, toute crainte, toute malveillance et toute douleur ont disparu. C’est un état de paix de l’âme, accompagné de l’assurance inébranlable que la délivrance est obtenue. Un état que les paroles ne peuvent dépeindre et que l’imagination de celui qui ne s’est pas détaché du monde cherche en vain à se représenter. Seul celui qui l’a prouvé lui-même peut savoir ce que c’est que le Nirvâna[4].

85. Le Nirvâna est-il la même chose que la Délivrance ?

Oui, c’est la délivrance et on peut l’atteindre dès cette vie.

86. Tous les hommes peuvent-ils atteindre le Nirvâna dès la vie actuelle ?

Le plus petit nombre seul le peut. La plupart des hommes sont, par suite de leurs actes dans des vies antérieures, d’une nature spirituelle et morale si imparfaites, qu’ils ont besoin encore de nombreuses existences successives, avant d’être assez purifiés, pour obtenir la délivrance. Mais tout homme, qui fait de sérieux efforts, peut obtenir de renaître dans des conditions favorables.

87. Notre passage à une autre existence dépend-il donc seulement de nous ?

Oui, de notre volonté seule. Cette « volonté de vivre » (tanha)[5] qui nous anime tous et forme l’essence même de notre être, est véritablement la force créatrice ; c’est ce que les autres religions se représentent comme Dieu personnifié. C’est la cause de notre existence et de nos vies successives, c’est en un mot ce qui crée, conserve et détruit toutes choses ; c’est la vraie trinité.

88. La nature de la nouvelle existence, où nous devons entrer après notre mort, dépend-elle également de nous ?

Oui, la nature de notre nouvelle vie dépend absolument de nos actes, des mérites et des fautes de nos précédentes existences. Si nos mérites l’emportent, nous renaîtrons dans un monde ou dans un ensemble d’êtres supérieurs ; si au contraire nous nous chargeons de fautes graves, elles auront pour conséquence inévitable, une autre existence inférieure, riche en souffrance et en douleur.[6]

89. Quelle est la loi qui régit tout cela ?

Le Karma.

90. Qu’est-ce que c’est que le Karma ?

C’est l’ordre moral du monde, dont l’ordre physique et visible de l’univers n’est que l’image matérielle, dans l’espace et dans le temps. C’est l’enchaînement de la cause et de l’effet dans la sphère morale. De même que dans la sphère physique, chaque cause entraîne nécessairement dans le monde moral, l’effet correspondant. Le mal produit la souffrance. Le bien produit la paix et la félicité. Aucun être vivant ne peut se soustraire à cette loi.

91. Quelle différence y a-t-il entre le Tanha et le Karma ?

Le Tanha est la volonté de vivre, la cause agissante de notre existence et de nos vies successives. Le Karma est ce qui fixe la nature et les conditions de notre existence et de nos vies successives, c’est-à-dire notre forme, nos dispositions naturelles, le monde dans lequel nous vivons, nos souffrances et nos joies. Le Karma est notre caractère individuel, notre véritable être intime et en même temps c’est aussi ce que d’autres religions appellent la volonté de Dieu, la Providence ou la destinée.[7]

92. L’homme dans ses existences successives ne peut-il vivre que sur la terre ?

Non ; il y a dans l’espace incommensurable d’innombrables mondes habités, où vivent des êtres qui sont d’une nature inférieure à l’homme ou qui sont, au contraire, arrivés à un développement supérieur au sien. Nous pouvons renaître dans tous ces mondes.

93. Les corps qui remplissent l’Univers sont-ils immuables ?

Non, tous sont, comme notre terre, soumis à des changements continuels. Toute la nature, animée et inanimée, est éternellement variable. Les mondes naissent, se développent et périssent. C’est l’ordre de toute éternité.

94. L’Univers est-il sorti du néant ?

Non. Du néant, il ne peut rien naître ni sortir.

95. Un Dieu créateur a-t-il, de sa propre volonté, appelé l’Univers à l’existence ?

Non, il n’y a pas de Dieu créateur de la grâce ou de la volonté duquel l’existence du monde dépendrait. Tout naît et se développe par soi-même, en vertu de sa propre volonté, et conformément à sa propre nature et essence (Karma). L’ignorance a seule inventé un Dieu créateur. Les Bouddhistes rejettent absolument la croyance en un Dieu personnel, et regardent comme une insanité la doctrine d’une création sortie du néant.[8]

96. Le Bouddha n’a-t-il rien enseigné sur le premier commencement et sur la fin de l’Univers ?

Non.

97. Ne savait-il rien sur ces points ?

Si ; il le savait, mais il n’en a rien dit.

98. Pourquoi ?

Parce que cette science, même si elle pouvait être enseignée en paroles, ne pourrait en rien favoriser le développement spirituel et moral de l’homme ; parce qu’elle ne conduit pas à la suppression de la douleur, au salut, à la délivrance, au Nirvâna. Il n’y a que celui qui est arrivé au dernier et suprême degré du développement humain, il n’y a qu’un Bouddha qui puisse concevoir la dernière base de ce qui est.

99. Ainsi une explication des derniers mystères de l’être est impossible ?

Oui ; parce que aucune des formes du Fini, auxquelles appartiennent aussi la pensée et le langage, ne peut exprimer l’Éternel, ce qui n’a pas commencé et qui ne finira pas. Partout où on l’a essayé, dans d’autres religions, cette entreprise n’a jamais conduit qu’à de vaines spéculations, à des affirmations vides, à des disputes, des malentendus et même souvent à la guerre, au meurtre et à des cruautés de toutes sortes. Au lieu d’arriver à la vérité, au salut et à la paix, on n’a abouti ainsi qu’à l’erreur, à la souffrance et à des désastres. C’est pourquoi le Bouddha s’est tu sur ces questions.

100. N’apprendrons-nous jamais ces mystères ?

Si. Tout homme, qui suit la Doctrine de Salut du Bouddha, peut arriver à la lumière et à la délivrance. Là, tous les mystères que sa raison s’efforce en vain de percer, se présenteront clairs et sans voiles à son œil intérieur. Il faut seulement qu’il prenne et suive résolument le Sublime Sentier à huit parties[9].

101. Quelle est la meilleure manière de le faire ?

Entrer dans la Confrérie des Élus, abandonner le monde et employer toutes ses forces à atteindre le but suprême.

102. Tout le monde le peut-il ?

Tout homme qui le veut sérieusement, le peut ; mais le plus grand nombre ne veut pas quitter le monde et ses jouissances trompeuses.

103. Celui qui reste dans le tourbillon du monde ne peut-il pas atteindre aussi à la lumière et à la délivrance ?

Non, c’est impossible. Atteindre, dès cette vie, le Nirvâna n’est réservé qu’à ceux qui sont entrés dans le Sublime Sentier à huit parties[10].

