Carnets de guerre d’Adrienne Durville/04-15
Jeudi 1er avril
Messe à 7 heures à St Vincent ; quel contraste avec le jeudi saint des années précédentes.
Les bombes de cette nuit sont tombées, l’une au fort des Barres, tout près d’ici sans d’autre résultat que de casser les vitres, les autres, près de Rethenans, du champ d’aviation et de l’usine à gaz, sans rien atteindre. À quand la prochaine visite ?
Visite à l’hôpital civil, pour voir Bailly, chez Mme Feltin, thé chez Julie, sermon à St Christophe.
Vendredi 2 avril
Pas moyen d’aller à l’église le matin, avec les soins à donner. Boutte est toujours bien mal, ce sera miraculeux s’il en revient.
Aucune nouvelle militaire intéressante ; les communiqués sont de moins en moins détaillés.
Chemin de croix à 5 heures.
Samedi 3 avril
Nous apprenons que la C. R. de Paris veut envoyer à la Chapelle des infirmières ; cela ne fait nullement notre affaire, il faudra arranger cela avec Cordonnier.
Visite à l’église ; préparatifs pour notre petite fête de Pâques.
Dimanche 4 avril
Messe à 7 heures à St Christophe ; l’église est comble de soldats ; pour notre part, nous en amenons 24 ; Quelle belle fête, c’est la résurrection ou du moins le réveil de la France ; malheureusement, il pleut.
Nous cachons dans le jardin nos œufs en chocolat et les œufs tricolores. Tous se précipitent pour les chercher ; quels gosses que tous ces hommes !
Déjeuner très soigné, champagne ; nous allons ensuite au concert militaire, le premier depuis la guerre, organisé par Cordonnier. Nous y retrouvons Beaurieux, Keller et Bachelar qui nous trouvent un coin à l’abri où nous pouvons causer tranquillement tout en écoutant la musique ; c’est assez quelconque, sauf un chant délicieux sur les cloches d’Alsace sonnant pour la première fois en terre française à l’occasion de la prise de Przemyśl ; les paroles sont d’un officier de la 57e, la musique d’un commt de dragons, c’est admirablement chanté et le succès est très grand. On nous donne le God save the King, l’hymne russe, et tout se termine par notre Marseillaise, si belle en ce moment. Il pleut sans cesse à la grand joie du Gal et du Gouverneur qui s’attendaient s’il avait fait beau, à la visite d’avions boches, mitraillant public et exécutants.
Nous avons mis le Capne Keller au courant de l’histoire des nouvelles infirmières ; il trouve qu’il faut prévenir Cordonnier de suite.
Nous rentrons vite pour organiser notre concert à nous ; j’ai cru un moment que tout serait raté, notre chanteur, Voland, n’arrivant pas et notre violoniste Billot forcé de se recoucher avec une crise au cœur. Tout va quand même très bien, Voland finit par arriver et on se passe de violon ; Mlle Hosatte chante merveilleusement, les autres sont plus médiocres, mais quand même tout le monde est content.
Après dîner, Voland se remet à chanter pour nous ; quelques malades se relèvent, nous sommes à peine une dizaine, c’est un peu une réunion de famille ; nous sommes devenues celle de nos soldats et ce sont eux qui remplacent la nôtre ; dans ces jours de fête on sent cela davantage.
J’ai enfin une lettre de Paul qui me fait comprendre qu’il est à l’Hartmannswillerkopf. Beaurieux et Mme Béha me confirment dans cette idée ; tout va bien par là, mais c’est dur et cela coûte cher ; Dieu le protège.
Lundi 5 avril
Soins toute la matinée ; nous allons ensuite visiter l’hôpital d’évacuation ; ce n’est pas extrêmement intéressant ; le Dr Georges est fort aimable ; on sent qu’il s’attend à quelque chose d’intéressant pour dans peu de temps et qu’il veut être prêt.
Visite de Bachelar ; Cordonnier lui a téléphoné qu’il ne permettrait jamais à d’autres infirmières que nous d’aller dans ses ambulances de l’avant ; il nous connaît et sait qu’on peut compter sur nous ; puis cela se trame en dehors de lui, et il est trop jaloux de son autorité pour jamais permettre cela.
