Carnets de guerre d’Adrienne Durville/01-15

Vendredi 1er janvier 1915

Le premier jour de l’année, la belle année de la revanche et de la victoire, celle qui nous rendra l’Alsace et la Lorraine. Que toutes les tristesses du présent et les inquiétudes de l’avenir disparaissent devant cette pensée dont la réalisation fera de 1915 la plus belle année de ma vie.

Messe à St Vincent, prières pour tous ceux que j’aime, mais avant tout et par dessus tout pour la France et ses soldats.

Soins toute la matinée ; déjeuner chez les Ihler qui n’ont pas voulu nous laisser seules aujourd’hui ; repas exquis, copieux et merveilleusement arrosé. Au dessert, nous apercevons dans l’air un avion allemand qui reste immobile pendant plusieurs minutes ; il ne se décide à partir à toute vitesse qu’après s’être vu pourchasser par un aéro français ; on croit qu’il aura eu le temps de photographier notre gros canon de 240.

Dans l’après-midi, raout musical avec le concours de nos soldats. Comte chante d’une façon exquise ; presque tous y vont de leur monologue ou de leur chanson. C’est très gentil, et ils ont tous l’air ravi.

Visite du Gal Lecomte qui apporte ses vœux ; il est fort triste de sa journée passée loin des siens ; dîner assommant avec toute la bande ; j’ai la grippe et me couche de bonne heure.

Samedi 2 janvier

Grippe et rhume ; soins toute la matinée pendant que Julie et Renée sont chez Landouzy. Nous apprenons la mort d’un des fils du Gal Lecomte tué le 27 près d’Arras. Renée va vite le voir et revient dans l’admiration devant un tel courage malgré cet immense chagrin.

Visite de M. Béha, retour de Thann ; une partie de Steinbach a été pris à la baïonnette par les Alpins, qui exaspérés de la déloyauté de leurs ennemis qui les fusillent après avoir feint de se rendre, ont tout embroché sur leur passage.

Mon rhume augmente, je me couche avant dîner, ce qui me fait échapper à l’invasion.

Dimanche 3 janvier

Je suis si fatiguée que je vais seulement à la messe de 9 h. ½.

Arrivée de Mlle Pichot ; elle parle peu, mais paraît agréable ; espérons que nous nous entendrons bien et que notre bonne intimité ne sera pas détruite par sa venue.

Lundi 4 janvier

J’ai une lettre de Paul apportée par le ravitaillement ; il est à Aspach, dans les tranchées tout près des Allemands, ce qui ne l’empêche pas d’aller bien. Je donne vite une lettre pour lui à cet amour de chasseur qui va devenir mon meilleur ami.

Pagnier quitte l’ambulance de Morschwiller[1] pour affaire de femmes, paraît-il ; c’est vraiment dommage qu’un homme de sa valeur ne puisse se tenir correctement.

Mon rhume continue à augmenter ; je sors cependant pour aller avec Julie et Renée chez le pauvre Capitaine de B. qui a une crise de rhumatismes dans les reins et qui nous réclame. Nous nous installons auprès de son lit à prendre le thé avec M. Th. qui le soigne, mais ne peut l’égayer tant il rage d’être immobilisé. Pendant que nous sommes là, un capitaine d’état major vient le voir et nous apprend la reprise de Steinbach que nous avions pris la veille et perdu la nuit par une contre attaque des Allemands. Nous tenons enfin cette fameuse cote 425 d’où l’on domine Cernay qui ne pourra plus résister longtemps. Mais il y a eu beaucoup de pertes dont 400 prisonniers malheureusement. Pourvu qu’ils ne soient pas massacrés ; je viens de lire un extrait d’article de la Revue des deux Mondes où il y a des détails effroyables.

Arrivée de malades et de blessés.

Mardi 5 janvier

Mon rhume bat son plein ; cela devient un record, et je suis seule pour tout le service ; Renée est à l’hôpital civil et Mlles Roch et Pichot souffrantes dans leurs lits. C’est un vrai tour de force d’arriver à tout.

Arrivée inopinée de Mme V. rappelée par ordre supérieur. Elle est navrée de tout ce que l’on a dit sur elle, et veut regagner Paris. Nous la soutiendrons et la défendrons autant que nous le pourrons.

Mercredi 6 janvier

Continuation des potins. Mme V. quittera probablement Belfort après quelques jours de service à l’hôpital militaire.

Soins toute la journée ; je pleure et je tousse.

À 4 heures, nous allons prendre le thé chez M. Th.. Aucune nouvelle militaire intéressante.