104. Il y a donc plusieurs sortes de Bouddhistes ?

Oui ; il y en a deux. Ceux qui prononcent la formule de recours et font les cinq vœux généraux, mais qui persistent à rester dans le monde, sont les adhérents laïques ou confesseurs de la Doctrine. (Oupâsaka). Les véritables disciples du Bouddha sont seulement ceux qui renoncent au monde et qui, après avoir fait les dix vœux, marchent sur le sentier de la lumière et de la délivrance. Ils portent le nom de Bhikshou ou Samanas et forment la Confrérie des Élus. (Sangha.)

105. Quels sont les cinq vœux ?

Les cinq vœux ou Pantcha-Sila sont ainsi conçus :

Je fais vœu :

1o de ne tuer ou blesser aucun être vivant[11] ;

2o de ne pas voler ;

3o de ne pas m’abandonner à la luxure, c’est-à-dire de m’abstenir de tout commerce sexuel illégitime ; de ne séduire ni la femme, ni les filles, ni les pupilles ou les protégées de mon prochain ;

4o de ne pas mentir, tromper ou calomnier ;

5o de ne boire aucune boisson enivrante[12].

Ces Pantcha-Sila sont obligatoires pour tout homme qui veut être un adhérent du Bouddhisme.

106. Quel fruit recueille-t-on en accomplissant les cinq vœux ?

Celui qui les accomplit fidèlement sera honoré en cette vie de tous les braves gens ; il échappera à bien des douleurs et à biens des souffrances ; il aura une bonne conscience et vivra en paix avec ses voisins. Sa connaissance grandira et il renaîtra dans des conditions plus favorables. Celui qui observera les huit vœux un temps plus ou moins long, mais au moins tous les jours fériés de la semaine (Ouposâtha), obtiendra une récompense encore plus haute.

107. Quels sont les huit vœux ? (Atthânga-Sila).

Ce sont les cinq premiers, plus les trois suivants :

Je fais vœu :

6o De m’abstenir de manger dans les temps inopportuns ; c’est-à-dire de ne plus prendre de nourriture après le repas du milieu du jour ;

7o De ne pas danser, de ne pas chanter de chants profanes, de ne pas visiter les représentations théâtrales ou musicales, en un mot de m’abstenir de tous les plaisirs et des distractions mondaines ;

8o De ne me servir d’aucune sorte de parures, ni de parfums, en un mot de rejeter tout ce qui sert la vanité.

Le vœu concernant la luxure est, pendant l’observation des Atthânga-Sila, remplacé par celui de continence absolue, même pour les gens mariés.

108. Quels sont les dix vœux des membres de la Confrérie ?

Ce sont les Dasa-Sila c’est-à-dire outre les huit déjà cités, les deux suivants :

Je fais vœu :

9° De ne pas me servir de lit somptueux, mais d’une couche basse et dure ;

10° De vivre toujours dans la pauvreté volontaire.

109. De combien de manières peut-on manquer à ces vœux ?

De trois manières : en pensées, en paroles ou en actions.

110. Pourquoi celui qui ne quitte pas le monde, ne peut-il obtenir le Nirvâna ?

Parce que, dans le monde, il est impossible de remplir les dix vœux, dans toute leur étendue, de se débarrasser des dix liens et d’atteindre à la vraie connaissance. La vie mondaine ne repose que sur l’égoïsme et sur l’ignorance (Avidya).

111. Ainsi, pour arriver à la délivrance, il nous faut devenir Bhikshou et prendre le chemin du renoncement ?

Ce n’est pas le chemin du renoncement, c’est le chemin de la délivrance. Celui qui regarde l’abandon des biens terrestres, des joies et des jouissances de ce monde, comme un renoncement douloureux, est encore bien loin de la vraie connaissance ; celui qui, au contraire, en y renonçant, croit se débarrasser des choses vaines, sans valeur et pesantes et secouer de lourdes chaînes, est seul dans le vrai[13].

112. Le Bouddha ne peut-il pas nous délivrer des conséquences de nos fautes, par son propre mérite ?

Non ; aucun homme ne peut être délivré par un autre. On lit dans les Livres Saints : « Aucun Dieu, aucun saint ne peut sauver un homme des conséquences de ses mauvaises actions. Chacun doit se délivrer lui-même. »

113. Comment peut-on exprimer de la manière la plus brève, l’essence de toute la Doctrine ?

Par le mot : justice.

Une justice immuable règne dans tout le domaine de la nature animée et inanimée. Chaque action bonne ou mauvaise porte nécessairement ses fruits. La grâce d’un Dieu personnel ne peut sauver aucun criminel, tourmenté par le remords, des suites de sa mauvaise action[14] ; de même qu’il n’y a pas de souverain du ciel ou de la terre dont le caprice puisse diminuer la récompense que l’homme vertueux doit recevoir.

114. Comment s’acquiert-on des mérites, au sens moral du mot ?

En accomplissant fidèlement les vœux, en paroles, en pensées et en actions ; en s’efforçant avec zèle d’arriver à la connaissance ; mais, avant tout, en se montrant juste et bienveillant pour tous les êtres vivants.

115. Est-ce seulement l’action extérieur, le fait visible, qui fixe le mérite ?

C’est le contraire. Aucune action extérieure n’a de mérite par elle-même. Le mérite ne dépend que de l’intention, de la pureté de la volonté. L’action n’a d’importance que parce qu’elle est le signe visible de la disposition intérieure, de la direction de volonté de celui qui la commet.

116. Pourrait-on rendre cela plus clair par un exemple ?

Un homme peut dépenser beaucoup d’argent pour secourir la Confrérie, pour adoucir les souffrances des pauvres, ou pour créer des fondations d’utilité générale et cependant ne gagner que peu ou rien pour son salut. En effet, il peut ne faire tout cela que pour obtenir la considération et le respect du monde. Un tel homme a déjà trouvé ici-bas sa récompense dans les égards qu’on a pour lui ; il ne s’est acquis aucun mérite. Celui au contraire qui agit avec bonté et douceur dans la seule intention de devenir plus parfait et d’obtenir de renaître dans des conditions favorables, s’acquiert des mérites et il en recevra pleinement les fruits dans sa prochaine existence. Mais celui qui fait le bien aux êtres qui l’entourent, seulement par pitié, par bienveillance pure, qui ne se laisse guider par aucune considération égoïste et ne songe pas à une récompense dans ce monde ou dans d’autres, s’acquiert le mérite suprême. Il est tout près du Nirvâna et sûr de renaître dans un des mondes lumineux les plus élevés.

117. Que devons-nous donc faire pour nous acquérir de vrais mérites ?

Vaincre notre égoïsme, éviter le mal, pratiquer le bien.