Mardi 6 avril
Absolument rien au point de vue militaire, deux aviateurs blessés arrivent chez Julie ; après avoir bombardé Mulheim, ils se sont perdus dans le brouillard et ont capoté près de Danjoutin.
Mme Armbruster vient voir le Dr pour le prier d’intercéder pour son mari ; il est en prison depuis 7 jours et en prévention de conseil de guerre. Le Dr n’avait demandé que 4 jours ; cela devient un peu excessif et on va tâcher d’arrêter l’affaire ; mais ce garçon a de mauvais antécédents au point de vue militaire et cela sera assez difficile.
Mme Béha dîne avec nous pour la première fois ; elle nous a raconté des choses très intéressantes sur le début de la guerre à Thann, comment ils ont passé des pigeons voyageurs, les renseignements qu’elle a pu donner aux français pour les avertir que des mitrailleuses étaient cachées derrière son ambulance, enfin un tas de détails. Elle risquait à chaque instant d’être fusillée.
Départ de Mme Vetter et de Marguerite ; celle-ci devenait trop difficile à conduire et manquait de tenue complètement ; cela fait très bon effet au point de vue autorité.
Une carte écrite à Roche nous est retournée. Il doit être tué ; cela nous ferait de la peine ; c’était un chasseur à pied, et si brave !
Mercredi 7 avril
Pluie diluvienne toute la journée, soins.
Thé avec la famille Ihler et le lt Obrecht ; aucune nouvelle intéressante au point de vue militaire. Arrivée d’un sous-officier, mais départ de huit malades !
Jeudi 8 avril
Messe à St Vincent. Soins toute la matinée, journée calme, correspondance, couture. Visite du lt Bachelar ; on annonce que les Allemands ont évacué St Mihiel ; si c’est confirmé, c’est une bien bonne nouvelle ; est-ce que mes drapeaux, immobiles depuis six mois, vont pouvoir recommencer à marcher ?
Vendredi 9 avril
L’évacuation de St Mihiel n’est pas confirmée ; il faut attendre. Visite de M. Pointet qui nous présente son fils, jeune officier un peu fat et content de lui, mais bon enfant. Il nous raconte des choses intéressantes sur les combats d’Alsace qu’il quitte pour le nord. On enlève des troupes en Alsace, alors que les Allemands en amènent, au contraire ; il doit y avoir une raison.
Samedi 10 avril
Soins toute la matinée ; le communiqué est assez bon, mais rien sur St Mihiel, ce doit être un canard, malheureusement.
Visite de Beaurieux : le DHV et le DAL sont réunis et forment la 7e armée sous le commandement du Gal de Maud’huy ; Putz est nommé dans le nord ; Cordonnier garde la 57e division mais avec sous ses ordres tout le sud de l’Alsace. Mme Ch. Viellard est citée à l’ordre de la division sur la proposition du Gal Bernard, dégommé depuis.
Dimanche 11 avril
Messe à St Christophe ; visite de Beaurieux ; thé chez Julie avec Bachelar et le Dr Petit ; photos ; musique et chant avec Volland qui est venu se faire soigner pour deux jours.
Lundi 12 avril
Visite de M. Béha ; je le remercie de me servir d’intermédiaire pour une correspondance avec Paul. Le bataillon doit être au repos après l’Hartmannswillerkopf ; les Allemands veulent le reprendre et c’est très dur ; ils avaient amené la garde, M. B. qui le savait avait prévenu, mais comme deux jours avant, elle était à Arras, les généraux ne voulaient pas le croire ; ils ont dû se rendre à l’évidence.
M. B. nous demande si nous pourrions aller quelquefois à Bussang où l’on amène les blessés d’Alsace, la route de Thann à Belfort étant trop dangereuse.
Mardi 13 avril
Rien d’intéressant dans la journée ; le soir, l’adjudant Gagnepain nous signale des lumières dans le ciel ; c’est le dirigeable français « Comté » qui nous arrive d’Épinal ; il passe très bas juste au-dessus de nos têtes, cette arrivée de nuit est assez impressionnante, les projecteurs du Salbert éclairent le champ d’aviation pour l’atterrissage.
Les Allemands bombardent le viaduc de Dannemarie que nous avons fait sauter au mois d’août et que l’on commence à reconstruire. Un aviateur français est grièvement blessé par des balles allemandes.