Nous faisons tirer les Rois à nos malades. Galette, champagne, c’est une vraie fête.

Jeudi 7 janvier

Mlle P. m’aide au service du matin de façon à pouvoir me remplacer au besoin. Rien de nouveau ; on attend un convoi de blessés à l’hôpital militaire.

Vendredi 8 janvier

Lever assez tard ; soins, pansements.

Le convoi de blessés n’arrivera que cette nuit ; ils viennent de Burnhaupt et d’Aspach. Paul est-il indemne ? Visite à Mme Béha. L’hôpital de Thann a été bombardé, ce qui ne facilitera pas l’organisation d’ambulances de ce côté. Il faut attendre.

M. Claudon nous fait lire deux lettres de son cousin, capitaine de chasseurs alpins. C’est admirable !

Samedi 9 janvier

Lettre de Paul, il va bien ; je puis remettre la fameuse culotte de toile cirée ; par cet horrible temps, il doit en avoir besoin.

Nous apprenons que Mme de M. est priée de quitter l’hôpital militaire ; comment cela finira-t-il ?

Aucune nouvelle militaire.

Dimanche 10 janvier

Messe militaire à St Christophe ; soins toute la matinée.

Mme de M. est allée se plaindre auprès du gouverneur qui intervient auprès de Landouzy ; celui-ci se fâche et met tout le monde dehors ; ces dames partiront toutes mardi soir ; j’y croirai quand je les verrai dans le train.

Thann est bombardé, on a évacuer l’hôpital. Burnhaupt est repris par les Allemands ; quant à la cote 425, impossible de savoir la vraie vérité ; l’avons-nous encore ou non ?

Visite de M. Th. qui nous amène son frère M. de Prémorel ; il vient de Baccarat où il se soignait et rejoint en Alsace. Il nous donne quelques détails sur la chute du ministère ; c’est ce que nous savions déjà, sauf ceci : Guillaume II a offert au gouvernement français la paix, moyennant la cession de l’Algérie et du Maroc, alors le territoire aurait été complètement respecté ; en cas de refus, Paris était envahi et complètement détruit. Il y a eu des ministres assez lâches pour accepter, mais le veto énergique de Poincaré joint à la pression de l’Angleterre a fait sauter le ministère ; quelques jours après, c’était la victoire de la Marne !

Lundi 11 janvier

Aucune nouvelle sérieuse de l’Alsace ; il fait une tempête effroyable, neige, pluie ; entre deux ondées, petite promenade avec Julie et Mlle P.

Toute la bande doit partir demain ; quel débarras et comme nous allons nous trouver tranquilles.

Thé avec un de nos malades que Julie connaît, poseur, prétentieux, insupportable.

Mardi 12 janvier

Les nouvelles d’Alsace sont tristes : Burnhaupt a été perdu par bêtise ; le village a été occupé par une compagnie de territoriaux, les maisons n’ont pas été fouillées ; elles étaient pleines d’Allemands qui ont fusillé nos soldats à bout portant. Tout a été massacré. On parle de sanctions sévères ; de l’avis général, le commandement en Alsace est au dessous de tout.

Dernier dîner de la bande ; moments inquiétants de phrases à double tranchants, mensonges de Mme de M. ; cela me donne envie de bondir. La politesse est une belle chose !

Nous les conduisons à la gare et attendons le départ du train ; cette fois ça y est ; ouf ! quel débarras.

Il n’y a plus que nous trois de la C. R. à Belfort sur les 16 que nous étions au début de la guerre ; c’est un succès !

Mercredi 13 janvier

Soins toute la matinée.

Encore une lettre de Paul apportée par le ravitaillement ; il est au repos pour l’instant, mais ne peut malheureusement pas venir.

Julie et Renée vont déjeuner chez Mme Viellard ; pendant ce temps, je fais une jolie promenade avec Mlle P. pendant que Mlle R. garde la maison. Nous prenons la porte de fer et allons au cimetière des mobiles par les fortifications, c’est vraiment beau ; des avions passent au-dessus de nous revenant d’Alsace, le canon gronde sans arrêt ; c’est une vraie sensation de guerre.

Le Gal Sauzède est mis à pied ; quant au colonel qui commandait à Burnhaupt, il va passer en conseil de guerre.

Adieux de Mme Villers, c’est la dernière, après espérons que nous serons tranquilles.

Jeudi 14 janvier

Soins toute la matinée ; visite du Dr Petit qui nous répète que l’hôpital est une pétaudière.

Courses, visite à l’hôpital civil où je cause avec un chasseur du groupe cycliste : d’après ce qu’il me dit, Paul a bien souvent manqué d’être tué. Visite à Mlle Préault qui regrette la C. R. et Mme de M. !