118. Pourquoi doit-on vaincre l’égoïsme ?

Parce que c’est l’égoïsme qui est la cause principale de toutes nos erreurs, de toutes nos folies et de toutes nos mauvaises actions, en même temps qu’il est le principal obstacle à l’accomplissement du bien.

119. Qu’est-ce que c’est qu’une bonne action ?

C’est tout acte accompli dans l’intention pure de faire du bien à d’autres êtres vivants et de diminuer leurs souffrances.

120. Qu’est-ce que c’est qu’une mauvaise action ?

C’est tout acte commis, avec l’intention de blesser d’autres êtres vivants, de leur nuire ou de les faire souffrir. De plus tout acte égoïste qui n’a en vue que notre propre bien, sans se préoccuper s’il ne causera pas de souffrances à d’autres.

121. Il y a cependant des actes égoïstes qui ne nuisent à personne ?

Ces actes ne sont ni bons ni mauvais. S’ils favorisent le bien terrestre de celui qui les fait, ils sont sensés ; s’ils favorisent son salut éternel, s’ils doivent servir à son propre perfectionnement, ils sont sages ; s’ils doivent nuire soit à son corps, soit à son esprit, ils sont insensés.

122. Y a-t-il des devoirs envers soi-même ?

Non ; la doctrine des devoirs envers soi-même n’est qu’une excuse de l’égoïsme.

123. Est-il mal de rendre la pareille à un ennemi qui nous fait du mal ?

Oui ; le vrai Bouddhiste ne rend pas le mal pour le mal.[15] Il abandonne le malfaiteur à la justice éternelle, le lui pardonne et a pitié de lui ; car le méchant par suite de l’action du Karma, expiera dans cette vie ou dans une autre. Plus il se réjouit maintenant, plus il s’endurcit contre de meilleurs sentiments, plus sa punition sera dure.

124. Le malfaiteur endurci doit-il expier éternellement ses mauvaises actions ?

Non, aucune faute commise dans un temps fini, quelque grave qu’elle soit, ne peut avoir pour conséquence une punition éternelle. L’ordre du monde qui le permettrait, serait injuste et cruel. Or, l’ordre moral du monde, que le Bouddha nous a annoncé, repose sur la justice. Aussi chaque mauvaise action trouve seulement l’expiation temporaire qui lui correspond, dans cette vie ou dans une suivante.

125. N’y a-t-il pas d’enfer, pas de ciel ?

Non, du moins pas dans le sens chrétien, juif ou mahométan. Mais il y a des mondes obscurs, pleins de peine et de désespoir, où aucun rayon de la connaissance libératrice ne pénètre jamais. Là, celui qui a commis des fautes graves doit rester jusqu’à ce qu’il ait consommé le fruit de ses mauvaises actions. Ensuite son bon Karma (son mérite) le fait renaître comme homme et de nouveau la possibilité lui est offerte d’atteindre à la connaissance et d’arriver, par une vie honnête, au Sentier du Salut. De même, il y a des mondes brillants et pleins de joie où l’homme bon, mais qui n’est pas encore mûr pour la délivrance, peut jouir de ses vertus. Lorsque le fruit de ses mérites est consommé, il faut qu’il revienne, comme homme, sur la terre, puisqu’il est encore animé de la volonté de vivre.[16]

126. Y a-t-il de mauvaises actions qui doivent être expiées par plus d’une nouvelle existence ?

Sans doute ; de grands crimes exigent souvent pour leur expiation plusieurs existences successives, comme homme ou comme habitant des mondes obscurs.

127. La faute des parents est-elle punie dans leurs enfants ?

Non. Ce serait contraire à la justice éternelle. Personne ne souffre pour la faute d’un autre. Partout où il y a souffrance, il doit y avoir faute ; et partout où il y a faute, il y a aussi souffrance. C’est la règle de toute éternité.

128. Nous voyons cependant que les enfants ressemblent en général à leurs parents pour leurs qualités physiques et morales : que les bons ou mauvais instincts, la santé ou la maladie sont héréditaires aussi bien que la richesse ou la pauvreté. Cela ne semble-t-il pas contredire la loi du Karma ?

Non ; tout cela confirme cette loi. Nous ne ressemblons pas à nos parents, parce que nous sommes leurs enfants, mais c’est au contraire, parce que nous ressemblons à nos parents, dans notre être intime et dans notre individualité, que nous sommes devenus leurs enfants.

C’est parce qu’au moment de notre incarnation, nous n’avions avec personne d’aussi grandes affinités électives qu’avec nos parents, que nous nous sommes incarnés en eux. Mais des causes semblables produisent des effets semblables. L’identité des dispositions intimes chez les parents et chez les enfants, se retrouve aussi nécessairement dans leur extérieur, dans leurs penchants et dans toute leur existence.

La science, en constatant que beaucoup de qualités sont communes aux parents et aux enfants a simplement donné le nom d’hérédité à un fait qui reste pour elle inexplicable. Seule la doctrine du Karma et des existences successives en donne une explication satisfaisante.

129. Comment s’expliquent, d’un autre côté, les différences que l’on constate souvent entre les parents et leurs enfants ?

Justement en invoquant la même loi. Les enfants sont, malgré toutes les affinités électives qu’ils ont avec leurs parents, des individualités indépendantes. Ils ont leur Karma particulier et doivent donc, à côté des qualités qu’ils ont en commun avec leurs parents, en avoir beaucoup d’autres qui leur sont particulières. Si ce sont justement ces dernières qui se développent dans cette existence terrestre, les enfants semblent tout à fait différents de leurs parents.

Du reste, c’est au moment de la procréation que les enfants ont avec leurs parents les affinités électives les plus grandes. Dès le moment de la naissances chaque être vivant suit sa voie particulière de développement qui souvent s’écarte beaucoup de celles de ses parents.

130. L’homme bon et juste souffre souvent beaucoup sur la terre. N’y a-t-il pas là une violation de la loi de la justice éternelle ?

Point du tout. Il expie les fautes d’existences antérieures. C’est la conséquence de son Karma défavorable.

131. Comment se fait-il que le méchant et l’injuste soient souvent heureux et considérés ici-bas ?

C’est la conséquence de leurs mérites dans des existences antérieures. C’est leur Karma favorable. Mais, lorsqu’ils auront consommé le fruit de leurs mérites, il leur faudra aussi goûter dans des existences postérieures le fruit amer de leurs méfaits.[17]

132. Ne peut-on se soustraire, par le suicide, aux suites de ses méfaits ?

Personne ne peut se soustraire à la justice éternelle. Elle est inexorable et toute puissante et personne ne lui échappe. Aussi on trouve ces paroles dans le Dhammapada[18] : « Ni dans les profondeurs de l’espace incommensurable, ni dans le milieu de l’océan, ni dans les gorges obscures des montagnes, tu ne trouveras une place où tu puisses échapper aux suites de tes mauvaises actions. »

133. Le suicide est-il une illégalité ou un péché ?

Le suicide n’est pas une illégalité, car chaque être a un droit sur sa propre vie. Ce droit n’a pas besoin d’être démontré. Mais le suicide est une action insensée, puisqu’il coupe violemment le fil d’une existence qui se renoue immédiatement, par la loi du Karma, et qui se renoue dans des conditions encore plus défavorables que celles auxquelles le suicidé dans son aveuglement, a cru échapper.