Mercredi 14 avril
Départ de 6 malades dont nos sous-officiers, Billot pleure tout à fait ; voilà trois mois qu’il est là et nous l’avons tant gâté ; Alexandre ne peut plus rire du tout et Gagnepain lui-même est tout ému ; nous les regrettons bien.
À 5 heures, séance de projections chez Mme Obrecht ; son fils nous montre des photos merveilleuses dont beaucoup prises depuis la guerre ; c’est extrêmement intéressant.
Après le dîner, correction de l’examen écrit
Jeudi 15 avril
Départ de trois blessés guéris qui rejoignent leur corps ; encore des gens sympathiques qui nous quittent à regret.
Dans l’après-midi, examen oral ; comme jury, Landouzy, Lépine, Bousquet, Ihler, et Riss. Je suis chargée de la partie pratique pour servir de second à Landouzy.
Tout le monde est reçu, naturellement, dont trois qui n’auraient pas dû l’être. Par contre, deux sont tout à fait supérieures. Nos candidates n’ont pas fait trop mauvaise figure, et elles sont ravies de leur succès.
Le capne de Beaurieux, est venu déjeuner pour dire adieu à M. Th. qui part demain. Il a pu avoir des nouvelles de sa femme qui va peut-être venir en laissant ses enfants en otages, et en laissant croire qu’elle va en Hollande. C’est un gros risque à courir, tant de choses peuvent la retarder ! Je suis bien sûre que quand elle sera là, il n’osera plus être avec nous aussi bon camarade qu’il l’est habituellement.
Vendredi 16 avril
Je vais avec Mlle Bidoux faire les malles de M. Th. ; tout est en désordre, rien n’est prêt, c’est un vrai fouillis ; nous y arrivons quand même. Renée la conduit à Besançon, elle part avec regret et nous-mêmes la voyons s’en aller avec tristesse ; nous l’avons connue tout au début de la guerre et avons passé avec elle six mois de bonne intimité qui lient certainement plus que quelques années de relations banales.
Déjeuner chez Julie avec M. de St Michel.
Départ de Julie pour Paris ; soins toute la journée ; arrivée de cinq malades dont un chasseur cycliste du 10e groupe ; il a bien connu Paul.
Retour de Renée de Besançon.
Le soir, départ du dirigeable pour destination inconnue ; nous entendons le bruit du moteur et dans la nuit, on distingue la grosse masse noire ; il décrit de grands cercles pour prendre de la hauteur ; nous saurons demain par les aviateurs de Julie où il est allé.
Le capitaine Happe est allé aujourd’hui bombardé Rottweil ; dans le nord, on a bombardé le quartier général allemand.
Samedi 17 avril
À 4 heures du matin, Mlle Roch me réveille ; le dirigeable revient ; dans le petit jour, on le voit se détacher en noir, il passe juste au-dessus de nous ; d’où vient-il ?
Au matin, on nous dit qu’il revient de Metz où il aurait jeté 28 bombes ; nos avions partis hier d’ici sont allés à Rottweil et près d’Huningue.
À 11 heures, canonnade ; les Allemands se vengent, un avion vient essayer de détruire notre dirigeable, il le rate, mais il y a malheureusement des victimes, pour la première fois depuis la guerre deux femmes et un soldat sont blessés assez sérieusement, il a fallu amputer l’homme. Il est probable que nous aurons souvent maintenant de ce genre de visites.
À 9 heures , le canon commence à se faire entendre ; je ne l’ai jamais entendu si distinctement et si fort que ce soir ; cela n’arrête pas et dure presque toute la nuit.
Dimanche 18 avril
Messe à 7 heures à St Christophe ; pendant la messe, bombes, canonnades, c’est encore un Taube ; les bombes sont tombées sur un hangar dépendant de l’arsenal et où se trouvaient quelques obus qui ont sauté ; cela a fait une flamme immense que je n’ai pas vue malheureusement, il n’y a eu aucun accident de personne, heureusement ; je crois que nous pouvons nous attendre maintenant à une visite quotidienne.
Concert aux Anges où vont Renée et Mme Béha ; celle-ci nous a offert un déjeuner délicieux pour arroser ses galons.
Le Dr Petit emmène Mlle Bidoux et Mlle Pichot se promener au Salbert ; je reste pour m’occuper des malades. Thé, correspondance.
Le canon tonne une partie de la nuit.