La seule nouvelle intéressante nous vient du lt W. ; les troupes gardant les Alpes vont bientôt arriver ici, ce qui prouverait l’intervention prochaine de l’Italie. De plus, l’officier qui a installé le poste de télégraphie sans fil de la Miotte est parti aujourd’hui pour la Roumanie avec tout un matériel.

Les autres nouvelles ne sont pas brillantes ; on parle d’une avance allemande vers Thann.

Vendredi 15 janvier

Les communiqués sont mauvais, les Allemands ont traversé l’Aisne près de Soissons ; cette attente et cette immobilité doivent avoir un mauvais effet moral sur les troupes.

Visite du Dr Petit : tout va de travers à l’hôpital militaire ; on y compare Landouzy à une moule et Rebout à un secrétaire de mairie de banlieue.

Promenade à Rethenans pour voir les sœurs de l’équipe ; retour par une pluie battante. Quel climat !

On nous annonce l’arrivée pour aujourd’hui du prince de Galles.

Arrivée de malades et de blessés venant du front, dont un vieil engagé volontaire de 53 ans !

Samedi 16 janvier

Meilleur communiqué ; nous allons seulement commencer à être prêts pour la guerre, alors que les Allemands ne pensent qu’à cela depuis 40 ans ! Il faut vraiment que nous soyons un peuple épatant pour lutter et vaincre dans de pareilles conditions. visite à M. Th. ; elle attend le prince de Galles qui doit venir visiter la collection de trophées allemands de M. de B. Ils sont à Dannemarie depuis le matin. Nous repartons sans qu’ils soient revenus. Thé ; visite interminable d’un capitaine assommant ; soins divers, coucher de bonne heure.

Dimanche 17 janvier

Messe militaire à St Christophe.

Soins toute la journée, neige effroyable, correspondance.

M. de B. et les St M. viennent dîner ; récit de la journée du prince de Galles à Dannemarie, Montreux et Roppe.

Statistique officielle des pertes ; nous avons 200 000 morts, y compris les Belges, 200 000 prisonniers et 500 000 blessés. Les Allemands ont 750 000 morts, 300 000 prisonniers et 1 200 000 blessés.

Quelques détails sur les atrocités allemandes, les tranchées de Craonne, etc.

Lundi 18 janvier

Soins, départ de 3 malades, dont Baupré qui retourne en Alsace.

Julie vient déjeuner, nous la conduisons à la gare ; au retour promenade de Bellevue avec Renée, Mlle P. et M. Th.

Le camion des chasseurs me rattrape en route pour me donner une lettre de Paul. Il repart demain matin pour les tranchées d’Aspach-le-Haut. Que Dieu le garde ! Je lui réponds sur une feuille de carnet. Quelle chance de pouvoir avoir si souvent des nouvelles.

Il fait un temps superbe, tout est couvert de neige, et la vue des montagnes est bien belle ; le canon tonne sans arrêt ; c’est le bombardement de Cernay, paraît-il ; il ne restera rien de cette pauvre Alsace.

Lettres de petite Renée et de Versailles.

Mardi 19 janvier

Il y a eu paraît-il, une assez forte secousse de tremblement de terre cette nuit ; je n’ai rien senti, mais dans bien des maisons les lits ont été secoués et les pendules arrêtées.

La neige tombe toujours ; tout est blanc et superbe ; le canon se fait entendre sans interruption.

Départ de malades pour l’arrière.

Mercredi 20 janvier

Toujours le canon, mais moins fort que ces deux jours précédents ; il faut absolument faire taire certaines batteries allemandes gênantes.

Des avions passent continuellement ; il fait un temps idéal ; Renée et Mlle P. vont à la Miotte jouir de la vue ; je reste pour garder l’ambulance et je relis avec plaisir le Professeur Knatschké[2] ; quelle critique amusante, surtout en ce moment.

Visite du Dr Braun qui examine plusieurs de nos malades ; un seul sera opéré ces jours-ci.

Aucune nouvelle militaire.

Jeudi 21 janvier

Le canon se tait aujourd’hui ; le communiqué annonce : combat d’artillerie dans le secteur de Thann ; nous l’avons assez entendu. Les Allemands bombardent Thann et nous Cernay. Impossible d’avoir des détails.

Que peut bien faire Paul au milieu de ce duel d’artillerie ?

Les soldats commencent à se démoraliser un peu ; l’attente et l’inactivité sont trop longues pour le caractère français et nous commençons à constater un réel fléchissement ; cela passera vite avec le retour du beau temps et la marche en avant.