134. Pourquoi dans des conditions plus défavorables ?

Parce que tout notre être, avec ses souffrances et ses joies, n’est que la conséquence de nos propres erreurs et de nos propres fautes. Aussi longtemps donc que l’erreur ne se dissipe pas et que la faute n’est pas expiée, on ne peut pas arriver à une meilleure existence. Celui qui le comprend, supportera patiemment toutes les souffrances et s’efforcera, en vivant honnêtement, en s’étudiant lui-même et en faisant le bien d’acquérir autant de mérites qu’il pourra, afin de devenir digne d’une meilleure existence. Celui qui, au contraire, cherche follement à se soustraire à la souffrance, qui doit le purifier, prouve qu’il est encore bien loin de se connaître lui-même et qu’il n’a pas la volonté de devenir bon et sage. Dans sa folie aveugle, il brise cette forme fragile, qu’il prend pour son être véritable, et entre ainsi dans le sentier obscur, qui doit le ramener en arrière.

135. Quelle est donc la partie de nous-mêmes qui renaît ?

C’est la volonté individuelle de vivre ou l’individualité. C’est elle qui forme l’essence de notre être et qui, après la décomposition, après la ruine du corps matériel, renaît par l’effet du Karma, c’est-à-dire, s’incarne dans une autre forme.

136. Cette volonté individuelle de vivre, cette individualité, n’est-elle pas ce qu’on appelle l’Âme ?

Non ; ce n’est pas la même chose. La croyance en une âme immortelle, c’est-à-dire en une entité unique, éternelle et indestructible et en même temps personnelle, qui ne résiderait dans le corps que temporairement, est regardée par le Bouddhisme comme une erreur reposant sur l’ignorance de la vraie nature de l’existence et des êtres vivants. Ce que les adhérents des religions européennes appellent l’âme est la réunion de différentes forces inférieures et supérieures (Skandhas), qui se séparent, lorsque l’organisme meurt. Ce qui s’incarne de nouveau dans une existence suivante n’est pas l’âme, mais seulement la volonté individuelle ou l’individualité. Celle-ci, chaque fois qu’elle renaît, se crée, suivant Karma, une nouvelle combinaison de Skandhas, c’est-à-dire une nouvelle personnalité[19].

137. L’être qui renaît est donc, à proprement parler, tout à fait différent de celui qui est mort ?

Il peut en paraître ainsi à l’homme, qui n’est pas encore sorti de l’état d’ignorance. Celui qui est arrivé à la connaissance, sait au contraire, que c’est bien le même être qui fait le bien ou le mal et qui en est récompensé ou puni dans une vie suivante[20].

138. Combien de temps peut vivre l’individualité dans des incarnations toujours nouvelles ?

Elle vit, tant qu’elle n’a pas atteint la connaissance et le Nirvâna.

139. Comment se fait-il que nous ne nous souvenons plus de nos existences antérieures ?

Parce que nous sommes aveuglés par les illusions terrestres, parce que notre œil est encore couvert du voile de l’ignorance et parce que nous ne sommes qu’imparfaitement conscients ou tout à fait inconscients de notre nature supérieure. Notre vie ressemble à un rêve[21].

140. Peut-on rendre cela plus clair par une comparaison ?

Nous avons des rêves la nuit. Dans ces rêves nous sommes tantôt un mendiant, tantôt un roi — quelquefois nous y sommes pauvres, menacés par toutes sortes de souffrances et de dangers ; d’autres fois nous sommes favorisés par le bonheur et pleins de joie. Cependant, c’est la même individualité qui prend, en rêve, toutes ces formes. De plus dans les rêves d’une nuit, nous ne nous souvenons pas que nous avons déjà rêvé. Mais quand on est réveillé, on se souvient des rêves de plusieurs nuits. C’est absolument ce qui se passe pour nos différentes existences. C’est toujours la même individualité, le même « moi » qui renaît sous des formes changeantes. Chacune de nos existences est un rêve de notre volonté de vivre, tantôt heureux tantôt effroyable. Tant que nous nous trouvons engagés dans un de ces rêves, nous ne nous souvenons plus des autres. Mais celui qui est délivré, le Bouddha, a fini de rêver. Il est éveillé et se souvient de toutes les existences qu’il a traversées.

Les Arahats aussi possèdent la faculté de se souvenir de beaucoup de leurs existences précédentes. Mais, ils n’arrivent à cette connaissance, qu’après qu’ils se sont débarrassés des Dix Liens et qu’ils ont obtenu d’être complètement délivrés de l’existence.

141. Quels sont les Dix Liens ?

1o L’illusion que le « moi », l’individualité ou l’âme est immortelle ;

2o Le doute qu’il y ait un ordre moral de l’Univers et un chemin pour arriver à la délivrance ;

3o La superstition de croire que des exercices extérieurs religieux, la prière, les sacrifices, l’attention prêtée aux prédications, la vénération des reliques, les pèlerinages et les autres rites ou cérémonies puissent conduire à la délivrance ;

4o Les passions et les désirs sensuels ;

5o La haine, la malveillance envers les êtres, au milieu desquels nous vivons ;

6o L’attachement à la vie terrestre ;

7o Le désir d’une vie future, au ciel ou dans le Paradis ;

8o L’orgueil ;

9o L’orgueil spirituel ;

10o L’ignorance (Avidya).

142. Le repentir et la pénitence ne contribuent-ils pas aussi à notre perfectionnement et à la délivrance ?

Oui ; mais le repentir seul ne peut rien. La justice éternelle ne se laisse pas acheter ; on ne peut rien lui arracher, ni de force, ni par prières. Le repentir n’a de valeur que parce qu’il suppose la connaissance sensible de notre faute ; parce qu’il nous excite à réparer, dans la limite de nos forces, le mal ou la souffrance que nous avons causés à d’autres et à nous acquérir des mérites dans la suite. Un repentir inactif ; une contrition qui se bornerait à gémir, sont inutiles.

Toute pénitence extérieure est de même sans valeur. Rien ne sert de s’imposer une punition, de se torturer soi-même. Le vrai repentir du Bouddhiste consiste à s’engager résolument dans le chemin du salut ; sa vraie pénitence consiste à détruire en lui-même l’égoïsme, les passions et l’ignorance.