Lundi 19 avril
Soins toute la matinée ; temps superbe, tous nos hommes sont dans le jardin.
Lettre de Billot, absolument désemparé ; je lui réponds en le secouant un peu.
Il arrive à l’hôpital militaire quelques blessés d’Aspach.
Mardi 20 avril
Visite de l’abbé Mossler, toujours à Sentheim. Rien de bien extraordinaire là-bas. La canonnade de ces jours derniers n’a pas servi à grand chose ; il n’y a qu’à l’Hartmannswillerkopf que l’on se bat sérieusement ; il a pu aller jusque là en fraude. À Michelbach, il a dit la messe dans une tranchée ; il y a des masses de retours religieux, des premières communions.
Si cela pouvait durer après la guerre !
Une lettre de M. Béha me fait dire qu’il n’a pu voir Paul, toujours en plein combat ; il tâchera de le rencontrer quand le bataillon descendra au repos.
Lettre de Julie ; la rue F. Ier donne toutes les autorisations nécessaires pour l’avant.
Mercredi 21 avril
Retour de Julie ; peu de nouvelles ; l’Italie et la Roumanie vont marcher ; l’affaire des Dardanelles a été très mal conduite par les Anglais qui n’ont d’ailleurs marché dans l’Yser qu’encadrés par nos troupes.
Le soir, on nous refuse le mot d’ordre ; pour quelle raison ?
Jeudi 22 avril
À 7 heures le Ct Lauth envoie un mot à Renée pour lui demander, sauf empêchement, d’être sur la place d’armes à 9 heures moins le quart, qu’il aura peut-être à nous montrer un spectacle intéressant. Nous y allons toutes, bien entendu, l’équipe au complet. Que peut-il y avoir ? sans doute la décoration du Dr Georges. Nous trouvons sur la place les troupes massées en carré ; très peu de curieux, les abords étant gardés ; le Ct Lauth est là qui organise tout. Quand il nous voit, il vient nous chercher et nous installe à la mairie, à une fenêtre du rez-de-chaussée où nous sommes admirablement ; puis il nous dit tout bas que Joffre est là et que c’est lui qui va faire la cérémonie.
Quelle émotion. A l’heure dite, la musique bat aux champs et joue la Marseillaise ; Joffre sort du gouvernement entouré du gouverneur et de beaucoup d’officiers ; il passe très lentement la revue des troupes s’arrête pour saluer le drapeau qui se trouve juste devant nous, nous voit, nous salue et continue son inspection.
Quelle impression de calme, de force et de confiance il donne ; et avec cela un regard droit et clair que je ne pourrai jamais oublier. Nous pouvons le voir marcher lentement tout autour de la place. C’est effrayant de penser que les destinées de la France et du monde entier pèsent sur les épaules de cet homme. Que Dieu le garde et l’inspire ! La revue terminée, a lieu la remise des décorations à plusieurs officiers et de la médaille militaire à un soldat aviateur. C’est très beau et très émouvant. Pendant toute la cérémonie, deux monoplans évoluent sur nos têtes et accomplissent de véritables prouesses ; Puis les troupes se massent pour le défilé ; les drapeaux s’inclinent devant Joffre qui les salue d’un beau geste. Quant tout est fini, nous quittons notre poste d’observation et nous rapprochons tout près du généralissime et des officiers. Joffre monte en auto avec Thévenet et de Maud’huy le Ct de la 7e armée ; il va en Alsace. Nous rentrons toutes remuées de cette belle et impressionnante cérémonie.
Je ne suppose pas qu’il soit venu pour décorer quelques soldats. Va-t-on enfin marcher ?
Vendredi 23 avril
Visite du lt W ; détails rétrospectifs sur le bombardement de dimanche ; les dégâts sont bien plus importants que nous ne le savions, et nous avons échappé par miracle à une terrible catastrophe. 90 kilos de poudre ont sauté, plus une assez grande quantité d’obus ; il y a pour près de 150 000 f. de perte ; mais dans le hangar voisin se trouvaient les obus à la mélinite ; comme toiture, des tuiles ! La chaleur a été telle que la mélinite a commencé à fondre ; un peu plus, et tout sautait avec la moitié de Belfort. Nous qui étions à l’église, nous étions en miettes. Le lendemain, on a déménagé les hangars, il était bien temps !