Promenade à Danjoutin avec Renée pour aller voir Clerc ; il fait froid et la neige recommence à tomber, mais la marche est quand même bien agréable. Tout est blanc et il y a trop de brume pour que nous puissions voir la vue.

Nous trouvons Clerc au milieu de sa famille, enchanté de notre visite. Nous devons ingurgiter une quantité de vin chaud, après quoi nous regagnons Belfort sous la neige.

Nous apprenons le décret sur l’éclairage de Paris, par crainte de la visite d’un Zeppelin ; ce doit être lugubre ; pourvu que personne ne soit trop effrayé chez moi.

Je ne suis pas fâchée que les Anglais écopent un peu ; cela leur donnera un peu plus d’ardeur. Pourquoi n’y aurait-il que nous à souffrir de cette terrible guerre.

Je garde l’enquête officielle sur les atrocités allemandes ; il faudra que tout se paie et que rien ne s’oublie !

Vendredi 22 janvier

Soins toute la matinée ; Renée va à l’hôpital civil assister à l’opération de Doria.

Le lt Obrecht apporte les journaux et me communique la liste officielle des pertes des armées ; elle est rassurante pour nous.




Cela fait déjà deux millions d’hommes tués et nous ne sommes qu’à la moitié de la guerre ; si au moins il n’y avait que des Allemands !

Nous allons à la gare au devant de Julie qui revient de Paris avec Mlle Bidoux.

Pas grandes nouvelles intéressantes, on suppose qu’une offensive allemande aura lieu bientôt sur un point quelconque du front, mais la nôtre n’aura lieu sérieusement qu’en mars.

Samedi 23 janvier

Soins, visite à l’hôpital civil pour voir notre opéré : il va bien, mais ne demande qu’à revenir chez nous.

Quelques détails sur l’affaire de Soissons ; le général est remercié ; là comme ailleurs, il y a eu bien des fautes commises, nos pertes ont été énormes, mais celles des Allemands sont encore plus considérables.

Lettre de Fernand assez pessimiste, de M. Boulangé et du sergent Roche qui a échappé par miracle au massacre de Soissons. Correspondance.

Dimanche 24 janvier

Messe militaire à St Christophe ; soins toute la matinée ; il passe beaucoup d’Alpins se dirigeant sur l’Alsace ; cela confirme la nouvelle donnée par le lt W. ; on désarme les forts des Alpes dont les munitions sont centralisées à Grenoble et les troupes sont envoyées dans les Vosges.

L’Allemagne adresse un ultimatum à la Roumanie, probablement pour l’empêcher de choisir son heure.

Préparation des cours pour les infirmières qui commenceront en février.

Salut à 4 heures, thé avec les habituées. M. Th. nous lit une lettre venant de Soissons, très intéressante et impressionnante. Cela a dû être horrible.

Arrivée de malades venant du front.

Lundi 25 janvier

Nouveaux détails sur Soissons, le 60e a perdu 1 700 hommes dont un grand nombre de prisonniers ; un colonel ayant eu les deux jambes broyées par un obus s’est tué pour ne pas être pris. Toute la 14e division qui était à Soissons a été ramenée en Alsace et se trouve maintenant à Altkirch. Il arrive continuellement des troupes pour l’Alsace, 30 000 h. ces jours-ci, dit-on.

Mardi 26 janvier

Nous sommes complètement sous la neige qui tombe sans arrêt, tout est blanc et c’est bien joli.

Visite de Bousquet qui vient voir notre petit Desnoyers ; il va falloir lui amputer la jambe ; que c’est triste à 22 ans.

Thann est en flammes, paraît-il ; des troupes arrivent sans arrêt ; le 42e a été entièrement cité à l’ordre du jour pour sa conduite héroïque à Soissons ; il n’en reste d’ailleurs plus beaucoup, de ce pauvre régiment : j’apprends la mort du lt de la Rivière, qui a été soigné aux Anges et que j’ai vu au mois d’août ; les Boulangé vont en être très attristés.

Mercredi 27 janvier

C’est aujourd’hui la fête du Kaiser ; pourvu qu’on puisse lui infliger une défaite quelque part.

M. Th. vient nous apprendre que l’on se bat entre Dannemarie et Altkirch depuis ce matin ; M. de B. y est avec le gouverneur ; la lutte continue pour les hauteurs d’Hartmannswiller. Nous occupons un versant et une partie du sommet et les Allemands font de même de l’autre côté ; c’est à qui fera dégringoler l’autre.