143. Le Bouddha enseignait-il que seuls ses adhérents peuvent arriver à la délivrance ?

Non ; le Bouddha annonçait le règne de l’ordre moral de l’Univers et de la justice éternelle, qui ne s’inquiète pas de ce qu’on croit ou de ce qu’on ne croit pas. La disposition morale, la volonté bonne ou mauvaise sont seules en jeu. Chaque être, qu’il soit bouddhiste ou non, reçoit la récompense qu’il mérite. Ceux qui ont d’autres croyances peuvent donc arriver aussi à la délivrance. Mais il leur est bien plus difficile d’y arriver et ils risquent bien plus de manquer le but.

Ils sont comme ceux à qui on a mal indiqué leur chemin. Après avoir beaucoup erré en tous sens, après avoir traversé des marais, des déserts, des forêts, des montagnes et des fleuves, ils peuvent pourtant à la fin arriver au terme de leur voyage. Celui au contraire qui prend le bon chemin n’a qu’à aller droit devant lui, et à ne pas s’écarter du sentier tracé, pour arriver au but rapidement et facilement. Il n’y a que le Bouddha qui indique le bon chemin.

144. Le Bouddhisme ordonne-t-il de haïr, de mépriser et de persécuter ceux qui ont d’autres croyances ?

Au contraire. Il nous ordonne d’aimer comme des frères tous les hommes, à quelque race, quelque nationalité ou quelque religion qu’ils appartiennent. Il nous commande de respecter les conditions de ceux qui ont d’autres croyances que nous et même d’éviter toute disputation sur les questions religieuses. Le Bouddhisme est pénétré de l’esprit de tolérance le plus pur. Jamais et nulle part il n’a fait couler le sang pour s’étendre ; jamais, lorsqu’il est arrivé à dominer dans une contrée, il n’a persécuté ou opprimé ceux qui ne l’acceptaient pas[22]. Celui qui ne reconnaît pas la vérité ou qui ne veut pas l’entendre ne nuit qu’à lui-même ; il excite donc la pitié et non la haine du Bouddhiste.

145. Les prières, les sacrifices, l’observation d’usages religieux sont-ils nécessaires pour arriver au Nirvâna ?

Non ; il n’y a pas, à proprement parler, de prières et de sacrifices dans la religion bouddhiste. Il est excellent cependant de réciter des sentences ou de lire les écritures saintes, ainsi que d’écouter les prédications, quand on le fait avec une vraie piété. En effet l’adhérent puise ainsi un nouveau courage, aux heures de la tentation. Sa foi est affermie et il arrive plus facilement au recueillement. Tous les exercices religieux ont le même but. Ils sont importants et mêmes indispensables pour l’adhérent laïque, à qui ils rappellent continuellement la vraie signification de la vie. Ils détournent son esprit des tentations du monde et lui placent sans cesse devant les yeux le but suprême, qu’il doit chercher à atteindre.

Mais celui, qui a pris le chemin de la délivrance, qui s’est fait Bhikshou et ne vit plus que pour son développement moral et son propre perfectionnement, n’a plus besoin de ce secours.

146. La Doctrine recommande-t-elle de vénérer les images, les statues et les reliques du Bouddha et de ses disciples ?

Non ; le Bouddha enseignait que ces usages ne contribuent pas à la délivrance et qu’ils peuvent conduire au contraire à la superstition et à l’erreur.

147. Pourquoi les Bouddhistes placent-ils donc des fleurs devant les statues du Bouddha et brûlent-ils de l’encens devant elles ?

Les adhérents laïques le font, pour exprimer, par un signe extérieur, leur vénération et leur reconnaissance pour celui qui a éclairé le monde. Les Européens mettent bien aussi des fleurs et des couronnes devant les monuments de leurs grands hommes et sur les tombes des morts qu’ils ont aimés. Un pareil usage n’est donc pas répréhensible. Mais celui qui croit ainsi s’acquérir un mérite particulier et se rapprocher de la délivrance est dans l’erreur.

148. Y a-t-il des miracles ?

Non ; un vrai miracle équivaudrait à la suspension ou à l’abolition d’une des grandes lois naturelles, ce qui est impossible. Le Bouddhisme enseigne que tout ce qui arrive, le fait conformément à des lois. Même les dieux supérieures sont soumis à ces lois, qui reposent sur l’ordre moral de l’Univers.

149. N’y a-t-il pas cependant des phénomènes et des événements qui nous sont inintelligibles ?

Oui ; il y en a beaucoup : mais on ne doit pas s’en étonner. Ces événements ont lieu suivant des lois naturelles, qui nous sont encore inconnues, mais que le Bouddha a reconnu conformes à l’ordre général[23].

150. Quelle est la différence principale qui sépare la doctrine du Bouddha des autres religions ?

Le Bouddhisme enseigne la bonté et la sagesse suprêmes, sans un Dieu personnel ; la continuation de l’existence, sans une âme immortelle ; une félicité éternelle, sans un ciel particulier ; la possibilité de se sanctifier sans la médiation d’un sauveur ; une délivrance où chacun est son propre libérateur et que l’on peut atteindre par ses propres forces, sans prières, sans sacrifices, sans pénitences ni exercices extérieurs, sans prêtres consacrés, sans médiation des saints ni intervention de la grâce divine ; enfin une perfection suprême, à laquelle on peut arriver dès cette vie et sur cette terre.

151. Le Bouddha a-t-il reconnu toutes ces vérités dans la nuit où il reçut la lumière sous l’arbre Bodhi ?

Oui ; ces vérités ainsi que toutes les autres qui forment la base de la religion bouddhique et qui sont contenues dans les Saintes Écritures.

152. Est-ce le Bouddha lui-même qui a composé ou écrit les Saintes Écritures ?

Elles n’ont été écrites ni par le Bouddha, ni par les frères, qui furent ses disciples immédiats. Ce n’était pas alors l’usage aux Indes d’écrire des vérités religieuses ou philosophiques. Elles étaient transmises oralement du maître à l’élève et s’imprimaient dans la mémoire par de fréquentes répétitions, phrase pour phrase et mot pour mot. C’est ainsi qu’elles passaient d’une génération à une autre. Il en fut de même pour la doctrine du Bouddha. Ce n’est que plusieurs centaines d’années après la mort du Bouddha que des Arahats écrivirent les Saints Livres sur des feuilles de palmiers. Ils ne le firent qu’après le troisième grand concile sous le règne du roi Asoka[24].

153. Qui était le roi Asoka ?

Un des plus grands monarques des Indes. Il régna de 259 à 222 avant notre ère, se convertit au Bouddhisme, qu’il chercha à étendre sur toute la terre. Encore aujourd’hui les tables de pierre, sur lesquelles il fit graver les préceptes du Bouddha, témoignent de ses efforts et son nom est vénéré par tous les Bouddhistes.