Visite de Beaurieux : Joffre est allé à la Chapelle avec Cordonnier et passer une revue ; il est allé ensuite en Alsace et a quitté Belfort le soir. Il ne peut nous dire grand chose, sinon que la marche en avant est décidée pour dans peu de temps. Nous verrons bien.
Visite de Petit ; il apporte à Mlle Pichot une partition à déchiffrer pour faire un peu de musique d’ensemble ; elle est extrêmement musicienne et cela lui fait grand plaisir.
Le Dr Petit va devenir compromettant ; il est toujours fourré ici, et il a l’air de s’y trouver bien car il y reste longtemps.
Samedi 24 avril
Froid, neige ; quel climat !
Longue lettre de Paul, toujours au sommet du Hart… et bien exposé ; ils reçoivent plus de 1 000 obus par jours, sa barraque s’est écroulé sur sa tête, il s’en est tiré avec des contusions, mais sans trop de mal. Je compte bien sur M. Béha pour tâcher de le voir quand le bataillon sera au repos ; s’il pouvait me l’amener !
La pauvre petite Sulger est sans nouvelle de son mari depuis le 7 ; cela commence à devenir inquiétant, je la remonte comme je peux, mais sans grande conviction.
Renée reçoit la visite d’un de ses amis, le ss-lieutenant Robert que nous avons déjà vu une fois ; il a passé dans l’aviation et vient d’être décoré pour avoir descendu un avion boche ; cette croix est belle sur une si jeune poitrine. Il est très gentil et nullement poseur ; nous avons eu par lui quelques détails sur le raid de notre dirigeable qui a bombardé Strasbourg croyant être à Fribourg ; le plus comique est que le communiqué français ne parle que de Fribourg que les aéronautes croyaient avoir bombardé, et c’est par le communiqué allemand qu’ils ont appris qu’ils avaient été à Strasbourg ; ils se sont perdus en prenant Mulhouse pour Bâle ! Ce pauvre dirigeable est maintenant dégonflé en attendant un nouveau raid.
Dimanche 25 avril
Messe à St Christophe. Mme Béha a une lettre de son mari ; il est à craindre que le pauvre Sulger soit tué, mais on n’a pu retrouver son corps, il est probablement prisonnier. Nous sommes bouleversés ; on attendra la visite de M. Béha pour annoncer cette triste nouvelle à sa femme.
Journée calme, correspondance. Renée, Mlle Pichot et Mlle Bidoux sortent avec le Dr Petit ; moi je vais avec Julie entendre le concert militaire pendant quelques minutes.
Rencontre de Braün, Bachelar ; nous voyons de loin Cordonnier, mais il est avec le gouverneur et ne peut le quitter pour nous.
Thé chez Julie ; un Taube vient pendant ce temps, mais on le force à rebrousser chemin et il ne peut rien faire
Lundi 26 avril
M. Béha vient nous voir ; il confirme les renseignements de sa lettre pour M. Sulger ; ceux qui étaient auprès de lui l’ont vu toucher et le croyaient mort ; mais malgré les recherches les plus sérieuses, son corps n’a pu être retrouvé ; il est donc sûrement prisonnier. Le tout est de savoir la gravité de la blessure ; puis sa qualité d’Alsacien peut lui faire courir de terribles risques. Sa petite femme est très courageuse ; elle déclare que du moment qu’il n’est pas mort, le reste n’est rien ; la pauvre petite ne se rend pas compte des souffrances qui attendent son mari.
Thé aux Anges, peu amusant ; longue conversation avec Mme Viellard qui a reçu une lettre de la rue F. Ier. Mme de Marthille a l’air de vouloir revenir par ici, mais en avant ; elle cherchera à nous faire le plus de mal possible ; il va falloir parer ce coup là.
Mme Béha apprend qu’à Kruth, après un des derniers combats, 300 malades n’ont pu être convenablement pansés faute de personnel. Elle a fait remarquer qu’on n’avait qu’à venir nous chercher, le major a paru enchanté.
Un Taube est encore venu ce soir, sans résultat, on y fait à peine attention ; le bruit court que Pégoud l’aurait abattu entre Belfort et la Chapelle.