Toujours aucune nouvelle d’Aspach. J’écris à Paul pour lui dire mon projet d’aller à Paris en février et lui demander ses commissions. Je ne partirai que quand j’aurai sa réponse.

Arrivée de malades venant du front.

Correspondance.

Jeudi 28 janvier

Arrivée de blessés d’hier, le village d’Hartmannswiller a été pris. Soins, pansements sans arrêt jusqu’à midi. Visite à l’hop. militaire pour voir Desnoyers, bien triste, le pauvre petit.

Visite à Mlle Préault, à Jurry soigné chez Julie ; arrivée d’autres blessés, soins jusqu’au dîner.

Visite de M. Béha et de Mme de St M.. M. Béha part pour le col du Bonhomme, quel admirable français que ce gros garçon. Il a un projet pour un peu plus tard qui sera bien beau s’il réussit. Il a d’ailleurs bien des chances pour y rester. On cherche en ce moment à prendre toutes les hauteurs et on s’y tiendra jusqu’au printemps ; les vallées ne sont que neige, glace ou eau et il n’y a rien à tenter maintenant.

Le village pris hier a été reperdu le soir ; c’est toujours la même chose ; on doit le reprendre aujourd’hui ; inutile de dire cela à nos blessés qui en arrivent.

Ordre d’évacuer à outrance, on s’attend à beaucoup d’arrivées.

Il passe encore des troupes, toute la division de cavalerie de Lyon. Le 7e corps revient.

Est-ce bien le moment d’aller à Paris ?

J’apprends une horrible nouvelle : le pauvre Patrice est mort, asphyxie dans son bain. Quel coup pour sa malheureuse femme qui ne peut même pas se dire qu’il a été tué à la guerre.

Bien des souvenirs d’enfance s’anéantissent ; c’est le premier qui disparaît de toute la génération de cousins, et de toute la bande que nous formions avec les Le Bec et Paul ; j’écris à sa femme.

Vendredi 29 janvier

Les nouvelles sont bonnes ; toutes les attaques allemandes ont été repoussées et nous avons progressé presque partout. La fête du Kaiser a été heureuse pour nous.

Installation de Mme Ihler et de Mme Béha dans les salles de blessés ; tout va de travers, les pansements sont faits à la diable et nos malades ne sont pas contents. Le docteur n’ose rien dire ; il doit bien se douter que cela est loin de nous plaire. Soins toute la journée ; arrivée de malades venant du front.

On entend le canon le soir et la nuit.

Samedi 30 janvier

Soins toute la matinée.

Un avion allemand est sur nous ; on ne tire pas car cela est interdit sans ordres et celui qui doit les donner n’est pas à son poste. L’espionnage est si bien organisé ici que les Allemands savent tout ce qui s’y passe.

L’opération de Desnoyers est pour demain, ainsi que celle de Montagnon que l’on conduit à l’hôpital civil ; nous devons assister aux deux.

M. Béha part incognito et en civil pour Bâle, service secret.

Dimanche 31 janvier

Messe militaire à St Christophe. Dix de nos malades nous y accompagnent, c’est un vrai cortège.

Au retour, nous changeons de tenue et filons à l’hôpital militaire. Le Dr Bousquet fait une amputation d’urgence à laquelle nous assistons ; le pauvre opéré a reçu une balle qui lui a brisé le fémur ; une hémorragie s’est déclarée et le seul moyen de le sauver est de couper la jambe pour rechercher cette malheureuse artère introuvable. Que de tristes choses dans cette guerre. Il est trop tard pour faire l’amputation de Desnoyers, elle est remise à demain. Course à l’hôpital civil pour l’opération de Montagnon. L’ouverture de l’abcès est vite faite et nous revenons à l’ambulance.

À 2 heures, troisième opération de la journée, faite cette fois par le Dr Ihler. On cherche et l’on trouve dans le genou de l’un de nos blessés un éclat d’obus qui le faisait souffrir et qui l’empêchait de marcher.

Soins tout le reste de la journée ; depuis trois jours, nous n’avons pas arrêté.

Toujours pas de nouvelles de Paul ; cela me paraît long. Nous avons un peu reculé en Argonne.

La neige continue à tomber et il fait très froid ; c’est un vrai temps d’hiver, combien plus agréable que la pluie et la boue.

Lettre de Cécile ; elle me prie d’envoyer certains papiers à son avocat, mobilisé ici. J’écris à ce monsieur.

  1. Nom germanophone de Morvillars. NdÉ.
  2. Professor Knatschké est un livre humoristique anti-allemand de l’Alsacien Hansi ; NdÉ.