154. Tout ce que contiennent les Livres Saints n’est-il que pure vérité ?

Tout ce que les Écritures Saintes enseignent sur la religion, sur la souffrance de la vie, sur nos fautes et sur le chemin, qui conduit à la délivrance est la pure vérité. Ces livres contiennent cependant aussi plusieurs erreurs.

155. Le Bouddha a-t-il donc enseigné des erreurs ?

Non ; un Bouddha n’enseigne rien d’erroné. Mais, dans le cours des siècles qui se sont écoulés, on a accueilli dans les Trois Pitakas quelques livres et quelques passages qui ne devraient pais en faire partie et c’est là que se trouvent des erreurs.

156. Quels sont ces livres ou ces passages ?

Ce sont ceux qui traitent de la naissance du monde, de la forme et de la nature de la terre, en un mot des sciences naturelles. Ces additions ne contiennent pas les paroles du Bouddha et aucun Bouddhiste n’est obligé d’y croire[25].

157. Puisque tout ce qui a commencé doit périr, la doctrine du Bouddha est-elle aussi destinée à disparaître ?

Tant que le monde subsistera, la doctrine du Bouddha ne périra pas. Car son esprit est l’éternelle vérité elle-même entrée dans la forme terrestre du mot et de l’idée et devenue vivante dans la personne du Bouddha. Mais la forme extérieure, qu’elle a pour ainsi dire revêtue, est sujette à changer. À chacun des âges humains, qui comptent des milliers d’années, naît un nouveau Bouddha, qui annonce, sous la forme qui convient à son temps, la doctrine de la souffrance et de la délivrance.


  1. C’est parce que nous ne reconnaissons pas la vraie nature du monde et de l’homme ; parce que nous sommes dans l’ignorance de l’ordre moral du monde, que nous tombons sans cesse dans le péché qui exige, pour son expiation, les souffrances d’une nouvelle existence.

    C’est parce que nous sommes aveuglés par les illusions terrestres, que nous courons après des choses qui n’ont de valeur que dans nôtre imagination et qui entraînent après elles plus de douleurs que de jouissances ; que nous estimons si haut ce qui est vain et vide ; que nous nous affligeons sur des événements qui ne méritent pas que nous y prenions garde, et que nous nous réjouissons de choses qui nous sont nuisibles ou qui doivent même être la cause de notre ruine. C’est parce que nous ne possédons pas la vraie connaissance que nous attachons notre cœur à des biens terrestres et périssables ; que nous nous jetons de toutes nos forces dans la lutte pour l’existence, sans nous occuper de notre vrai salut. C’est ainsi que toute notre vie est une chaîne sans fin de souhaits qui ne se réalisent jamais, d’illusions et de désillusions douloureuses, de passions et de désirs qui manquent toujours leur but ou qui, apaisés pour un instant, ruinent nos forces physiques et morales, comme des blessures, mal guéries, qui se rouvrent sans cesse, nous entretenant dans un état perpétuel de souffrance, dont l’ignorant et l’aveuglé ne peuvent jamais sortir.

  2. Cette expression « volonté de vivre » ne signifie pas, dans le sens bouddhique, ce que les Européens comprennent sous le nom de « volonté consciente » ; mais l’instinct vital, en partie conscient, en partie inconscient, que l’on retrouve chez tous les êtres, (même dans les animaux et dans les plantes) ; l’ensemble de tous les efforts, de toutes les tendances, de tous les désirs, penchants ou aversions qui prennent leur source dans l’égoïsme et qui tendent à conserver l’existence individuelle et à atteindre le bien-être et la jouissance.

    Le lecteur européen, qui voudrait pénétrer le sens vrai de la Doctrine, devrait avoir toujours présente à l’esprit cette définition.

  3. Le lecteur européen, qui n’est pas bouddhiste, n’apercevra pas facilement quelle somme de profondes connaissances et de vérités philosophiques et religieuses est contenue dans ces quelques phrases. On ne peut donc assez recommander de les méditer souvent et sérieusement. Personne ne peut espérer comprendre véritablement la vraie nature de l’être et la sublime doctrine du Bouddha, avant d’avoir pénétré complètement le sens et l’importance des Quatre Vérités de Salut, avant d’en avoir reconnu toute la portée.
  4. La plupart des Européens ont sur le Nirvâna les idées les plus étranges. La traduction littérale du mot est « être éteint, être soufflé » comme une flamme que le souffle du vent éteint ou qui cesse, faute d’aliment. On a cru devoir en conclure que le Nirvâna était le néant. C’est une erreur. Le Nirvâna est plutôt un état de suprême spiritualisation, dont évidemment aucun de ceux qui sont encore entravés par les liens terrestres, ne peut se faire une idée suffisante.

    Mais qu’est-ce qui est donc éteint, soufflé dans le Nirvâna ? Ce qui est éteint, c’est la volonté de vivre, le désir d’exister et de jouir dans ce monde ou dans un autre, l’illusion que des biens matériels puissent avoir une valeur quelconque ou puissent être durables ; ce qui est éteint, c’est la flamme de la sensualité et du désir, le feu-follet vacillant du moi et de l’individualité (l’âme). À la vérité, le saint accompli, l’Arahat (qui seul peut atteindre en cette vie le Nirvâna) continue à vivre corporellement, car le résultat des erreurs et des fautes de vies antérieures, qui est justement le corps vivant, ne peut être annihilé tout à coup ; mais le corps est périssable ; l’heure, où il disparaîtra, viendra bientôt. Dès maintenant il ne reste plus rien en lui de ce qui pourrait rendre nécessaire une vie postérieure et l’Arahat entre dans la paix éternelle, dans le suprême Nirvâna (Paranirvâna).

    Au sens des autres doctrines religieuses et du matérialisme scientifique, le Paranirvâna est en effet un anéantissement complet, puisque rien ne reste dans le Paranirvâna qui puisse correspondre d’une manière quelconque aux idées humaines sur l’existence. Du point, où est arrivé celui qui est devenu un Arahat, c’est bien plutôt le monde, avec tous ses phénomènes, qui est le néant, une illusion des sens, une erreur et le Paranirvâna lui paraît l’entrée dans l’être véritable, dans l’Éternel, l’Impérissable, où il n’y a plus ni individualité, ni souffrance.