Mardi 27 avril
Triste nouvelle ; l’Hartmannsweillerkof est repris par les Allemands ; je suis bouleversée, Paul y était-il encore ou est-ce que parce que son bataillon est au repos que c’est arrivé ; les deux hypothèses peuvent s’expliquer : ou la trop grande fatigue des anciennes troupes ou l’inexpérience des nouvelles ; comme je voudrais que ce soit la seconde, et quand saurai-je quelque chose.
Il fait un temps superbe, Mlle Pichot, Julie et moi montons au Salbert ; c’est dur mais la vue est bien belle, les Vosges avec les plus hauts sommets couverts de neige, Belfort à nos pieds avec sa citadelle, les forts et la grande plaine de la trouée des Vosges. L’orage qui se prépare met sur tout cela une lumière sinistre ; il n’y a que les montagnes qui restent baignées de clarté. Toutes nos pensées vont de ce côté ; que se passe-t-il là-bas ; le canon gronde par instants, le tonnerre s’en mêle aussi, c’est impressionnant.
Pluie à la descente, nous rentrons trempées.
Mercredi 28 avril
Départ de malades dont Lonchampt ; encore un que nous regrettons et qui pleure en nous quittant.
L’Hartman est repris par nous après un combat acharné ; quel bataillon est là-haut, celui de Paul ou un autre ; les renseignements sont contradictoires.
Renée et Julie rencontrent Cordonnier ; il pense toujours à nous pour Sentheim, mais prévient que ce sera dur. Voilà qui est bien le dernier de nos soucis !
Courses avec Julie, visite aux Anges ; Mme de Marthille voudrait revenir décidément. Quelle femme insupportable !
Jeudi 29 avril
À 5 heures Mlle Roch me réveille, un avion boche ; on pourrait dire des, car il y en a cinq ; je n’en vois réellement bien que trois qui passent et repassent juste au-dessus de nous. Bombes, obus, mitrailleuses, tapage etc. ; les shrapnells de nos obus tombent dans le jardin et écornent nos tuiles. Il fait un temps merveilleux et l’on peut bien suivre l’éclatement de nos projectiles ; ils sont d’ailleurs bien plus dangereux pour nous que les bombes allemandes. Comme résultat, dix-huit bombes lancées par les avions et six petits blessés. Quelques unes sont tombées sur l’arsenal où un peu de poudre a brûlé, quelques autres à l’aviation, d’autres dans le faubourg des Vosges ; enfin aucun résultat sérieux. Tous nos avions étaient partis dès 4 heures.
Visite du Dr ; il nous dit qu’il se sent trop fatigué pour continuer le service des ambulances, surchargé comme il l’est par ses fonctions officielles qu’il ne peut quitter. C’est un vrai désastre, et nous sommes désolées ; lui aussi, d’ailleurs ; il nous aime bien et il faut qu’il se sente à bout de forces pour agir ainsi.
Autre nouvelle ; l’abbé Mossler trouve que l’ambulance de Sentheim va tout de travers, les médecins ne font rien et les infirmiers ne savent rien ; il y faudrait nous, paraît-il et il voudrait bien que nous y allions. Nous ne demandons pas mieux, mais il faut que ce soit Cordonnier qui nous réclame, sans cela, nous ne bougeons pas.
Mlle Haas m’amène sa belle-sœur qui se trouve être une amie d’Yvonne Auguenard. Elle m’apprend la mort de Eugène Masure ; quelle tristesse pour sa mère ! J’attends quelques détails.
Je ne sais toujours rien de Paul ; la petite Renée m’envoie sa photo et celle des enfants ; elle n’est qu’à moitié réussie, mais cela me fait quand même plaisir de les avoir.
Nous ramassons dans le jardin des schrapnells et une partie de 75 ; un gros morceau est tombé aux Anges, toute la ville est criblée.
Thé avec Bachelar ; photos.
Vendredi 30 avril
Temps superbe, nous déjeunons dans le jardin pour la première fois ; tous nos malades sont dehors. Nouvelles du 27e par M. Béha, il est à St Amarin et Willer ; M. B. tâchera de voir Paul aujourd’hui ou demain.
Promenade avec Julie, Mlles P. et B. ; nous allons à l’étang des Forges ; des avions partent et reviennent ; tout est rempli de fleurs ; c’est un paysage de printemps et de paix ; dire que l’on se tue à quelques kilomètres.
Thé dans le jardin ; visite de l’inévitable Bachelar.