  5. Il faut rappeler encore ici expressément que le disciple européen du Bouddhisme ne doit pas confondre la « volonté de vivre », c’est-à-dire l’instinct vital, l’attachement inné que nous avons pour l’existence, avec la volonté consciente. La volonté consciente ne forme qu’une partie inférieure de la « volonté de vivre », celle qui est du ressort du cerveau. La « volonté de vivre » n’arrive à l’état conscient ni chez les animaux ni dans les plantes et ne devient que bien imparfaitement consciente chez la plupart des hommes. Elle ne se montre que comme un instinct aveugle, comme un amour acharné de l’existence, comme un effort constant, tendant à rechercher tout ce qui rend la vie agréable et sans douleur et à éviter tout ce qui peut lui nuire ou la mettre en péril. Beaucoup de ceux qu’on appelle pessimistes, qui prétendent mépriser la vie et dont la volonté consciente se détourne de l’existence actuelle, croient à tort qu’ils ont vaincu la « volonté de vivre ». Il n’en est rien, car leur égoïsme, leur attachement pour les joies et les jouissances, leur manque d’abnégation, prouvent que l’instinct vital est encore actif chez eux et qui les mènera sûrement à une autre existence. L’extinction véritable de la volonté de vivre ne se montre que par une abnégation et un renoncement complets ; par la patience dans la souffrance, l’absence de toute passion, (colère, haine, envie, malveillance, désir de posséder, volupté, orgueil, ambition, vanité,) par un véritable calme, une bienveillance sincère envers tous les êtres vivants et la renonciation absolue à une récompense de nos bonnes actions dans cette vie ou dans une autre. (Ciel ou Paradis).
  6. Tout notre être est la conséquence de ce que nous avons fait. Ce sont nos actes qui l’ont produit et lui ont donné sa forme. Celui qui parle ou agit méchamment est poursuivi par la douleur, comme la roue du chariot suit la bête de somme qui le traîne. Celui au contraire qui parle et agit en voulant le bien, est suivi de la félicité, comme de son ombre, qui ne le quitte jamais (Dhammapada.)
  7. Donner une idée juste et exacte du Karma à un disciple européen du Bouddhisme, qui est né en Europe et a grandi dans des idées toutes différentes, serait une des parties les plus difficiles de notre tâche. C’est à peine possible et quelques mots n’y suffisent pas. Un enseignement oral est ici nécessaire.
  8. La création n’est, pour le Bouddhisme, que le renouvellement d’un corps de l’Univers ou d’un système du monde qui vient de périr. Les destructions des mondes sont amenées en partie par le feu, en partie par l’eau ou le vent, mais elles restent toujours, dans un même temps, restreintes à une petite partie de l’Univers. La véritable cause intime de ces destructions se retrouve toujours dans les fautes accumulées et devenues trop grandes des êtres vivants, dans leur Karma défavorable. De pareilles destructions, de pareils renouvellements de mondes sont continuels dans l’espace incommensurable. Sous ce rapport, la science moderne en est aujourd’hui, au moins en ce qui concerne le processus extérieur, justement au point où les Bouddhistes se trouvaient déjà il y a deux mille quatre cents ans.
  9. Raidis-toi courageusement contre le courant des passions. Chasse loin de toi les désirs, ô Samana. As-tu reconnu le néant de ce qui a commencé, tu as, du même coup, atteint la connaissance de ce qui est éternel. (Dhammapada).
  10. Ceux qui restent dans le tourbillon du monde, peuvent, dans le cas le plus favorable, atteindre le troisième degré de sainteté, c’est-à-dire devenir Anâgamine. Après leur mort, ils renaîtront dans un des mondes de lumière les plus élevés et de là ils entreront dans le Nirvâna, après un séjour plus ou moins long, suivant leurs mérites. Du reste, il est excessivement difficile de devenir Anâgamine pour celui qui ne quitte pas le monde ; les tentations et les distractions y sont trop nombreuses.
  11. Ce vœu, le premier et le plus important, comprend tous les êtres vivants et pas seulement les hommes. Celui qui volontairement tue, blesse ou torture un animal, n’est pas un adhérent du Bouddhisme et ne peut pas obtenir de renaître dans des conditions plus favorables que celles de sa vie actuelle.
  12. Ce vœu, dans toute son étendue, n’est prononcé que par la Confrérie. Pour l’adhérent laïque, il signifie l’abstention de toute espèce de spiritueux. L’usage modéré du vin et de la bière est permis à l’Oupâsaka.
  13. C’est une illusion que l’homme sensuel, tout rempli de la volonté de vivre, du désir d’exister et de jouir, nourrit pour son propre tourment, de croire que la satisfaction de ses penchants et de ses passions lui donnera le bonheur. Ses désirs ne sont apaisés qu’un instant, lorsqu’il obtient ce qu’il voulait ; ils renaissent bientôt, d’autant plus forts qu’il leur cède davantage. Chaque souhait, qui se trouve accompli, en engendre un autre, et il est impossible que l’on puisse ainsi arriver à la satisfaction finale. Il faut ajouter du reste, que, dans cette voie, il faut s’attendre à des échecs, à des désillusions inévitables. Il faut enfin accepter la lutte avec tous ceux qui poursuivent le même but. Nous ne pouvons livrer ce combat perpétuel qu’aux dépens de nos forces physiques et morales. Moins nous refrénons nos désirs et nos penchants, plus ils prennent le dessus et plus ils diminuent nos forces, qui sont cependant nos seuls moyens de jouir. Ainsi, accroissement de nos désirs et, en même temps, diminution des moyens de les satisfaire : telle est l’inexorable loi naturelle, à laquelle nous venons nous heurter, si nous prenons cette voie pernicieuse. Tout homme, qui médite sérieusement sur ces questions, doit donc reconnaître combien il est insensé de courir après les jouissances sensuelles, puisque le bonheur que nous cherchons, avec tant d’efforts, est impossible à atteindre. C’est pour cela que nous trouvons ces paroles dans le Dhammapada : « Comment pouvez-vous rire ? Comment pouvez-vous vous réjouir dans ce monde, que seule la flamme des vils désirs conserve ? Vous marchez dans les ténèbres, qui ne cesseront jamais, si vous ne cherchez pas la lumière qui les dissipe. »
  14. Ni dans les profondeurs de l’espace incommensurable, ni dans le milieu de l’océan, ni dans les gorges obscures des montagnes, tu ne trouveras une place où tu puisses échapper aux suites de tes mauvaises actions. (Dhammapada).
  15. Il m’a trompé, battu, ruiné : celui qui nourrit dans son cœur de telles pensées, sera toujours en butte à la haine. Car la haine n’est pas vaincue par la haine. La haine est vaincue par l’amour. C’est la règle de toute éternité (Dhammapada.)
  16. Celui qui a reconnu les Quatre Vérités de Salut, n’aspirera donc ni au bonheur terrestre ni à revivre dans les brillants mondes célestes. Il ne cherchera que la délivrance, la paix éternelle. Aussi longtemps que l’individualité, que le moi n’est pas vaincu et anéanti, la souffrance, la naissance et la mort ne sont pas supprimées. Même les anges et les dieux (on nomme ainsi les êtres qui vivent dans les mondes brillants), sont astreints à mourir et à renaître. Tout ce qui est susceptible de changement est susceptible de souffrance. Ce n’est que lorsque toute malveillance, tout désir, l’ignorance et l’individualité se sont éteints dans le Nirvâna, que cessent la souffrance et la nécessité de renaître. C’est le but suprême que le sage regarde comme seul digne de ses efforts.
  17. « La mauvaise action n’est pas comme le lait qui se caille tout de suite, mais comme un feu qui couve sous la cendre. Il continue à brûler doucement, sans qu’on le voie et éclate tout-à-coup pour détruire l’édifice trompeur du bonheur, où le malfaiteur se croit à l’abri. » Telles sont les paroles des Livres Saints.

    L’inégalité des destinées humaines sur cette terre : l’apparente injustice qui fait que des hommes justes et bons sont souvent accablés de souffrances, tandis que l’injuste vit dans la joie et la magnificence, fournit à tout homme qui ne se refuse pas à voir, la preuve irréfutable qu’il y a d’autres existences. Tout homme qui pense reconnaît que cet immense Univers qui nous paraît si admirable ne peut pas être régi et soutenu par une force aveugle et injuste ; toutes les apparentes contradictions matérielles ou morales, que nous croyons y découvrir, doivent nécessairement trouver leur expiation. Lorsque nous voyons donc un homme juste et bon souffrir et que nous ne pouvons pas découvrir des fautes dans sa vie actuelle, nous devons en conclure qu’il les a commises dans une existence antérieure. La faute et la souffrance se correspondent toujours. C’est le principe fondamental de toute justice.

  18. Le Dhammapada est un magnifique recueil d’aphorismes tirés du Soutta-Pitaka, pour les adhérents laïques.
  19. La croyance si répandue en une âme immortelle, c’est-à-dire en une entité individuelle, douée de connaissance, différente des autres et cependant éternelle, dérive surtout du désir égoïste d’une immortalité personnelle. Cette superstition découle donc de la volonté de vivre et rentre dans les Dix Liens qui enchaînent l’homme.
  20. Pour donner au lecteur non encore initié, une indication qui lui permette de comprendre comment un être peut, sous certains rapports, être tout autre qu’il n’était, tout en restant le même, il suffit de lui rappeler combien le même homme est différent, aux différents âges de sa vie. Le vieillard ne ressemble pas à l’enfant qui vient de naître. Pourtant ils ne font qu’une seule et même personne.
  21. Si l’on veut employer la langue philosophique moderne, telle serait la manière la plus simple d’expliquer ce fait : La mémoire réside dans les Skandhas, qui se séparent au moment de la mort. La mémoire ne passe donc pas d’une existence à celle qui la suit. Il en résulte aussi que nous n’emportons pas avec nous, dans une nouvelle vie, les connaissances scientifiques ou les capacités que nous avons acquises dans notre existence actuelle. Seul notre caractère moral, qui forme l’essence même de notre individualité, survit à la mort.
  22. Lorsqu’il y a environ trente ans, la mission catholique française pria le roi de Siam de lui donner la permission de s’établir dans le pays, celui-ci la lui accorda immédiatement et donna même aux missionnaires des terres en leur souhaitant de réussir. Le succès cependant ne vint pas. Les missionnaires cherchèrent alors à montrer leur zèle d’une autre manière, en souillant les images d’un temple bouddhiste voisin. Lorsque les habitants du village, auquel le temple appartenait, vinrent se plaindre au roi, celui-ci leur conseilla de céder, comme étant les plus raisonnables, et de transporter ailleurs les images du Bouddha, puisqu’elles n’étaient là que comme des marques de souvenir. Il les pria d’éviter toute lutte, leur représentant que la religion s’occupait de choses plus importantes que de pareilles et misérables querelles avec des barbares.

    Lorsque le missionnaire protestant anglais Edkins visita en Chine un cloître bouddhiste, le supérieur le reçut amicalement et s’offrit même à lui céder gratuitement un emplacement sur les terres du couvent, pour y bâtir une église chrétienne.

    On pourrait trouver des exemples semblables, aussi bien dans les temps anciens que dans les temps modernes. Les prédicateurs chrétiens regardent une telle conduite comme une preuve d’indifférence et d’une coupable tiédeur religieuse. Les Bouddhistes, au contraire, sont persuadés que seule cette manière d’agir répond à la tolérance et à la bienveillance que le sublime fondateur de leur religion leur prescrit d’observer à l’égard de tout être vivant.

  23. Pour les sauvages, le télégraphe, par exemple, est un miracle tandis que les Européens savent qu’il repose sur les lois de la nature. Il en est de même pour les phénomènes que nous ne pouvons pas nous expliquer.
  24. Tous les savants européens qui s’occupent de la langue ou de la philosophie de l’Inde, nous parlent de l’étonnante mémoire des Brahmanes. Max Müller en Angleterre, une des plus hautes autorités dans ces matières, prétend que si tous les livres et tous les manuscrits hindous venaient à disparaître subitement, on pourrait recomposer les écritures saintes, mot pour mot et syllabe pour syllabe, avec l’aide des Brahmanes, qui les savent par cœur.
  25. Le Bouddhisme n’a pas la prétention d’enseigner les sciences naturelles. Il n’a rien à faire avec la forme extérieure des choses, mais avec leur essence intime. Il n’est donc ni hostile à la science, ni dans sa dépendance.

    Le Bouddhiste éclairé se trouve dégagé de tout préjugé en face des sciences naturelles. Il en examine les résultats, sans être influencé par des scrupules religieux et accepte celles de leurs théories qui lui semblent les plus justes. Aussi, les savants européens ont-ils été toujours bien accueillis dans les pays bouddhistes.

    Le Bouddhiste sait que la science, comme tout ce qui est terrestre, est sujet à changer, qu’elle marche dans un progrès constant et qu’elle peut aujourd’hui enseigner des choses grandes et utiles, qu’on ne connaissait pas du temps du Bouddha. Il sait d’autre part que, quels que soient les progrès de la science, on ne pourra rien découvrir qui soit en contradiction avec la parole du Bouddha. Dans les idées bouddhiques, la science est la sœur terrestre de la vérité éternelle ; elle éclaire notre intelligence et la rend accessible à la connaissance supérieure. La vérité éternelle, que le Bouddha a annoncée, conduit à la lumière et à la délivrance.

    Celui qui a complètement reconnu et compris les Quatre Vérités de Salut, peut, à la vérité, se passer de la science ; mais la science la plus profonde, considérée par rapport à la connaissance supérieure, fait encore partie de l’ignorance (Avidya), puisqu’elle ne saurait nous délivrer de la souffrance et de la nécessité de revivre.